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L'année 2020 vue par Horns Up

vendredi 15 janvier 2021
Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Faire remarquer que 2020 aura été une année particulière relève du lieu commun. En ce qui concerne Horns Up, l’année passée nous a permis, comme beaucoup, de nous réinventer. Des départs, des arrivées, une refonte du site et une volonté de proposer plus de contenus travaillés au détriment d’une profusion de news. Les bilans des albums de la période 2010-2019 nous ont permis de nous replonger dans nos souvenirs et de mettre en place un système de délibération où le vote et le débat occupent une place centrale.

Pour ce bilan, nous avons réutilisé cette façon de travailler. Les vingt albums que nous nous apprêtons à vous présenter sont ceux qui ont marqué le plus de monde dans la rédaction. Vous y trouverez du black et du post metal, du heavy, du death, du sludge…une sélection, en somme, éclectique, à l’image des goûts de nos rédacteurs. A noter que cette sélection globale sera complétée par des bilans persos, plus spécialisés, qui permettront peut-être à certains de rattraper les pépites cachées de l’année passée.

Un dernier mot sur 2021 avant de vous laisser parcourir ce top ? Alors que le monde d’avant ne semble pas être prêt à revenir de sitôt, Horns Up continuera d’enfourcher le tigre et de vous proposer de nouvelles choses. Nous vous incitons donc, assez hypocritement, à continuer de surveiller nos réseaux sociaux et notre site pour ne pas manquer les belles choses que nous sommes en train de vous concocter. Bonne année à tous !  

 

Wytch Hazel - III : Pentecost

Malice : Si le « christian metal » recèle son lot de pépites (doit-on vous rappeler la présence de Warlord dans notre sélection de la décennie en heavy metal ?), celles-ci sont généralement restées plutôt confidentielles, victimes de cette image franchement ringarde – et d'une composition parfois cheesy, un peu « too much », pour multiplier les anglicismes. L'exception à cette règle, c'est bien Wytch Hazel, qui surfe sur la vague d'un étonnant succès depuis quelques années et surtout depuis le sublime Sojourn (2018)... également présent dans la sélection susmentionnée.

Ô surprise, le recueil de cantiques cuvée 2020 de Wytch Hazel fait (à peu près) l'unanimité chez Horns Up, une fois de plus. Tout simplement parce qu'il est irrésistible. Les textes sont plus empreints de Foi que jamais (« Archangel », « I Am Redeemed »), mais sont finement ciselés – et sont même, à mes oreilles, l'un des ingrédients importants du groupe, qui sait se rendre accrocheur de lignes vocales en riffs classic (vaguement hard) rock et refrains juste ridiculement bons. Relancer III : Pentecost au terme d'une écoute est presque un réflexe, et je mettrai une mention spéciale à l'incroyable « Dry Bones », où Colin Hendra pousse sa voix comme jamais encore. Wytch Hazel est tout simplement l'un des incontournables de sa génération, un groupe puant la classe et l'authenticité. Peu importe où sont placées les croyances dans ce cas.

 

Darkenhöld - Arcanes et Sortilèges

Varulven : 2010-2020 fut une décennie bien faste pour Les Acteurs de l’Ombre. Des premières grosses sorties à la pérennisation d’une certaine street cred en matière de Black atmo et de Post Black, le label a depuis lors ouvert son écurie à la nouvelle garde de Black mélodique française. Celle qui arbore fièrement, et avec aplomb, une esthétique souvent qualifiée de« médiévale ». Un intérêt de plus en plus marqué pour cette scène, surtout lorsque l'on voit le nombre de projets respirant folklore et vieilles pierres qui se sont bousculés dans les dernières sorties de la maison nantaise. Après le troisième effort des Auvergnats d’Aorlhac, puis l’étonnante surprise venue de Griffon, c’est au tour de Darkenhöld de venir planter son étendard au coeur de la bataille, et de poser sa pierre au sein de l'édifice LADLO.

