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vendredi 22 août 2025

Les meilleurs moments du Brutal Assault 2025

Forteresse Josefov - Jaroměř

Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Hugo : Retour au Brutal Assault, pour ma part sept ans après l’édition de 2018, alors l’un des premiers festivals de cette ampleur que j’ai pu faire. À l’époque, le BA se distinguait par plusieurs aspects. La programmation, d’abord, toujours bien sentie, offrant systématiquement une belle synthèse de nos scènes. Chaque année, aussi, plusieurs raretés, des musiques metal (Master’s Hammer, Antaeus, Cult of Fire et l’Orchestre symphonique bohémien de Prague…) et extrêmes au sens large (Swans, Mortiis, Laibach, Prurient…).

Le cadre est également un aspect essentiel, le festival se situant au sein de la forteresse de Josefov – enceinte militaire du XVIIIème siècle. Aussi, je dois bien le dire, la nourriture joue un rôle important : pour les végétariens/vegan, en tout cas, dans la veine de son petit frère grindcore de l’Obscene Extreme (sans être 100% vegan), force est de constater que le BA était pendant longtemps à l’avant-garde. Si aujourd’hui l’offre s’est grandement améliorée dans de nombreux festivals, des mainstream aux plus locaux, on se rend bien compte que les choses n’étaient pas aussi simples à l’époque – et qu’on allait aussi au BA pour ça, en fait, c’est-à-dire bien manger (vegan !) à moindre coût.

De ce côté, justement, les choses ont un peu évolué, sans trop de surprise. Le prix du pass 4j a plus que doublé (219 euros cette année), le prix de la nourriture aussi (comptez une dizaine d’euros pour un burger avec frites), et la pinte (Pilsner Urquell pour la classique, de nombreuses autres craftbeer servies en 40cl) reste autour de 3-4 euros. Mais très franchement, difficile de se plaindre, tant les prix sont toujours ultra compétitifs pour un festival de cette qualité. Comme d’habitude, et c’est aussi pour cela qu’on y retourne (encore en 2023, pour les collègues de Vivement Doomanche), difficile de trouver des choses à redire sur l’organisation du BA : chaque groupe est à l’heure, le son est globalement bon, on circule efficacement sur le site… bref, le festival semble toujours savoir là où il va, et le fait très bien.

Place au live-report, maintenant, avec une sélection de groupes qui nous ont marqué, et de quelques autres paragraphes sur le festival et ce qui l’entoure.

 

Sigh | Mastodon | Orange Goblin | Visiter la TchéquieGojira | The Kovenant | Blood Fire Death | La KAL | HällasGrave | Mayhem | Metal et forteresse | Envy | Atomic Rooster | Aluk Todolo

 

Sigh
Obscure Stage

Hugo: Je ne sais pas trop pourquoi, mais je rêve depuis longtemps de voir Sigh en concert. Aussi, je le dis d’emblée : je ne suis pas le plus grand connaisseur du groupe, ni même très fan de sa (dense et complexe) discographie. Sigh, pour moi, c’est d’abord un univers visuel ultra fort, des estampes de Infidel Art (1995) à la très surprenante et belle pochette de Heir to Despair (2018). Ensuite, c’est aussi un groupe qui ne ressemble à aucun autre sur le plan musical – il suffit d’écouter un disque comme Imaginary Soundscape pour s’en persuader. Formé en 1990, Sigh est aussi un groupe pionnier de la scène black metal japonaise : des musiciens comme Nagash de Kovenant, présent sur le BA et dont on reparlera plus tard, ont mentionné leurs échanges de lettres avec Mirai Kawashima au début des années 1990s. Dès l’origine pourtant, la musique du groupe a toujours été relativement complexe, ou en tout cas porteuse d’influences variées et non-metal.

Ces différents aspects sont immédiatement visibles sur scène. Le corpse paint des musiciens, déjà, et notamment celui de Dr. Mikkanibal, attire immédiatement l’œil : oubliez un instant les maquillages des musiciens norvégiens, on est plus proches ici d’un sûtra en kanji comme dans le film Kwaïdan de Kobayashi. Ainsi, le groupe se réapproprie différents codes metal dans un geste aussi rétrofuturiste (musicalement aussi, avec le mélange d’instruments traditionnels et électriques) qu’il est traditionnel et occulte. L’esprit black metal est là, comme rarement, mais le concert nous surprend systématiquement par sa scénographie soignée et évolutive et la variété des influences musicales déployées : quel plaisir que d’entendre ces nombreux solos ultra bien amenés, cette alternance entre les chants clairs et saturés à deux, trois, quatre voix, ces superbes passages au saxophone…

Enfin, l’une des choses que l’on commente régulièrement sur les tournées de Sigh est la présence sur scène des deux enfants du couple Kawashima : maquillées elles-aussi, elles multiplient lors du show les démos de nunchaku, lèvent des cornes avec les doigts vers le ciel, et interagissent avec les autres musiciens. L’ambiance est assez belle, familiale, et ne vient jamais interrompre l’intensité du concert, qui donne la part belle à la dernière sortie du groupe – un réenregistrement de l’album Hangman'sHymn de 2005. Quelle classe, et disons-le, quelle claque !

