Dolorès

Non.

Autant je n'ai aucun mal à me dire que j'approche des 30 ans, autant me dire que j'ai eu 18 ans il y a dix ans me fait écarquiller les yeux. On rembobine. 2013 : je passais un bac littéraire, avec une grosse option arts plastiques qui a sans doute quelque chose à voir avec mon amour des visuels : artworks, logos, clips, etc. L'année fatidique sonne aussi l'heure de l'arrivée à la fac et de l'indépendance : premiers concerts seule (sans grand frère chaperon...), nouveaux cercles sociaux, etc. Le grand saut et l'ouverture de certaines portes ! J'ai été bombardée d'excellents conseils musicaux, qu'il s'agisse de retourner jeter un œil aux vieilleries ou du côté de l'actu et, avec deux heures de transport en commun par jour et beaucoup de temps passé chez moi sur internet, j'avais clairement le temps d'écouter tout ça.

A l'époque, j'écrivais déjà chez NIME (Nightfall in Metal Earth), j'avais déjà découvert le Hellfest et le Motocultor l'année précédente et j'avais la chance de pouvoir me rendre de temps en temps au Ferrailleur voir des concerts stylés. Je découvrais également (feu) la Scène Michelet qui, je ne le savais pas encore, allait devenir mon foyer et mon QG. C'est le début du bénévolat, en 2013, pour Black Flag Production notamment, mais aussi des coups de main à droite et à gauche sur des concerts et des festivals.

Bien sûr, des bons albums sortis en 2013, il y en a des tas. Certains que j'ai découverts bien tard : Nails, Forest Swords, Uncle Acid and the Deadbeats par exemple. D'autres que j'ai hésité à mettre dans ce top pour bien des raisons variées (Orties, Arsaidh ensuite devenu Saor, In Solitude, Oathbreaker, Solstice, True Widow, Magic Circle, Bölzer, Kvelertak).

Les dix albums présentés plus bas sont finalement les plus évidents à mes yeux. C'est donc la bande-son de mon passage à l'âge adulte que je vous propose aujourd'hui.

SubRosa – More Constant than the Gods

Dans le genre découverte inestimable, More Constant than the Gods se pose là. Je ne connaissais rien au doom, je connaissais très peu de projets musicaux un peu extrêmes avec une majorité de femmes dans le line-up et voilà que la magie d'internet offre à mes yeux la pochette de SubRosa. Cette œuvre, toujours l'une de mes préférées, reflète ce que j'y trouve : le mystère de la vie. J'exagère à peine : proche de l’ésotérisme, cet album m'a enflammée comme on découvre quelque chose de surnaturel dans lequel on puise sa foi.

D'abord, la nouveauté : un doom différent, poétique, inattendu. Ensuite, l'expérience : ce contraste de la douceur absolue dans un écrin de crissements, les mélodies féminines faisant constamment écho au chaos et, surtout, la sensation d'un cocon serein au bord du gouffre. Puis, l'après : un album doudou, la même flamme qui s'agite dix ans après et l'inexplicable tissage entre cet album et moi.

Gris – A l'âme enflammée... L'âme constellée

Celui-ci, loin d'être le plus mémorable si vous connaissez un peu la discographie du groupe de black dépressif québécois, est plutôt un grand clin-d’œil. Il faut pour cela remonter le temps un peu plus loin : en 2007, sortait Il était une forêt..., largement reconnu comme un chef-d’œuvre par beaucoup d'amateurs et amatrices de musique noire. Pour moi, cet album a été une claque, un déclencheur et le début de quelque chose. Je découvrais ce que je pensais être la plus pure forme d'obscurité et d'émotion et cela me bouleversait. D'autant plus que je partageais cette nouvelle passion avec mon grand frère, celui qui m'avait fait écouter ces notes, rendant le souvenir d'autant plus marquant.

Voilà pourquoi j'étais en droit d'attendre un monument lorsque j'ai appris que Gris allait sortir un nouvel album, en 2013. Loin d'être dans mon top album, il s'agit toutefois d'un superbe opus aux sublimes compositions. Il est aussi le marqueur du nouveau moi, loin des premiers balbutiements dans le black metal. Le moi devenue chroniqueuse, un peu plus pointue, un peu plus aux aguets concernant les nouveautés et un peu plus exigeante concernant à peu près tout. Mais toujours aussi sensible.

