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Raton et la bagarre #24

jeudi 16 novembre 2023
Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

Ne nous mentons pas, la rudesse du mois de novembre a cueilli la joie de vivre de beaucoup d'entre nous. L'insolence des jours chauds est passée et vous devez désormais empiler les longsleeves pour ne pas dépérir dans votre passoire énergétique. Comme l'État et cette vilaine engeance que sont les propriétaires lucratifs ne vont pas isoler vos fenêtres ni réduire votre loyer demain, il vous faut une solution de secours pour vous chauffer l'âme. Et quoi de mieux que le hardcore ?

Pour répondre à l'urgence, je vous sers une Bagarre XXL qui dégueule de recommandations, d'analyses et de parallèles douteux. Retrouvez donc 14 albums disséqués et une poignée d'autres conseils d'écoute, toujours dans la variété de ce que le hardcore a à proposer, de la grande foire aux neurones du beatdown à l'amère poésie du post-hardcore. Un shoutout particulier au label DAZE qui a cette fois placé pas moins de quatre albums dans la sélection.

Si vous voulez soutenir la Bagarre et le travail qu'elle représente, partagez l'article sur les réseaux, parlez-en autour de vous et abonnez-vous à la playlist ci-dessous pour être incollable sur le hardcore récent. Bonne lecture, coeur avec les doigts.

Pain of Truth | Dreamwell | Harm's Way | Magnitude | Sorcerer x Pencey Sloe | Year of the Knife | Feverchild | END | Bayway | A Mourning Star | Flooding | Víbora | Serration | Grove Street | Mentions bonus

 

Pain of Truth – Not Through Blood
NY metalcore / Beatdown – USA (DAZE)

Ça y est, les enfants terribles du beatdown new-yorkais sont de retour. Après un EP remarqué en 2020, mais que je trouvais un peu en deçà de leurs capacités, et un split moyen avec Age of Apocalypse, Pain of Truth vient régler ses comptes avec un premier LP dantesque. Le groupe ne fait pas semblant et a tout donné pour produire un album jalon dans son style. Dès les premières secondes de Not Through Blood, l'intention est établie avec le riff ultra groovy de « Lifeless on the Ground » sur lequel le nom du groupe est scandé, pour ce qui est peut-être une des meilleures intro dans le style.

La suite du disque maintient la barre avec une rigueur impressionnante. Toute la science de décennies de culture du hardcore new-yorkais a infusé pour produire ce beatdown métallique, vengeur, qui coche religieusement tous les prérequis de l'école. « Actin' Up » en est probablement le meilleur exemple. Le titre commence par un sample, du film Paul en l'occurrence, et enchaîne avec un riff que les anglophones qualifient de « beefy » en référence à la musculature et la texture des bovins. Ce riff évolue en une guitare vociférant un solo nerveux auquel succède la batterie claquante et l'inévitable chug de guitare. Le chant rappé débite un discours sur la loyauté et le prix à faire payer aux traîtres, puis le breakdown débarque, aussi brutal que possible, et le chant extraordinaire de lourdeur de Steve Buhl de 200 Stab Wounds, avant de passer par l'obligatoire gang vocal : le cahier des charges est rempli en moins de 2 minutes 30. Chaque morceau contient au moins un riff (celui de « Same Old Story »), un break ou une ligne vocale de qualité tout en évitant soigneusement de faire dans le pastiche lourdaud.

La particularité du disque tient aussi dans sa tracklist avec un seul morceau sur onze sans invités. En multipliant les guests, il parvient à tirer ce trait entre les différentes générations du beatdown. D'une part, l'ancienne génération, toujours active, avec Scott Vogel de Terror et Freddy de Madball. Au milieu, ceux qui y ont impulsé une nouvelle dynamique dans les années 2010 avec Justice Tripp de Trapped Under Ice, Brendan Garrone d'Incendiary et Shane Moran de Bad Seed. Et enfin, une frange diverse de la scène actuelle avec Anthony DiDio de Vein.fm, Steve Buhl de 200 Stab Wounds, Jay Petagine de Mindforce ou Corin Gillespie de Last Wishes pour le quota britannique. Pour finir le bingo, notons aussi la présence de Austin Sparkman de Buried Dreams et aussi très présent dans la scène Oi!, de Josiah Hoeflinger de Criminal Instinct et celle, beaucoup plus surprenante de Vinnie Caruana, le chanteur du groupe de pop punk The Movielife, populaire dans le début des années 2000. Avec ce disque, le beatdown moderne se donne son album totem, son testament all-star, bourré ras-la-tronche de tous les gimmicks qui le font et de tous les acteurs qui le portent ou l'ont porté.