Avec cette cinquième sortie, les Niçois continuent de distancer leurs comparses en terme de longévité discographique et de peaufiner un peu plus le style né en 2008 sur les cendres d’Artefact. Arcanes et Sortilèges est d’ailleurs l’album faisant le mieux, à mon sens, le lien entre le Black racé de A Passage to The Towers (2010) et la démarche plus ambitieuse du précédent groupe d’Aldébaran. A la furie belliqueuse et aux mélodies chevaleresques, toujours respectueuses de leurs travaux passés, se greffent de multiples fioritures, qui embellissent davantage le paysage sonore de l’album. Entre une fraîcheur folkisante qui orne les nappes de claviers à la sauce BM 90’s, des moments contemplatifs arpégés et ces soli emphatiques à la limite du néo-classique, tous ces éléments contribuent à servir le propos plus grandiose et fabuleux, qui demeure ici au premier plan. Darkenhöld a depuis ses débuts cette image de groupe référencé, musicalement mais aussi thématiquement. Preuve en est sur ce disque, tant chaque morceau est synonyme de balise temporelle, transportant l’auditeur vers l’un des lieux ou objets figurant sur la pochette de Claudine Vrac, comme le ferait si bien une carte de JDR. La dimension narrative, exacerbée par la théâtralité du chant de Cervantès et l'incroyable relief des compositions, font de Arcanes et Sortilèges une excellente bande son pour vos pérégrinations de rôlistes. Un album dont vous êtes le héros, assurément. 

 

Slift - Ummon

Hugo : La première réalisation de Slift transpirait le Krautrock, se démarquant par son originalité certaine, mettant déjà en exergue la capacité du groupe à produire une musique catchy et définitivement addictive. Dès les premières notes, l’opus semblait instaurer son propre univers, nous faire multiplier les visites hallucinées aux confins de la galaxie, au sein de planètes à la végétation prépondérante et ondulante. En somme, La planète inexplorée tentait modestement d’actualiser le Space Rock, en expérimentant par l’infusion de nombreuses influences. Pour autant, n’étant pas familier de ces scènes musicales (dont, je l’imagine, Slift est désormais l’une des émanations contemporaines les plus visibles), je n’étais jamais tombé sur ce disque avant la sortie de son successeur UMMON, dont il est ici question. Successeur qui, sans l’ombre d’un doute, fait désormais de Slift l’une des formations « Rock » hexagonales les plus intéressantes en cette nouvelle décennie.

D’un bout à l’autre de l’album, le travail de composition est purement phénoménal. Sur chaque morceau viennent se greffer mille voix cosmiques, par une tonne de modulations, donnant tour à tour l’impression qu’aliens et guerriers galactiques s’expriment bruyamment. Véritable bijou de musique psyché, beaucoup plus Heavy et rythmé que son prédécesseur, UMMON déborde de qualités trop nombreuses pour être toutes évoquées. Tous les attributs du premier opus sont ici sublimés avec une maturité exemplaire, un perfectionnisme rare sans que jamais l’esprit résolument jam des titres ne se tarisse. Au-delà de ces considérations musicales, et personne n’aura manqué de le signaler, il suffit d’avoir en mains le gatefold d’UMMON pour tomber amoureux de ce que le groupe propose. C’est à mon sens, aussi, la marque des grands disques, que de réussir à proposer un tout cohérent et intéressant. Avoir fait appel à Philippe Caza pour les artworks est une preuve de bon goût, d’intelligence dans la direction artistique, définitivement à l’image d’un disque aux allures d’album of the year.
 

Finntroll - Vredesvävd

Storyteller : Mais qu’est-ce qui fait que Finntroll se retrouve propulsé dans un top, avec son premier album studio en sept ans et en continuant dans un genre qui ne fait plus autant bouger les foules hirsutes de Vikings assoiffés ? Eh bien la recette est simple : se faire désirer, et produire un album qui réussit le tour de force de mettre ce qu’il y a de meilleur dans le groupe et de mener tout ça avec un train d’enfer. Vredesvävdenchaîne onze morceaux (il y a une intro et une outro, ça ne compte presque pas) en 38 minutes. On y retrouve ce qui a fait que Finntroll est devenu incontournable sur la scène Black Folk (même si le terme de Folk semble vraiment galvaudé) : un mélange homogène des deux genres. En cette année troublée, c’était sûrement ce dont on avait besoin, un mélange de joie, de folie avec des claviers et des instruments traditionnels et du Black Metal qui nous rappelle à notre morne quotidien. On prend un vrai plaisir à écouter ce que beaucoup voient comme un retour aux sources, à ce qui fait que Finntroll a éclos sur la scène avec un son Black Metal sans aucune faute, à la fois digne d’un AAA et en même temps toujours un peu crade. Pour vous convaincre, écoutez Ormfolk, son départ, sa rythmique entêtante. Loin de toute expérimentation, le groupe nous donne envie de sautiller ou plutôt de sauter partout comme sur Myren, nous redonne la banane, ce qui peut paraître presque contradictoire avec le style, nous rappelle à quel point on a pu aimer leur ambiance, leurs concerts et finalement ils nous donnent une perspective : les retrouver en live pour foutre le bordel.

