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samedi 8 juillet 2023

Hellripper + Schizophrenia + Perkölatör @ Le Lac, Bruxelles

Le Lac - Bruxelles

Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

Il serait quand même temps que je vous parle du Lac. Depuis la fermeture des différentes salles culturelles autogérées du port de Bruxelles – le Magasin 4 restant la plus emblématique – on a craint que la ville ne devienne un désert, pour les genres alternatifs. Mais il n'en fut rien : outre une flopée de cafés-concerts et d'antres à punks toujours actifs, un autre endroit a au moins partiellement repris la relève. Le Lac n'est pas à proprement parler une nouveauté : un espace de Molenbeek consacré aux expositions et au théâtre a porté ce nom quand j'étais aux études, mais il a déménagé à proximité de la place Sainte-Catherine, côté centre-ville donc, dans un autre entrepôt qui – ô surprise – se révèle assez adapté aux concerts. En moins d'un an, l'endroit est devenu l'oasis d'organisations telles que A Thousand Lost Civilizations pour y produire des styles extrêmes, du black metal en particulier. Ce soir toutefois, c'est Collectif Mental qui tient la barre avec une date sous le signe du « UGGH ! » et une affiche tellement solide qu'elle est mi-wallonne, mi-flamande, et surtout mi-écossaise derrière.

La salle en elle-même est bien pensée : un long hall avec bar, puis le lieu de concert à peu près carré et bien isolé, doté de son propre comptoir – et de piliers devant la scène, ce qui est moins cool. Un lieu d'exposition occupe l'étage, avec d'ailleurs ce soir un vernissage de l'artiste Manon Lalevée venue présenter ses sérigraphies. Une bonne manière d'ouvrir un concert à d'autres formes d'expression. La soirée est sold out cependant, et j'ai un peu peur que la jauge soit optimiste durant des concerts où, forcément, on sera tous agglomérés devant la scène. C'est « passé » car la journée n'était pas caniculaire, et ce fut grand coup de chance. Le Lac a véritablement frôlé ses limites de capacité cette fois-ci, et c'est à garder en tête, même si tout s'est très bien passé. Maintenant, place à la brutalité.

 

Perkölatör

C'est un trio venu de Namur qui ouvre la soirée, fondé en 2020 et qui semble issu pour moitié de jams endiablées entre potes et pour l'autre d'un hilarant malentendu. Mais quand il s'agit de faire jaillir des étincelles, Perkölatör s'applique. Les Namurois enchaînent leurs compositions avec un aplomb qui met les têtes en mouvement et échauffe à point les esprits pour ce qui va suivre. Ils se révèlent d'ailleurs complètement imperturbables à toutes les péripéties qui peuvent se produire sur scène, comme au hasard, le batteur qui voit sa cymbale de droite s'effondrer dans un tonnerre cuivré dès le troisième morceau. Quelques personnes avec de bons réflexes bondiront donc sur scène pour régler le problème pendant que le groupe continue, imperturbable. Perkölatör finira donc son concert avec un parpaing déniché on ne sait où pour tenir le pied de la cymbale, et je considère que ledit parpaing mériterait une place de membre de groupe à titre honoraire dès à présent.

La formation, encore jeune donc, n'a officiellement qu'une démo à son actif – et elle vaut l'écoute – mais on sent bien que du plus lourd arrive. J'apprendrai plus tard qu'un album est bel et bien en préparation, avec un single nommé « Longpitch Night » révélé depuis. Ce n'est pas tous les jours que je découvre un groupe wallon qui balance du lourd avec autant d'aplomb, en particulier au rayon black&roll, j'espère donc voir la bannière Perkölatör apparaître prochainement un peu partout sur les affiches du Plat Pays qui est aussi le leur.

 

 

 

Schizophrenia

Quand on pense à du metal ultra-rapide venu d'Anvers, le premier groupe qui vient en tête, c'est forcément Bütcher, mais les gars de Schizophrenia méritent largement une mention aussi. On est plus du côté death/thrash que dans le speed metal lorgnant sur le proto-black, certes, mais ces Anversois-là aussi savent invoquer le tonnerre, avec les toisons au vent et les amplis crachotant comme sur le point de rendre leur dernier souffle. Le set est aussi par moments plus mid-tempo que dans mes attentes – toutes proportions gardées. Mais cela laisse plus d'impact au très bon chant death traditionnel de Riccardo Mandozzi (dernière génération de natifs italiens installés dans le Nord lointain), un style quand même difficile à bien maîtriser sans paraître gravement enrhumé. Et aussi et surtout aux soli totalement 80's de Romeo Promos, qui prouve que la race mythique des guitar heroes n'est pas tout à fait éteinte. Oui, ce groupe est assez riche en patronymes méditerranéens, à se demander comment ils se sont rencontrés.

