
Série Noire #21 : Owls Woods Graves, Bliss of Flesh, Creatvre, Feruch, Yellow Eyes ...
vendredi 28 novembre 2025
Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
L'hiver vient, les marchés de Noël ouvrent leurs portes et entre deux grands gobelets de vin chaud, quoi de mieux qu'un peu de black metal pour regarder le froid s'installer jour après jour ? La Série Noire #21 est là pour vous aiguiller vers les sorties chaudes du moment. En l'occurrence, on l'a joué patriote puisque 4 des 9 entrées sont françaises, tandis que le reste nous vient - comme souvent - des pays de l'Est, avec un petit détour par les USA.
Groupes évoqués : Yellow Eyes | Owls Woods Graves | Feruch | Crypt Enigma | Bliss of Flesh | Deconstructing Sequence | Aethervoid | Creatvre | Ammanas |
Yellow Eyes – Confusion Gate
Black atmosphérique – Etats-Unis (Sibir Records)
Dolorès : Puisque Immersion Trench Reverie (2017) fait désormais de mes albums de black metal favoris, j'étais évidemment très impatiente de découvrir le nouvel album de Yellow Eyes. Sans surprise, Confusion Gate donne tout ce qu'on attend de lui : un black metal atmosphérique très fluide qui pioche dans un tableau d'ambiances plurielles. Si les sonorités du mix sont assez douces, avec moins de dissonance que par le passé sans être trop lisse non plus, les dynamiques sont assez variées pour rendre l'ensemble marquant et étoffé. Ça pioche du côté des rois américains de Wolves in the Throne Room, rappelant également la profondeur moderne de la scène néerlandaise du collectif Haeresis Noviomagi. On oublie vite sa durée (d'une heure) pour se focaliser sur l'essentiel : une ode à l'introspection, à la contemplation, bourrée de détails savoureux et de mélodies entêtantes, ainsi qu'un des albums black metal de l'année selon moi.
Owls Woods Graves – Strix
Black/Punk – Pologne (Malignant Voices)
Circé : Owls Woods Graves est depuis quelques années un peu un de mes pêchés mignons. C'est bête, rentre dedans, ca n'invente rien, mais c'est fun.
Ce dernier l'album l'est sûrement même plus que ses prédécesseurs, avec plus d'énergie, plus de punk, plus de refrains, et une fusion avec le black plus équilibrée qu'auparavant. Vous l'aurez donc compris, le groupe propose un mélange black/punk, construit autour d'un son de guitar raw, du tremolo picking sur du d-beat avec des lyrics tantôt scandés, tantôt en chant typiquement black. La plupart des membres sont bien installés dans d'autres formations de la scène polonaise (Medico Peste, line up live de Mgla), et cela se ressent vraiment dans le son et dans le riffing black. La partie punk combine l'efficacité et l'énergie des rythmiques et l'aspect catchy des mélodies, quelque chose de nerveux allant jusqu'à faire du pop punk enrobé de black metal sur “Black Flame in Our Hearts”. Et aussi improbable que cela sonne, ça marche. Si certains morceaux plus mid tempo comme “The Flag is Raised” cassent un peu la dynamique, ils ne sont heureusement pas majoritaires, et le résultat est à la fois crasseux et entraînant.
Le groupe offre un mélange plus black et plus raw qu'un Kverlertak des débuts, pour citer les plus populaires du style... qui non, ne révolutionne rien et n'a pas la prétention d'apporter grand chose. L'ambition est simple : un album fun, qui ne se prend pas au sérieux tout en travaillant son exécution pour offrir une expérience énergique et entrainante. Parce qu'on a bien besoin de fun, de temps en temps, dans le black metal.
Feruch – Feruch
Dolomitic black metal – Italie (Dolomia Nera)
S.A.D.E : Non content de sortir un des albums de l'année avec Messa, le batteur italien Rocco Toaldo s'affiche également au line-up de Feruch, nouveau projet de black metal venu de la péninsule. Ou plus précisément de dolomitic black metal.
