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lundi 22 mai 2023

Yann Le Baraillec - Motocultor : "L'objectif était de passer un cap"

Yann Le Baraillec (directeur)

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Le Motocultor Festival est devenu une petite institution en France depuis plusieurs années maintenant, une institution à laquelle Horns Up est fidèle année après année. Mais 2022 constituait la dernière édition localisée à Saint-Nolff, où le festival a ses racines. Place au site de Carhaix-Plouger, qui accueille déjà les célèbres Vieilles Charrues. Pour évoquer cette édition à l'affiche de laquelle on retrouve, entre (nombreux) autres, Wardruna, Bullet For My Valentine, Hatebreed, Deicide, Brutus ou encore...Little Big et Wolfmother, Horns Up s'est entretenu avec le directeur du Motoc', Yann Le Baraillec

Bonjour Yann ! Nous sommes à 3 mois du festival. Il reste une grosse vingtaine de groupes à annoncer, si je ne me trompe pas (il confirme). J'ai la sensation que l'affiche n'a jamais été aussi riche et massive et qu'un palier a été passé, notamment en termes de notoriété des noms en haut de l'affiche..

C'était clairement l'idée et l'objectif de cette année. En plus de l'augmentation naturelle liée à la hausse des tarifs des artistes, nous avons augmenté notre budget pour cette affiche. Il y a désormais 70 groupes, c'est bien plus que d'habitude. Nous voulions passer un cap niveau programmation, c'est clair !

N'est-ce pas une prise de risque, alors que comme tu le précises, nous sommes dans une période où tous les prix augmentent ?

Certains groupes, comme ils n'ont parfois pas tourné depuis 2-3 ans, coûtent plus cher, en effet. Mais c'est un risque qu'on a décidé de prendre pour le long terme.

La grosse nouveauté de cette année, c'est bien sûr ce nouveau changement de site, direction Carhaix. Peux-tu nous parler de ce gros changement de décor ? 

Ca faisait quelques années qu'on savait que concernant l'édition 2023, il fallait que la Mairie se positionne durablement sur le fait que le festival puisse ou non continuer à se passer sur 4 jours...et la Mairie nous a annoncé très tard et sans justificatif que ça ne pourrait plus se faire sur 4 jours, il faudrait repasser à 3 jours.

Catastrophe pour nous, donc, et deux options possibles : faire l'impasse sur l'édition 2023 le temps de refaire un plan en phase avec nos objectifs, ou que les planètes s'alignent avec la commune de Carhaix. Le Maire de la commune de Carhaix est organisateur des Vieilles Charrues, les élus de la Ville ont énormément d'expérience là-dedans et connaissent les contraintes qui y sont liées. Ils savaient que la réponse devait être donnée très vite, et ça a été le cas, de manière favorable. C'est un coup de chance. Le site de Carhaix a très vite désigné comme pouvant nous accueillir, c'est complémentaire des Vieilles Charrues et la Commune souhaitait accueillir un second festival.

C'est une piste que nous avions déjà explorée il y a quelques années quand la Commune de Saint-Nolff ne voulait plus trop qu'on organise l'édition finalement reportée à 2022. Mais Carhaix nous avait très vite dit non à ce moment-là. Cette fois, tout est en place et ils sont très contents d'accueillir ce festival, pour les entreprises, les habitants, c'est très positif. Le site est aménagé et laisse des perspectives d'aménagements supplémentaires, ce que nous n'avions pas à Saint-Nolff. Qui plus est, à Saint-Nolff, nous aurions potentiellement perdu 4 hectares de parking, qui allaient être mis à disposition d'une entreprise ; ça veut dire que cette fois, l'activité du festival aurait impacté celle de la Commune car il aurait fallu trouver des solutions. On aurait pu apprendre 6 mois avant le festival qu'il fallait trouver des parkings ailleurs. Chacun de ces points pris séparément aurait pu nous pousser à partir.

Est-ce qu'on peut considérer que c'est un mal pour un bien ? Que vous vous seriez heurté à un moment donné à un plafond de verre à Saint-Nolff ?

Oui, c'est un mal pour un bien, après, c'est à charge de revanche pour Saint-Nolff où on a bien l'intention de revenir pour organiser un plus petit événement, pour lequel ces problèmes d'organisation et de parking ne seront pas gênants. Saint-Nolff, c'est d'où on vient et on y est très attaché, on a plein de bénévoles sur place. Mais une page est tournée, le Motocultor est désormais finistérien et l'objectif est de le rendre pérenne là-bas. On va devoir se recréer des liens avec des entreprises, des commerces locaux, des bénévoles, car même si certains nous suivront, on veut avoir cet ancrage local.

J'imagine que reprendre ses marques n'est pas évident, en effet.

