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vendredi 5 décembre 2025

Gojira + Comeback Kid + Neckbreakker @ Nantes

Zénith - Nantes

Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Simon : Un palier a été franchi. L'ouroboros de Gojira termine un nouveau cycle nantais. La dernière fois que les Landais ont fait une tournée hexagonale, ils étaient passés au Stereolux en 2017. En 2009 à l'Olympic (une salle qui rappellera des souvenirs aux plus vieux briscards nantais parmi vous), c'était le premier groupe que je voyais en salle, les coudes sur la scène, en me prenant les gouttes de sueur de Jean-Michel Labadie, éternel déchaîné. De l'Olympic aux Jeux Olympiques, les voilà de retour au pays en faisant cette fois une tournée des arénas et Zéniths français.

Elle est loin l'époque où notre meilleur ambassadeur metal français n'avait pas la force de frappe pour remplir un Bercy (cap passé en 2023 et revalidé deux jours avant cette date). On apprécie encore quand nos chouchous, désormais habitués aux festivals et tournées dans tous les coins d'Amérique du Nord, reviennent parcourir les routes qu'ils ont longtemps sillonnées à leurs débuts. Pour un groupe qui vise l'expansion, cette tournée peut paraître un retour en arrière, mais c'est aussi une façon de poser un drapeau ultime sur tout le territoire fédéré et conquis depuis les JO, en plus de célébrer dans leur propre pays un parcours de longue haleine, avec quelques exclusivités.

 

Neckbreakker

Gojira emmène avec lui le jeune groupe scandinave Neckbreakker (anciennement Nakkeknaekker, la traduction est la même en danois comme vous vous en doutez). Malgré les promesses du nom, le death groove ne brise pas aussi rapidement les nuques en dépit des incitations assez poussives du chanteur à démarrer les circle pits et le crowdsurfing d'emblée. La faute à un son assez monolithique et plus lisse que sur l'album Within the Viscera qui n'aide pas à rentrer dedans. Les musiciens ne se laissent jamais abattre et décrochent quand même de francs mouvements de tête sur le deuxième titre inédit aux breakdowns alléchants. Impossible de passer à côté de la performance implacable du batteur Viktor Bjørnstad, très saluée.

***

Entre deux premières parties, Nantes a l'exclusivité de voir Harold Barbé s'incruster pour faire son sketch. L'humoriste de France Inter rencontre un problème de micro, mais cela l'obligeait-il à refaire son entrée ? J'ai cru à une blague de Comeback Kid en arrivant avec une voix préenregistrée : « Mesdames et messieurs, merci d'accueillir… ». Non, on doit se retaper toute l'intro comme un déjà-vu dans la matrice, et surtout les extraits de son spectacle à base de blagues misogynes lourdes et de guerres des voisins pipi caca. La gêne est totale. On lui a dit que ce n'était pas un concert d'Ultra Vomit ? C'est le prix à payer quand on devient grand public ? C'est devenu ça, le service public ? Quelle indignité.

Une occasion loupée de présenter des sketchs axés sur le metal, même si l'idée reste malaisante sur le papier. Si on est un metalleux qui fait du stand-up, c'est censé s'écrire vite, l'inspiration ne manque pas. Assez grimacé, la soirée continue.

 

Comeback Kid

Gojira a misé sur l'énergie punk hardcore pour ouvrir leurs concerts sur cette tournée. Les Canadiens parviennent à faire mouliner le circle pit plus rapidement dès les titres efficaces de leur dernier album Heavy Steps, avant même de nous faire sautiller sur la reprise partielle de « Refuse/Resist » un peu facile pour faire écho aux racines sepulturiennes de Gojira. Le titre met toutefois le feu aux poudres et entame un pit incessant attisé par les rythmes dynamiques défouraillés par Terrance Pettitt de retour derrière la batterie en remplacement de Loren Legare. Le chanteur Andrew Neufeld vient chanter au plus près du public et nous appelle à nous resserrer pour se donner sur le sing-along de « G.M. Vincent and I ». Pas de Joe Duplantier en vue sur « Crossed », pour lequel il avait participé aux chœurs sur le dernier album. Wake the Dead fête lui aussi ses vingt piges cette année, et le refrain irrésistible de sa chanson-titre est repris dans le public pour terminer un set joyeusement chaotique avec un pogo bon enfant qui ne se limite pas aux initié.es du two-step.

