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vendredi 4 août 2023

Spectral Wound : "L'Europe est beaucoup plus excitante pour tourner que le Canada"

Spectral Wound

Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

Cette interview a été réalisée dans le cadre du festival Rock in Bourlon, le 24 juin dernier, de manière quelque peu improvisée à l'ombre de l'église du village. Encore merci à toute l'organisation de l'événement et à Lucas en particulier pour avoir rendu cette rencontre possible. Merci aussi à Moland Fengkov pour ses superbes clichés du festival. Merci à Circé pour son aide précieuse. Et bien sûr, merci à Jonah, Sam, et Ilusory, respectivement chanteur, bassiste et batteur de Spectral Wound, d'avoir trouvé un peu de temps pour discuter avec nous.

Pour lire notre report-fleuve de l'ensemble du Rock in Bourlon 2023, c'est ici.

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Tout d'abord merci d'être ici, à Bourlon. D'ailleurs, parlant de concerts : vous venez de l'autre côté de l'Atlantique, et pourtant, vous tournez quand même souvent en Europe. Aujourd'hui, ce sera la troisième fois que je vous vois sur scène en un an et demi, environ. Est-ce un choix délibéré ? Tourner au loin, ça représente quand même un coût et beaucoup d'énergie.

Jonah : C'est un choix. L'Europe est pour nous un endroit beaucoup plus excitant pour tourner, en fait. Nous avons une culture de la tournée et des infrastructures très différente en Amérique du Nord par rapport à l'Europe, ou encore, par exemple, qu'en Amérique du Sud ou en Asie. Nous comptons bien nous étendre vers d'autres destinations, mais nous avons constaté qu'il y a une forte demande pour nous en Europe, et c'est plus enthousiasmant d'être ici qu'au Canada.

Aujourd'hui, vous êtes à Bourlon, et l'année dernière vous avez joué de l'autre côté de la frontière, en Belgique, au vraiment très trve Throne Fest (notre live report de l'époque est ici). Ce sont deux événements très différents, avec des publics vraiment distincts. J'étais curieux de savoir comment vous vous « intégrez » ici, dans ce genre de festival à l'esprit très Do It Yourself et avec une programmation plutôt centrée sur le stoner ou le sludge, mais avec finalement très peu de black metal.

Jonah : Je pense que, et bien, nous sommes très à l'aise dans un festival black metal bien sûr, mais aussi dans quelque chose d'un peu plus diversifié, tant que c'est... Heavy.

Illusory : Je pense qu'il y a des éléments auxquels les gens peuvent se raccrocher, de toute façon. C'est comme dans un festival de doom : je pense qu'il y a des mélodies similaires qui pourraient très bien être traduites en black metal, donc même si les gens ne nous connaissent pas, s'ils sont fans, par exemple, d'un groupe que j'aime beaucoup comme Bell Witch, avec qui d'ailleurs nous avons joué par le passé... J'ai le sentiment que s'ils nous avaient vu jouer ensemble, il y aurait des choses qu'ils auraient pu apprécier de Bell Witch qu'ils auraient pu aussi retrouver chez Spectral Wound.

Jonah : Je pense aussi qu'en fin de compte, nous sommes ici parce que le festival a estimé que nous devrions en être. Et ils ont une très bonne idée de qui vient ici et de ce que les gens pourraient apprécier, et donc de ce que le festival pourrait gagner en nous programmant. Je pense que c'est pour ça que nous sommes ici.

Parlons un peu de musique. Quand j'écoute vos albums, j'ai toujours cette impression - et peut-être que je me trompe - que vous infusez votre black metal d'une approche romantique, d'une certaine noblesse, mais toujours teintée de l'excès, d'une certaine forme de décadence...

Jonah : [En français dans le texte ] Oui, certainement. Une noblesse pourrie. Je dirais que ce qui distingue Spectral Wound du romantisme historique, c'est que les romantiques exaltaient la nature. Ils étaient saisis par la nature comme source de beauté, source de vérité. Alors que Spectral Wound ne s'intéresse pas particulièrement à la nature, pas à ce point. Le groupe traite beaucoup plus de la décadence et... Quel est le mot ? La corruption, l'artifice, la corrosion plutôt que de la croissance de la vie, tu vois, du monde naturel. Donc, comme les Décadents ont été influencés par les Romantiques, mais d'une manière déclinante, plutôt qu'exaltante.

C'est intéressant, car l'exaltation de la nature est très courante dans le black metal. Je suis vraiment curieux de connaître vos influences culturelles, que ce soit en littérature ou en cinéma par exemple. Nous avons parlé du romantisme en tant que mouvement culturel, c'est donc quelque chose qui vous parle ?

Jonah : C'est certainement une influence majeure, du moins pour moi. Tout comme Ingmar Bergman, ou de nombreux réalisateurs du réalisme poétique du cinéma français : Marcel Carné, Renoir, Julien Duvivier,... Toutes ces personnes qui travaillaient dans ce mouvement, qui avaient un sens de l'humain, mais aussi un sens de la misère. Je pense que c'est vraiment au cœur de Spectral Wound.

Je sais que je ne serai probablement pas le premier à vous en parler, mais ici en Europe francophone, lorsque nous mentionnons le black metal canadien, nous avons tendance à nous concentrer sur le "métal noir". C'est généralement la scène canadienne qui est la plus connue, ici. Vous êtes de Montréal, Québec, mais vous semblez appartenir à un univers très différent de toute cette scène métal noir...

