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lundi 19 mai 2025

Conifère + Final Dose + Bokkerijders @ Bruxelles

Magasin 4 - Bruxelles

Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

25°C, une alerte à la sécheresse dans un pays réputé pour ses pluies, et un pic de pollen précoce : quel meilleur contexte pour une soirée sous le signe des Arts noirs ? C'est sous une ambiance de quasi-festival estival que va donc se dérouler cette nouvelle soirée black metal dans mon repaire à punks préféré de Bruxelles. Et pas des moindres : après avoir accueilli Negative Plane le mois passé et les Français de Mòr par la suite, le Magasin 4 renoue avec une programmation vraiment solide dédiée au metal underground. Allez, trêve de bronzette, il est temps de s'enfermer sous des murs épais.

Bokkerijders

Je vous ai déjà bien assez bassiné avec le Magasin 4, d'accord. Mais est-ce que je vous ai déjà parlé des bokkenrijders ? Ces « chevaliers du Bouc », forcément démoniaques, appartiennent au tissu légendaire du Limbourg et de l'Outremeuse, et on retrouve trace de leurs chevauchées aériennes et nocturnes jusqu'à Cologne. Une histoire belge pour le coup trilingue, cela mérite d'être souligné, et qui a été exploitée au XVIIIe siècle par une bande de brigands bien réels qui écumaient les fermes et les presbytères de part et d'autre de cette région frontalière. 

C'est aussi l'inspiration derrière le nom (avec un accord différent) du premier groupe de la soirée, qui nous vient de... Gand, soit pas du tout la région où est née la légende. Mais qu'importe ; le trio n'a qu'une grosse démo et un EP à son actif, mais il commence à se tailler un noyau dur de fans qui a fait le déplacement. Si ces Bokkerijders-làcommencent par enchaîner les morceaux à l'énergie très punk qui raviront les fans de black foutraque à la Malokarpatan, ils décollent ensuite vers quelque chose de plus psychédélique avec un « Antikosmic Void Principle » servi par de solides soli de guitare. Il y a une véritable variété dans les compositions de groupe scaldien, qui a de quoi désarçonner les néophytes, mais même les pistes les plus longues et les plus ramifiées restent empreintes du même sentiment d'urgence et de folie. Le trio termine son set, plutôt long, avec un superbe « Silver Dust », et moi qui me plais à prédire à un groupe belge de percer dès qu'il tournera dans les festivals des pays voisins, je me dis que je finirai bien un jour par miser juste, car ces Bokkerijders ont du répondant.

 

 

Final Dose

Pas de compositions déroutantes et de grain de folie avec Final Dose ; les Britanniques sont là pour déclarer la guerre au monde entier. Si leur black metal se teinte bien de punk, c'est dans une forme de hardcore à l'ancienne plutôt que dans un certain rapport au groove et à la vitesse. Résultat : une musique lourde, lancinante, ponctuée de pointes de rage primale (« Rite of Spring ») tandis que Bruno Fusco, massif et cagoulé, toise la fosse de son imposante présence. Final Dose est ici pour faire mal, et avec application encore bien ; si on n'est pas face à la surenchère sensorielle d'un Hexis par exemple, c'est pour laisser plus de place à une musique agressive et volontiers dissonante, avec des interludes qui piquent vers l'indus' malsain (« Servant ») avant de relancer les hostilités (« Dark Paradise »). Le public reste stoïque, et c'est plutôt dommage, car la musique des Londoniens est ô combien propice à l'empoigne, mais à part un chevelu et un tondu dans leur coin, l'audience ne se sent pas d'humeur à mouliner. Ce moment de rage auditive pure se termine presque aussi vite qu'il avait commencé, les musiciens quittant la scène sans dire un mot et en nous laissant quelque peu pantois. Ce fut court, certes, mais qu'est-ce que c'était efficace !

 

 

Conifère

Si la scène métal noir avait fort fait parler d'elle quand l'Ancien monde l'a découverte, l'intérêt s'était essoufflé depuis. Le dernier album de Forteresseremonte à 2016, et celui de Monarque à 2013, pour citer les plus gros fers de lance. On se doute bien que tout là-bas, sous la neige, quelque chose bouillonne encore, mais même si des groupes comme Délétère font encore parfois la traversée, le Québec nous semble fort loin. Et puis est apparu Conifère avec son premier album, L'impôt du sang, dont le nom même suffit à raviver les braises du métal noir québécois.

L'attente en devient palpable, et elle ne manque pas d'exploser quand Cauchemar débarque tout de sa cape noire emmitouflé, tandis que ses musiciens, d'apparence plus sobre, prennent leurs marques. C'est une forêt de poings levés qui se dresse devant Conifère ; pas d'introductions avec les vers fameux de Paul Éluard cette fois, mais une charge furieuse, bien plus directe que ce que l'aspect parfois mélodique de l'album, enrichi de bribes de dungeon synth, laissait présager. Sur scène, les Québécois se passent des quelques interludes en spoken words qui apportaient une certaine solennité à un « Décombres Fumants », par exemple. Ici, ce sont les cris du Cauchemar qui prennent leur envol, avec vaguement les quelques chœurs de « Rêves de nos Ancêtres » - repris par les premiers rangs, comme quoi, dérider des blackeux n'a rien d'impossible. Conifère n'en apparaît que plus raw, en particulier sur « Furia » dépouillé de son introduction. Mais ça marche, c'est hargneux et contagieux, mais hélas, le son ne suit pas. 

Alors que Bokkerijders avait bénéficié d'un mix très correct, la qualité sonore s'est dégradée de plusieurs crans tout du long de la soirée. Ça n'était pas bien grave pour Final Dose dont la musique pouvait s'en accommoder, mais Conifère se retrouve avec une guitare inaudible et une basse bien trop présente, et souffre de quelques larsens. Je sais que je suis dans un hangar à punks, mais quand même. Negative Plane au même endroit avait bénéficié d'un mixage plus que correct, malgré le déluge sonore que ce fut. C'est à un point tel que tout le monde pense à un problème technique quand le groupe s'interrompt tout d'un coup... Pour revenir quelques minutes plus tard et nous offrir enfin « Le Grand Hyver », selon moi véritable pierre angulaire de son album. Sauf que celui-ci s'avère presque méconnaissable, ce qui m'a frustré de pouvoir en hurler le refrain :

« C’était arrivé du temps de nos pères,

Un quart de siècle déjà.

Et nous voilà encore victimes,
Victimes des griffes de l’Hyver. »

Prenant, hein ? Sauf que pour le coup, ça n'a pas aussi bien marché que je l'espérais. Or, après ça, le concert se termine, sans transition ni salut. Ce n'est pas inhabituel, bien sûr, pour du black metal, mais nous sommes plusieurs à avoir le réflexe de regarder l'heure ; 22h40 c'est tôt quand même, même en semaine. Mais bon, il est vrai que Conifère n'a qu'un album de 31 minutes dans son répertoire, si l'on exclut split et démo. Je ne sais pas à quel point le projet a déjà eu l'occasion de tourner sur ses terres natales, mais de ce côté de l'Atlantique – du moins chez les punks bruxellois – il aurait pu se permettre un set un peu plus long. Ça sera sans doute pour une prochaine fois, la soirée se termine certes abruptement, mais elle fut dense, et je suis déjà content d'avoir pu voir à ses débuts un groupe qui apporte véritablement quelque chose dans une scène si particulière.