 

Thou & Emma Ruth Rundle - May Our Chambers Be Full

Di Sab : Après leur set collaboratif au Roadburn en 2019, nous étions nombreux à attendre le résultat de la collaboration entre Thou et Emma Ruth Rundle. Alors que Thou avait déjà collaboré brillamment avec The Body, ici, l’écart artistique entre les deux entités étant plus grand, il était difficile de savoir à quoi s’attendre pour celles et ceux qui n'avaient pas décidé de se spoiler via YouTube.

Le guitariste Andy Gibbs a indiqué en interview que l’objectif du projet était qu’Emma ne se cantonne à être la chanteuse de Thou ou que le groupe de sludge ne devienne les musiciens de session de la chanteuse. En somme, que les deux propositions fusionnent pour un résultat homogène. Le résultat est globalement à la hauteur des espérances. Le contraste entre la massivité du son de Thou et la voix très à fleur de peau d’Emma fonctionne parfaitement. On connait l’amour des Louisianais pour le grunge de Seattle et c’est quelque chose que l’on retrouve vraiment dans May Our Chambers Be Full, notamment dans la façon de gérer l’équilibre entre la distorsion et la dimension plus intimiste apportée par Emma Ruth Rundle.

Dire que May Our Chambers Be Full était un album attendu relève du pléonasme. Lors du premier contact, il a même été difficile de se positionner… le résultat est-il à la hauteur des espérances ? Avec un peu de recul, et au-delà du fait que la collaboration fonctionne bien, l’album contient quand même de superbes pistes, en particulier The Valley. Peut être pas l’album de musique lourde de la décennie, mais difficile de ne pas le sélectionner pour 2020.   

 

Oranssi Pazuzu - Mestarin Kynsi

S.A.D.E : Il y a une étrange contradiction entre la signature d'Oranssi Pazuzu chez Nuclear Blast et la sortie de ce Mestarin Kynsiqui s'est révelé être l'album des Finlandais le plus éloigné des canons du (Black) metal. Il est fréquent que, lorsque le géant allemand fait entrer dans son roster un groupe cheminant à l'écart des sentiers battus, sa musique s'en trouve quelque peu aseptisée et/ou normalisée. Pourtant, dans le cas qui nous intéresse ici, c'est presque tout l'inverse. Oranssi Pazuzu n'a jamais été aussi psyché et barré : s'affranchissant largement des riffs et des structures classiques (ces dernières ayant déjà été mises de côté sur les sorties précédentes) pour s'engouffrer dans les méandres de constructions hypnotiques en constante évolution, les Finlandais donnent à entendre un tortueux périple où seul le chant raccroche encore vraiment le groupe à son étiquette black metal originelle. Bourré d'effets étranges, de synthés tordus et d'arrangements futuristico-psychédéliques, Mestarin Kynsi est tout à fait déroutant tout en développant un très grande force d'attraction (d'addiction ?). Tout dans cet album est aussi bizarre que fascinant : il s'en dégage une astmosphère de folie en plein essor, la sensation d'avancer dans le délire d'un esprit noir et instable qui se serait décidé à franchir un cap dans sa consommation de psychtropes. D'un bout à l'autre, Mestarin Kynsi est inconfortable. Mais de cet inconfort soigneusement échaffaudé par Oranssi Pazuzu nait une galerie d'émotions allant de la terreur à l'extase. Assurément un des albums les plus dingues sortis cette année.

 

Ulcerate - Stare into Death and be Still

Sleap : Évoluant depuis une quinzaine d’années dans le sillon tracé par Gorguts au début des 90s, Ulcerate s’est petit à petit hissé au sommet de la chaine alimentaire du Death Progressif « dissonant ». Et là où ce dernier adjectif me révulse lorsqu’on parle de Black Metal, il me parait tout à fait adapté – bien que réducteur – pour désigner cette approche si particulière du TechDeath.

