
Obsidian Dust : Zeal & Ardor, Elder, Pallbearer, Liturgy... @ Bruxelles
Le Botanique - Bruxelles

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Quelle chance on a, à Bruxelles, de pouvoir compter sur un écrin comme le Botanique pour accueillir d'innombrables concerts issus de tous les courants de la musique alternative, extrême ou pas. On vous en parle à longueur d'année, mais le constat est toujours le même : un lieu, diverses salles à la qualité sonore globalement irréprochable et une prog' riche et variée.
Autant dire que chez Horns Up, on était véritablement extatique de voir apparaître cette première édition de l'Obsidian Dust, nouveau festival organisé dans le cadre des fameuses « Nuits Botanique » qui se tiennent chaque année au printemps. D'autant que derrière l'événement se cache Metadrone Music Association, qui chapeaute déjà le Desertfest à Anvers, excusez du peu. Toute une soirée dédiée aux musiques occultes et sombres qui nous sont chères, avec en têtes d'affiches Zeal & Ardor, Elder ou encore Pallbearer : évidemment qu'on y était. Récit !
Cette première édition de l'Obsidian Dust se déroulait donc sur trois fronts : l'Orangerie, salle la plus « classique » du complexe du Bota qui accueille la plupart des artistes à longueur d'année, le Musée, une salle plus récente toute en longueur avec son style Art Nouveau et ses balcons fort pratiques, et deux concerts en plein air sur une scène montée spécialement pour l'occasion. De quoi circuler facilement dans les lieux, tout en profitant de sa splendide architecture typique du Bruxelles du XIXe. Bon, malheureusement, il y aura quelques couacs d'accès à l'Orangerie, mais dans l'ensemble, c'est carré.
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Villenoire
Ouvrir le bal et devenir le premier groupe de l'histoire de l'Obsidian Dust, comme l'annonce fièrement le chanteur, c'est un sacré honneur pour Villenoire qui sort son album le jour même de ce concert. Autant dire qu'on ne connaissait pas grand chose du groupe. Et dans un Musée plutôt bien rempli pour un début de soirée, ces quadras expérimentés (on y retrouve des ex-membres de Lethvm, Death Before Disco et Electric)Noise(Machine) vont délivrer un concert assez loin du spleen urbain que laisse supposer leur nom. Une sorte de post-hardcore presque adolescent, qui va parfois draguer les fans de Bring me the Horizon ou A Day to Remember, balance parfois quelles riffs un peu djenty mais rarement méchants. Il y a beaucoup d'années 90 là-dedans, celles du metalcore mais même parfois de l'émo et du néo le plus tourmenté, avec une énergie très appréciable. À suivre pour les fans du genre, dont je dois bien confesser ne pas faire partie.
Elder
Place, déjà, à l'un des grands noms de la soirée, qui inaugure la Fontaine, scène extérieure : Elder est l'un des deux groupes, avec Zeal & Ardor, à s'y produire. On peut regretter un tel créneau, et regretter que la Fontaine ferme si tôt, mais c'est à n'en pas douter une contrainte communale nécessitant que les décibels soient limités passé une certaine heure. Et franchement, profiter du formidable Lore d'Elder en intégralité sous ce beau soleil encore bien présent dans les jardins botaniques de Bruxelles, ça a de la gueule.
Elder fait, il faut dire, partie de ces groupes qui prennent une superbe ampleur en live, et Lore est pour beaucoup l'album de référence. Une perle de stoner teintée de bien plus d'éléments progressifs, dont le rendu live a des aspects presque épiques dès « Compendium ». Le chant de Nick DeSalvo, notamment, y prend un peu plus de poil de la bête, maîtrisé qu'il est devenu, une décennie après la sortie de l'album. Le groupe est très concentré : on voit bien Jack Donovan (basse) jeter des coups d'oeil à Georg Edert (batterie) entre chaque titre afin de se caler au mieux. Résultat : l'interprétation est sans faille, véritable voyage stellaire d'une heure, parfois ramené sur terre par un riff plus stoner (« Lore »), jusqu'à ce « Spirit at Aphelion » final fantastique qui fait hocher la tête en symbiose à tout le pare-terre. Cinq morceaux, une heure de musique, une leçon de classe.
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Premier et en réalité dernier petit couac organisationnel à mentionner ici : l'accès à l'Orangerie pour le concert de LLNN était quasi-impossible quelques minutes après l'ouverture. Une preuve du succès du groupe danois, que je ne conçois pas vraiment. J'ai préféré aller jeter une oreille au rock'n roll blagueur et fuzzy de Rickshaw Billie's Burger, et d'y passer un assez bon moment, avant de faire un tour aux stands de catering.