 

Setlist :
Because of All
Heavy Steps
Talk is Cheap
Dead on the Fence
Refuse/Resist
False Idols Fall
Crossed
G.M. Vincent & I
Absolute
Wasted Arrows 
All in a Year
Should Know Better
Wake the Dead

 

Gojira

Ma dernière rencontre avec Gojira remonte à une petite salle pragoise sur la tournée Magma. Les seules grandes salles dans lesquelles je les ai vus en première partie étaient loin d'être optimales (le son ignoble dans un Stade de France pas encore rempli avant Metallica), et aujourd'hui, c'est eux les maîtres de cérémonie. En entendant « Only Pain » ouvrir le concert, le lien avec ma précédente date de 2017 est tout de suite noué. Depuis la fosse, tout le monde est sonné par la chaleur des flammes qui jaillissent dès l'entrée des guitares sur ce titre. Ce n'est toutefois pas le son qui nous donne chaud : le volume est très sagement sous contrôle sans besoin de bouchons, sans double pédale pour nous faire vrombir la cage thoracique. C'est pour le mieux, bien sûr, mais je ne retrouve pas non plus le rouleau-compresseur et le son ample du groupe sur ce début de concert.

Même si le break de « The Axe » génère de belles bousculades, il faut attendre « Backbone » pour que l'excitation monte d'un cran avec un pogo enfin turbulent. La batterie en roue libre sur « The Cell » remet une pièce dans la machine pour secouer le pit. Le secteur des échauffourées reste toutefois limité. Malgré quelques tentatives, il est impossible de créer un wall of death géant et de taper dans la fourmilière en fosse. Seul représentant de l'ère pré-From Mars to Sirius, avec des guitares peu audibles, « Wisdom Comes » n'a pas créé le bordel qu'il méritait. Pour nous taquiner, le groupe admet ne pas reconnaître le public de l'Ouest aussi sauvage qu'il y a quinze ans. De toute évidence, beaucoup de gens sont venus voir le spectacle plutôt que d'y prendre part.

Et du spectacle, il y en aura sur quasiment tous les morceaux : débauches de flammes, confettis, colonnes de fumée sur scène et au fond de la salle (!), étincelles tombant ou s'élevant sur le devant de la scène, écrans gigantesques. Le décor lumineux inauguré cet été est également particulièrement élégant, entourant la batterie plus centrale que jamais. C'est une baleine, et pas deux comme à Paris, qui forme des cercles au-dessus du circle pit de « Flying Whales », comme une présence bienveillante malgré la violence ici-bas, avec des pogos constants une fois passée l'intro calme. Les slammeurs trouvent le bon moment ici pour rejoindre les airs à leur tour et surfer la marée humaine, qui garde toujours un œil sur le ciel.

Avant le marathon de double pédale qu'est « From the Sky », déterré cette année depuis la tournée The Way of all Flesh et au refrain hurlé par toute la fosse, Mario amuse la galerie en jouant le gentleman cambrioleur du Louvre (clin d'œil franco-français) et avec ses habituels panneaux pour chauffer le public. « Another World » ouvre une deuxième moitié du concert davantage tournée autour du dernier album Fortitude. La puissance ne retombe pas avec « Silvera » et « Born for One Thing » qui dévoilent toute la classe du groupe, guidée par la basse de Jean-Michel. Même sans la hype des JO, je dois avouer que « Mea Culpa » envoie la sauce avec ses gros riffs. Recréant admirablement l'euphorie de la prestation parisienne olympique, la pyrotechnie s'emballe avec déluge de flammes et pluie de rubans sanglants abreuvant les sillons de la fosse. Dommage que Marina Viotti ne puisse pas suivre le groupe sur la tournée.

Venant calmer le jeu avec ses guitares en tapping, « Born in Winter » est plus subtil dans sa scéno avec une belle chorégraphie de spots sur le break explosif. De même, j'apprécie particulièrement le lightshow d'« Amazonia » illustrant par le rouge, le vert et le bleu la destruction des espaces naturels. Joe invoque les forces tribales avec un chant guttural tribal parfaitement restitué. Le final s'étend davantage pour répéter le cycle de la guitare avec des sons métalliques, comme le groupe aime le faire en live pour rentrer en transe, sans aller jusqu'à une boucle interminable à l'instar des versions live de « Blow Me Away You(universe) » ou « Where Dragons Dwell ».