Avec Stare into Death and be Still, le power trio nous donne à voir une facette encore plus éthérée de son Death Technique. Bien qu’il reste dans la lignée de l’excellent Shrines of Paralysis, ce nouveau full-length met plus l’accent sur l’atmosphère et l’ambiance que sur la technique pure. Ne vous méprenez pas, l’extrême complexité des compos d’Ulcerate est toujours d’actualité, mais on trouvera çà et là plusieurs interludes et bridges (There is no Horizon ; Visceral End ; Dissolved Orders…) qui viennent aérer le tout. Même si le jeu des trois musiciens est toujours à 10 000 lieues au-dessus du lot, l’ensemble se fait plus mélodique. Il se dégage un souffle à la fois tragique et majestueux qui rend cet album vraiment « beau », au sens noble du terme. Et, cerise sur le gâteau, le mix faussement étouffé – en particulier pour les vocaux – se fait plus Hate Eternalien que jamais !

Même si, pour ma part, ce n’est pas mon album préféré des Néo-zélandais, Stare into Death… vient définitivement confirmer l’indiscutable suprématie d’Ulcerate sur le reste de cette scène « Post » Death Metal. Et, à titre personnel, j’affirme une nouvelle fois que ces trois musiciens figurent parmi les meilleures choses qui soient arrivées à la scène Death ces 20 dernières années.

 

Hällas - Conundrum

Circé : Alors que le revival heavy et autres tendances similaires sont plus que bien installées, les Suédois d'Hällas continuent de tracer leur bonhomme de chemin à la frontière du hard rock, du heavy le plus mélodique et du rock progressif, le tout présenté avec une personnalité indéniable. Excerpts from the Future Past, le premier long format, avait déjà provoqué une petite hype à laquelle j'avais totalement adhéré. Comme beaucoup, j'attendais donc ce second album au tournant, attendant une confirmation, une promesse qu'il ne s'agissait pas là d'un bref éclat de gloire qu'on aurait vite fait d'oublier.

Nous n'avions que peu de soucis à nous faire. Conundrum continue le fil de l'histoire démarré sur le premier EP et le conclut même en beauté. Qu'on s'intéresse en soi à l'épopée médiévale-fantastique contée par nos braves troubadours, on peut difficilement passer à côté, tant Conundrum propose des morceaux évolutifs et une structure bien plus narrative que son prédécesseur. Du calme mélancolique de "Strider" à la montée épique de "Fading Hero" en passant par le tube qu'est "Carry On", Hällas varie son propos et son ton de manière encore plus flagrante. Pas question, ici, de confondre un titre avec un autre. On sent en outre qu'un pas a été franchi en terme de maturité. Les lignes de chant de Tommy, en particulier, ressortent toujours plus originales et travaillées, mettant à l'honneur son timbre de voix si particulier qu'il exploite de mieux en mieux. Conundrum prend d'ailleurs peut-être une direction un peu plus progressive, mais les passages épiques ou catchy ne se font pas rares pour autant. Et les suédois continuent d'assumer ce côté kitsch qui leur va à merveille, que ce soit le son des claviers, la production de manière générale, ou encore leurs merveilleuses tenues de scène. L'équilibre demeure maintenu : on ne tombe pas un seul instant dans l'excès ou le ridicule, mais on se laisse au contraire porter dans ces contrées imaginaires, donnant vie à une pochette une fois de plus absolument magnifique – et à l'image du contenu.

Bref, Hällas confirme son statut de groupe en pleine ascencion, la sortie de cet album marquant notamment une signature chez Napalm Records et une première tournée européenne en headline qu'on attend de pied ferme dès que cela sera possible. Un album touchant, épique, dont la magie du monde qu'il dépeint semble s'échapper de chaque note. L'exercice de choisir un album de l'année est bien fastidieux, mais Conundrum m'a tellement accompagnée que je lui donne facilement cette place.

 

Black Curse - Endless Wound

Raton : Pour une fois, je dépose le hardcore et autres cacophonies en -core pour sombrer au plus profond du metal extrême, à ses ramifications les plus chaotiques et mortifères. En même temps, comment passer à côté de ce pavé de monstruosité sourde, nouvelle preuve que la scène de Denver est devenue le nouvel épicentre du metal extrême qui tabasse avec classe. Avec Blood Incantation, Spectral Voice, Vermin Womb et maintenant Black Curse, la scène locale a délivré quelques unes des sorties les plus influentes dans le metal extrême de ces 3-4 dernières années. D'ailleurs le chanteur et le guitariste de Black Curse officient également dans les deux premiers groupes ci-dessus.

