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Raton et la bagarre #6

mardi 6 octobre 2020
Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

Le mois est frais, la sélection est chaude : bienvenue dans le sixième épisode de Raton et la bagarre, votre rendez-vous bimensuel pour les nouvelles sorties hardcore !

Alors qu'on s'apprête à fêter la première année de ce format, les mois d'août et septembre accusent une baisse de régime claire. Il faut avouer qu'après le déluge de sorties excitantes sur juin et juillet, il était difficile de maintenir le même niveau d'exigence. On retourne donc à un format plus digeste avec 8 disques ; une sélection variée et curieuse qui satisfera autant les amateurs et amatrices de mélodies accrocheuses que les bagarreur.se.s old school. On se permettra même un petit interlude beatdown belge pour bien s'abêtir comme il faut et on finira avec le retour des curiosités avec deux disques uniques et qu'il me tarde de vous présenter.

Bonne lecture !

 

Year of the Knife – Internal Incarceration
Metalcore / Edge metal – USA (Pure Noise Records)

Si vous suivez l'actualité hardcore, vous avez eu du mal à louper Year of the Knife en 2019. La sortie de leur compilation "Ultimate Aggression", regroupant leurs deux EPs de 2017 et 2018, avait fait grand bruit et avait placé le groupe en haut des listes d'attente pour leur premier long format. Il faut dire que les Américains ne font pas dans la dentelle : straight edge affirmés, ils remettent au goût du jour les sonorités qui ont fait les grandes heures de la Belgique et la scène de Cleveland et qui, aujourd'hui, se retrouvent sous la désignation générale de "edge metal" (même si la scène belge préfère l'appellation H8000). Le edge metal regroupe ces groupes, de Integrity à Congress, qui poussent le metalcore à un nouveau niveau de proximité avec le metal extrême, en gonflant notamment les compositions de riffs empruntés au thrash ou au death metal.
Et Year of the Knife ne va pas faire les choses à moitié avec des gros riffs à la Slayer, un mixage ultra dense et opaque, et une utilisation abusive de la pédale HM-2 pour un son "crounch crounch" optimal. Mais vous imaginez également que si on parle de metalcore touffu, on n'est jamais loin des piliers de Victory Records, Earth Crisis et Strife en tête.

Donc si vous visualisez à peu près cette nébuleuse du metalcore extrême, représentez-vous Year of the Knife à peu près au milieu du bazar, synthétisant des influences diverses mais toujours aussi bourrines.
Et l'album, du haut de ses 31 minutes, est une tornade de plomb, impatiente et implacable. Les morceaux s'enchaînent sans se préoccuper des variations, des crescendos ou des ciselages d'ambiance. Chaque titre est un camion lancé à pleine vitesse qui ne s'attache à aucun code du hardcore lourd comme il s'est défini ces 15 dernières années : ni délires beatdown, ni breaks jouant la compétition de lenteur, ni ponts pour se la jouer tough, ni "blergh" deathcore. Juste une lourdeur décadente de fin du monde, sans oxygène et sans la moindre pause salvatrice. Bon courage.

 

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Misery Signals – Ultraviolet
Metalcore mélodique – USA (Basick / auto-prod)

Décidément, ces deux mois ont vu des grosses sorties metalcore et dont Misery Signals est sûrement la principale. Le groupe majeur du metalcore mélodique qui n'a jamais cédé aux sirènes de l'easy-listening, sort son premier album en 7 ans et 12 ans après leur magnum opus "Controller". Après tant d'années où les groupes de metalcore mélodique se sont enchaînés inlassablement sans véritable plus-value, il faut avouer que Misery Signals vient remettre les pendules à l'heure et montrer comment on compose des bangers mélodiques, épiques mais aussi largement progressifs.

Si je dois encore confesser le peu d'amour que je porte à cette scène où les leads entraînants se conjuguent à des influences melodeath prégnantes, je dois également reconnaître le talent de composition des Américains. J'en prends pour exemple l'enchaînement "Redemption Key" / "Cascade Locks" qui prouve que le groupe maîtrise autant les registres clairs et saturés mais surtout les changements d'intensité. Même le frontal "Sunlifter" et son break syncopé un brin cliché se rattrape habilement avec une instrumentation lumineuse et accrocheuse.
Les fans de Parkway Drive ou August Burns Red seront aux anges.