En effet, le folklore et l'imaginaire de cette zone montagneuse et tardivement industrialisée nourrissent les concepts et les paroles (en italien) du projet fondé et pensé par le guitariste et chanteur Fulgur Summa. Feruch ne propose pas un passéisme idéalisé, mais l'illustration musicale d'une culture populaire construite par des légendes et des mythes païens nés dans les vallées encaissées et ombrageuses des Dolomites. Musicalement, Feruch tape dans le black metal frontal et brut, avec un très bon arrière goût punk sur certains plans. La production est rugueuse comme il faut mais néanmoins très lisible et accessible, idéal pour se délecter des riffs qui empruntent largement au black metal norvégien.
Tout en restant dans des codes bien établis, Feruch possède déjà son identité, d'une part avec le chant en italien qui donne une phrasé et une texture particuliers, mais aussi dans son ancrage au territoire. En proposant l'exploration de sa région, de ses paysages et de sa culture, Feruch donne une teinte locale à son black metal, un ancrage palpable et sensible.
Crypt Enigma – Demo 2025
Black punk – France (indépendant)
Raton : Crypt Enigma est un tout nouveau projet parisien mené par une seule personne, Eva, qui verse ses tripes et son amertume dans ce projet de black punk radical. Sa première démo deux titres est sortie le 2 octobre dernier et laisse entrevoir un univers nerveux et revendicatif.
La grande force de Crypt Enigma est de conjuguer un imaginaire médiéval, le black metal occulte aux teintes violacées, le punk féroce et pressé, et une sensibilité moderne avec des positions politiques fortes, notamment sur le véganisme, portées par une identité queer qui revendique sa marginalité. Eva révèle que la composition des deux titres a notamment été inspiré d’Evil Dead 3 et déclare « j’aime interpréter ce synopsis comme une bataille perpétuelle au Moyen-Âge, entre des hommes morts à cause de leur surconsommation ».
Mon titre préféré est « Chevaleresque » qui file à toute allure entre registre guerrier et colère urbaine cradingue, jusqu’à un refrain fort et persuasif : « Attaque, matraque, je ne vais pas capituler, tu n’auras qu’à me tuer ». « La fin du règne humain », le second morceau est introduit par des claviers inquiétants, avant de se lancer sur un riff rampant et un spoken word solennel. Comme son prédécesseur, les paroles sont écrites avec finesse et reviennent à une essence instantanée, crispée et primitive du black metal.
Bliss of Flesh – Metempsychosis
Black/death metal – France (Black Lion Records)
ZSK : Cinquième album ici pour nos Français de Bliss of Flesh, qui en profitent pour fêter leurs 25 ans d’existence, excusez du peu. On avait donc laissé le quintette sur Tyrant il y a cinq ans, qui avait déjà dû succéder à la trilogie sur la Divine Comédie de Dante, et surtout maintenir la tension de ce black/death très offensif. S’il n’a jamais vraiment crevé l’écran, Bliss of Flesh jouit d’un parcours sans faute et d’albums plus qu’honnêtes. Metempsychosis ne va pas déroger à la règle.
Bliss of Flesh choisit de ne pas changer son fusil d’épaule et restera dans son style pour lequel on donnera un FFO très large de Behemoth et Watain tant son black/death est fait pour plaire à tout le monde, et aussi meubler en attendant le retour d’un Temple of Baal au passage. Toutefois, Metempsychosis montre un Bliss of Flesh qui s’assagit un peu et lorgne vers quelque chose de légèrement plus occulte, en témoigne les arpèges et leads qui seront ici plus en vue de même que quelques moments d’ambiance assez surprenants…
C’est ainsi que pour l’introduction de « If Only » et surtout l’interlude « Verdammt » qui en est sa prolongation, nous aurons l’occasion d’entendre un chant en allemand plaintif qui ferait presque penser à certaines performances de Till Lindemann. C’est osé, mais ça va bien avec un Metempsychosis un peu plus noir et désenchanté que ses prédécesseurs (cf. aussi les quelques passages au piano). Dommage que la première partie de l’album en devienne du coup un peu poussive avec quelques longueurs. Mais quand Bliss of Flesh renvoie la sauce, il ne le fait pas à moitié avec une fin d’album de folie, enchaînant les brûlots que sont « The Awakening », l’excellent « Adieu », le morceau-titre puis le final agressif qu’est « Martyr », avec bon nombre de compos inspirées. Metempsychosis est un peu hétérogène, ne dépasse donc pas ses prédécesseurs mais le black/death de Bliss of Flesh demeure satisfaisant !