Et sur ce plan, rien à dire : l'Obsidian Dust (et probablement chaque soirée des Nuits Botaniques) dispose d'une offre correcte, avec burgers, frites, dahl de lentilles ou pâtes, avec plusieurs options végétariennes. Des prix corrects aussi (9 euros le plat de pâtes ou le burger) compte tenu du marché. Vu que le quartier alentour (l'un des pires de Bruxelles) manque de choix vraiment agréables, c'est un must et le Bota' l'a bien compris.
[Note du photographe : C'est plutôt un agglutinement autour des portes ; une fois la foule mieux répartie et le goulot passé, il y a moyen de se faufiler dans l'Orangerie. Mais je me lasse également fort vite du trip tout en grimaces vers des abysses insondables que nous propose LLNN. Trop torturé pour le plaisir de l'être, dirais-je, et emballé dans une surenchère de lumières bleues qui me rend la tâche assez pénible.J'oblique aussi vers la performance des Texans qui, dans cette programmation aussi pointue que snob, font un peu office de caution bas du front. On est sur du lourdingue à moustaches, tant au niveau du son que des thèmes des morceaux ; du bon gros desert sludgy/hard rock condensé par tranches de trois minutes, ce qui apparemment s'appelle du « doom wop ». Et bien le public était au rendez-vous, et même, pour certains, prêts à suer leurs premières pintes sur les riffs pachydermiques du trio. Parce que Rickshaw Billie's Burger Patrol n'était certainement pas le groupe le plus malin, le plus classe, et le plus chargé en émotion de la soirée. Mais il était incontestablement le plus fun. Comme une grand bouffée d'air chargé en THC au pays des hipsters.]
Zeal & Ardor
La première fois que j'ai vu Zeal & Ardor en concert, c'était exactement au même endroit, dans le même contexte (les Nuits du Botanique 2019), et j'en étais ressorti écœuré. Manuel Gagneux et ses frères de gospel avaient livré un concert franchement mauvais, entre manque d'énergie et de connexion avec le public et setlist étrange. Une énorme déception pour ce qui était déjà l'une des sensations de l'univers metal à l'époque.
Depuis, Zeal & Ardor a sorti un excellent album éponyme et paraissait promis aux sommets ; Greif, sorti l'an passé, n'a pas forcément transformé l'essai. Mais le metal modérément extrême, jamais vraiment black, souvent plutôt moderne, souvent iconoclaste et occulte des Suisses continue d'avoir le potentiel d'un jour les amener en haut de l'affiche. Et en 2023 au Motocultor, je le constatais en live : le chapiteau était trop petit pour Z&A, qui donnait un concert démentiel. La réconciliation. Et cette fois, la rédemption dans ce même Botanique qui leur mangera dans la main.
Car Gagneux est dans un très grand soir, plus en voix que jamais, même s'il faudra attendre « Götterdämmerung » pour qu'on s'en rende vraiment compte après une entame mollassonne (« the Bird, the Lion & the Wilkin » - « Wake of a Nation »). Ce sera d'ailleurs le fil rouge de ce concert : à bien y réfléchir, je vois peu de groupes modernes ayant un tel delta entre les grands moments (« Gravedigger's Chant », l'hallucinant « Blood in the River » et son mantra - « the riverbed will run red with the blood of the saints and the blood of the holy » - purement sataniste) et les moments carrément faibles... souvent issus de Greif (l'enchaînement pataud « Fend you Off » - « Kilonova »). Même chez les fans du répertoire récent, on sent que les titres plus agressifs, que Gagneux introduit souvent avec un petit sourire (et dans un très bon français), récoltent le plus de succès, comme le beaucoup plus black metal « Tuskegee ». Le souci, dans la musique de Zeal & Ardor, c'est l'entre-deux : quand Manuel Gagneux abandonne à la fois ses oripeaux extrêmes et ses racines blues/negro spiritual, on se retrouve le cul entre deux chaises avec des morceaux aux riffs un peu vides, aux intentions peu claires.
Bien sûr, on ne demande pas à ce que l'intégralité du répertoire ressemble au déjà culte « Devil is Fine » (chanté par tout le Bota', sous le regard authentiquement ému et incrédule du groupe), ou soit aussi puissant que le bouquet final de ce concert généreux (vingt titres) : peu de groupes peuvent enchaîner des tueries comme « Death to the Holy », « Trust No One », « Don't You Dare » et « I Caught You ». Mais quand on voit justement le niveau que le groupe peut atteindre, on se doit d'être exigeant pour la suite : par moments, c'est une vraie TA de festival qui a joué à l'Obsidian Dust. Zeal & Ardor a d'ailleurs été acclamé comme tel par le public, et en a acquis l'assurance sur scène, lâchant par moments les chevaux avec une belle énergie. Reste à ne pas perdre le cap et son identité...