Notre chance sur ce point, c'est que la vie associative de Carhaix est très active avec énormément de bénévoles qui ont l'habitude de travailler pour des festivals. Spontanément, suite à l'annonce de notre déménagement à Carhaix, nous recevons énormément de demandes pour nous aider, venir faire du bénévolat. Il y a évidemment l'expérience des Vieilles Charrues, ça nous permet d'avoir énormément de gens qui savent ce qu'est un festival de 4 jours et veulent participer, voir un peu ce qu'est un festival de metal (sourire). On bénéficie de cette expérience et ça permet d'aller très vite pour relancer la machine, ça aurait été différent ailleurs. Ici, ça se fait tout seul ! Parfois, on se dit « tiens, il faudrait ceci, cela » et une entreprise nous contacte d'elle-même avec une offre adaptée...c'est comme si nous avions toujours été là.

C'est aussi une belle preuve de reconnaissance de la part de Carhaix que le Motocultor soit si aisément invité !

Oui, le festival a une très bonne image, ça aide. Puis, la Mairie de Carhaix, dès que ça a été acté que nous partions de Saint-Nolff, a été rassurée par le caractère un peu « définitif » de ce départ, nous les avions démarchés sans retour en arrière possible.

L'objectif, c'est que Carhaix devienne synonyme de Motocultor comme Clisson est synonyme de Hellfest ?

Disons que Carhaix accueille déjà les Vieilles Charrues qui est le plus grand festival de France, donc ça risque de rester synonyme de Vieilles Charrues (rires). Mais ils jouent de cette image de « terre de festivals, » oui. C'est une région très active, avec énormément de choses à faire, et on compte communiquer là-dessus dans les semaines à venir vis-à-vis de nos festivaliers afin de mettre en avant le patrimoine de la région. Avant, à Saint-Nolff, il y avait le golfe du Morbihan, désormais, ce sera le Finistère, et globalement, pour les gens qui viennent de loin, il y a énormément de choses à faire en Bretagne. Pourquoi ne pas rester avant ou après le festival !

Le festival est resté sur 4 jours, on l'a dit. Mais cette fois, pas de jeudi « thématique » comme en 2019 avec une journée bretonne et en 2022 avec la journée plus rock. C'était une volonté ?

Le problème, c'est que nous voulions saisir un maximum d'opportunités. Imaginons que nous voulions faire un jeudi à thème plus pagan pour Wardruna mais que le groupe ne soit disponible que le vendredi, c'est dommage. Là, nous avons placé quelques groupes un peu plus pagan pour que les fans de Wardruna puissent s'y retrouver, mais globalement, ces groupes un peu « spéciaux » sont dilués sur les 4 jours. Il y a 4 scènes dédiées à des styles, par exemple la Suppositor Stage, qui ne sera vraiment que dédiée au metal extrême et sera installée dès le jeudi, contrairement à avant. Ce sera metal sur les 4 jours, mais avec des groupes plus rock en effet, comme Wolfmother, Ugly Kid Joe, sans pour autant être parvenu à faire une journée thématique à 100% cette fois.

Il y a tout de même des groupes et artistes assez étonnants, comme ICEP3AK, Little Big, Luc Arbogast, Wolfmother...où placez-vous la limite ?

La limite, c'est qu'il faut que ce soit lié de près ou de loin au metal ou que ça parle à son public. Que ce soit compatible. On avait pris Henri Dès et ce qui était « compatible », c'est ce côté fédérateur et fun ; les gens se sont demandés « qu'est-ce que ça fout là ? », mais ont été voir, et c'était magique. C'était décalé, mais ça a fonctionné. L'idée est que ce soit compatible, que ça fédère, que ça puisse potentiellement étonner mais que ça reste du rock, comme The Hives, Pete Doherty...on ne va pas faire venir un artiste reggae, ou un Téléphone qui est rock mais trop grand public et pop, ça correspondrait plutôt aux Vieilles Charrues.

Toujours concernant les artistes, j'ai pu voir récemment le Brutal Assault déclarer que cette année, c'était un peu plus fréquent que les groupes annulent. On le voit, des tournées s'arrêtent pour des raisons financières, sans parler de la guerre en Ukraine : 1914, qui est à l'affiche du Motocultor, a annulé ses dates d'avril et mai...

Oui, en ce moment, c'est financièrement difficile d'organiser une tournée et tout est calculé parfois à une date près pour ne pas perdre d'argent ; si une date tombe à l'eau, la tournée n'est plus rentable. Dans le metal, énormément de groupes ont un travail à côté...Même des gros groupes comme Hatebreed ou Testament, parfois, ne prennent leurs billets d'avion qu'au dernier moment et les prix peuvent avoir explosé. Comme en ce moment, tout le monde est à flux tendu, ce n'est pas qu'ils n'anticipent pas, c'est juste impossible d'avancer l'argent. Même des gros groupes ont des soucis de trésorerie, retardent les dépenses jusqu'au dernier moment puis se retrouvent le bec dans l'eau. Et puis, plein de groupes ne nous disent même pas pourquoi ils annulent (rires). Parfois, ils programment des choses, mais « sous réserve de », sans qu'on le sache, et la condition n'est pas remplie, donc ils annulent...