 

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Dreamwell – In My Saddest Dreams, I Am Beside You
Screamo / Post-hardcore – USA (Prosthetic)

 

Ce n'est pas la première fois que je m'apprête à vous bassiner avec Dreamwell. Rappelez-vous le numéro 9 où j'ai confessé mon amour pour leur précédent LP, Modern Grotesque, ou encore la dernière émission Horns Up où je présentais le single « All Towers Drawn in the Equatorial Room ». Le groupe de la côte Est produit un post-hardcore ultra chiadé, pétri de belles références et d'une sensibilité émotive rare et il est pour moi l'une des relèves de la nouvelle scène screamo internationale.

Le premier constat à l'écoute de In My Saddest Dreams, I Am Beside You est l'immense talent du groupe pour créer des synergies entre des styles divers et une palette extrêmement variée d'émotions. « Good Reasons to Freeze to Death » et globalement le début du disque évolue dans une ambiance emo, plus nostalgique et lumineuse. « Lord Have MRSA on My Soul » entame un shift vers quelque chose de beaucoup plus metalcore grondant, noir et dissonant, qui culmine avec le break menaçant de « All Towers... ». Mais on trouve aussi au gré des morceaux, des touches post-rock (« Reverberations of a Sickly Wound »), du mathcore pressant (« Body Fountain ») ou des instrumentations noise qui m'ont parfois rappelé Daughters («  Blighttown Type Beat »).

On reconnaît clairement le Dreamwell passé mais il y a une plus grande impétuosité sur ce disque et une volonté de ne pas rester plus de deux morceaux de suite sur les mêmes dynamiques. Ce sera peut-être la faiblesse de l'album pour certain·e·s, car il peine en effet à maintenir un cap et peut décontenancer par sa construction aventureuse mais parfois brouillonne. Néanmoins, chaque segment est maîtrisé et charrie avec lui une pagaille de fulgurances de composition, dans les arpèges, les placements vocaux prodigieux de Keziah Staska, ou les arrangements foisonnants.

Mais ce qui me plaît surtout, c'est que Dreamwell ne ressemble qu'à lui-même et qu'il créé à l'aide du connu parmi le meilleur screamo actuel. Cet album a beau me parler un peu moins que le précédent, probablement car il contient moins de moments accrocheurs, préférant la construction d'atmosphères et de dynamiques particulières (particulièrement sur le diptyque final), il est un brillant témoignage de ce que sait faire le hardcore émotif aujourd'hui.

 

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Harm's Way – Common Suffering
Metalcore – USA (Metal Blade)

Alors que Harm's Way avait contribué à façonner un pan du hardcore moderne avec la bourrasque qu'était Posthuman en 2018, ça faisait cinq ans qu'on attendait patiemment un retour des cadors du metalcore aux relents indus. Et voilà que débarque Common Suffering avec trois singles intrigants : le sympathique mais pas révolutionnaire « Silent Wolf », le redoutable et très Posthuman « Devour », et surtout le featuring avec King Woman, « Undertow ». J'aime beaucoup le groupe de doom / post-metal californien mais sa présence sur un album de metalcore bas du front est surprenante.

Dans l'ensemble, c'est d'ailleurs le seul morceau qui émerge vraiment du lot. Il y a du bon dans le reste, bien sûr, mais tout tend à se ressembler là où Posthuman avait plus de titres reconnaissables (« Become a Machine », « Call My Name » ou « Human Carrying Capacity »). La production très ample mais assez impersonnelle ne fait qu'amplifier ce sentiment. Notons malgré tout la présence de deux morceaux plus atmosphériques avec « Undertow » et le final sur « Wanderer » ; des compositions qui varient le ton mais qui n'atteignent pas tout à fait leur cible. De manière générale, on sent une volonté de renouveler un minimum l'instrumentation, en abandonnant notamment les gros breaks bien bêtes. Du côté du chant, James Pligge laisse parfois le micro à un autre membre (« Hollow Cry »), mais dont le chant est bien plus poussé, moins pertinent et organique.