 

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Change – Closer Still
Hardcore – USA (React! Records)

Décidément, quelle époque pour le revival du hardcore straight edge. Le label React! en avait déjà fait sa spécialité et voilà que le fondateur du label, Aram Arslanian (Betrayed, Champion, The First Step ou encore The Vows), prend le micro et publie le premier album de Change.
Si la pochette ne vous l'avait déjà pas suggéré, on est en plein territoire old school (c'est souvent très réminiscent de SS Decontrol pour n'en citer qu'un). Pas de breaks de forain, pas de leads chaotiques, mais un bon vieux hardcore urgent, ronflant et amer.
Mais le groupe ne tombe pas non plus dans le pastiche facile et s'échine à proposer un disque de 20 minutes foisonnant et rempli de plein d'idées de composition (en tête l'excellent passage dub sur "Beyond") ainsi qu'une basse ronflante et groovy qui parcourt l'album (même si elle marque particulièrement l'enchaînement "Unexpressed" / "Response").

Le groupe ne cache pas son militantisme anti-discriminations, son pacifisme ("My response is peace, not war / I won't add more aggression to this world") et bien sûr son véganisme ("see how fast our ideals fold / When they're in the way of what we think we're owed") et son adhésion au straight edge ("Drugs and booze won't waste my time / Smokes and pills I'll step aside"). Et ça fait du bien dans une scène qui joue souvent à la course à la testostérone et à la débilité du mosh, d'avoir un groupe qui s'engage et promeut des valeurs apaisées, de la compassion ("Balance") à la remise en question ("Change").

 

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Binary – Fall From Grace Face Down
Metalcore / MySpace-core – USA (auto-prod / Wretched Records)

J'ai beau essayer de suivre avec assiduité l'actualité de la scène metalcore américaine, il y a une micro-scène en particulier qui m'intéresse particulièrement et qui a échappé à mon radar ces dernières semaines.
Cette tendance que je vais volontiers qualifier de revival MySpace-core se réapproprie le metalcore chaotique et hurlant si populaire au temps de MySpace et lui insuffle une énergie contemporaine démentielle. Si les grands parrains du style sont SeeYouSpaceCowboy et leur mathcore sassy et dissonant, on trouve également dans leur entourage les autres groupes principaux : Wristmeetrazor, Letters to Catalonia (dont je vous ordonne l'écoute immédiate) et également Binary. Le groupe, basé à Philadelphie, avait déjà eu la brillante idée en 2018 de mélanger emoviolence et mathcore dans le brûlot "Commit More Arson". Après un EP en 2019 qui continuait sur la même lancée, le groupe décide de publier son dernier EP avant de se séparer. "Fall From Grace Face Down" est donc l'ultime effort des kids pennsylvaniens et conclut leur identité sonore impressionnante avec une énergie hystérique au beau milieu du metalcore, du screamo et du mathcore.
Pas une pause, pas une respiration, juste une longue déflagration chaotique et à l'amplitude effrayante. Cette sensation suffocante est renforcée par la place donnée à des basses graves qui agissent comme un subwoofer metalcore.
Une véritable claque qui fait vite regretter d'avoir découvert ce groupe trop tard, sentiment que vous ne connaissez malheureusement que trop bien si vous vous épanouissez dans les sphères hardcore. RIP Binary et merci pour le bruit.

 

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Fit for a King – The Path
Metalcore mélodique – USA (Solid State)