Jex Thoth – Blood Moon Rise

En pleine affirmation de soi, on cherche toujours des modèles. Jex Thoth incarnait pour moi tout ce que je voulais devenir : une femme puissante et talentueuse. Blood Moon Rise a été, peut-être malgré elle, le messager de ses conseils : je vivais, à chaque écoute, dans l'ombre de son aura ensorcelante. Je m'en suis nourrie : combien de fois ai-je chanté ses hymnes, cherchant à la fois à comprendre sa force et à travailler mon timbre en même temps ?

Elle a aussi été une porte ouverte vers ces sonorités plus psychédéliques, occultes bien que le mot ne me parle que très peu. Pourtant, sa silhouette de sorcière du son ne me laissait pas indifférente et c'est bien cette nouvelle musique que je cherchais à comprendre et que j'ai par la suite retrouvé çà et là : sur The Eldritch Dark de Blood Ceremony, sur le premier album de Jess and the Ancient Ones ou chez The Devil's Blood. Une porte d'entrée inestimable, également symbole d'une liberté et d'une certaine féminité.

Summoning – Old Mornings Dawn

Par tout petits bouts, Summoning a toujours été dans mon paysage musical. Toutefois, à l'origine, je n'en connaissais que quelques tubes, qui tournaient bien sûr assez souvent mais sans que je cherche à comprendre l’œuvre intégrale. Sans doute la sortie de Old Mornings Dawn a-t-elle été l'appel d'une nouvelle quête : en m'intéressant à la nouveauté, je me suis aussi plongée dans les archives, sans savoir sur quel trésor j'étais assise depuis tout ce temps.

Old Mornings Dawn est aussi, pour moi, le dernier album presque parfait de long en large du projet autrichien, ayant été un poil déçue par le suivant, dernier en date. Enfin, je peux aussi dire qu'il est le noyau qui a rassemblé deux de mes plus grosses passions à l'époque : le metal épique et la danse. En effet, de percussions dites tribales en mélodies rappelant de lointains pays, tout était réuni pour être une chouette bande-son pour la danse que je pratiquais et je ne m'en suis pas privée.

Beastmilk – Climax

Si j'écoutais beaucoup de musiques lourdes et épiques l'année de mes 18 ans, j'étais aussi une sacrée gothique. Je m'étais découvert, un peu plus tôt, un énorme amour pour les scènes gothrock, coldwave, post-punk. Mes 18 ans ont d'ailleurs coïncidé avec mon tout premier groupe, me permettant de m'épanouir un peu au chant dans un projet coldwave.

Etrangement, c'est plutôt dans mes cercles de pote axés « metal » que les morceaux de Climax ont tourné comme de véritables hymnes de soirées. Ainsi, Beastmilk a été LE groupe contemporain parmi mes playlists gothiques, aux côtés de Soror Dolorosa pour la facette plus mélancolique et de groupes plus locaux comme Les Modules Etranges. Beastmilk, pour beaucoup « c'était mieux avant », c'est à dire avant que ça ne devienne Grave Pleasures. Pour ma part, je reste attachée à Motherblood également, même si Climax a cette folie adolescente qui est tombée à pic pour moi.

Cult of Fire – Ascetic Meditation of Death

Je ne crois pas avoir d'histoire particulière, d'anecdote incroyable ou de remise en contexte à préciser pour cet album. Il a forcément une histoire, bien sûr, car il est le porte-parole du genre de black metal que j'écoutais beaucoup à l'époque. Par ailleurs, il représente assez bien l'idée que de nouvelles relations amènent de nouvelles portes musicales ouvertes.

Toujours est-il qu'il est surtout un album coup de cœur, si fort que je me suis sentie littéralement trahie lorsque je les ai vus en live, deux ans plus tard à Paris, avec un son aussi horrible que l'était le public. C'est assez fou, quand on y pense, comme on est capable de placer la barre toujours très haut lorsqu'on s'éprend d'un groupe, au point de se sentir lésé si le contrat de confiance est rompu. Contrat qui n'a, en réalité, jamais été signé...

Atlantean Kodex – The White Goddess

La même année, sortaient The White Goddess d'Atlantean Kodex et l'EP Death Crown is Victory de Solstice. Si j'ai pu voir le dernier en live peu de temps après, il aura fallu 10 ans avant que je voie les Allemands sur scène, cette année au Courts of Chaos. Ce moment a finalement été ce que j'avais toujours imaginé : l'implication du public venant sublimer la musique du groupe.

J'ai finalement peut-être un peu triché car il y a fort à parier que j'aie découvert le groupe l'année suivante, mais cet album est néanmoins le symbole de ces écoutes épiques, suite logique dans ma découverte du doom. Alors étudiante en archéologie et en histoire de l'art, il était inévitable que je tombe dans les histoires parsemées de mythologies anciennes d'Atlantean Kodex...