 

Mastodon
Sea Sheperd Stage

(Ce paragraphe a été écrit avant le décès brutal et accidentel de Brent Hinds, survenu dans la nuit du 20 au 21 août ; nos pensées vont bien entendu à ses proches et à tous-tes celles et ceux qui sont endeuillés-es par la disparition de ce colosse du metal contemporain)

Raton Ça faisait plus de dix ans que je voulais voir Mastodon en concert et on m’a toujours dit qu’avec le groupe d’Atlanta, c’était un 50/50. Son, énergie des membres, setlist, contexte, les raisons sont variées mais Mastodon polarise en live. Pour ne rien arranger, le concert au Brutal Assault se fait cinq mois après que Brent Hinds, guitariste et chanteur originel ait quitté le groupe sans réelle explication et avec quelques inimitiés dans le processus.

À Jaroměř, Mastodon n’a pas livré un mauvais concert, mais n’a pas non plus livré son meilleur. Déjà, le groupe est assez froid sur scène, peu communicatif et dans le contrôle permanent là où on le sait pourtant capable d’autodérision. Dans ce contexte, l’absence de Brent Hinds crève les yeux, avec son remplaçant live, le guitariste canadien Nick Johnston, impeccable techniquement mais qui fait profil bas et n’assure aucune ligne vocale que Hinds assurait avant.

La setlist, dans une logique best-of, est assez réussie. Once More ‘Round the Sun reste l’album le plus représenté avec trois morceaux (« Ember City », « The Motherload » et « Tread Lightly »), devant le très solide Hushed and Grim (« More Than I Could Chew » et « Pushing the Tides ») et l’inévitable Leviathan (« Blood and Thunder » et « Megalodon ») suivi par un morceau de chaque disque sauf de Crack the Skye (un choix qu’on pourra critiquer mais que je trouve salutaire).

Brann Dailor, à la batterie et au chant, est en très grande forme et livre une prestation certes un peu impersonnelle, mais techniquement irréprochable. Plus généralement, si on omet l’absence des lignes vocales de Hinds, la performance de Mastodon est carrée, lisible et efficace, même s’il lui manque un soupçon d’entrain. Là où le groupe tape fort c’est dans son hommage à Ozzy. Trois des membres arborent un tee-shirt à son effigie ou à celle de Black Sabbath. « Crazy Train » est diffusé avant le set et « Shot in the Dark » à la fin. Mais là où le groupe brille c’est par son impeccable reprise de « Supernaut » en clôture de set. Sur l’écran en fond de scène, une immense image d’Ozzy et ses dates de vie.

 

Orange Goblin
Obscure Stage

Pingouin Le public du Brutal Assault a assisté, le premier soir du festival, à l’un des derniers concerts d’Orange Goblin sur le sol européen, puisque le quatuor a annoncé mettre fin au groupe d’ici la fin de l’année, après une tournée des festivals sur le continent et une tournée en salles dans leur Grande-Bretagne natale.

Cela fait trente ans qu’Orange Goblin a été l’un des représentants les plus solides du stoner, que ce soit sur album ou sur scène, aussi c’était important pour nous d’être présent à leur set au Brutal Assault (personnellement je ne les reverrai pas cette année, donc c’était vite vu).

Orange Goblin a donc joué en fin de soirée, derrière Kerry King, Between the Buried and Me et Mastodon, sur l’Obscure. Leur setlist ? Neuf morceaux, représentants tous leurs albums à l’exception de The Wolf Bites Back et Thieving from the House of God. La machine met quelques minutes à se mettre en route, et malheureusement l’ouverture sur « Scorpionica » et « Saruman’s Wish » peine à faire bouger énormément de têtes dans le public. Et puis d’un coup les encouragements de Ben Ward commencent à prendre, et les deux derniers tiers du set nous offrent ce qu’on attendant : un concert à toute allure, avec quelques temps forts particulièrement incarnés, à savoir « The Devil’s Whip », « The Filthy and the Few », et le final classique sur « Red Tide Rising ». Et puis Ben Ward regarde sa montre et se rend compte qu’il faut plier bagages. Et les Anglais de quitter la scène tête haute sous la nuit tchèque, et avec le sourire. Après un concert pas forcément flamboyant, mais fidèle à ce qu’ils ont été pendant trente ans : un groupe qui ne jurait que par le rock, la route et l’espace.