Common Suffering n'est en aucun cas un mauvais album, son écoute est même agréable, mais après cinq ans d'absence on était en droit d'attendre davantage qu'un Posthuman bis en moins impactant.

 

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Magnitude – Of Days Renewed...
Metalcore / Hardcore – USA (Triple B)

Magnitude est aujourd'hui LE groupe qui maintient la tradition du hardcore straight edge dans ses codes les plus purs : un hardcore mid-tempo, métallique sans être trop abrasif, une batterie souvent en skank beat et beaucoup, beaucoup de breaks fédérateurs. Dans toute la scène actuelle, c'est indéniablement Magnitude qui renoue avec le hardcore à hymnes qui se hurle en paquet agglutiné autour du micro dans une salle moite ; qualité renforcée par la voix écorchée extrêmement reconnaissable de Russell Bussey.

Of Days Renewed... ne vient pas démentir la réputation des Nord-Caroliniens et enchaîne les morceaux forts sans faiblir pendant les 19 minutes qui le composent. Chaque titre contient son riff ou son refrain marquant sur fond de mid-tempo et complète l'arsenal du groupe pour le live, exercice auquel il excelle (je garde encore un souvenir émerveillé de leurs deux passages sur Paris en 2022). À chaque réécoute, je m'arrête sur un nouveau titre, que ce soit la fin incroyable de « Beyond Despair » qu'on image déjà hurlée en coeur, le tourmenté et très Indecision-esque « Built on Lies » (dont on pardonnera le fade out très amateur), la basse sur « Through Trials », ou l'incandescent final, éponyme, traditionnellement plus long et intense et qui fait au moins aussi bien que son homologue sur l'album précédent, le stellaire « To Whatever Fateful End ».

L'album est une usine à riffs et on reconnaît d'ailleurs le travail d'Anthony Burke, aussi aux manettes des non moins bons Envision, Seed of Pain et surtout des cultissimes feu-xElegyx. Ce n'est pas le seul proche de la scène floridienne à avoir rejoint l'écurie Magnitude car Alex Cejas, actuel bassiste, fait partie des mêmes groupes et était aussi dans feu-Ecostrike, tout comme Matt Kalbaugh, le guitariste fondateur. A noter également que la majorité des membres de Magnitude sont aussi dans le prometteur projet Search for Purpose, plus mélodique / vieil emo à la One Step Closer. Une concentration particulière de talents qui permet à ce second LP de ne pas avoir besoin de 40 minutes pour briller et proposer ce que le genre (et le straight edge) fait de mieux aujourd'hui.

 

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Sorcerer x Pencey Sloe – Strangers
Hardcore / Shoegaze – France (Delivrance)

Seulement celles et ceux qui ont une connaissance experte de la scène parisienne savaient qu'il n'était pas illogique de s'attendre à un split Sorcerer / Pencey Sloe. Pourtant, les groupes produisent des musiques extrêmement différentes, du hardcore métallique pour les premiers et du shoegaze / dream pop pour les seconds. Toutefois, ils partagent une approche exigeante de leur musique, une sensibilité artistique commune et surtout une proximité entre certains de leurs membres.

L'EP fait trois titres, un pour chaque groupe et un titre collaboratif. Le morceau de Sorcerer témoigne d'un léger virage vers un metalcore qui garde sa hargne mais qui essaie aussi davantage de choses dans son atmosphère. Le refrain est plus lumineux qu'à l'accoutumée, avec des paroles introspectives intéressantes, même si le sérieux break qui suit rappelle l'intention agressive du groupe. Quant au titre de Pencey Sloe, il s'éloigne du shoegaze habituel pour une dream pop éthérée, avec un talent évident pour l'onirisme.

