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Album

11 décembre 2020 - Hugo

Urfaust

Teufelsgeist

LabelVán Records
styleRitual Music for the True Clochard
formatAlbum
paysPays-Bas
sortienovembre 2020
La note de
Hugo
7.5/10


Hugo

J'écoute que du rap et de la techno en vrai.

Teufelsgeist est un album enregistré pour accompagner un gin créé par Urfaust et Hoos London Gin. Dans le livret, il est recommandé de l’accompagner de tonic, ce que nous faisons lors d’un apéro (déjà bien entamé) à deux au moment où je rédige cette chronique. Cette dernière a donc été écrite en conditions, de façon un peu automatique et sans véritables modifications a posteriori, lors de la dégustation du gin et en découvrant l’album pour la première fois. Premier verre de gin, première écoute :

Des albums concepts sur l’alcool il y en a quelques-uns, pas tellement. Là, immédiatement, je pense à la collaboration entre Les Joyaux de la Princesse et Blood Axis, autour de l’absinthe. Urfaust a choisi de le faire autour du gin, cet alcool qui est presque un membre à part entière du groupe. Cette première piste est magnifique, majestueuse comme les plus belles mélodies présentes sur le dernier LP du groupe (« The Constellatory Practice »). Les claviers sont comme un orchestre distant, qu’on percevrait de loin, lors d’un apéro mondain dans un grand hall avec des lustres partout. Et le gin est pas mal non plus.

Il y a comme une vibe un peu aristocratique malsaine qui se dégage du morceau. Un côté morceau de variété, avec des bouts d’orchestration délicats tel le goût mentholé qui reste un peu en bouche après un verre du gin, mais qui parlerait de trucs affreux. Une vieille peinture représentant une fête bourgeoise, dans un Paris du XIXe, où les participants s’adonnent à des messes sataniques dans les caves, comme dépeint par Huysmans. Je me demande comment Urfaust va casser cette ambiance majestueuse, alors que déjà le tout devient plus lugubre à la fin du morceau. Comme le début d’une descente aux enfers, une marche terrible vers les flammes.

On commence à angoisser sur nos vies en constatant que Jay-Z a 51 ans aujourd’hui (ndlr : on est le 4 décembre). Il n’y a qu’avec l’anniversaires des œuvres, des artistes, que je me rends compte que je grandis, je crois. Et Urfaust est l’un des premiers groupes de Black Metal que j’ai adoré, avec la sortie de Trúbadóirí Ólta an Diabhail. Je suis toujours aussi séduit par leur proposition. Ici, plus qu’un disque complètement ambiant, on a vraiment un mélange du Urfaust atmosphérique, largement Doom, dernière génération, et des tracks instrumentales qui font partie du groupe depuis ses débuts. Ca marche vraiment bien, les éléments se mariant parfaitement.

L’insert indique des conseils pour l’écoute. On n’est pas trop mal, cochant plusieurs cases. Mon système-son est assez naze, et nous sommes installés dans des fauteuils confortables, malheureusement pas dans un ermitage. Nouveau verre, deuxième écoute :

« Offerschaal… » a une autre saveur avec de l’alcool dans le sang. On comprend alors le sens du titre, l’euphorie qu’il peut susciter, comme lors d’une soirée avant l’ivresse totale. Il y a définitivement un truc transcendantal. Faire du vélo sans les mains en regardant la lune, danser au milieu d’un appartement en fermant les yeux… De très loin, l’un des meilleurs titres du groupe, l’équilibre parfait entre raffinement et émotions brutes. Mélancolie et transe cosmique.

Un peu comme ces restaurants qui accordent les plats par rapport aux vins de leur carte, Urfaust a créé cet album par rapport à son gin. Le processus est assez inédit je pense, et rend l’expérience toute autre. On comprend que ça soit signé Urfaust, en ce sens. Mais vient la descente, les émotions qui nous submergent sans que l’on sache trop pourquoi. Le premier titre est un havre de paix, auquel succède un terrible retour à la réalité. Ou pire que cela, une confrontation progressive avec ses démons que la boisson ravive. À chacun sa maîtrise du démon éthylisé, qui semble nous guetter depuis la pochette du disque.

Tout est un peu plus flou, on a arrêté de compter les verres depuis quelques temps déjà, et l’on termine le gin. Dernier verre, troisième écoute :

L’introduction remue tant de choses en moi que je discerne à peine ce qui lui manquerait. Elle résonne désormais comme tant de souvenirs auxquels on songe les heures de fête passées. Elle est dotée d’une magnifique et impitoyable aura, à laquelle on s’accroche les larmes aux yeux, les yeux vers le ciel. C’est le dernier verre. La pochette du disque se révèle alors à moi, dans tout son minimalisme. Le bouc, le malin, entremêlé d’une lune, le guide dans le noir sur le chemin du retour vers chez soi. Urfaust c’est la mise en musique de deux éléments contradictoires mais en même temps logiquement complémentaires. Un compagnon évident mais destructeur, un ange gardien impalpable. La transe, puis la catharsis (même s’il faut arrêter avec ce terme chéri des chroniqueurs Metal, putain).

Cette première piste absorbe nos sens comme le fait le plus terrible mélange. À lui donner toute notre attention, on n’anticipe que peu la suite, dévastatrice. La saturation sur Bloedsacrament… n’est que la matérialisation de tant de cris désespérés ; "Geist is Teufel" crient les gargouilles dégobillant sur les pavés. Van Alcoholische… symbolise nos pensées, nos actions, au ralenti. La vie en quelques images par seconde, les souvenirs floutés qui restent. De Filosofie… comme l’effondrement progressif. La basse est omniprésente, pesante comme cent décibels écrasant toute trace du présent. Enfin, la dernière piste pour le réveil, et la brume qui l’accompagne un regard par la fenêtre, nos vagues reflets sur le verre criant au désespoir.

Quelques jours plus tard, réécoute du disque accompagné d’une superbe tisane, en même temps que la retranscription de mes notes :

Certains mots étaient indéchiffrables. D’autres, sont trop souvent répétés, car je ne me suis pas relu en tentant d’écrire cette chronique « en direct », lors de ma découverte du gin et du disque. Finalement, les termes techniques sont assez absents de cet écrit, et j’ignore si le lecteur aura trouvé un intérêt à me lire. Néanmoins, cela me semblait être le seul moyen de chroniquer cette nouvelle proposition d’Urfaust à mon niveau, ou en tout cas le moyen le plus amusant. À la réécoute, sobre, le disque révèle une fois de plus des qualités évidentes. Je trouve même qu’il fait directement écho à Geist Ist Teufel (et notamment sa piste éponyme) dans ses ambiances, autant qu’aux derniers disques du groupe. Une belle proposition, malheureusement assez courte, qui, je l’espère, se bonifiera encore avec le temps. Le premier titre est déjà, selon moi, à ranger parmi les meilleures compositions d'Urfaust. Le gin était lui assez puissant, vitalisant en bouche, et laissant un arrière-goût plaisant et rafraîchissant. On comprend qu'il ait été conçu pour être consommé en gin tonic, bien qu'un certain nombre de recettes attarayantes et originales de cocktails (pas testées de mon côté) soient à disposition dans le livret.

Tracklist :

1. Offerschaal Der Astrologische Mengformen
2. Bloedsacrament Voor De Geestenzieners
3. Von Alcoholische Verbittering Naar Religieuze Cult
4. De Filosofie van een Gedesillusioneerde
5. Het Godverlaten Leprosarium

 

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