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Raton et la bagarre #8

lundi 8 février 2021
Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans le huitième épisode de Raton & la Bagarre. Après un premier hors-série, dont je vous remercie très chaudement pour l'accueil que vous lui avez réservé, il est grand temps de commencer à parler des premières sorties de 2021. Cet épisode couvre les albums parus en décembre 2020 et janvier 2021. Décembre a été un peu plus timide, mais les deux mois ont surtout été marqués par des excellentes sorties screamo, alors que la deuxième moitié de 2020 avait été plus en demi-teinte dans le style. En plus de quatre albums émotifs, je vous offre votre quota de hardcore old-school avec du bruitiste et du tapageur, mais également un disque de metalcore au groove infernal et une curiosité perchée entre post-metal et Converge-core. En espérant que ce numéro vous plaise, excellent lecture à vous !

 

Respire – Black Line
Screamo orchestral – Canada (Church Road Records)

Probablement la sortie la plus attendue de la fin d'année dans son style, le nouveau Respire se retrouve à nouveau aux méandres des musiques aventureuses. Auto-qualifié de "orchestral post-everything collective", le groupe canadien s'essaie à la rencontre du screamo, du post-black et d'orchestrations minimalistes poignantes. Les longues progressions marquées par le violon et les hurlements mènent à des soubresauts puissants et massifs dans la plus pure logique post-rock.

Si le croisement des univers peut paraître singulier, il y a fort à parier pour que votre image mentale soit extrêmement proche de la réalité. Ça ne remet en rien la virtuosité du groupe en question, au contraire, le mélange touche à l'évidence.
L'apport des cordes frottées et la présence de spoken word me fait systématiquement penser à Godpseed You! Black Emperor, sur "f♯ a♯ ∞" notamment, en plus agressif. Si vous aimez Deafheaven, GY!BE, Suffocate for Fuck Sake ou encore Heaven in Her Arms, Respire vous tend les bras.

 

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Terminal Bliss – Brute Err/ata
Hardcore bruitiste – USA (Relapse)

J'ai lancé ce premier EP des Américains sans vraiment prêter attention aux détails. J'aurais pourtant dû me douter du traquenard en voyant qu'ils venaient de Richmond, place forte du hardcore aux États-Unis. Et pour cause, le line-up est un des plus gros all-stars depuis longtemps. Les frères Chris et Mike Taylor, respectivement chanteur et guitariste légendaires de pageninetynine sont rejoints par Adam Juresko, bassiste de City of Caterpillar et le colossal Ryan Parrish, batteur du même groupe mais aussi de Darkest Hour et Iron Reagan (excusez du peu).
La scène de Richmond a toujours été consanguine et les loustics de pg99 et City of Caterpillar s'étaient déjà retrouvés, pêle-mêle, dans Malady, Haram ou Verse En Coma. En somme que des groupes liés aux scènes post-hardcore et screamo.

Pourtant Terminal Bliss ne fait pas du tout dans l'émotif et privilégie un hardcore bruitiste et immédiat qui ne soucie pas vraiment des crescendos et des atmosphères ciselées. Dix titres pour dix minutes de spontanéité chaotique, parfaitement digestes et délicieusement grinçantes. C'est Juresko qui s'occupe de la noise et confère ainsi au groupe un agréable côté dystopique et contestataire. Leur Bandcamp ne fait que confirmer leur position : "FUCK OFF ALL RACISTS, GENDER POLICE & MISOGYNISTS FOREVER".
Terminal Bliss ne marquera évidemment pas autant la scène que les chefs d'oeuvre de pg99 et City of Caterpillar, mais est encore une preuve que ses membres sont de redoutables orfèvres du hardcore, aussi pertinents dans l'émotion que dans le chaos organisé, 18 ans après la séparation des deux groupes cultes.

 

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Déraciné – Sympathetic Nerves
Screamo / Emoviolence – USA (Middle-Man Records)

Sorti le premier jour de l'année, Déraciné fait commencer 2021 de la meilleure des façons avec un screamo puissant et viscéral qui convie le gratin de la scène américaine. En dehors du skramz et du clair spectre d'Orchid, on ressent fortement les influences plus larges du groupes avec des plans à la Converge (sur "Stormbound" notamment) et du hardcore mélodique (j'ai trop tendance à déceler du Have Heart partout).
16 morceaux dont trois seulement dépassent la minute, offrant des déflagrations variées et virtuoses.
Le groupe ne fait pourtant pas le pari du old-school et se niche dans un écrin moderne et ultra pertinent, très riche en arrangements et d'une grande versatilité qui n'est pas sans rappeler la nouvelle école et ses premiers de la classe Nuvolascura, Senza ou Lord Snow.
Il est évidemment trop tôt pour faire des plans sur la comète, mais j'ai hâte de voir des disques concurrencer celui-ci dans les tops de fin d'année.

 

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Ona Snop – Intermittent Damnation
Thrashcore – Royaume-Uni (Lixiviat Records / No Time Records / No Bread!)

J'avais découvert les joyeux gaillards d'Ona Snop par leur split avec mes chouchous italiens de Failure, les deux opérant dans un registre fastcore/powerviolence proche. Si "Geezer", le premier album d'Ona Snop restait dans le giron PxV, le groupe se dirige depuis 2019 vers un registre davantage thrashcore en limitant la saturation du chant et en ayant recours à davantage de plans hardcore hyperactifs à la D.R.I.
On note aussi une nette amélioration de la production, trop timide sur le précédent, qui sert un mix bien plus cohérent (sur "Geezer", la basse et la guitare peinaient souvent à se superposer). L'efficacité et la pugnacité n'en sont que maximisées et il devient impossible de ne pas taper du pied comme un lapin mécontent pendant 20 minutes.
"Intermittent Damnation" vous fera l'effet d'une demi-douzaine de tasses de café et vous fera lever le pied plus haut que le bassin, quitte à casser deux trois éléments du mobilier. Je vous laisse, faut que j'aille prendre des grandes inspirations d'air frais.