Mais c'est le titre central partagé qui constitue clairement la clé de voûte du disque. Avec une maturité et une finesse qui m'ont estomaqué, Sorcerer s'adapte au style éthéré de Pencey Sloe tout en gardant des guitares crachotantes et le chant saturé lointain de Dom. L'énergie est sans cesse contenue sans pour autant tomber dans la léthargie, les rênes sont tenues avec habileté et le refrain est un tour de force qui transcende les styles respectifs des deux projets.

 

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Year of the Knife – No Love Lost
Metalcore (avec morceaux de death metal) – USA (Pure Noise)

Ça ne vous aura pas échappé, l'actualité de Year of the Knife n'est pas limitée à la sortie de ce deuxième LP. Le groupe américain a subi en juin dernier un grave accident de la route qui a blessé tous ses  membres et qui a surtout laissé la chanteuse Madi dans un état grave. Placée dans un coma artificiel, elle s'est heureusement remise de ses blessures et a pu quitter l'hôpital récemment. Son séjour hospitalier ayant été long et les Etats Unis ayant découvert les armes automatiques Hello Kitty avant la sécurité sociale, les proches du groupe font face à d'énormes dettes. Leur GoFundMe a été un succès et a récolté plus de 250 000$ et Pure Noise a décidé de reverser tous les bénéfices de cet album au groupe. Et comme il est vraiment bon, je vous double-invite à aller l'acheter si vous pouvez.

Cet album, évidemment enregistré avant l'accident, est le premier long format avec Madi au chant, après le départ de Tyler Mullen (la chronique du premier LP est toujours disponible) pour d'autres groupes, notamment Gridiron. Year of the Knife avait publié un EP en 2022 avec le nouveau line-up qui promettait beaucoup de belles choses. Des promesses mises à exécution car No Love Lost est un concentré d'efficacité acide et congestionnée.

Le travail sur le tone de guitare a été encore accentué, permettant à leur metalcore de se rapprocher toujours davantage du death metal qu'ils aiment à référencer depuis leurs débuts (omniprésent dans les riffs et les plans de batterie). Le mix est d'ailleurs vraiment excellent avec un son de batterie clair et tranchant et une basse ventripotente. Pas étonnant quand on sait que c'est Kurt Ballou qui a produit l'album. Les 20 minutes de No Love Lost sont finement rythmées avec une succession de bons riffs, des breaks vraiment puissants ( le très stompy de « Mourning the Living » ou la déflagration de « Heaven Denied ») et même des bleghs lâchés occasionnellement par Madi. Étonnament, ce sont les deux feats que j'ai trouvés les moins pertinents, celui avec Devin Swank de Sanguisugabogg sur « Wish » et celui avec Dylan Walker de Full of Hell sur « Last Laugh ».

 

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Feverchild – Altering a Memory
Midwest emo – Belgique (Sunday Drive)

Le beau travail des Belges de Feverchild était déjà passé au crible de la Bagarre, dans le numéro 11 et dans un joli live-report signé Hugo. Le groupe de Gand a beau être jeune, il est composé de musiciens habitués des scènes hardcore (Minded Fury et Animal Club notamment) et pour qui Feverchild est un projet composé en hommage à la scène midwest emo de la fin des années 90. Pour céder au name dropping, « City of Flowers », le premier morceau du disque hors intro, rappelle d'emblée la finesse de Texas Is the Reason, tandis que le morceau titre me fait plus penser à la première époque de Thursday, et que « Witching Hour » renvoie plutôt à Sunny Day Real Estate.

Mais Feverchild est plus que l'émulation d'une scène révolue. C'est un vrai talent d'écriture déployé au service de la nostalgie et de la contemplation adolescente. C'est un clin d'oeil appuyé à une autre décennie pour montrer que ces arpèges et cette langueur poétique ne sont pas la propriété exclusive d'une jeunesse située et passée, et que ce spleen est une expression musicale légitime, même en 2023 et à 8000km du Midwest. C'est rare d'avoir un tel talent à nos portes et dans ce style en particulier, donc streamez Altering a Memory de toute urgence.