Schizophrenia – comme Perkölatör avant d'ailleurs – prouve en tout cas qu'il existe un microcosme de jeunes groupes basés en Belgique qui savent faire bouger un public prêt à se faire bousculer – le pit commence d'ailleurs ses premiers échauffements – et ça fait plaisir à voir dans un pays où la scène metal (hors particularismes comme l'excellente Church of Ra) reste encombrée de vieilles formations qui ne progressent plus ou de tribute bands exaspérants. Un deuxième très bon moment de la soirée pour se luxer la nuque et se vider l'esprit.

 

Hellripper

Place évidemment au très solide et très sanguinolent plat de résistance. Hellripper, projet très personnel de l'Écossais James McBain qui nous a déjà offert trois albums, dont le dernier, Warlocks Grim & Withered Hags, a obtenu une critique dithyrambique de l'amie Circé. Pour être exhaustif, c'est la seconde fois que je vois Hellripper sur scène, mais la date précédente avait eu lieu dans une salle lilloise qui ne mérite même pas qu'on la cite. Lieu trop petit pour le nombre de tickets vendus et absolument pas aéré, frais cachés à l'entrée et bière périmée ; ça aurait pu être drôle si ça n'avait pas été véritablement dangereux. Bref, j'ai appris entre-temps que James a aussi eu quelques déboires avec un public parisien plus flegmatique qu'un troupeau de batraciens au sortir de l'hibernation, mais à tâter de l'ambiance déjà très électrique au Lac, je sais déjà que la Belgique lui laissera un tout autre souvenir.

Et ça ne manque pas : dès les premières notes de « The Nuckelavee » on se presse dans les pieds de micro (aussi pour éviter d'être trop proches des baffles, qui n'étaient plus très loin de se mettre à fumer) avant de se retrouver bien vite pressés de toutes parts dans une cohue bientôt gluante de sueur et de bière renversée. Le Lac vire marécage devant les membres de Hellripper, visiblement ravis depuis cette scène qui ne les surélève que d'une vingtaine de centimètres. « I, the Deceiver », « Warlocks Grim & Withered Hags », ... les morceaux du dernier album s'enchaînent, tous aussi tubesques les uns que les autres, ne nous laissant aucun répit dans une grande bousculade qui arrive – malgré le peu d'espace et les piliers de la salle – à rester aussi cordiale qu'éreintante. Franchement, j'ai rarement vu un concert bruxellois aussi déchaîné (Midnight au M4, peut-être) : les wall of death s'enchaînent tandis que les slammeurs se multiplient, avec plus ou moins de succès dans leur entreprise.

On s'amuse et on dégouline tout autant sur scène, visiblement : le groupe enchaîne ses compositions plus anciennes et franchement plus black&roll, « Bastard of Hades », et un « Nunfucking Armageddon 666 » absolument primitif et totalement jouissif. Franchement, je reste persuadé que si personne ne quitte cette fournaise moite avant la fin, c'est parce que l'on sent qu'on fait partie de quelque chose d'absolument phénoménal et que personne ne veut en manquer la moindre miette.

Mais il y a bien un moment où il faut s'arrêter, le temps de faire la liste des avaries. Et le stand de merch' sera pour cela le meilleur spot : il est véritablement pris d'assaut, et nul doute que Hellripper vendra d'autant plus de t-shirts ce soir que nous sommes quelques-uns à avoir vraiment besoin d'enfiler quelque chose de sec avant de sortir dans une nuit d'été pas si tiède, voire presque glaciale comparée à cette géniale étuve.

En tout cas un grand merci au Collectif Mental pour cette date qui nous change du black metal ritualiste, devenu trop courant et quelque peu saoulant, il faut bien le dire, pour un retour à la vitesse et à la violence toute punk des débuts du genre. Un retour au primitivisme qui voit croître son nombre d'adeptes à chaque fois qu'un nouveau groupe embrasse le pouvoir du « UGGH ! », et les trois de ce soir sont certainement des prêcheurs efficaces.