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Album

14 juillet 2016 - S.

Sale Freux

Demain, dès l'aube...

LabelFrance d'Oïl Productions
styleBlack Metal
formatAlbum
paysFrance
sortiejanvier 2016
La note de
S.
8.5/10


S.

Depuis six ans, on peut dire que Sale Freux ne manque pas d’inspiration. Si ses premières réalisations présentaient une sonorité assez crue, sale, à l’ambiance résolument glauque, et à distribution plutôt clandestine, le projet incarné par Dunkel s’est révélé au grand jour en 2012 avec la sortie de « L’exil » chez la Mesnie Herlequin, en apportant au passage une amélioration notable sur le plan de la production, des compositions et également sur le travail vocal. Pour ce dernier point, c’est sans doute la marque de fabrique du bonhomme, éraillée au possible, croassante, exagérée diront certains, mais tellement froide et déchirante. On peut dire que depuis, Sale Freux a son propre style, son univers à lui, un Black Metal mélancolique de tout premier ordre, personnel, intègre et à l’esprit rural, loin de toute cette flopée de groupes de DSBM sans talent, insignifiants, qui fleurissent ci et là et fanent aussitôt, dans l’indifférence générale.

Ensuite, « Crèvecoeur » n’était venu que confirmer ce constat, en repoussant toujours plus loin la rancœur et l’amertume dans ses morceaux. Alors que Dunkel planchait sur un nouvel album, qui allait s’intituler « Adieu, vat ! », le corbac avait en réserve deux titres un peu différents, de par leur concept. Ils ne pouvaient figurer nulle part ailleurs, c’est pourquoi cet EP, dénommé « Demain, dès l’aube… » a vu le jour début 2016. En effet, si jusqu’à présent tous les textes de Sale Freux étaient le fruit de son géniteur, celui-ci a décidé d’emprunter deux poèmes français, pour en faire sa propre interprétation musicale. Evidemment, connaissant l’auteur, on peut s’attendre à quelque chose qui ne va pas respirer la joie de vivre.

Le premier choisi est l’œuvre de Victor Hugo, éponyme de l’album, « Demain, dès l’aube… ». L’air vagabond et plutôt désinvolte des premières secondes s’accorde avec les phrases bucoliques en apparence du poème, celui de cet individu traversant les campagnes, perdu dans ses pensées, à la rencontre d’un être cher. Une sorte d’amour apparemment idéal, terrassé par ces deux derniers vers, glaçants :

« Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur
»

Les lignes musicales se noircissent et les événements prennent une tournure toute autre, Dunkel va même prononcer par deux fois cette ultime strophe pour appuyer le côté dramatique, soutenu par ces mélodies atmosphériques, enveloppantes, toujours aussi tragiques, et cette guitare sèche dont les notes jaillissent telles des larmes. Ce texte, pourtant court, n’empêche pas d’avoir un morceau approchant les dix minutes, grâce aux longs instants instrumentaux, de quoi laisser l’auditeur se perdre dans ses songes, l’âme meurtrie par cet épilogue douloureux…

Cela ne va pas aller en s’arrangeant, puisque le second titre est un certain « L’isolement », de Lamartine. Contrairement au précédent, c’est une autre paire de manche que de s’attaquer à ce monument écrit par le poète du Lac, avec ses treize strophes, où celui-ci vide tout ce qu’il a dans le cœur et la tête après la mort de son amante, emportée par la maladie. La perte du goût de vivre, des choses qui lui sont chères. Un récit que là encore Dunkel va s’approprier avec brio pour le retranscrire en musique, en respectant fidèlement le texte jusqu’à prononcer les couplets soit un par un, soit deux à la suite, mais sans jamais les tronquer ni les répéter.

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! »

Ces litanies sont entrecoupées de passages instrumentaux, parfois longs, avec un rythme cadencé, linéaire, tel un homme errant sans but, comme ce fut vraisemblablement le cas de Lamartine, bouleversé par la disparition de sa bien-aimée. D’ailleurs, n’y voyez aucune technique dans la batterie, très répétitive et simpliste dans l’exécution, de même que les lignes de basse qui se contentent de donner du corps aux compositions. Non, l’intérêt de Sale Freux réside dans les parties vocales, emplies de rancune, d’aigreur, de vie, aussi paradoxal soit-il, et dans les guitares, aux sonorités et mélodies continuellement pessimistes, à la longueur accablante, dont le final nous renvoie à la pochette de cet EP, plongé dans l’isolement d’un troupeau quelque part dans un alpage pyrénéen, une soirée d’été, l’orage grondant…

Le défi était ambitieux et risqué, mais il faut reconnaître que Dunkel a su parfaitement bien traduire en musique l’esprit des poèmes de Hugo et Lamartine, en proposant des compositions certes répétitives, mais qui se dirigent droit aux tripes, comme à son habitude. Ceux qui n’aiment pas Sale Freux continueront à n’y voir aucun intérêt, tandis que ceux qui, comme moi, sont totalement absorbés par ce projet, y trouveront largement leur compte.

Tracklist :
1. Demain, dès l'aube...
2. L'isolement

 

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