 

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END – The Sin of Human Frailty
Metalcore – USA (Closed Casket)

Les gourmets et gourmettes du hardcore sombre ont de quoi se réjouir. Le supergroupe END maintient un rythme assidu malgré les carrières remplies de ses membres : Brendan Murphy (chant) est aussi dans Counterparts, Will Putney (guitare) en plus de ses missions d'ingé son prestigieux officie également dans Fit for an Autopsy et Better Lovers, Greg Thomas (deuxième guitare) est aussi un producteur actif et ex-Misery Signals et Jay Pepito (basse) était aux commandes de Reign Supreme. À cette joyeuse troupe s'ajoute un nouveau batteur, Matt Guglielmo, actuellement dans The Acacia Strain, et aussi producteur et ingé son de renom dans la scène.

Ce deuxième long-format poursuit l'exploration d'un metalcore aux confins de la noirceur, avec de la dissonance et nombre de breaks assassins et fracturés. Les 30 minutes du disque sont sombres et âcres et on sent directement que trois membres sur cinq sont ingé son car rien n'est laissé au hasard de ce côté avec un son ample et menaçant. Plus on progresse dans la tracklist, plus les morceaux sont effrayants et vicieux, comme sur l'infernale doublette « Hollow Urn » et « Infest ». On note toutefois des influences un peu plus variées que sur les précédentes sorties, notamment apportées par les featurings. « Thaw » apporte des touches plus industrielles, dans un esprit Godflesh et voit l'intervention de l'incroyable Debbie Gough, chanteuse de Heriot, avec son chant saturé perçant. « Worthless Is the Lamb », avec les éructations de Dylan Walker de Full of Hell, a des intonations plus black metal. Quant à « Twice Devoured Kill », la présence de J.R. Hayes, chanteur de Pig Destroyer, apporte naturellement une pression grindcore.

END conserve toutefois toute l'hostilité et le grondement qui le caractérisent. Les breaks bénéficient toujours de cette urgence impétueuse, comme sur « Gaping Wounds of Earth » ou « Leper ». Ce disque continue également à prouver l'immense talent vocal de Brendan Murphy qui, on le rappelle, fait un travail radicalement différent dans Counterparts. Compact et mordant, The Sin of Human Frailty est encore une fois un album réussi qui respire la maturité et le soin.

 

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Bayway – World of Bayway: Volume 2
Beatdown – USA (DAZE)

Vous devez être nombreux·ses à savoir à quel point c'est rare aujourd'hui de s'enthousiasmer comme un enfant à la sortie d'un album. On a bien sûr tous et toutes nos artistes de coeur dont on attend les nouvelles sorties religieusement, mais je parle plutôt des albums qui vous saisissent d'un entrain adolescent spontané sans prévenir. Pour moi, et jugez-moi autant que vous voulez, ça a été le cas avec Bayway, groupe de beatdown du New Jersey. Pendant une session d'écoute de démos, je suis tombé sur le deuxième EP du groupe et j'ai pris un plaisir monstre à l'écoute de ces quatre titres ultra agressifs et bas du plafond.

Imaginez donc l'entrain avec lequel j'ai accueilli l'annonce d'un premier album. Je n'ai pas instantanément vu que sur les 12 morceaux, 7 provenaient des deux premiers EP. Ils ont beau être délicieux, c'est décevant de s'apercevoir qu'on ne pourra se satisfaire que de cinq nouveaux titres. Dommage car Bayway est une valeur montante du beatdown, dans un registre très similaire de celui de Gridiron ou Pain of Truth, avec beaucoup de références à E-Town Concrete (le chanteur est même invité sur « Stretchin tha Truth »). Le groupe reprend le style dans son acceptation début 2000 avec des références urbaines bien plus poussées et un chant rappé beaucoup plus présent. Dans la continuité de l'hommage à la scène de l'époque, Bayway invite même le chanteur de Fury of Five, vieux groupe de beatdown assez culte, sur « God Forgive Me ».

Le souci reste l'inconstance du disque. Les nouveaux titres, notamment le rouleau-compresseur qu'est « Face 2 Face », sont efficaces et les guests sont amusants ; les deux morceaux du deuxième EP figurent parmi les grands moments de l'album ; mais le premier EP a une direction bien plus metalcore que ce qui lui a succédé et l'enchaînement ne se fait pas avec une grande fluidité. Le caractère patchwork de cet LP se ressent nettement sur de nombreux segments, et il lui fait grandement perdre en force de frappe. On reste attentif pour la suite.