Décidément, je vous aurais plus que jamais parlé de metalcore mélodique dans cet épisode. On fête donc le retour des chrétiens texans de Fit for a King avec "The Path", deux ans après "Dark Skies", déjà loin de faire partie du bas de la pile du genre.
Si j'indique à qui veut l'entendre que cette frange là du genre tend à me fatiguer quand elle ne me désintéresse pas complètement, j'assume volontiers avoir été emporté par l'efficacité frontale du single "Annihilation", publié fin août par Solid State Records. Cette catchline sur "Rebuild. Redemption. Welcome annihilation" m'avait complètement emporté et m'avait fait espérer pour le disque.
Sans vouloir écouter les autres singles, j'ai entamé l'écoute et ai très vite déchanté avec le sirupeux "Breaking the Mirror" qui après deux minutes de voix claires poussives se lance à corps perdu dans un break ultra vindicatif qui tranche désagréablement avec le ton du morceau. Les deux énergies finissent par se mêler en fin de titre dans une cacophonie particulièrement désagréable.
Sensation similaire sur le titre éponyme, avec une énergie destructrice réussie mais parasitée par un refrain mièvre en chant clair et des back vocals choraux faciles. Les morceaux suivants sont tout aussi déroutants avec des fracasseries monumentales ("God of Fire", "Stockholm", "Vendetta") qui côtoient des refrains sucrés usants ("Louder Voice", "Locked (In My Heart)") ; ce qui a pour pénible conséquence de donner à l'album un aspect hétérogène vite épuisant, coincé entre l'efficacité et les parties accrocheuses en voix claire rappelant plus le pop punk ou le rock alternatif des 2010s.
Dommage, car avec ce disque il est impossible de refuser au groupe son talent pour les phrasés metalcore nerveux et pertinents. Mais difficile également de s'émouvoir de son manque d'équilibre quand on se rappelle que "Descendants", le premier album du groupe, il y a presque 10 ans, avait déjà ce même problème.

 

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Nasty – Menace
Beatdown – Belgique (Century Media)

Je vous avoue que celui-là j'avais pas envie de vous le chroniquer. Faut dire que j'ai perdu assez de neurones ces derniers temps à écouter du beatdown et Knocked Loose en boucle et j'avais le sentiment que si je devais m'enfiler au moins deux fois le dernier Nasty, mon cerveau allait trouver un moyen pour devenir séparatiste et sauter de ma boîte crânienne. Puis bon, la vie insouciante sans cerveau doit être confortable, mais je me voyais mal vous faire le prochain Raton et la bagarre qu'avec des onomatopées.
Je me suis donc fait à l'idée que j'allais devoir subir quelques descentes d'organes et que si jamais je me fendais de quelques commentaires négatifs, je risquais sérieusement de me faire défenestrer par une bande de Belges belliqueux.

Mais finalement, il m'a fallu 3 morceaux avant de faire des moulinets de débilos dans mon salon. Quand "Be Careful" a commencé, c'était déjà trop tard, un bonnet était déjà enfoncé sur ma tête jusqu'aux yeux et un large sourire inversé ornait mon visage crispé.
Alors je vous raconte pas les carabistouilles quand le riff de "666AM" débarque en tempête dans mes écouteurs. Dissonances inutiles, chant de voyou sous stéroïdes, saturation qui crève le plafond et breaks d'abrutis congénitaux ; à ce moment-là, je vous cache pas que "So now you take a ride with me / Your train to damnation at 666am" sonnait comme du Lamartine. À noter tout de même, une présence toujours aussi nette du metalcore ("You Will Know My Name" et son énergie très Knocked Loose ou "The End of the World") et des titres aux refrains va-t-en-guerre efficaces ("Be Careful" ou "Betrayed").

Je vous épargne toutefois le track par track, car de toute façon vous vous doutez où ça nous mène : une gradation dans la violence gratuite, des spin kicks envoyés à la volée et une caution que je ne retrouverai probablement jamais.

 

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Your Arms Are My Cocoon – Your Arms Are My Cocoon
Bedroom screamo – USA (auto-production)

Ça faisait deux numéros que je nous avais pas proposé une véritable curiosité tranchant avec le reste de la sélection. Il est donc grand temps de rattraper ce tort avec deux disques à l'hybridation encore inédite.
Le premier s'intitule Your Arms Are My Cocoon et si vous suivez à peu près, vous devriez savoir qu'on se dirige en plein vers les territoires émotifs. Sauf que ce premier album du projet américain mélange deux styles à priori incompatibles : la bedroom pop (ce genre récent empruntant autant à Elliott Smith qu'à Mac DeMarco et qui consiste à recréer cette ambiance évanescente de compositions fragiles enregistrées en lo-fi dans une chambre d'ado) et le screamo.
En premier plan on retrouve donc ces petits arrangements cheap et rassurants qu'on devine bidouillés sur une machine amatrice et dont l'insouciance rappelle Alex G ou Car Seat Headrest. Un peu plus en retrait dans le mix, les hurlements écorchés et désespérés complètent cette toile étonnamment cohérente où la douleur est placée dans un écrin familier et confortable.
Contradiction qui s'incarne de façon insouciante dans l'ultime morceau, "Snowy!" qui conjugue autant la bedroom pop au screamo que le math rock aux beats électroniques. Alors que rien ne devrait être à sa place, tout se répond comme si de rien n'était et dans ce hasard savamment orchestré il y a quelque chose de juste et de profondément humain.
À mes oreilles, c'est une épiphanie. Your Arms Are My Cocoon a trouvé le meilleur moyen de rendre compte de cette détresse adolescente aussi poignante et réelle qu'absurde et immatérielle. Quand, à vos 15 ans, vous aviez l'impression que vous déteniez le monopole de la souffrance alors que vous étiez paisiblement installé dans une chambre rassurante et aimablement décorée. Ce paradoxe qui réside dans le spleen petit-bourgeois qui a formé le genre emo, est ici mis en musique avec autant de pudeur que d'assurance. Et comment ne pas s'émerveiller devant une proposition d'enfant triste mais serein, aussi mature qu'il est spontané ?