Néanmoins, Black Curse prend une direction différente des entités connexes et choisit comme mode d'expression le death-black compact et infernal. Bruitiste mais pas hermétique, "Endless Wound" est un album qui surprend par son équilibre et sa justesse de composition qui font s'entremêler l'ignoble et l'efficace, la puissance et la crasse. Une espèce de gros gaspacho crachotant des ténèbres, hurlant des blasphèmes et vomissant des démons déformés. Un menu appétissant et aussi savoureusement noir qu'indigeste. Bon appétit les hardos.
 

Bring Me The Horizon - Post Human - Survival Horror

Di Sab : Quand j’ai commencé le metal et Internet, BMTH était le pinacle du détestable. Fer de lance du Deathcore à mèches et à cupcakes, idolâtré par des fans qui exprimaient leurs frustrations adolescentes par le smiley T_T et qui claquaient leur argent de poche rue Keller, Bring Me The Horizon raflait déjà tout via son Deathcore surproduit aux lyrics calibrés pour être des statuts MSN.

Courant des années 2010, il me semble que Sykes et sa bande ont compris que leur qualité principale était moins leur capacité à être brutal que leur facilité à composer des titres accrocheurs. Qu’on le veuille ou non, qu’on y soit sensible ou pas, écrire des hits est une science que peu, au sein de la scène « metal », maîtrisent aussi bien que le BMTH post-2013.

Post Human : A Survival Horror est à mon sens l’accomplissement de cette recherche effrénée de l’efficacité. Amo était un peu long et certains passages étaient mal maîtrisés, les touches électro avaient parfois tendance à être outrancières. La cuvée 2020 est impressionnante de maîtrise. Le mix est fabuleux, chaque élément est super bien dosé et sa très courte durée (32min) est sa principale force : que des tubes, aucun temps mort. Les featurings sont d’une rare pertinence, les univers de Nova Twins et de Baby Metal s’intègrent bien à la musique des Anglais et c’est ce qui est cherché dans un feat, que l’on aime les artistes invités ou non. Cela étant, cela reste très plastique, pas très profond, et nombreux sont les allergiques à l’inclusion de touches électro. J’ai, pour ma part, reçu Post Human comme un album de pop : recherche de l’efficacité à tout prix, production d’une précision chirurgicale, patte adolescente un peu artificielle mais délicieuse, ballade de circonstance tout est là, tout est bien. Les vrais de vrais peuvent aller libérer l’apéro ailleurs, Bring Me The Horizon n’a clairement pas besoin d’eux et nous non plus.

 

Envy - The Fallen Crimson

S.A.D.E : Alors que le groupe approche des trente ans de carrière et qu'une partie de ses membres s'est fait la malle il y a quelques années, Envy nous est revenu en 2020 pour un album aussi magistral qu'émotif. Toujours à la croisée du Post-rock et du Screamo, la formation japonaise a, pour ce septième album studio, également lorgné vers le Post-core pour apporter une dose de nouveauté et de pesanteur dans ses compositions. Sans être un fin connaisseur, ni un auditeur véritablement régulier d'Envy, j'ai lancé l'album lors de la première écoute plus par curiosité que pour combler une réelle attente. Et comme je n'attendais rien, la claque a été d'autant plus percutante. Entre mélancolie en arpèges et colère saturée, entre chant écorché et voix féminine à la beauté éthérée, entre constructions progressives et attaques plus directes, Envy vous en fait voir de toutes les couleurs et c'est à chaque fois maîtrisé et pertinent. The Fallen Crimson bénéficie d'une production tout à fait léchée (une constante pour Envy) permettant de mettre en lumière toute la palette de sentiments que propose le groupe, de faire briller les arrangements et la multitudes de petits effets qui participent pleinement à donner de la profondeur de chaque morceau, incitant à sans cesse se replonger dans ses onzes titres pour être sûr de n'avoir rien manqué.
Les groupes sachant être la pointe de leur genre pendant près de trois décennies ne sont pas légion. Avec The Fallen Crimson, Envy prouve qu'ils font partie de cette élite et nous offre l'une des plus belles pépites de cette année morne.