 

La Tchéquie
Profiter du festival pour visiter

Raton L’occasion d’un festival comme le Brutal Assault, c’est de découvrir son environnement géographique et de fait, son pays, la Tchéquie (les dirigeants tchèques préfèrent Tchéquie à République tchèque depuis 2016). C’est ce que nous avons décidé de faire avec un road-trip contenant pas moins de quatre étapes différentes à travers la Bohème, c’est-à-dire l’Ouest du pays (en opposition à la Moravie et la Silésie qui forment l’Est) : Karlovy Vary, Pilsen, Hrubá Skála et la région de Jaroměř où se tient le festival. On vous détaille nos recommandations.

La Tchéquie est un très beau pays, aux paysages surprenamment variés pour un territoire qui ne représente qu’un septième de la France. Notre première étape, Karlovy Vary, à 40 km de la frontière allemande, fait partie de la région historique des Sudètes, à majorité germanophone. C’est surtout une ville thermale absolument splendide, nichée dans la vallée de l’Ohře avec des imposants et élégants bâtiments fin XIXème début XXème qui parsèment les collines. Idéalement située pour une étape intermédiaire avant le festival, on vous recommande très chaudement cette ville chargée d’histoire et de bonnes adresses pour boire votre première Pilsner Urquell du voyage.

On ne sera pas aussi dithyrambique au sujet de Pilsen, ville dont l’atout majeur est d’avoir créé la pilsner qui constituera la moitié de votre alimentation dans le pays. Son centre historique est assez restreint et on a été surpris par son manque de vie et de dynamisme. Plutôt que cette étape tristoune et dispensable, on vous conseille de faire un crochet par le parc national Hrubá Skála, au nord du pays et qui fait partie de la chaîne de moyennes montagnes des Sudètes qui forme la frontière avec la Pologne. Jalonné de vieux châteaux, le parc offre de nombreux circuits de randonnée extrêmement bien balisés avec des panoramas splendides sur la curiosité du lieu : des formations rocheuses verticales de grès qui surgissent d’entre les pins et s’élancent jusqu’à 40 mètres de haut (photo ci-dessous).

Et évidemment, si vous ne l’avez pas encore fait, il y a le pèlerinage évident de l’ossuaire de Sedlec, dans la petite ville de Kutná Hora, entre Prague et Jaroměř. Ce lieu très prisé des metalleux de tous les pays n’est rien d’autre qu’une chapelle gothique dont l’intégralité de la décoration est faite avec des ossements humains. Spectaculaire, mais blindé à la période du festival.

 

Gojira
Sea Sheperd Stage

Raton La dernière fois que j’ai vu Gojira, c’était en 2014 dans mon petit festival local, au fond de la Touraine et c’était, de façon prévisible, assez moyen, la faute à un son catastrophique. Onze ans plus tard, en tête d’affiche de l’un des plus grands festivals metal d’Europe, c’est une revanche éclatante car Gojira a livré un set impérial.

Les Français ont fait montre d’un contrôle absolu et d’une maîtrise complète de leurs instruments et de leur scénographie. Cette dernière se matérialisait par une double estrade permettant à Mario d’être tout en haut et aux trois autres de changer de position au cours du concert, ainsi qu’une rampe en arc-de cercle passant derrière l’estrade. Les projections derrière le groupe étaient toujours de bon goût, illustrant sobrement et efficacement les ambiances des morceaux. Même constat pour la pyrotechnie, que ce soit les flammes ou les étincelles qui tombaient du haut de la scène.

Côté setlist, j’ai été estomaqué par l’intelligence de sa conception. Quatre albums sont représentés, avec une petite majorité de Magma (« Only Pain », « Silvera », « Stranded » et « The Cell ») et trois morceaux chacun pour From Mars to Sirius, L’Enfant sauvage et Fortitude. Gojira est conscient que certains morceaux entraînent moins le public et use de stratagèmes et d’entractes pour que la foule se les approprie davantage. Vers la fin du set, le groupe annonce « Mea culpa (Ah! Ça ira!) » et projette dans les airs les mêmes bandelettes rouges symbolisant le sang des aristocrates qu’à la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024. Un moment galvanisant au milieu d’un set au cordeau, témoin vif du brio des quatre Français.