Urfaust – Trúbadóirí Ólta an Diabhail

Mon album favori d'Urfaust est un live. Cela semble toujours étonner tout le monde et c'est pourtant la vérité. Pour moi, Trúbadóirí Ólta an Diabhail est en réalité bien meilleur et plus représentatif du génie du duo maléfique que la majorité de leurs albums studio. L'interprétation y est bien plus fascinante !

Dès le larsen d'introduction, j'ai la chair de poule et je laisse couler mon âme comme du sable entre leurs mains. Le style de black metal, porté par beaucoup de boucles lancinanets, de chant clair et de hurlements spontanés, la progression et les arrangements des titres, la présence des musiciens qui transpire par le son, le choix de la setlist (devenue la tracklist) : tout est réuni. Sans parler de la pochette d'Anthony J. Roberts qui est pour moi la plus belle. Simple mais efficace, pour un écho aux gravures médiévales omniprésentes dans cette scène.

Wardruna – Yggdrasil

De 2013, j'ai encore le savoureux souvenir de me rendre au festival des 15 ans de Garmonbozia, heureuse à l'idée de voir Wardruna jouer. A ce moment-là, absolument personne dans mon entourage ne connaissait le groupe. Je me souviens avoir conseillé à tout le monde d'aller voir ce concert et que personne ne l'ait fait, donnant ainsi un concert absolument dément en comité restreint. A cette époque, Gaahl était encore sur scène avec eux. Quand on voit ce que le groupe est devenu, dix ans plus tard...

C'est seulement l'année suivante qu'Einar Selvik annonce que le groupe allait prendre part à la bande-son de la série Vikings, l'événement qui chamboule alors toute l'histoire du groupe. Depuis, j'ai vu plusieurs fois le groupe : à Paris dans des salles superbes comme la Cigale et l'Olympia, mais aussi dans la cour du Château de Nantes. J'ai des souvenirs solidement ancrés de ces moments où Wardruna m'a accompagnée, bien que j'aie délaissé ce qui est sorti après la trilogie, dont Yggdrasil était la pièce centrale et également mon favori. L'équilibre était trouvé, entre le précédent qui avait travaillé ses ambiances et le suivant qui a prouvé qu'on pouvait faire des tubes à partir de ce matériau brut. Yggdrasil, c'est « Helvegen » bien sûr, qui met tout le monde d'accord, mais surtout l'enchaînement avec ce qu'il y a juste avant, « Solringen » et « Sowelu » qui sont pour moi les plus belles envolées du groupe.

Inquisition – Obscure Verses for the Multiverse

Regarder en arrière, c'est aussi regarder un temps révolu. Pourtant, qu'est-ce que je l'ai saigné ce Inquisition ! Bien qu'il soit à mes yeux le meilleur, j'ai hésité à l'ajouter à cette liste. Dans mon cheminement personnel, il y a des tas de groupes qui n'ont été que de passage, notamment lorsque, avec un peu plus de maturité et de cohérence dans mes valeurs, j'ai commencé à faire évoluer mon rapport à la musique. Loin de souhaiter donner des leçons à tout va (contrairement à ce que certains peuvent croire), j'ai d'abord commencé à arrêter de faire la promotion de certains groupes qui ne correspondaient pas aux valeurs que je souhaitais véhiculer.

Dans le cas d'Inquisition, je dois dire que la question est singulière. Le personnage me dégoûte bien évidemment pour ce qui lui est reproché (je vous laisserai faire quelques recherches si vous ne connaissez pas l'histoire) et c'est ainsi que, tout simplement, j'ai arrêté d'avoir envie d'écouter sa musique. Sans même chercher à me freiner dans quoi que ce soit.

J'ai écrit les 9 textes précédents sans écouter l'album en fond, notamment car je n'avais pas besoin de me rappeler de pourquoi tel ou tel album m'avait marquée à jamais (et peut-être un peu pour ne pas m'influencer davantage ou m'emballer un peu trop). Pour ce Obscure Verses for the Multiverse, j'ai pris le temps de réécouter l'album. Sa musique me transporte toujours autant mais l'entité elle-même a perdu sa saveur.

Cet article est le reflet d'un instant donné, il y a dix ans. Il me permet finalement de faire le point entre deux catégories d'albums : les premières briques du mur qui me constitue aujourd'hui et celles que j'ai laissées en chemin.