Ilusory : Je pense que je comprends ce que tu veux dire. La distinction entre nous et le "métal noir québécois" - et je pense qu'il y a peut-être une certaine confusion à grande échelle à ce sujet – car moi, je vois le "métal noir québécois" comme quelques groupes spécifiques. Quelques personnes ont commencé ce mouvement à Québec, et maintenant d'autres associent peut-être tous les groupes francophones de black metal de la province du Québec au "métal noir québécois", mais je ne vois vraiment pas les choses ainsi. Quand je pense au "métal noir québécois", je pense à Forteresse, Monarque, Cantique Lépreux,... Peut-être Délétère, des groupes comme ça. Mais même Délétère est bien plus dynamique, ils ont des vibes très différentes dans leur musique. Donc, je pense que cela a été mal caractérisé à bien des égards. Le "métal noir" est très spécifique à un très petit groupe de personnes qui ont vraiment fait quelque chose de très précis et de très similaire, tandis qu'il y a d'autres groupes au Québec qui chantent en français et qui jouent du black metal. C'est une autre sorte de chose, et par rapport à nous, c'est complètement différent. La seule personne québécoise dans notre groupe c'est Samuel, et les autres viennent de différentes régions du Canada.

Jonah : Autrement dit, la majorité au sein de Spectral Wound n'est pas culturellement québécoise. Nous n'avons pas grandi au Québec, ce n'est pas nos racines, donc il ne serait pas logique de prétendre être du "métal noir québécois".

Je suppose que si ces quelques groupes sont si connus ici en France ou en Belgique, c'est surtout pour des raisons de proximité linguistique.

Jonah : C'est surtout parce qu'il n'y a pas beaucoup d'autres scènes au Canada. Il y a bien le black metal de la côte Ouest : Blasphemy, Antichrist Siege Machine,...

Ilusory :Antichrist Siege Machine, ce sont des Américains.

Jonah : Oh, merde ! Mais les autres...

Ilusory :Blasphemy, Revenge, Conquer, Death Worship. Ces gars-là représentent la scène de la côte Ouest.

Jonah : Il y a d'autres bons groupes de Black Metal au Canada bien sûr, mais je pense qu'indiscutablement, les deux centres, ce sont la côte Ouest pour tout ce qui est war metal, et puis le Québec.

Les scènes canadiennes sont donc toutes si locales, si centrées sur une région particulière ? On peut mentionner Terre-Neuve, par exemple, car je crois savoir qu'il y a aussi une scène là-bas apparemment, mais je ne sais pas combien de personnes cela représente.

Jonah : Ils sont sept. [Rire]

Illusory : C'est très petit ! Terre-Neuve c'est une île avec quoi ? 400.000 ou 500.000 habitants ?* Il n'y a pas du tout un grand mouvement black metal là-bas, mais les personnes qui le pratiquent ont un sentiment d'appartenance culturelle très fort, du genre "être d'où l'on vient", car ils ont rejoint le Canada très tard, à la toute fin des années 1940. C'est un peu comme le Québec : leur culture est très différente du reste du Canada. C'est vraiment assez compliqué. Donc il y a certainement la scène de la côte Ouest - la Colombie-Britannique et l'Alberta - où ils ont leur propre façon de faire les choses. Blasphemy a ouvert la voie pour beaucoup de ces groupes, et au Québec, je pense que c'est une chose très similaire avec des groupes comme Frozen Shadows qui ont ouvert la voie au "métal noir québécois", ce mouvement très spécifique avec un son très particulier.

* NDLR : Bonne estimation, il y a 522.875 habitants dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador. L'île de Terre-Neuve regroupe 94% de cette population, mais sur quatre fois la superficie de la Belgique (11 millions d'habitants). Et c'est effectivement la dernière province à rejoindre la Confédération canadienne, en 1949.

Jonah : Le Canada est très étrange. Je n'ai pas un sentiment particulièrement fort d'identité nationale. Je ne me considère pas comme un Canadien en premier lieu. Ce qui s'est passé, c'est que le Canada est très vaste, donc des endroits comme le Québec, ou même Terre-Neuve, qui ont historiquement une relation conflictuelle avec le Canada, sont des endroits où il y a un très fort sentiment d'identité.

Revenons un peu aux concerts J'ai entendu dire que dernièrement, vous jouez parfois un "bonus track" qui ne provient d'aucun de vos albums. Cela signifie que nous pouvons attendre quelque chose de nouveau ?

Jonah : C'est en cours. Nous avons un album en préparation qui sortira probablement l'année prochaine à un moment donné. Nous écrivons, et nous allons commencer l'enregistrement lorsque nous serons de retour à Montréal.

Oh, avant de conclure, qu'avez-vous écouté récemment ? Des recommandations musicales ?

Illusory : Tu connais ce groupe, AC/DC ? [Rire]

Jonah : C'est ce dont nous n'avons pas eu le temps de parler quand nous étions en Écosse : la plupart des membres d'AC/DC sont Écossais, pas Australiens. Les frères ont déménagé en Australie quand ils avaient, genre, 10 ans, mais ils sont en réalité Écossais. [à moi ] AC/DC : un groupe underground écossais, tu es le premier à en entendre parler ! [Rire]

Illusory : Dans le van, nous écoutons surtout Judas Priest, Iron Maiden, AC/DC,...

Jonah :Thin Lizzy ! Nous écoutons beaucoup de heavy metal.

Ilusory : Beaucoup de Darkthrone aussi, Celtic Frost. En général, c'est bon pour le moral de mettre quelque chose de plus classique. Black Sabbath, Dio. Ce sont des incontournables.