 

The Kovenant
Obscure Stage

Hugo Drôle de moment de la soirée, alors que 95% des festivaliers se dirigent pour voir Gojira sur la mainstage, Pingouin et moi prenons le chemin inverse pour aller voir The Kovenant à l’autre bout du site. En fait, j’avais déjà vu Gojira dans des conditions similaires (c’est-à-dire, sur la mainstage du BA) il y a quelques années, et The Kovenant fait partie de ces curiosités de l’affiche qui ont un goût d’immanquable. J’en parlais déjà dans la sélection, The Kovenant a sorti durant les années 90 plusieurs disques importants de black metal symphonique, dont Nexus Polaris (1998) qui est interprété ce soir en intégralité. Pour ce faire, on a le droit a un line-up assez impressionnant : Nagash (le leader) et Hellhammer, d’abord, les deux seuls membres originaux restants, ainsi que de nombreux musiciens issus des rangs de Mayhem et Arcturus, entre autres ex-Ulver. On note aussi la présence de la chanteuse Sarah Jezebel Deva, soprano déjà présente sur l’album original, et passée depuis par les rangs de Cradle Of Filth et Nader Sadek, rien que ça.

Aussi, je ne peux qu’admirer la façon dont les morceaux se déploient sur scène ce soir-là, mon affection certaine pour Nexus Polaris mise de côté. Il n’y a rien de kitsch dans ces réinterprétations, en fait, et les musiciens donnent l’amplitude nécessaire aux compositions, les laissent respirer de la plus belle des façons. Les claviers, le chant lyrique, les nombreux solos qui ponctuent les morceaux… ultimement, de la théâtralité, mais pas trop, tout le monde est en blanc, maquillé certes, mais la scénographie relativement sobre fonctionne comme un canevas sur lequel on projette les images que nous évoquent les morceaux. De toute façon, le premier degré est régulièrement désamorcé par les interventions de Nagash, dôté d'un certain recul sur sa propre musique (« Here’s another song about fucking dragons », le double-sens étant permis vu le rire gras qui suit).

Ainsi, le set se termine sur la doublette « Chariots of Thunder » (qui clôture le disque) et « New World Order », tiré de la période indus du groupe – deux grands moments de live, vraiment. De quoi nous rappeler une fois de plus que tous ces groupes de sympho, des Dimmu Borgir (Nagash en faisait partie un temps aussi) aux Arcturus, quand bien même ils nous paraissent bien éloignés des groupes plus radicaux, font quand même partie de l’histoire du black metal au sens large. On a parfois du mal à les considérer avec le même degré de sérieux – et c’est bien dommage, le set de ce soir en est la preuve.

 

Blood Fire Death - A Tribute to Qorthon and the Music of Bathory
Marshall Stage

Pingouin Le concert hommage à Bathory du projet Blood Fire Death m’a semblé être l’un des plus attendus du festival, du moins par les afiocionados de metal extrême. Sentiment accentué par la foule compacte qui s’est pressée devant la main stage avant le début du set. De fait, personne dans le public n'a vu Bathory en live, mais à peu près tout le monde a été marqué à un moment ou un autre par la musique épique et incarnée de Quorthon, que ce soit ses débuts punk ou la fin de carrière épique/viking de Bathory. La sixième performance scénique de l’hommage all-star Blood Fire Death laisse donc peu de monde indifférent.

Autant vous le dire d’emblée : ce set n’a pas été le moment solennel et mystique tant attendu pour qui s’intéresse un tant soit peu à Bathory. En cause d’abord la présence un peu ridicule d’Erik Danielsson, qui chante sur la plupart des reprises. Le frontman de Watain roule les r comme un aristocrate de cartoon et fait un peu figure de roquet. En comparaison à la figure de Quorthon, physiquement absent mais présent dans l’esprit de chacun ce soir-là. Face également à la présence scénique brute de deux des gros guests de la soirée : Gaahl commence le concert en reprenant « A Fine Day to Die », et Attila Csihar fait son apparition vers la fin sur « Born for Burning » – on s’y attendait puisque Mayhem joue le lendemain et deux des membres du groupe ont joué une heure avant avec The Kovenant. Les deux frontmen sont captivants, et à chaque fois le soufflé retombe quand ils rendent la scène à Erik Danielsson.

