"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Treizième album pour Dark Tranquillity, et même s’il veut nous conter les signaux de la fin des temps, on a l’impression que ce n’est pas pour autant prêt de s’arrêter. Pourquoi ? Parce qu’entre ceux qui ont édulcoré leur son (coucou In Flames), ceux qui font surtout du fan-service en caressant les fans de prog’ (coucou Soilwork) et ceux qui sont passés par la case reformation dont le soufflé est trop vite retombé (coucou At The Gates), Dark Tranquillity est en grande forme album après album et semble toujours avoir l’énergie qu’il avait il y a plus de 20 ans, même s’il a pondu des disques relativement mélodiques. Suffit aussi d’écouter la voix de Mikael Stanne, zéro signe de faiblesse même en concert, quand bien même il multiplie les projets du haut de ses 50 printemps (The Halo Effect, Grand Cadaver, Cemetery Skyline) - ce qui me faisait craindre qu’il s’éparpille et fasse de la redondance entre ses groupes - c’en est presque impressionnant et il faudrait même songer à passer par le contrôle anti-dopage. Bref, le respect est déjà grand, et Dark Tranquillity demeure sans conteste le patron du mélodeath suédois. Même si son personnel a été sans cesse remanié depuis trois albums, et que le sujet de la paire de guitaristes a affolé les mercatos. Cette fois-ci, Johan Reinholdz est tout seul à ce poste, mais ce sont bassiste (Christian Jansson de Grand Cadaver) et batteur (Joakim Strandberg-Nilsson de Nonexist) qui ont changé par rapport à Moment (2020). Quatre ans encore entre deux albums, Dark Tranquillity se fait désirer mais on sait à chaque fois qu’on va avoir une masterclass de mélodeath. On peut douter aussi à chaque fois, peut-être à cause d’un single un peu plus faible, mais à chaque fois, l’album est finalement à ranger parmi les classiques, et du groupe et du genre, et ce depuis Construct (2013). Endtime Signals va-t-il donc devoir bien vite rejoindre ses prédécesseurs au sein de votre meuble Ikea ?
Si Atoma était un quasi chef-d’œuvre, Moment semblait légèrement marquer le coup avec une direction mélodique plus prononcée, plus de chant clair qu’à l’accoutumée et un aspect plus soft hérité de certains morceaux des deux albums précédents. Mais il y avait quand même quelques bangers qui faisaient leur effet en concert (« Identical to None »…), et globalement il fallait quand même chipoter pour y voir une quelconque déception. Avec Endtime Signals, Dark Tranquillity ne se réinvente pas, bien au contraire même. On constate même des schémas qui deviennent habituels. « Shivers and Voids » est un opener mi-doux mi-fort, assez mélodique mais plutôt tubesque grâce à son refrain, bref un opener dans la lignée des « For Broken Words », « Encircled » et « Phantom Days ». Le chant clair de Mikael n’apparaît qu’à partir du quatrième titre « Not Nothing », un beau morceau dans la lignée d’un « The Dark Unbroken », lui aussi… quatrième titre de Moment qui était le premier de l’album à présenter du chant clair. Bon, on est aussi dans la lignée des « Uniformity » et « Forward Momentum » mais en leurs temps, ils étaient en troisième position, mais vous saisissez l’idée. Dark Tranquillity ne surprend pas et semble même sortir d’un usinage harmonisé mais est-ce vraiment gênant après tout ? On attend juste que le groupe sorte de bons morceaux et continue à évoluer entre hargne et raffinement. Et si vis-à-vis de Moment, Endtime Signals est à nouveau bien mélodique, multipliant les leads gracieux, les plans mémorables et le chant clair si particulier (ici sur cinq morceaux en tout, contre six pour Moment), Johan Reindholz nous faisait remarquer que l’album était pour lui également plus sombre, plus dur et plus rapide et au « spectre plus large »… on ne peut que lui donner raison une fois qu’on creuse les détails et qu’on ne se focalise pas sur les nombreuses humeurs mélodiques présentes ici. La preuve en est, presque directement, avec « Unforgivable », deuxième morceau bien speed et presque old-school qui frappe là où on ne l’attendait pas…
Et mine de rien, Dark Tranquillity va se retrouver une vista qui était assez ténue sur Moment (malgré un « Failstate »). Et Endtime Signals va donc se trouver de véritables tubes, avec le classique mais bien bon et surtout très inspiré « Drowned Out Voices », le rythmé et accrocheur « The Last Imagination », et surtout l’excellentissime « Enforced Perspective » qui est pour moi le hit de l’album, lorgnant même vers Damage Done - l’album préféré de Reinholdz au passage, comme par hasard… Si certains moments trouvent un bon équilibre entre toutes les facettes de Dark Tranquillity (« A Bleaker Sun »), Endtime Signals s’est malgré tout fait aborder comme un album pas mal mélodique et ce n’est pas pour rien… Des pistes plus douces sont présentes (« Neuronal Fire », « Wayward Eyes »), il y a même deux quasi-ballades (« One of Us Is Gone » en hommage à Fredrik Johansson disparu il y a deux ans, la conclusion sur « False Reflection ») - qui réussissent au passage à être plus réussies que celles, discutables, de Moment (« Eyes of the World », « In Truth Divided »). Et Endtime Signals se permet même d’être assez épique par moments, avec une emphase sur les claviers qu’on avait pas forcément l’habitude d’entendre chez Dark Tranquillity. A ce titre on s’attardera sur le parfait « Our Disconnect », qui est vraiment le témoignage complet de ce que les Suédois ont voulu faire sur Endtime Signals : du riffing entraînant et une atmosphère épique - et toujours ce petit côté futuriste qui les suit depuis Character. Partant d’un travail à la We Are the Void en bien plus convaincant, Endtime Signals fait un bon bilan de ce qui a été produit par le groupe suédois depuis Construct, en se permettant de lorgner au passage vers des choses plus anciennes, particulièrement quand le groupe savait aussi bourrer menu, histoire de redynamiser ses concerts. Endtime Signals est peut-être un album moins immédiat, qui nécessite plus de temps à être digéré d’autant que son atmosphère est voulue comme pessimiste et pesante. Et si paradoxalement il y a peu de surprises quand on connaît son petit Dark Tranquillity illustré par cœur, cet album est quand même un bonbon. Presque le chaînon manquant entre Atoma et Moment, qui ressort quelques tubes, tout en gardant la force mélodique à chaque instant. Bref, il ne fallait pas douter : Dark Tranquillity est toujours là, avec un magnifique 13ème album, il est inspiré, il fait ce qu’il sait faire de mieux et bien, il est Grand.
Tracklist de Endtime Signals :
1. Shivers and Voids (3:48)
2. Unforgivable (3:44)
3. Neuronal Fire (4:32)
4. Not Nothing (4:52)
5. Drowned Out Voices (3:54)
6. One of Us Is Gone (4:36)
7. The Last Imagination (3:46)
8. Enforced Perspective (3:20)
9. Our Disconnect (5:19)
10. Wayward Eyes (3:28)
11. A Bleaker Sun (4:23)
12. False Reflection (4:42)