 

En tant qu'organisateur, j'imagine que tu préférerais qu'ils soient transparents là-dessus...

Oui, mais dans le même temps, on doit annoncer une affiche, nous (rires). Si on doit attendre le dernier moment, c'est compliqué. Cette année, il y a eu peu d'annulations, du moins dans les groupes annoncés. On discute souvent avec le Brutal Assault, donc on partage les infos, et parfois une annulation sur leur week-end n'est pas lié au nôtre. Concernant les groupes ukrainiens, la donne peut changer au tout dernier moment. Forcément, nous sommes en pleine guerre en Europe, et dans ce cas-là, c'est particulier, du jour au lendemain, ils peuvent annuler et il n'y aura rien à y redire. Je n'ai rien entendu concernant 1914 pour l'été prochain mais c'est toujours un risque. De toute façon, si tu attends d'être sûr à 100%, tu annonces la veille du festival (sourire).

C'est toujours un exercice difficile pour un organisateur mais si je te demande de citer un groupe, sur cette affiche 2023, que tu es particulièrement fier d'accueillir ?

(sans hésitation) Wardruna. Ca fait des années, depuis 2014, qu'on essaie de les avoir et là, on est assez fous que ça puisse se faire ! Chaque année, on les démarche, et cette année, les planètes se sont alignées pour que ça se fasse.

Ca répond déjà un peu à ma question suivante : j'imagine que LE groupe que tu rêverais ou rêvais d'avoir un jour, c'était donc Wardruna.

Oui, clairement. Après, il y en a plein...Gojira, Mastodon, Megadeth, ce genre de classiques, on essaie souvent de les avoir. On était aussi très contents de faire venir Devin Townsend, c'était fou. Puis, le Motocultor, ce ne sont pas que les têtes d'affiche, notre plaisir, c'est de faire venir des groupes émergents aussi. Et j'ai aussi apprécié le côté décalé de faire venir The Hives, auquel les gens ne penseraient pas forcément pour le Motoc' et qui avaient fait le show.

C'est une façon de se démarquer, ces groupes un peu décalés dont on a déjà parlé ?

Difficile à dire, car le Hellfest, par exemple, a une programmation tellement dense qu'en termes de nombre pur, ils ont sûrement autant d'artistes de ce style que nous, parce qu'ils varient aussi le propos. Je n'ai pas étudié leur affiche donc je n'en sais rien pour cette année. Mais nous, sur 70 groupes, ça se voit plus, en effet. On joue plutôt sur l'éclectisme, et oui, on déborde un peu dans le rock...The Hives et Pete Doherty à côté de Powerwolf et Behemoth, c'est assez sympa.

Sur le plan extra-musical, est-ce que vous avez prévu quelque chose de spécial cette année, des projets, comme le village médiéval à l'époque ? Ou comme c'est un nouvel endroit, vous allez d'abord découvrir les lieux ?

Oh, on a plein d'idées, mais il faudra voir un peu ce qui est raisonnable ou pas ! Il y a plein d'envies, mais on va découvrir le site, voir ce qui est réalisable. Un village médiéval, comme celui qu'on avait fait à l'époque, c'est assez classique, évidemment, et ça pourrait se refaire, mais ce n'est pas encore certain. Des projets, il y en a beaucoup, mais on verra.

Dans le même domaine, les festivals ont perdu depuis longtemps ce côté « malbouffe », qui y a été systématiquement associé pendant des années. Plusieurs festivals français proposent leur propre bière craft, par exemple. C'est votre projet aussi ?

L'année passée, on a déjà bien élargi l'offre en termes de stands de restauration, afin d'avoir des stands vegan, notamment et on va continuer à faire en sorte que ce soit varié. L'objectif est aussi que ce soit autant que possible des produits locaux, y compris pour notre catering. La commune de Carhaix apprécie ça aussi, maintenant, c'est un nouveau territoire pour nous ; ce ne sera peut-être pas aussi optimisé qu'on le voudrait dès cette année. Mais c'est l'objectif à moyen et long terme !

La prochaine, c'est pour cette semaine, c'est ça... ?

C'est ça, en effet. Il y aura du gros groupe, du groupe émergent, des choses plus surprenantes, ce sera assez varié (sourire).

On a hâte ! Merci pour ton temps, Yann.

Notre live-report vidéo du Motocultor 2022 est toujours à redécouvrir par ici :