Autre problème à souligner : le son du concert a été assez inégal, rendant presque inaudibles les premières chansons du set. On avait commencé à sortir la tête sous l’eau avec « Raise the Dead », et puis commence « Shores in Flames », dont l’intro a été largement massacrée. Qu’il s’agisse de problèmes techniques ou que cela vienne des musiciens, il n’empêche que ça rend compliquée l’immersion dans l’oeuvre de Bathory. On notera aussi la présence sur « The Return of Darkness and Evil » et « Raise the Dead », de Frederik Melander, crédité à la basse sur le tout premier split de Bathory, Scandinavian Metal Attack (1984).

Finalement je n’ai pas passé un mauvais moment devant Blood Fire Death. Ça n’était simplement pas l’hommage gracieux auquel je m’attendais peut-être. Mais comme Bathory a cessé de jouer en live en 85, personne n’a aujourd’hui de référence pour comparer un hommage à l’original. Ajoutons aussi que les représentations qu’on a de Bathory sont multiples et parfois bien différentes : j’ai personnellement poncé Hammerheart et Blood on Ice, un peu moins l’éponyme, et j’imagine que pour d’autres fans du groupe c’est l’inverse. Au-delà de considérations esthétiques sur un set imparfait, je reste content d’avoir pu profiter, le temps d’un concert, de la musique de Bathory. Tentative parmi d’autres de rendre hommage au maître en reproduisant son travail, Blood Fire Death continue tout de même d’attiser le feu allumé par Quorthon il y a plus de quarante ans.

 

La Keep Ambient Lodge

Pingouin Le metal et la techno ne sont pas des genres qui partagent forcément une grande proximité, mais les ponts qui relient ces deux sphères sont multiples. Dans la forteresse de Josefov cette passerelle prend la forme de la Keep Ambient Lodge (la KAL pour les intimes). Lieu de sieste la journée (un peu moins en soirée mais vous faites comme vous voulez après tout), situé en face de la salle de projection de films, la KAL accueille chaque soir du Brutal Assault des sets techno (27 en tout cette année), et vous pouvez y boire des pintes d’absinthe-limonade.

C’est cette boisson réconfortante qui m’a permis de tenir sur une bonne partie du set de BHPL, DJ versé dans la dark techno la moins subtile qui soit. J’ai quand même pris le temps de danser un peu au rythme de sa musique très stéréotypée, où la percussion prend beaucoup de place et où la nuance sonore n’existe pas. Ce genre de set n’empêche pas de danser (au contraire!) mais c’est la garantie d’en sortir plus bête qu’on y est entré.

Notre belle surprise de la KAL cette année c’était par contre le set d’Operant le samedi soir. Le duo berlinois a sorti en 2021 son unique album à ce jour, et en 2024 son cinquième EP, y déroulant à chaque fois sa techno industrielle pleine de noise et d’expérimentations sonores diverses. Si les bêtises scéniques du groupe m’agaçent un peu (l’un des DJ a passé la 2e moitié du set à se scotcher une lampe torche sur le bras et à jouer avec un petit laser rouge), la musique d’Operant, elle, est riche et pleine d’idées. À un début de set très power electronics ont ensuite succédé des morceaux gabber bas du front pour bien lancer la dernière nuit de fête de ce Brutal Assault 2025.

 

Hällas
Obscure Stage

Raton Vendredi, troisième jour de festival, l’air est plus chaud que les jours précédents, le ciel est constellé de moutons que la golden hour fait briller d’une clarté angélique. Dans ce cadre estival apaisant, Hällas monte sur la Obscure Stage et propulse le public 50 ans en arrière avec le rock prog le plus délicat et duveteux du monde.

Dans un décor minimaliste (Hällas n'est pas en tournée et n’assure là que son troisième set de 2025), les Suédois déroulent avec la plus grande aisance un set ample, nostalgique et inspiré, porté par la voix légèrement félée de Tommy Alexandersson. Alors que ça fait un moment que Hällas ne fait plus partie de mes écoutes récurrentes, je me surprends à me rappeler de chaque riff, de chaque pont, preuve de l’incroyable songwriting du groupe. 

À la fin de son set d’une heure, le groupe rappelle à quel point il a une plus-value indéniable face à la masse du revival hard / psych, avec l’enchaînement imbattable « Carry On / The Golden City of Semyra / Star Rider / The Astral Seer ». Hällas est grand, Hällas est majestueux et surtout Hällas est rare en concert alors la prochaine fois, n’ayez aucune excuse et foncez voir ces grands druides astraux du rock.