Deconstructing Sequence – Tenebris Cosmicis Tempora
Progressive black metal – Pologne (Black Lion Records)
S.A.D.E : Fondé à Tauton au Royaume-Uni en 2012 au format duo, Deconstructing Sequence s'est relocalisé en Pologne (pays d'origine de ses membres) après la sortie de son premier album, puis s'est transformé en quatuor pour la composition de Tenebris Cosmicis Tempora, son deuxième opus.
Sur une base musicale black metal, Deconstruction Sequence greffe des éléments synthétiques (et quelques pas de côté vers le death metal) qui donnent à sa musique un caractère plutôt progressif. Déjà, Tenebris Cosmicis Tempora est un concept-album dont le récit entremêle apocalypse nucléaire, bataille cosmique angélo-démoniaque et considérations sur l'ontologie humaine (pour être transparent, j'ai pas tout pigé au délire). Mais surtout, ce deuxième effort est une sorte de rencontre entre DHG et Anaal Nathrakh, alliant brutalité bestiale et arrangements électronique plutôt classieux. Pour faire tenir le tout, la production est très moderne, un peu trop pourrait-on penser, notamment la batterie un poil trop trigguée, mais à la densité impressionnante. Les couches et les nappes se superposent au riffing qui se fait globalement à fond de caisse, donnant à voir des paysages majestueux et terrifiants.
Un peu longuet en fin de parcours, Tenebris Cosmicis Tempora est néanmoins un album qui donne à entendre un groupe avec des idées claires et une volonté de tester les frontières du genre.
Aethervoid – Even Light Decays
Black/death avant-gardiste – France (Autoproduction)
Rodolphe : Dans le milieu du webzinat, chaque projet de Jeff Grimal (Prisme, Kesys, ex-The Great Old Ones) est accueilli avec le même enthousiasme curieux que ses réalisations extra-musicales, qu’il s’agisse d’illustrations ou de peintures. Le dernier en date s’intéresse à l’astrologie et aux spécificités des signes zodiacaux. Aethervoid les documente à travers un EP fil rouge de quatre morceaux texturés, à mi-chemin entre le black atmosphérique et le doom-death metal. À cette occasion, le maître libournais en a appelé aux services de Benoît Gateuil, ainsi que Boris Doussy (ex-Psalm, ex-Bristol Meyers Squibb, ex-Skyshift), auteur des paroles et du concept. Ce qui étonne en premier lieu sont ces vocaux gras et appuyés – parfois très Paul Kuhr dans la composition, à l’instar de « The Giant Breath » – laissant à penser à une musique plus « oppressive ».
En réalité, la production éthérée atténue cette sensation passagère d’étouffement : le chant serré intègre un paysage ouvert, à la fois dissonant et avant-gardiste (« Even Light Decays », « Echoes of a Name »). Les percées vocales en clair (théâtralisantes sur la ligne « Les étoiles m’appelaient, le vent m’emportait/Je portais l’étendard, glissant dans la brute ») participent au rééquilibrage des forces, quoi que chaque pôle (obscurité/lumière) cherche à absorber l’autre. Stellaire, cet objet l’est assurément, mais tous les morceaux ne bénéficient pas du même vernis. Ainsi, « Echoes of a Name » et « Crowned in Fire » proposent des appels d’air bienvenus : pour l’un, une coupure musicale électro-cinématographique provoquant un adoucissement du rythme imposé en première partie ; pour l’autre, une composition progressive à la guitare des plus exceptionnelles, s’accompagnant de lasers et de narration.
Bien que confidentielle, Even Light Decays n’en reste pas moins une sortie inspirante, cristallisant toute la créativité et les idées foisonnantes de Jeff Grimal et de sa suite.