En parlant de dragon, je voyais déjà le groupe partir sur un final exténuant de cet acabit en entendant l'intro du titre de From Mars to Sirius, mais c'est finalement un medley que le groupe a dévoilé en exclusivité sur cette tournée. Un exercice à la fois exaltant et frustrant, car chacun aurait aimé voir les titres joués en entier, mais quel plaisir de headbanger sur ne serait-ce qu'un extrait de raretés comme « To Sirius » ou « In the Wilderness ». La célébration des vingt ans de From Mars to Sirius ne s'arrête pas là, avec « Global Warming » en clôture du concert qui me laisse bouche bée et les larmes aux yeux. Je ne pensais pas entendre le tapping et les paroles « We will see our children growing » ce soir. « Born in Winter » n'est donc pas la seule nouveauté sur cette tournée.

Joe Duplantier rencontre quelques problèmes de micro rallongeant un peu cette fin de concert (« J'ai tout cassé »), mais cumule aussi quelques interventions maladroites. La plus remarquable est le laïus poussif avant « The Chant » : « Il faut juste chanter 'aaa'. Ça va, ça devrait le faire pour vous », sur un ton plus condescendant que simplement taquin, qui lui vaut une huée générale. Il comprend sa boulette, demande pardon immédiatement et adorablement, et parvient à retomber sur ses pattes en rappelant les souvenirs de leur premier concert nantais au Daily Planet, « un placard à balais ».

Le titre « The Chant » en question est assez anecdotique sur ce concert, hormis pour mettre en valeur la guitare soliste de Greg Kubacki et les fans aux premiers rangs montrés sur grand écran, dont des enfants à qui Joe demandera si c'est le premier concert. « Si tu as vu Ultra Vomit avant, alors ce soir, c'est ton premier concert de VRAI metal. » Public hilare. Balle perdue pour les Nantais, à domicile.

On voit rarement Gojira en quintet et Joe sans sa guitare, s'étant blessé le pouce et devant se consacrer exclusivement au micro. L'exercice n'est pas habituel et lui fait perdre quelques points de charisme et de hargne, mais le frontman s'en sort très bien pour occuper une vaste scène avec décontraction sans se forcer à courir partout. On l'a même vu mettre la tête dans une colonne de fumée. Le chant ne gagne pas pour autant en puissance, avec quelques fébrilités tout au long du concert. Il lui reste toutefois assez de voix en fin de concert après cinq dates d'affilée pour hurler sur le final massif de « L'Enfant sauvage ». « The sky is all over me/I run on time ». Bravo à l'Américain Greg Kubacki de Car Bomb pour avoir assuré au pied levé une telle performance aussi précise que discrète, formant un excellent duo avec Christian Andreu sur les riffs comme sur les phases de tapping.

***

Gojira n'a pas lésiné sur les effets spectaculaires, ni sur les exclusivités de cette tournée. On peut regretter l'absence de titres de Terra Incognita et de The Way of all Flesh. « Oroborus » aurait magnifiquement terminé la boucle après « Global Warming ». Mais, on peut se satisfaire que les Landais saisissent l'occasion de cette tournée française pour célébrer leur album From Mars to Sirius avec de belles perles.

Par ailleurs, on peut se demander s'il est physiquement possible pour le batteur de piocher davantage dans des titres techniques démonstratifs sur les anciens albums sur 1 h 45 min de concert, une durée déjà généreuse pour Gojira. Mario n'a pas retenu ses coups et défie encore les limites d'endurance à bientôt 45 ans. Il a bien mérité son bain de foule, prêt à enfiler ses palmes, malgré sa chute tonitruante entre la scène et la fosse. Comme Metallica, les musiciens prennent encore le temps après le concert de saluer le public, venu en nombre aussi bien pour la première fois que pour la énième (sondage à main levée à l'appui).

Il faudrait péter un nouveau plafond de verre colossal, mais si l'ascension du lézard géant les amène dans des espaces toujours plus grands (comme un Stade de France), je ne suis pas sûr de renouveler l'expérience, nostalgique de l'énergie brute à l'échelle humaine plutôt que dans une avalanche de feux d'artifice à la Kiss. Je garde toujours mon petit sourire de satisfaction devant un tel accomplissement dans le parcours du groupe sans relâche ni compromis. Gojira termine son cycle et est prêt à en entamer un nouveau que nous suivrons attentivement.

 

Setlist :
Only Pain
The Axe
Backbone
Stranded
The Cell
Wisdom Comes
Flying Whales
From the Sky
Another World
Silvera
Mea Culpa (Ah ! Ça ira !)
Born in Winter
Born for One Thing
Where Dragons Dwell / To Sirius / Ocean Planet / In the Wilderness
The Chant
Amazonia

L'Enfant sauvage
Global Warming