 

Grave
Marshall Stage

Pingouin Je vous en parlais dans la preview de ce Brutal Assault 2025 : le set de Grave allait constituer un rendez-vous pour les amoureuses et amoureux de death metal cette année. Programmés sur l’une des main stages en début de soirée du vendredi, les Suédois (réunis pour l’occasion dans le line-up originel de 1991) avaient pour mission d’honorer leur propre début de carrière, le culte Into the Grave (1991), et les excellents You’ll Never See (1992) et Soulless (1994).

Chose faite avec une setlist dans laquelle les trois albums sont équitablement représentés. On note en sus de tout ça que Grave a joué « Reborn Miscarriage » , morceau présent sur leur troisième démo, et qu’ils n’avaient pas joué en live depuis six ans. Pour le reste, les Suédois ont donné un set sans fioritures, tout en sobriété, laissant parler pour eux la puissance de leurs riffs et de leur musique. L’enchaînement « Turning Black » / « You’ll Never See » / « Morbid Way to Die » m’a personnellement scotché.

Grave a livré l’un des sets les plus extrêmes des mainstages de ce Brutal Assault 2025, honorant ainsi le public du fest et la très belle programmation death metal dont ils faisaient partie. Deux heures plus tôt, Asphyx avait retourné la même scène, de même qu’Obituary la veille (avec un John Tardy en super forme), et que Dying Fetus le premier soir (plaisir pour moi d’entendre en live « Into the Cesspool », nouveau morceau que le groupe panache dans ses setlists depuis quelques mois). Au milieu de ces gros noms qui sortent encore régulièrement de la nouvelle musique, le groupe d'Ola Lindgren n’a plus sorti d’album depuis 2015. Mais le death metal actuel doit tant au début de carrière de Grave, en témoigne cet set, qu’on ne peut que leur tirer notre chapeau.

 

Mayhem
Marshall Stage

Hugo Je réfléchis pas mal au black metal dernièrement, à la place que ça a (eu) dans ma vie, tant à un niveau de pure expérience sonique que d’impact sur mon imaginaire. Je ne pense pas avoir trouvé toutes les réponses à mes questions, mais je suis néanmoins persuadé d’une chose : pour se rappeler de toute sa puissance, de la radicalité du style, il est important de ne pas en écouter trop souvent. Aujourd’hui, alors que la majorité de mes écoutes se situe précisément en dehors du metal extrême, je prends un plaisir fou à redécouvrir certains des classiques de mon adolescence. Ponctuellement, sans forcer, quand l’ambiance s’y prête. Et aussi loin que je remonte dans mon expérience du BM, Mayhem a toujours été là, forcément, immuable et surplombant tout le reste avec tant d’enregistrements et d’images hantées, une empreinte ensanglantée laissée à tout jamais sur la musique.

Je l’ignorais : ce retour de Mayhem au BA, notamment après le set de 2017 où De Mysteriis était interprété en entier (et rien d’autre ! c’est dispo sur Youtube, et c’est magnifique), se situe dans le cadre d’une tournée anniversaire pour les quarante ans du groupe. Ainsi, chaque morceau est ponctué d’images liées à l’album dont il est tiré – l’intro du concert, elle-même, file des frissons instantanément, retraçant brièvement l’histoire du groupe jusqu’à l’arrivée des musiciens sur scène. Le set est quasi-didactique, en fait, ce qui paraitrait presque too much pour d’autres groupes, mais pas pour Mayhem. S'il y en a bien qui ont le droit d'adopter une telle scénographie, c'est sûrement eux.

Alors que dire ? C’était fantastique, grandiose, habité. Attila Csihar est toujours un frontman d’exception, autant ici qu’avec Tormentor (en 2018 au BA), Sunn))), où dans ses projets solo (ce ciné-concert de Nosferatu à Bruxelles qui me hante encore). Personnage ultra singulier, impressionnant techniquement avec sa palette vocale, qui domine la scène tantôt habillée en général de guerre, terrifiant, puis avec son simple veston en cuir. Le reste du lineup n’a pas bougé depuis plusieurs années, et tant mieux, car si les musiciens sont plus stoïques, c’est pour mieux donner toute la place nécessaire aux compositions. Le set, antéchronologique, fait donc la part belle à chaque disque, de Daemon (2019) à Wolf Lair’s Abyss (1997). Des albums comme Grand Declaration of War et Ordo ad Chao semblent plus difficile d’accès a priori, mais prennent forme de la plus belles des façons et dans toute leur radicalité ce soir sur scène.