 

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Portrayal of Guilt – We Are Always Alone
Blackened screamo – USA (Closed Casket Activities)

La chronique est toute fraîche donc je vous y renvoie pour une analyse plus détaillée.

 

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Life's Question – A Tale of Sudden Love & Unforgettable Heartbreak
Metalcore / Crossover – USA (Triple B)

Il y a quasiment une de leurs sorties à chaque épisode, je ne peux jamais éviter l'évidence des sorties du label Triple B de Boston, chantres du hardcore new youth crew. 
Pour cette sortie, c'est aussi excellent qu'on était en droit de l'attendre. Je dois toutefois tricher un peu car l'EP en question était déjà paru en 2019 mais est ici augmenté d'un morceau supplémentaire. Life's Question pioche clairement chez les new-yorkais dans un mélange super bien foutu entre metalcore sensible et thrash crossover bien grinçant avec des gros riffs façon cran d'arrêt. On pense donc nécessairement à du Mindforce dans la nouvelle école, même si du côté old-school ça regarde évidemment du côté de Leeway et autres bandits groovy et méchants des années 90 à la Crown of Thornz. J'ai même été surpris d'entendre des touches hardcore émotif sur le premier titre, pas si loin de ce que propose One Step Closer ou les vieux briscards de la première vague emocore.

 

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Yon – Order of Violence
Screamo – Allemagne (Zegema Beach)

Zegema Beach prouve encore une fois qu'il s'agit d'un des meilleurs labels de musiques extrêmes et très probablement le meilleur label actuel de musiques émotives extrêmes. Après une excellente année 2020 avec Nuvolascura, Crowning, Naedr, Infant Island, Mattachine, Boneflower ou le split Amitié/Empatia/Marée Noire, les Canadiens reviennent façonner le renouveau du screamo avec les Allemands de Yon.
Screamo à textures, plus tempétueux et sourd que l'éclatant Déraciné mentionné ci-dessus, "Order of Violence" s'adresse aux fans de sons massifs, de riffs incisifs et de voix écorchées. L'ancrage musical de Yon est clairement européen avec des touches italiennes (la prédominance d'arpèges menaçants) et une sensibilité post-rock croissante, mais aussi des accroches à la Birds in Row et des interludes davantage post-hardcore et chantés en allemand à l'image de "Sound of Shells". L'album est façonné par des mains expertes avec un vrai côté progressif, des changements de rythme permanents, une section rythmique exigeante et plusieurs niveaux de voix qui se répondent à merveille. Tantôt plaintif, tantôt énergique, "Order of Violence" ne peut qu'impressionner par sa maîtrise et sa variété et rejoint mes contenders pour le top 2021 (déjà !).

 

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Yashira – Fail to Be
Sludge / Metalcore – USA (
Good Fight)

Sortons, si vous me le permettez, du hardcore stricto sensu pour aller voir ce qui se fait à ses marges. Après un premier album, "Shrine", en 2018 et qui restait dans les territoires post-metal, Yashira a tragiquement perdu son batteur dans un accident de voiture. Ce second effort est naturellement dédié à la mémoire de Seth Howard.
Il marque également un virage dans le son des Floridiens, vers des sonorités nettement plus hardcore. La composante sludge atmosphérique demeure mais réduit ses aspirations post- pour maximiser des influences convergiennes constantes. Le groupe préfère parler de son amour pour Old Man Gloom, mais on sait tous que les deux groupes ne sont pas étrangers et qu'à peu de choses près Old Man Gloom est le résultat de l'addition Isis + Converge.
Quoiqu'il en soit, Yashira invoque le meilleur de la scène du Massachusetts avec une interprétation impeccable. Entre des toms secs et bavards, un usage malin et immersif de la dissonance, des riffs menaçants en palm mute et des chants viscéraux, variés et consistants, "Fail to Be" brille d'exécution là où il reste assez prévisible dans les compositions. À noter que Dylan Walker de Full of Hell vient chanter sur "Shades Erased", gros temps fort du disque.
On pourra regretter un album qui traîne un peu en longueur, mais c'est probablement dû au fait que je ne suis plus habitué à ce qui dépasse la demi-heure.

 

Comme d'habitude, il me faudrait toujours plus de temps pour approfondir et vous parler d'encore plus de disques, mais voici pour les plus insatiables quelques recos supplémentaires :

  • Dans le première hors-série de Raton & la Bagarre consacré aux meilleures sorties straight edge de 2020, on pouvait trouver deux sorties de décembre : le rageur et très east coast Struck Nerve ainsi que le formidable et métallique Iron Deficiency.
  • Le hardcore grenoblois se porte bien avec le split entre Influence Néfaste et Shinken, décomplexé et référentiel. Les premiers font dans le old-school avec chant en français tandis que les seconds durcissent le son avec des riffs épais et un delivery plus moderne.
  • Influencés par American Nightmare, Verse ou Turmoil, les Las Vegans (je vous assure que c'est le gentilé des habitants de Las Vegas) de The End of Everything ont publié un deuxième EP très convaincant.
  • Dans des sphères plus indé, Avenade, projet solo de Matt Hawkins, a sorti un deuxième album extrêmement dense entre noise rock, post-hardcore et murs de son shoegaze.
  • Dark Trail Records, qui nous habitue pourtant aux meilleures sorties mathcore, déçoit un peu avec le premier album de Juan Bond, indigeste et manquant souvent de hargne. Les adeptes de metal prog moins bourrin pourront peut-être apprécier ?