Creatvre – Toujours Humain
Black metal progressif – France (I, Voidhanger Records)
ZSK : On avait connu un Creatvre très productif avec quatre albums en quatre ans dès sa création. On a cru le perdre avec la sortie du single « Epitaphe » au concept très équivoque. Mais Creatvre – qui visiblement s’écrit maintenant avec un v mais toujours sans é – est toujours là, toujours debout, et… Toujours Humain malgré tout. Après l’étonnant Eloge de l'Ombre, et alors que l’EP Chimerapolis (2022) avait poursuivi l’effort avant-gardiste, qu’attendre de la nouvelle offrande de la créatu… creatvre bretonne ?
Réponse : la voie qu’avait tracée l’EP suivant (Shenron) et « Epitaphe ». A savoir un Creatvre qui revient un peu en arrière et laisse de côté les velléités plus expérimentales – même hip-hop, rappelons-le – de Eloge de l’Ombre. Ici on revient à la singularité de Ex Cathedra, les cuivres y compris. Le « black metal » de Creatvre redevient donc plus progressif qu’avant-gardiste, gardant surtout le riffing un peu plus moderne ici et là. Creatvre perd donc un peu de son originalité, avec même un son redevenu plus rugueux, mais ne perd pas son intérêt.
Toujours Humain sera donc un album plus « classique », enfin compte tenu des standards imposés depuis Inquiétudes car le metal de Creatvre reste particulier. Mais à part le plus atmo « Plus humain » et « Toujours en bas » avec ses synthés très avant-gardistes, Toujours Humain n’a pas énormément d’aspérités. Le projet reste globalement inspiré dans les compos et le riffing (« Hope Inc » et ses guitares complexes, « R+X » avec un fort accompagnement de cuivres, le martial « 810-M4SS » avec même un côté épique et des leads), mais sinon Creatvre mise ici sur l’efficacité et la technique. Ce qui prend sur une majorité de l’album, mais si on préférait Eloge de l’Ombre à Ex Cathedra, on restera un peu sur notre faim. Mais la Creatvre vit toujours et reprend son chemin…
Ammanas – The Source of Primordial Wisdom
Black atmosphérique épique – Russie (Autoproduction)
Malice : La Russie ne manque pas de formations de black atmosphérique épique dits "Summoning-like", le plus fameux étant bien sûr Elderwind, qui s'est progressivement affranchi de l'ombre (ou de la lumière ?) des pères fondateurs pour trouver son style sur son dernier et fantastique album - ne les manquez pas au Cernunnos Pagan Fest en février prochain. Du côté de Ammanas, par contre, on reste tout de même encore bien au chaud sous les ailes de Silenius et Protector, et ce n'est pas le Gandalf de la pochette qui me contredira.
Reste que The Source of Primordial Wisdom fait partie du haut du panier de ces copycat qui pullulent : sans atteindre la majesté d'un Emyn Muil ou des débuts de Sojourner, Ammanas fait son chemin notamment en intégrant beaucoup de chant clair et en trouvant la mélodie qui fait souvent mouche au bon moment pour éviter la torpeur. Un album parfait pour l'hiver qui s'installe, à écouter avant de se refaire l'inévitable marathon LOTR de saison.
Également dans le radar de la Série Noire :
La grosse nouvelle c'est le retour de Forteresse avec leurs premiers morceaux depuis 2016 et le très grand Thèmes pour la rébellion. Le groupe de métal noir québécois propose un single composé de deux titres, un morceau black glaçant et bien senti et une piste d'ambient menaçante qui donne le ton pour le prochain disque, que le groupe déclare « à venir ».
Après le très médiocre Franckensteina Strataemontanus, Carach Angren va un peu mieux avec l'EP The Cult of Kariba. Juste un peu.
Amateur de black indus français à l'ancienne? Le vétéran Thy Apokalypse a signé un nouvel album, Fragment Quatrième (Metacosmos), chez Bitume Prods.
Au moment de mettre sur orbite cette Série Noire sortait un album très attendu : celui des Étatsuniens de nationalité mais clairement Tchèques de culture de Kostnateni. Úpal était l'un de nos albums de 2023, une merveille de créativité qui brisait complètement le carcan du black metal ; Přílišnost semble aller encore plus loin et on ne peut que vous conseiller d'y jeter une oreille.
Ne manquez pas non plus le nouvel album d'Ildaruni, que beaucoup de membres de la rédaction attendaient et dont la chronique est à venir dans nos colonnes !