Viennent ensuite De Mysteriis et Deathcrush pour trois morceaux chacun. À l’écran, les photos de Dead et Euronymous, la foule qui applaudit, émue, et les frissons infinis quand résonnent « Freezing Moon » et les premières notes de « Funeral Fog ». La nuit est belle, il fait doux, on a du mal à s’en remettre. Dimmu Borgir commence quelques minutes après sur l’autre scène. J’aime ce groupe, le set est carré, écourté, un peu désincarné et artificiel. Difficile de passer après ça. Le black metal ? Bah c’est probablement Mayhem, en fait.

 

Metal et forteresse

Hugo Drôle de sensation, quand même, que de se retrouver ensemble à regarder des concerts dans une citadelle. En explorer les différents recoins, se rendre compte des quelques secrets dissimulés, des raccourcis pour se rendre sur la scène Obscure (auparavant sous tente, désormais en plein air) – il y a quelque chose de profondément ludique dans l’expérience du BA. Au-delà de ça, le festival reste toujours aussi agréable, praticable, et singulier. La Keep Ambient Lodge, le cinéma d’horreur, les bars à absinthe et hypocras sont tant d’éléments qui donnent sa personnalité au festival, et le distinguent de la plus belle des manières des autres. Je laisse volontairement de côté les animations type Mad Max et autres trains fantômes – je ne suis pas sûr d’être le public visé. 

Et pour parler un peu de la programmation, l’une des forces du festival selon moi réside dans l’absence relative de réelles têtes d’affiche. Hormis Gojira à la rigueur, seul moment des quatre jours où naviguer entre les mainstages s’est avéré compliqué, il n’y a pas vraiment de TA plus grosse qu’une autre. Un même soir, on a à peu près autant de monde qui assiste aux concerts de Paradise Lost, que de Mayhem et Dimmu Borgir. Les différentes scènes metal sont représentées, essentiellement par des groupes installés sans notoriété écrasante, et que l’on prend plaisir à (re)voir. La programmation death et black, en particulier, est toujours aussi belle. De mon côté, je ne suis pas sûr que je serais forcément allé voir en salle une partie des groupes à l’affiche – mais quel plaisir que de pouvoir les voir en festival, et de multiplier les bonnes surprises.

On peut avoir l’impression que la programmation est moins fouillée, propose moins de raretés (encore que, il y a toujours plein de belles choses pour les curieux), mais le festival ne semble pas changer sa ligne pour autant – et c’est pour le mieux. Rien ne dénote vraiment, le public est chaleureux, habitué, et véritablement fan des groupes programmés. Et quand le soleil se couche au-dessus du festival, tous les regards se lèvent vers les trainées laissées par les nuages dans le ciel – de la même manière, lorsque des troupeaux de moutons circulent au-dessus des remparts. Ainsi, si l’on parle souvent de l’expérience collective de transe lors des concerts, il ne faudrait pas oublier non plus le plaisir encore plus grand de la contemplation partagée. Ces quelques moments de grâce, c’est aussi ce qu’il nous restera du Brutal Assault.

 

Envy
Obscure Stage

Hugo Je ne vais pas jouer la carte de l’originalité en disant qu’Envy est un groupe important pour moi. De fait, le groupe a été l’un de mes premiers contacts avec les musiques émotives au sens large. Je ne sais plus vraiment comment ça a commencé, juste que tout a changé après mes premières écoutes de All the Footprints… (2001), disque vers lequel j’ai du mal à revenir aujourd’hui tant je le rattache à certains drôles de moments de ma vie. Je sais que je ne suis pas le seul. Du reste, la discographie du groupe me parle plus ou moins, et je dois bien reconnaître que je ne maîtrise pas trop le post-Insomniac Doze – exception faite du très solide The Fallen Crimson (2020), retour en grâce pour beaucoup. Aussi, les années sont passées, et je n’ai toujours pas eu la chance de voir le combo en live, quand bien même sa réputation n’est plus à faire (les retours qu’on a pu me faire sur les concerts d’Envy ont toujours été unanimes).

Il est un peu tôt, encore, le soleil n’est pas couché et une foule éparse se dirige vers la scène Obscure. On se toise un peu. Les uns savent pourquoi les autres sont là, en fait. Et durant le concert, les mêmes frissons, les mêmes yeux fermés lors des passages les plus intenses. Pourtant, cette intensité ne va pas d’elle-même, et se construit progressivement lors du set. La première partie du concert fait la part belle au dernier album en demi-teinte du groupe, Enoia. Mais c’est très beau, communicatif. Tetsuya Fukagawa est un frontman d’exception qui incarne sa musique davantage qu’il ne l’interprète. C’est rare, et c’est valable aussi pour chacun des musiciens, se mouvant avec beaucoup de précision qui n’efface en rien une impression globale de spontanéité. La deuxième partie est magnifique, belle comme rarement, mais laisse un goût de trop peu. Le set a été un peu écourté par rapport à l’horaire prévu, certes, mais il aurait surtout mérité de se déployer sur plus d’une heure. En salle ou la nuit tombée, a minima. Mais tout cela n’a rien de négatif : il faut revoir Envy, absolument.