 

Regarde Les Hommes Tomber - Ascension

ZSK : Déjà respecté et apprécié pour ses deux premiers albums, le groupe nantais Regarde Les Hommes Tomber était attendu au tournant, pour sa première sortie chez Season of Mist. L’album de la maturité, de la confirmation définitive, de l’évolution, du renouveau ? Un peu tout ça à la fois même si l’on est en terrain connu, mais RLHT s’est clairement surpassé, et amène sa musique à un autre niveau, pas insoupçonné car on connaissait leurs capacités. Post-Black, Blackcore ? RLHT pose plutôt un Black-Metal rugueux, forcément aéré par les mélodies, très noir mais très lumineux à la fois, et surtout possédé et exécuté avec grand soin et savoir-faire. Entre la messe noire et l’introspection, Ascension est aussi d’une efficacité à toute épreuve. Capable de faire planer derrière un nuage d’encens tout comme faire headbanguer avec des compositions enjouées. Monstre de Black-Metal terreux mais atmosphérique à sa manière, Ascension impressionne dès les premières écoutes, notamment avec les deux morceaux incroyables d’entrée de jeu que sont "A New Order" et "The Renegade Son". Le reste est bien sûr à l’avenant également, porté par le chant tout en nuances de T.C. et par quelques moments feutrés de premier ordre (les leads de "Stellar Cross"…), avec une ambiance occulte mais raffinée, sans tomber dans les clichés orthodoxes bas de gamme. Inspiré, prenant et totalement réussi, Ascension est, déjà, le meilleur album de Regarde Les Hommes Tomber mais aura aussi marqué l’année de par sa qualité et son application. Un nom qui va vite mériter de figurer au panthéon du Black-Metal hexagonal aux côtés de Blut Aus Nord et Deathspell Omega, et sans conteste un des albums de cette année, si ce n’est un peu au-delà.

 

Malokarpatan - Krupinské ohne

Matthias : Personne ne s'attendait au phénomène Malokarpatan mais, quand le groupe slovaque est sorti de son repaire montagnard avec un premier album en 2015, on s'est tous demandé comment personne n'avait eu plus tôt une idée aussi simple et aussi géniale ! Parfois injustement perçu comme un énième groupe folklorique à boire, Malokarpatan nous prend en fait par la main pour nous entraîner vers les aspects les plus sombres de la culture populaire de sa chaîne natale des Carpates où, sous un verni chrétien craquelé, se tapissent des maléfices issus du fond des âges. Après deux albums d'un proto black metal nerveux et cauchemardesque, les Slovaques optent avecKrupinské ohne pour un chemin quelque peu différent, mais qui s'enfonce toujours plus profondément dans une psyché peuplée d'apparitions surnaturelles et hostiles. Moins direct que ses prédécesseurs, ce troisième opus fait appel à des influences plus variées, musicales mais aussi cinématographiques, pour instaurer une ambiance poisseuse et malsaine, familière certes, mais avec un je ne quoi qui n'est pas à sa place, comme un conte de fée connu depuis l'enfance dont on découvrirait une adaptation horrifique sortie du cerveau dérangé d'un réalisateur post-communiste. Krupinské ohne fait fusionner des références musicales aussi prestigieuses que Bathory ou Motörhead avec une atmosphère de cinéma d'horreur digne de l'âge d'or de la société Hammer en un album qui signale sans doute que Malokarpatan est mûr pour figurer parmi les meilleurs groupes de black metal de la décennie !
 

Fluisteraars - Bloem

Dolorès : Les Pays-Bas ont bien marqué le début de l'année, avec entre autres la sortie de l'album de Turia et ce Bloemfleuri. Les deux groupes avaient par ailleurs proposé un split ensemble, deux ans auparavant, qui n'avait cessé de faire parler de lui. Bien que Turia aurait mérité une petite place également, on s'intéresse ici plus particulièrement à Fluisteraars. Le groupe a l'avantage de se placer dans une faille, entre riffs rentre-dedans et élans plus sensibles faisant écho au Post-rock, qui correspond plutôt bien à ce qui est attendu de nos jours dans la scène Black. Pas étonnant alors que le groupe ait rejoint de nombreux tops 2020.

La notion de cycle, décryptée au fil des titres, apporte ce caractère lancinant et nostalgique, l'un des atouts de Bloem. On pourrait toutefois s'attendre à un énième groupe pseudo-conceptuel, feintant une écriture de titres à fleur de peau, mais il n'en est rien. Fluisteraars s'insère dans une ligne qui fait fi des stéréotypes pour proposer sa petite recette aux quelques ingrédients originaux parsemés çà et là, comme un vent de fraîcheur dans un genre toujours plus noir. Un album court mais intense qui ne se fera pas oublier de sitôt.