 

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A Mourning Star – A Reminder of the Wound Unhealed
Metalcore mélodique – Canada (DAZE)

Décidément, 2022 et 2023 auront marqué le retour en grâce du metalcore mélodique comme il était fait au milieu des années 2000. Ce revival est porté quasi exclusivement par les écuries Ephyra (Balmora, Since My Beloved, xNomadx, Razel Got Her Wings) et DAZE (Foreign Hands, Adrienne, View From the Soyuz), même si son plus grand succès reste Dying Wish (SharpTone Records). Originaires de Vancouver, A Mourning Star poursuivent la même démarche que leurs homologues, en peut-être encore davantage mélodique.

Les Canadiens émulent avec passion et maturité le son développé par Undying ou même Killswitch Engage au début des années 2000. Celui d'un metalcore épris de death metal mélodique, bardé de mélodies épiques et lancinantes et avec une sensibilité émotive sous-jacente. Ils revendiquent d'ailleurs également une influence de la vague metalcore émotif à la Poison the Well et 7 Angels 7 Plagues, dont on peut en effet retrouver les traces dans les quelques passages en voix claire ou spoken word (« Would It Be Easier If My Flesh Tangled Through This Blade », dont le nom était déjà un gros indice ou « Encased in Crystalline »). Parfois, c'est même un peu kitschos comme les voix claires sur « Corruption » qui manquent de justesse. Malgré tout ça, je ne m'attendais pas au final sur « Vilomah » avec un solo flamboyant d'une maîtrise rarissime dans le revival actuel.

La version Bandcamp donne l'illusion d'un album, mais ne vous y trompez pas, c'est bien un EP. DAZE a accolé aux six nouveaux morceaux, les deux singles sortis en 2022 et le premier EP sorti la même année. Ça aurait pu être une bonne idée d'inclure les deux singles sur les plateformes de streaming, car « A World Beyond » est peut-être le morceau le plus efficace de la discographie du groupe et « Avatar of Darkness » une excellente synthèse de toutes leurs influences. Quoiqu'il en soit, écoutez sur Bandcamp, la qualité audio y est mille fois meilleure.

 

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Flooding – Silhouette Machine
Slowcore / Post-hardcore – USA (auto-prod)

Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas présenté un disque qui sortait des sentiers classiques du hardcore dans sa définition générale. Celui qui a retenu mon attention lors des deux derniers mois est le deuxième LP de Flooding, Silhouette Machine. Le groupe du Kansas procède à un mélange très curieux entre la douceur anesthésiée du slowcore, ce style de rock indépendant minimaliste et introspectif, et la fureur impudique du post-hardcore. Imaginez d'un côté les arpèges mélancoliques de Low et de l'autre les riffs tumultueux et le chant écorché de Foxtails. Ce ne sont pas les premiers à s'y essayer, il y a trois ans le premier LP de Sprain était déjà dans une démarche similaire et à la fin des années 90 les Californiens de lowercase adoptaient déjà un style proche. Même en France, Cosse n'en est pas si loin.

Ce qui est intéressant c'est que les deux genres convoquent des sentiments très différents, l'apaisement pour le slowcore et l'urgence anxieuse pour le post-hardcore. Pourtant, sur cet album, les deux virevoltent élégamment ensemble, liés notamment par la voix expressive de la chanteuse Rose Brown. De plus, chaque morceau explore une façon différente de mêler les genres. Sur « Slit » et « Negative Space », on retrouve une démarche beaucoup plus atmosphétique, confinant même au post-. Sur « Monolith Girl », le riff de basse au début du morceau renvoie directement à la frontalité primaire de Slint. Et « Run » développe des influences beaucoup plus noise rock. Silhouette Machine est un disque fascinant, à écouter avec attention et à accompagner de balades à la tombée du jour.