 

Atomic Rooster
Obscure Stage

Raton Cinq jours avant le festival, Arthur Brown déclare annuler tous ses concerts d’août en raison d’une opération médicale d’urgence. Pour les remplacer, le Brutal Assault annonce Atomic Rooster, un groupe culte de hard prog britannique « originellement fondé par des membres de The Crazy World of Arthur Brown » comme nous informe la publication. Si en effet, ce sont bien Vincent Crane et Carl Palmer (dont la popularité explosera par la suite avec Asia et Emerson, Lake & Palmer) qui ont quitté le projet d’Arthur Brown pour créer Atomic Rooster en 1970, aucun des deux n’est aujourd’hui sur scène.

D’ailleurs qui reste-t-il du line up originel d’Atomic Rooster ? Absolument personne. Le seul membre historique est Steve Bolton, éphémère membre pendant moins de deux ans et qui n’a participé qu’au quatrième et assez mineur album du groupe, Made in England. Le reste des musiciens sur scène ont intégré le groupe entre 2016 et 2020. Est-ce pour autant un mauvais show ? Absolument pas. Le hard rock 70s a cela de fondateur dans les musiques extrêmes qu’il est facilement réemployable par des musiciens extérieurs sans que ce soit un problème.

En l’occurrence, Atomic Rooster livre un show exemplaire pour un groupe des années 70. Avec un rythme constant, une setlist habile et un duo Steve Bolton - Adrian Gautrey (claviériste chanteur) charismatique, le groupe tient le public en haleine et dissémine avec intelligence ses plus gros tubes. En commençant d’entrée de jeu par « Death Walks Behind You » et en attendant le milieu de set pour lâcher le féroce « Tomorrow Night » et avec la performance incarnée d’Adrian Gautrey, le groupe forme une bulle d’oxygène salutaire après trois jours non stop de musiques hurlées. Morale : ne jugez pas les vieux groupes de hard qui tournent encore 50 ans après et donnez leur une chance, parfois il y a des excellentes surprises.

 

Aluk Todolo
Octagon

Pingouin Devinette pour vous qui êtes chez vous : combien faut-il de personnes et de temps pour changer une ampoule au Brutal Assault ? Réponse avec le set d’Aluk Todolo, le samedi soir sur l’Octagon. Avec un retard de quelques minutes, le groupe entame donc un set qui dépassera de presque un quart d’heure la deadline prévue sur le running-order. Il n’en fallait pas moins pour que ce bijou de l’underground français nous emporte dans son monde de noirceur et de larsens, nous faisant presque oublier la fatigue accumulée sur les trois jours précédents.

Je vous avoue n’avoir pas rattrapé le wagon Aluk Todolo depuis 2016 et l’exceptionnel Voix. Or a priori le trio a sorti un album en 2024, intitulé Lux, qui justifie une scénographie sobre et puissante : sur le backdrop, le simple logo du groupe, et sur le devant de la scène, une ampoule dont la lumière jaillit tout au long du set. Elle dissimule à la fois les musiciens et attire vers elle les regards du public comme des papillons.

C’est dans ce décor qu’Aluk Todolo déroule sa musique ovni, aux frontières du krautrock, de la noise, du black metal et du rock progressif. Le trio basse-guitare-batterie navigue avec tant de facilité dans cet univers sonore que le petit changement de corde au milieu du set passe inaperçu, et que l’art hermétique et sombre d’Aluk Todolo devient agréable, envoûtant, d’une beauté incontestable. Naturellement la musique du groupe n’est pas improvisée, ce qui rend d’autant plus poignante l’aventure sonore que proposent les Parisiens, comme lorsque Mathieu Canaguier pose sa basse pour jouer directement avec son pédalier.

Peu importe au final que l’on soit familier ou non avec tout ou partie de la discographie du groupe : Aluk Todolo joue pour tout le monde et captive n’importe qui daigne plonger la pointe d'une oreille dans leur monde. Impressionnant.

 

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Merci à l'orga du Brutal Assault pour l'accueil sur le site !