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mardi 14 novembre 2023

Bohren & der Club of Gore @Bruxelles

Le Botanique (Museum) - Bruxelles

Hugo

J'écoute que du rap et de la techno en vrai.

Le mois de novembre à Bruxelles n’est pas le plus accueillant, et je commence à le ressentir. À vrai dire, on resterait bien chez soi l’essentiel du temps, au chaud, plutôt que d’aller s’enfermer dans des salles de concert debout pendant des heures, sans trop savoir que faire de sa doudoune et donc de son corps. Heureusement, les vestiaires du Botanique ne sont pas chers, et le concert de ce soir colle parfaitement à l’ambiance générale en chape de plomb sur le ciel belge : Bohren & der Club of Gore, au Botanique.

Avant de vous parler du concert en lui-même, j’aimerais développer un peu sur le groupe, son histoire, et son succès auprès des amateurs de musiques extrêmes. Formé au début des années 1990, le combo allemand a connu plusieurs gros succès, tout d’abord avec ses deux premiers albums, puis surtout avec Sunset Mission (2000) et Black Earth (2002), cumulant aujourd’hui des millions d’écoutes un peu partout. Il convient de le préciser : nous avons ici affaire à un groupe de jazz, plus précisément de dark jazz pour suivre la terminologie à la mode, particulièrement prisé des metalleux (pas que, ce serait réducteur). Je vois plusieurs raisons à cela.

À vrai dire, c’est même le seul groupe de jazz qui plaît autant à ce public, et qu’on ne vienne pas me parler du Shining norvégien. En fait, Bohren a d’abord commencé comme un groupe plutôt orienté metal avec ses premières démos, ses musiciens étant d’ailleurs issus pour la plupart de formations hardcore ou metal (avec les groupes 7 Inch Boots et Chronical Diarrhoea, en tête). Par la suite, le groupe abandonne complètement ces sonorités pour épouser un genre de jazz downtempo fortement teinté de dark ambient, à cheval entre les OST de Twin Peaks et de Taxi Driver. Aussi, la musique du groupe va permettre de formaliser le terme dark jazz, dont l’acception renvoie directement à une esthétique sombre, urbaine, nourrie par les artworks des disques, quelques samples disséminés ici et là, etc.

Pour rejoindre différents avis que j’ai pu lire, je ne trouve pas que la musique de Bohren soit particulièrement passionnante, en tout cas d’un point de vue formel. Pour autant, il est très compliqué de dire qu’elle n’est pas bien faite. Pour préciser mon propos (car j’aime le groupe, et depuis de nombreuses années), il s’agit avant tout d’une musique d’atmosphères, très easy listening au moins pour les albums susmentionnés, ce que le dernier en date (Patchouli Blue en 2020) ne vient pas contredire. En fait, je trouve curieux que le public metal et affiliés ne s’intéresse pas spécialement au jazz fusion ou jazz-rock, avec des groupes comme Weather Report ou Mahavishnu Orchestra, plus proches à mon sens de sonorités électriques que ne l’est Bohren.

Quoi qu’il en soit, le groupe existe maintenant depuis plus de trente ans, et continue de rassembler les foules pour de bonnes raisons (je le précise encore une fois, qu’on ne me tombe pas dessus). L’enjeu ce soir est pour moi de voir ce que tout cela vaut en live, précisément car je n'en ai aucune idée. Etant désormais un habitué du Botanique, je me réjouis à l’idée d’y découvrir une nouvelle salle, le Museum. Et encore une fois, quoi de mieux un soir de semaine en novembre que de se plonger dans ces ambiances sombres, presque réconfortantes, un verre de pils belge à la main ?

 

Bohren & der Club of Gore

Pas de première partie ce soir, le concert des Allemands débute à 20h30 pétantes dans une salle remplie quasiment à ras bord. C’est l’une des points négatifs de la soirée : la configuration de la salle ne permet malheureusement pas aux personnes placées en arrière de voir quoi que ce soit à ce qu’il se passe sur scène. C’est dommage, car les balcons (magnifiques) ne sont pas accessibles ce soir, probablement pour des raisons logistiques. Pour autant, l’attitude scénique ultra minimaliste des trois musiciens, le lightshow relativement sobre, et le son extrêmement bon sont tant d’éléments qui viennent compenser ce problème de visibilité. Autre point intéressant, le public est relativement mixte, avec une grande majorité de couples dans la trentaine/quarantaine, montrant bien que le groupe sait fédérer au-delà des simples publics « type » du metal.