 

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Víbora – Zaldi beltza
Screamo – Espagne (Zegema Beach / Through Love)

Je sais que je ne parle pas à une majorité d'entre vous, mais je suis confiant qu'il y a des fans de screamo sud-européen qui lisent ces lignes. Les scènes espagnoles et italiennes sont parmi les plus intéressantes du screamo actuel et ce n'est pas Vibora qui va venir me donner tort. Les Basques viennent de révéler un deuxième album à la qualité saisissante, créatif et évocateur. Loin du screamo contemplatif aux reflets post-rock, Vibora poursuit le screamo vengeur de Drei Affen et de la scène italienne (Raein, Radura) en y intégrant une dissonance hardcore (notamment explorée sur leur split avec Crossed). Le morceau « Ez Ziguten Maitatzen Irakatsi » passe même complètement la frontière entre les deux styles, avec un hardcore mid-tempo aux yeux révulsés et à l'énergie Convergienne. Le dernier morceau « Otsaila.Bilbo » se permet même un break soudain mais de très bon goût et qui évolue naturellement dans une éruption screamo de toute beauté.

 

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Serration – Simulations of Hell
Metalcore – Canada (DAZE)

Serration a beau ne pas faire partie des noms principaux de la scène metalcore, les Canadiens sont loin d'être inconnus. Déjà parce qu'ils partagent des membres avec les iconiques Mortality Rate et que la chanteuse de ces derniers tient World of Pleasure avec Colter James, batteur de Serration ; et aussi parce qu'ils ont participé à deux excellents splits, le premier avec Dying Wish et le second avec A Mourning Star. Leur premier album représentait donc naturellement une belle attente pour les fans du style.

Alors que les Canadiens évoluaient davantage dans le metalcore collant, pas si loin de Knocked Loose période A Different Kind of Blue, cet album les fait prendre une direction bien plus metalcore chaotique avec panic chords (« A Suicide Note in Midi Format ») et drops de basse (« Chaos Daemon »). Les influences scene sont aussi bien plus visibles, comme avec le chouette riff syncopé bien période MySpace sur « Shroud of Gnarled Tongues » ou la présence du chant clair de Emma Boster (Dying Wish) sur « A Suicide Note in Midi Format ». Côté feat, on a aussi le plaisir de retrouver une apparition de Sanction sur « Altar of Guilt ».

Toutefois, l'album enchaîne beaucoup ses phases chaotiques avec des samples (notamment celui très Bioshock Infinite à la fin de « Shroud of Gnarled Tongues ») et des interludes de guitare acoustique ou de piano. Loin de moi l'idée de refuser les pauses dans la violence, mais quand l'album ne dure qu'un peu plus de 13 minutes, ces effets diluent vite le propos initial. Si on retire la durée des samples, interludes, intros et outros (quasiment trois minutes), on se retrouve avec seulement 10:30 de contenu bagarreur. En ressort un côté parfois brouillon et souvent inégal dans le sens où les morceaux sont très courts et semblent à peine exploiter une idée avant de passer à la suite. Pourtant des bonnes idées, l'album en contient son lot, de l'excellent son de batterie, bien claquant sur la caisse claire, aux breaks haineusement efficaces (le morceau titre). L'album manque cruellement d'élan et c'est dommage car Serration avait les capacités de produire quelque chose de bien plus consistant.

 

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Grove Street – The Path to Righteousness
Thrash crossover / Metalcore – Angleterre (UNFD)

Il semblerait qu'un nouveau concurrent s'avance dans l'arène du revival thrash crossover. Cette rubrique n'y est pas étrangère car j'y ai disséqué pour vous les derniers Mindforce, Drain, Cold Steel, Spritiworld ou Doomsday. Cette fois le candidat est anglais, s'appelle Grove Street (en référence au quartier central de GTA San Andreas) et nous vient de Southampton.

Des synthés menaçants nous accueillent sur « Regressing Forward », solide intro qui propose un vrai build-up. Le crossover de Grove Street est assez scolaire, quelque part entre leurs homologues de Guilt Trip, Drain et Ekulu (dans l'évidente filiation avec Cro-Mags), mais sait toujours varier subtilement sa recette pour assurer la fluidité et le plaisir de ses 35 minutes. Les Anglais sont malins et savent abuser des bonnes choses comme des chugs bien croustillants (« Caught Slippin », « The Path to Righteousness » ou « Born II Lose ») et maintiennent une copieuse dose de groove (« Lessons of the Past »), voire des riffs groove metal sur « Shift ». Je regrette en revanche un mix trop compressé qui ne fait pas respirer les compositions autant que souhaité et qui restreint l'ampleur des breaks, pourtant bien baveux. Certains morceaux auraient aussi pu être raccourcis, s'étirant parfois un peu plus que nécessaire. Mais ça n'empêche pas Grove Street de produire un premier album plus que satisfaisant qui a ses moments, comme sur le conclusif « Cycle of Grief » avec son guest vocal dément qui semble être un membre de leur équipe technique, et l'impétueux solo final. Rien de très nouveau sous le soleil, mais sa chaleur impertinente suffit amplement.