Liturgy
L'Obsidian Dust a un défaut : la densité de son affiche qui, couplée au fait que le premier concert a lieu à 18h20, rend la soirée longue et fatigante. Bien sûr, le concept de « Nuits » Botaniques fait qu'installer le festival un samedi et commencer plus tôt n'aurait peut-être pas de sens, mais on a l'impression qu'il y gagnerait, peut-être aussi afin d'utiliser d'autres salles telles que la Rotonde ou le Witloof Bar. Pourquoi pas, alors, devenir une espèce de « mini-Roadburn » à la bruxelloise, adjoignant des artistes plus intimistes (on imagine bien une Emma Ruth Rundle y faire merveille). Mais bref, je m'égare : toujours est-il qu'il faut se farcir un enchaînement Liturgy-Wiegedood aussi tard, et que Liturgy... bordel. J'aurai la chance d'arriver en plein passage instrumental, et de me dire que ce black de hipster ne sonne pas si mal... jusqu'à ce que Haela Hunt-Hendrix, la frontwoman, ouvre la bouche. Disparue, la voix certes crispante mais pas inintéressante des débuts sur album : « HHH » sonne comme un chien triste qui geint pour qu'on le laisse sortir. Très clairement l'une des pires choses qu'il m'ait été donné d'entendre sur scène. L'équivalent black metal de Yoko Ono, et le public semble à peu près le même.
Wiegedood
La soirée sera longue pour ceux qui assisteront à l'intégralité du set de Wiegedood, et pour cause : le fleuron du black metal moderne belge joue sa trilogie De Doden Hebben Het Goed en entier. Deux heures et demie de Wiegedood : on ne va pas se le cacher, je n'en aurais pas vraiment eu le courage même sans la concurrence de Pallbearer de l'autre côté. Car Wiegedood, au-delà de toutes ses qualités (du moins celles, indéniables, de De Doden Hebben Het Goed I, dont j'assiste à une bonne partie), a le gros défaut de jouer inutilement fort. Les Manowar du black metal. Rien à dire, cependant, cette fois : si j'ai déjà pu bailler devant certains concerts de Wiegedood, il se dégage ce soir-là une puissance et une majesté hautaine de leur musique, de ce mur de son qui s'abat sur le Musée. « Ontzieling » lance la partie II, colle au mur toute l'audience : c'est un déluge, monstrueux, impitoyable. Je m'en extirpe, les oreilles qui sifflent : Wiegedood a décidément sorti quelques morceaux de choix au début de sa carrière. De là à s'enquiller trois albums d'affilée, pas sûr que ça ait beaucoup de sens.
Pallbearer
Dernier concert de la soirée, donc, et on quitte le black metal pour revenir au doom : Pallbearer avait sorti en 2024 l'un de nos albums de l'année. Une merveille de doom atmosphérique et mélancolique, dépouillé, presque grunge par moments. Mais ce Minds Burn Alive, bizarrement, ne sera pas vraiment mis à l'honneur ce soir. Heureusement, Pallbearer commence sur ce qui est peut-être l'un des meilleurs morceaux de sa carrière : le long, lancinant et désespéré « Silver Wings », qui plonge l'audience en transe (« I cannot remember where I came, and I cannot remember who I once was... »).
Le son est parfait, l'interprétation pue la classe, « The Ghost I Used to Be » transforme l'essai. Paradoxalement, c'est le premier titre extrait de Minds Burn Alive qui brise un peu l'enchantement : « Signals » est à mes oreilles le moins bon choix possible, et Bruxelles n'aura pas droit à « Where the Light Fades » joué sur la plupart des dates. Il faut dire qu'il se fait fort tard. Mais finir la soirée sur un tel concert ne se refuse pas : Pallbearer a fait honneur à son statut. « Worlds Apart », nouvelle longue pièce issue de l'album considéré comme culte du groupe Foundations Of Burden, clôt un set presque impeccable, durant lequel la tristesse de la musique jouée aura un peu détonné avec le sourire sympathique du néanmoins excellent Brett Campbell (chant).
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Que dire donc pour conclure si ce n'est que cette première édition de l'Obsidian Dust a été un succès total ? Un son impeccable, des lieux exploités à la perfection (même si l'horaire tardif rend l'enchaînement des concerts très dense), et même la météo qui était au rendez-vous. Le Botanique se prête parfaitement à ce type d'événement et ce ne devrait être que le début. La petite dernière des organisations metal belges, Tumult, a entre temps elle aussi annoncé son premier festival sur deux jours en octobre prochain, au Bota' aussi et dans un thème similaire avec, déjà confirmés, Klone, Dool, Pothamus, Witch Club Satan ou encore Myrkur. Pas la dernière fois qu'on hantera les anciens jardins botaniques de Bruxelles !
Photos : Matthias