J’ai cru comprendre que la composition du groupe avait évolué avec les années, semblant s’être stabilisée dernièrement sur une formation en trio. On retrouve donc sur scène un contrebassiste, un saxophoniste qui s’occupe également de certaines parties de guitare et d’un xylophone (ou instrument du style, on dira glockenspiel pour nos amis germanophiles), et enfin un claviériste au rôle plus ambigu, semblant alterner entre plusieurs instruments. Si je dis que c’est ambigu, c’est aussi car on ne voit pas vraiment ce qu’il se passe sur scène, alors même qu’on entend davantage d’instruments qu’il n’y a de musiciens. On voit un bout de batterie, aussi, ce qui me laisse penser que ce musicien en question passe par un sampler pour pouvoir jouer à l’homme-orchestre, et construire ses parties (minimalistes) de batterie, de piano, et autres nappes de synthétiseur. Il y a probablement aussi quelques bandes, même si cela mériterait une vérification.

Globalement, le concert est vraiment super agréable, bien que jouant très clairement sur les mêmes sonorités pendant un peu plus d’1h30, à l’image de la discographie du groupe. Ce manque de surprises n’est pas vraiment surprenant pour quiconque est familier de ce style de musique qui ne laisse intrinsèquement pas vraiment de place aux variations. Exit l’énergie d’un concert jazz plus traditionnel, ici le tempo reste à peu près le même, et ce sont quelques subtiles instrumentations, lorgnant du côté des musiques lounge ou autres (« It starts like flamenco and then becomes depressing », dira joliment un membre du groupe) qui rendent la performance intéressante. S’il y a quelques places assises dans la salle, il est néanmoins dommage qu’on ne puisse pas tous profiter du live en étant confortablement installés, la musique ne se prêtant pas vraiment à des pas de danse endiablés. Je ne jette absolument pas la pierre aux organisateurs tant il est compliqué avec un groupe de cette taille de trouver la configuration adaptée, et qu’opter pour une salle plus réduite semble difficilement envisageable.

Néanmoins, le fait même que l’on s’imagine installés dans les canapés d’un bar mondain new-yorkais à une époque que nous n’avons pas connue montre toute la force évocatrice de la musique de Bohren. Il y a un côté package à ça, ce qui est peut-être une raison du succès du groupe. Dans un autre style de jazz, un groupe comme Magma arrive également à parler à différentes générations d’auditeurs, ayant en commun avec Bohren le côté total de son art. Finalement, il y a peut-être un côté plus facile, ou en tout cas rassurant, d’être confronté à un genre de musique que l’on ne connaît pas bien par des groupes aux univers forts. Le jazz est finalement assez éloigné du metal, à tous les niveaux, et peut bien paraître « extrême » lui-aussi, même si un certain nombre de groupes expliquent vouloir casser aujourd’hui les barrières entre les styles.

Pour conclure sur le set du groupe, il est important de noter que Patchouli Blue est joué en (quasi ?) intégralité ce soir, avec en rappel deux morceaux issus des albums Dolores (aucun lien avec la fameuse chroniqueuse) et Sunset Mission, me semble-t-il. Bien qu’assez monocorde, la musique du groupe permet vraiment de voyager un peu dans le temps et l’espace, les ambiances étant vraiment propices à une légère rêverie. Alors quand quelques lumières bleues inondent la salle, on a comme l’impression d’être transportés dans le Club Silencio de Mulholland Drive, où le calme apparent cache quelque chose de plus mystérieux. Et puis allez, même si le groupe n’aurait peut-être pas fait la même musique sans Angelo Badalamenti, il faut vraiment reconnaître la capacité de Bohren & der Club of Gore à réunir petits et grands autour de sa musique, avec un live généreux et efficacement ponctué de blagues à la sauce daron allemand flegmatique. 

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Merci encore une fois à Pascale et aux équipes du Botanique de nous accueillir. On se retrouve dans quelques jours pour parler du concert de Swans !