 

 

Insatiables fanatiques que vous êtes, n'êtes vous donc jamais satisfaits·es ? Alors prenez ces quelques autres disques, recommandés ou non, mais écoutés à la sueur de Bandcamp : 

  • Earth Crisis a sorti un nouvel album... ah non c'est le premier LP de Broken Vow. Même tambouille, différente assiette. Un metalcore robuste, très bien composé et qui sent les fumigènes et la sueur sous les débardeurs. C'est surtout un énorme step up par rapport à leur premier EP en matière d'ambition et de force de composition. C'est aussi le cas pour la voix du chanteur, complètement possédée sur « 1.5 », sans oublier le feat incroyable de Jess Nyx (Mortality Rate, World of Pleasure) sur « Propaganda of the Deed ».

  • Ingrown, le très bon projet de hardcore radical d'Idaho, a publié un deux titres chez Closed Casket. On reste en terrain connu avec un hardcore métallique et furibond, balancé à toute berzingue et avec une fureur grind (surtout sur le premier morceau, «Cold Steel »). De la musique d'australopithèque bien faite.

  • Les Anglais de Guilt Trip viennent de sortir un nouvel album qui les voit s'éloigner du metalcore crossover de leurs débuts pour évoluer vers quelque chose de beaucoup plus grand public avec un metalcore moderne gonflé au groove metal, à la manière de Judiciary ou Malevolence. Ils incorporent même des petits refrains en chant clair (« Broken Wings » ou « Hell Will Replace the Rain ») qui me rappelle ce que fait Boundaries récemment, mais en moins bien. C'est globalement d'assez mauvais goût (la balade finale « Dusk ») mais amusant, avec des breaks bien bêtes (« Tearing Your Life Away ») et des featurings efficaces, comme celui de Florent de Landmvrks.

  • En Angleterre toujours, Svalbard vient de publier son quatrième albumThe Weight of the Mask. J'adorerais être un fan du groupe car leur proposition artistique est singulière, et que j'aime ses  prises de parole et le charisme de sa chanteuse Serena Cherry, mais je me retrouve incapable d'apprécier l'ajout de post-black lumineux au post-hardcore originel. Je trouve ça mielleux et inoffensif et je n'arrive pas à retrouver l'urgence et le danger des deux styles.

  • Deadset, groupe de Tampa en Floride, vient de sortir son premier EP de metalcore aux poings serrés, frontal et pessimiste, interprété au poil de derche. On y sent surtout la noirceur et la densité de la scène metalcore européenne début 2000 et notamment du H8000 belge. « Through the Smiles & Tears » est pour moi le titre du disque et son break est fabuleux. Pas compliqué à deviner, c'est sorti chez DAZE. 

  • J'avais vraiment bien aimé le premier album de Capra, à mi-chemin entre hardcore et metalcore, avec un chant féminin habité. Manque de pot, leur deuxième album m'apparaît comme complètement désincarné et générique. Il y avait beaucoup de potentiel et pourtant les dix morceaux sont passés sans étincelle, la faute notamment à un mix d'une platitude criminelle et à des riffs sans vie.

  • Vous saviez peut-être que Josh Scogin, le premier chanteur de Norma Jean puis frontman de The Chariot, est désormais dans un groupe de noise rock / post-hardcore appelé '68. D'une qualité variable, les compositions du groupe ont l'immense mérite de voir Josh Scogin essayer tout un tas de choses dans une démarche garage bien crue. Leur quatrième et dernier album en date, Yes, and... ne déroge pas à la règle et contient de très solides pistes (« Let's Be Friends » ou le très Jack White « Removed Their Hats »).

  • Ah! Et la chronique du Code Orange arrive dans quelques jours.