 

Havukruunu - Uinos Syömein Sota

Circé : J'avais déjà partagé mon amour pour les Finnois dans notre bilan Black Metal des années 2010 et mon collègue Varulven vous a déjà parlé en long et en large de ce troisième opus dans sa chronique. Mais comme il a apparemment eu assez de succès auprès du reste de l'équipe pour terminer dans ce bilan annuel, je me permets d'en remettre une couche. Havukruunu ne dépayse guère, en utilisant la bonne vieille formule d'un Black Metal froid, mélodique et épique, teinté d'influences folk. Ce Uinuos Syömein Sota se distingue cependant rapidement de ses prédecesseurs en accentuant ce côté folk justement, avec tambours et choeurs, se rapprochant d'un Moonsorrow auquel on aurait retiré tous ses pipeaux. Les choeurs, justement, ouvrent l'album avec une puissance que j'ai honnêtement retrouvée sur peu d'albums, et reviennent fréquemment pour souligner ce sentiment de bravoure guerrière qui se dégage de tout l'album. A cela s'ajoute des solis purement heavy, qui se mêlent parfaitement aux mélodies en tremolo picking.

Entre envolées et passages plus directs, Havukruunu propose un album à la composition travaillée au milimètre près, surpassant bon nombre de ses compères du genre. Les Finnois s'imposent définitivement comme les nouveaux maîtres d'un Pagan Black froid et épique.
 

Esoctrilihum- Eternity of Shaog

Hugo : Shayr-Thàs, Shaog, Namhera. Mais qui est Shaog ? Qui a commandé la sixième guerre ? Personne ne semble le savoir. Derrière ces noms cryptiques apparaît en tout cas l’incarnation la plus intéressante d’Esoctrilihum, ayant à cœur de garder le Black Metal comme terrain de l’imaginaire tout en faisant quasi-paradoxalement preuve d’une maturité exemplaire. Ainsi, des monstres difformes évoluent dans une vallée de blocs géométriques peints de couleurs froides. L’heroic-fantasy côtoie l’abstraction la plus totale, dans un élan ésotérique et assez hermétique. Un voyage dans le passé à la recherche du chaos initial, l’épée et les flèches comme armes contre l’horreur impalpable. Le tout dans une certaine urgence, pressante au rythme des violons en doubles croches, et où la perspective de contemplation, offerte par quelques arpèges de guitare sèche, n’est qu’un leurre, un piège infernal voué à se refermer sur le voyageur imprudent.

En 2020, rarement le Black Metal n’aura sonné aussi foutraque, donnant une fausse impression de déstructuration, tout en étant ultra-évocateur et intelligent. Ce sont toutes ces dynamiques à l’œuvre qui forment la force d’Esoctrilihum, faisant exister le groupe à la marge des autres et de la plus belle des façons. Sa personnalité est si débordante qu’elle donnerait presque la nausée, comme un nuage de fumée multicolore façonné par un alchimiste fou à la recherche des métaux parfaits. Finalement, cette musique satisfait le cerveau reptilien en proposant des moments simples de jouissance, tenant sur quelques riffs, aux résonnances parfois Heavy Metal, élancés et procurant mille frissons. Ce, tout en proposant l’essentiel du temps une musique en jeu de piste, à déchiffrer, où le plaisir découle également de l’analyse des strates qui la composent. Une formule magique en filigrane d’un roman occulte du XIXe siècle, qu’on aura adoré réciter même si elle ne nous offre pas la pierre philosophale.  
 

The Committee - Utopian Deception

Matthias : Un désert de cendres à perte de vue. A demi enseveli, un écran ébréché. Une dernière pulsation électrique et quelques images tremblotantes qui ressurgissent, derniers vestiges d'une époque oubliée. Dernières bribes de l'agonie d'une civilisation.

Franchement, sortir un tel album en 2020 tenait soit de la divination, soit de la mauvaise blague complotiste ! Car le collectif cagoulé frappe fort là où ça fait mal avec ce troisième album qui peaufine la recette doom/black totalitaire déjà efficace de Memorandum Occultus. Ce Utopian Deception n'en est rien moins que la suite logique, finalement : l'irrésistible ascension vers le pouvoir suprême d'un quelconque oligarque adepte des vérités à géométrie variable et du culte de la personnalité. S'ensuit l'inéluctable marche vers l'autodestruction de la société, entre brutalisation des rapports politiques, techniques raffinées de contrôle des masses et d’ingénierie sociale, et grand basculement dans un génocide auto-infligé. C'est une terrible parabole que nous conte The Committee, groupe sans visage qui a su maintenir une part de mystère et d'authenticité sans virer dans le guignolesque. Et à la redécouvrir à l'aube de 2021, quand la nuit les rues se sont vidées à l’exception de quelques gyrophares et que les flux d'infos ressemblent au rayon le plus décérébré d'un vidéo club, on se surprend à vouloir se resservir à cet amer calice.
 