 

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Sprain – As Lost Through Collision
Post-hardcore / Slowcore – USA (
The Flenser)

Il faut parfois savoir sortir de sa zone d'attribution pour donner du relief à une rubrique. Oust le metalcore et autres savage-core, faites place à une sortie moins vindicative et plus accessible.

Sprain est un groupe californien encore discret sur le territoire hexagonal, mais qui a explosé avec cette sortie dans les milieux indé. Popularité soudaine qui peut s'expliquer par une signature chez The Flenser, label inévitable quand on parle de metal avant-gardiste et de post-musique arty, mais surtout par une hybridation curieuse qui s'inscrit dans une révérence absolue aux années 90.
En effet, le groupe emploie dès le premier morceau un registre post-hardcore qui évoque instantanément Slint avec des morceaux de Fugazi et de noise rock à la Sonic Youth, puis se dirige à contrario et progressivement vers des paysages slowcore, beaucoup plus mornes et jamais très loin de ce que Low pouvait proposer sur son "I Could Live in Hope". Entre toutes ces influences marquées se dégage une lenteur poisseuse à l'énergie détachée, aux guitares pesantes et à la voix belliqueuse.

Je ne suis pas un enfant des 80s et je n'ai pas grandi avec toutes les références sur lesquelles Sprain s'appuie. La rage nonchalante du grunge et du noise rock n'a pas bercé mes premiers émois saturés mais j'ai eu la chance de découvrir tout cet univers tardivement, comme beaucoup par le truchement d'un cousin qui ne jure que par Sonic Youth. Et c'est curieux d'écouter une nouvelle sortie qui a autant le goût des 90s car c'est l'opportunité pour moi de me l'approprier alors que tous ces groupes révérés appartiennent à une génération autre que la mienne, avec ses codes et son état d'esprit.
À conseiller chaudement à celles et ceux qui ont poncé Unwound, Drive Like Jehu et Red House Painters ou aux autres qui veulent découvrir tout cet univers par un biais moderne et grinçant.

 

 

Et comme à l'accoutumée, je vous propose d'autres écoutes car le mois de septembre n'a pas été si maigre que ça. Des sorties majeures autant que des disques plus confidentiels, il serait étonnant que rien ne vous attire dans cette liste finale :

  • Plus loin du hardcore classique existe néanmoins le deathgrind. Et dans le domaine, vous avez le 17e album des éternels camarades de Napalm Death, chroniqué dans nos lignes par le non moins éternel ZSK.
  • Je vous en parlais dans le deuxième épisode et l'excellent groupe de mathcore suisse Fawn Limbs est revenu en septembre pour un LP bien touffu.
  • Les fans de post-hardcore et de musiques écorchées seront ravi.e.s de se pencher sur le nouveau Svalbard qui y ajoute cette fois des influences post-black.
  • Quant à celles et ceux qui sont des indécrottables Bostonien.ne.s dans l'âme et qui regrettent l'absence de Modern Life Is War ou Have Heart, les Canadiens de Mil-Spec viennent de sortir leur premier LP et c'est très quali.
  • Le comeback assez improbable de Dropdead, pour un album de thrashcore qui sera chroniqué ici très bientôt.
  • Mais aussi les sorties de Alpha Wolf (nu-metalcore bien débilos), le nouvel EP de Pig Destroyer (qui a bidé dans un style entre grind et drone) ou encore le dernier Coma Regalia (emoviolence).