Serpent Column - Kathodos

Traleuh : Avec Kathodos, Serpent Column a le goût de l’assaut désespéré, l’effort mythique aux muscles rompus, l’échine tendue dans une trajectoire discordante, luttant contre les marées opaques, contre les tempêtes fauves et les flammes sauvages. Des accords ioniens comme plaqués frénétiquement, dans l’urgence d’une déchirure interne. Alors éclate cette pulsion autodestructrice, cet élan dissolvant vers le bruitiste, ouvrant vers un ailleurs, un extatique arrachant l’épiderme. En suit ce curieux état muqueux, presque stasique (Night of Absence). Permanence illusoire pourtant, le feu rôdant toujours ; les vents acérés et les brumes rampantes, les brumes caustiques qui enveloppent, stérilisent jusqu’à la désertification. Le désert, cet infini de potentialités où Serpent Column et ses trajectoires spiralées se recoupent et trouvent leur territoire. Et Serpent Column cet ascète, ce stylite s’acharnant contre son propre pilier aux griffes d’acide dans un antagonisme immortel.
 

Spell - Opulent Decay

Malice : Si le titre d'ouverture de cet Opulent Decay se nomme "Psychic Death", voilà qui n'a aucun rapport avec un album du même nom qui aura aussi marqué mon année – celui d'Acherontas et son brûlot flamboyant qui rend complètement fou, mais qui n'aura pas passé le cut plutôt serré de cette année somme toute qualitative. Et le hasard de cet article collectif fait même que, alors que mon année 2020 aura été black metal à, disons, 75%, je vous parle dans cette sélection de deux albums plutôt orientés hard rock / occult rock.

Cela dit, Spell fait très probablement partie de mes 5 sorties préférées en 2020, au rayon tubesque et ambiances imparables qui rempliront d'aise ceux d'entre vous, et je sais qu'ils sont nombreux, qui regrettent l'époque la plus Blue Oyster Cult des désormais géants que sont Ghost. Oui, à l'écoute de cet Opulent Decay, et surtout du dansant « Sybil Vane » et son refrain astucieux, l'ombre de Tobias Forge et ses acolytes (s'il en a encore, on ne sait plus trop) plane plus souvent qu'à son tour. 

Plutôt dépouillé dans l'esprit mais pas dénué de riffs intéressants, comme sur le titre éponyme semblant rendre hommage au « Crazy Train » de vous-savez-qui (qui aura d'ailleurs survécu à 2020, plus grand accomplissement de sa carrière depuis No More Tears), Opulent Decay perd peut-être en souffle au fil de l'écoute, la faute notamment à un chant personnel, mais monotone. Cela ne l'empêche pas d'être un des albums de l'année dans son genre, qui grouille un peu trop d'albums sans grande personnalité.
 

Meurtrières - Meurtrières

Dolorès : Entre mini album et EP, Meurtrières a eu le mérite de foutre un sacré coup de poing (sans doute avec une dague cachée dans la manche, au cas où) à cette année 2020. Si le Moyen Âge et les chevaliers n'ont jamais cessé de parsemer les pochettes et les thématiques de certaines scènes metal, c'est bien un opus entier qui est consacré aux femmes de l'époque cette fois-ci, dans toute leur complexité et leur puissance respectives, à travers cinq titres qui portent chacun un héritage. Survie et rage sont les sentiments retracés à travers un Heavy Metal aux teintes old school, porté par la voix crue et unique de Fleur comme une conteuse qui aurait vécu ces vies.

On retrouve, aux instruments, des membres de formations Punk lyonnaises qui ont eu envie de changer de registre, bien que la dynamique se ressente constamment. Moins kitsch que Sortilège, plus terre à terre que Smoulder, l'épique se ressent constamment sans porter Meurtrières vers des sphères fantasy. Cinq pistes tranchantes qui sont chacune, à leur manière, un tube à scander, comme un hymne à la libération et au pouvoir, ancré presque plus dans la réalité que dans l'imaginaire.

 

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