T'façon, je préfère Aphex Twin.
A bien des égards, la réception de ce nouvel album de Deafheaven intitulé Infinite Granite a remémoré des souvenirs similaires à ceux lors de la sortie de Shelter d'Alcest. A l’époque, le pauvre Neige a été surpris de voir l’agacement de l’intégralité de sa fanbase metal face à un album qui s’était totalement abandonné au shoegaze. Et puis le temps a fait son bout de chemin et la postérité a intégré Shelter comme un très bon album dans la discographie d'Alcest. Je pense que le choc mental lors de la sortie de cet album a biaisé l’excitation des fans, les rendant plus agressifs, plus tranchants dans leurs avis, il fallait juste un peu de temps finalement. Infinite Granite va très probablement subir le même sort. Nul doute qu’il ne plaira pas à tout le monde, pas tout de suite.
Je n’ai pas été étonné de voir Deafheaven s’abandonner complètement, à son tour, au shoegaze et au post-rock sur ce nouvel album (délaissant même le scream si singulier de George Clarke). Ordinary Corrupt Human Love faisait état de nombreux passages lumineux, ne donnant qu’une petite place (mais toujours bien amenée) au black metal qu’il est presque normal de voir désormais les natifs de San Fransisco s’exercer à un rock indépendant nourri aux formes ancestrales du shoegaze, de la dreampop et du post-rock.
Exit les plages peuplées d’âmes à la dérive et ces soleils aussi brûlants que réconfortants. Exit le blackgaze et son équilibre si justement trouvé par Deafheaven auparavant, cet équilibre parfait entre le black metal cathartique et l’intense mélancolie désespérée de son post-rock. Deafheaven n’en est plus à souffrir de sa condition de jeunes fans de black metal à la recherche de l’espoir qui vous transperce par la lumière du blackgaze. Le succès a frappé à la porte grâce à Sunbather et après avoir vécu des aventures peu agréables (addictions, pauvreté), c’est un Deafheaven calme et enfin sécurisé qui se présente à nous avec l’audace de regarder les étoiles et prétendre les atteindre avec l’éternelle mélancolie qu’on lui connaît.
Au-delà de l’évidence des intentions spatiales assumées de la part du quintet avec une pochette à la constellation bleutée, Deafheaven n’a pas signé Jack Shirley une nouvelle fois pour la production de ce nouvel album (producteur presque historique de la formation) préférant se tourner vers le bassiste-producteur Justin Meldal-Johnsen. Un geste symbolique tant l’homme cité précédemment n’a que très peu de liens avec la scène metal. Par contre, l’espace, c’est un univers que Justin a côtoyé à de multiples reprises dans sa carrière de producteur.
Tête pensante derrière l’acclamé Hurry Up We’re Dreaming du groupe d’electro / post-rock français M83, il est l’homme de la situation pour canaliser les nouvelles intentions de Deafheaven afin de mieux les projeter dans les étoiles. Un homme qui n’a pas grand lien avec le metal mais qui sait donner le coup de collet nécessaire au groupe pour faire décoller les mélodies vers des territoires que la frange terre-à-terre du metal n’est pas habituée.
Cependant, la question persiste, l’album reste-t-il bon quand il est re-contextualisé à la hauteur de ses intentions voyageuses ?
A cela, je répondrai avec une légère pointe de déception que ce nouvel effort du quintet est inégal. Ma forte accointance avec l’univers du shoegaze et du post-rock prédisait un total engagement fanatique de ma personne vers un Deafheaven qui se lâche totalement dans la mignonnerie mais il est facile de constater que certains titres sur ce Infinite Granite n’atteignent pas les intentions du groupe lorsque celles-ci étaient enregistrées. Shellstar, la piste d’ouverture, peine légèrement dans sa mission d’affirmer le nouveau virage des Américains en proposant une contrefaçon peu convaincante d’Explosions In The Sky où tout est soit trop mou, soit pas assez évocateur. Un reproche qu’on concède également au titre Other Language, dont la construction léchée, ne décolle jamais réellement.
Fort heureusement, l’intelligence avec laquelle Deafheaven aborde cet Infinite Granite permet à l’œuvre d’être logique de bout en bout dans cette aspiration spatiale et d’offrir de solides moments malgré tout, à commencer par le majestueux single In Blur, qui accroche autant qu’il nous déchire par les sonorités très modernes de son shoegaze, Un tube que Slowdive (période 2019) aurait très certainement apprécié composer. Le petit écart de 3 minutes aux synthés intergalactiques que représente Neptune Raining Diamonds nous donne du grain à moudre pour rester accroché (péniblement) dans l’espace de Deafheaven qui flotte sous nos yeux sans jamais vraiment nous transpercer de sa grâce habituelle.
Villain est à mon avis le plus gros point fort de l’album puisqu’il est le seul titre à équilibrer la balance parfaite entre cette nouvelle esthétique avec un retour (timide) mais efficace du scream de George pour accompagner le riff XXL de Kerry McCoy. Ce qui semblait difficile à doser depuis le début de l’album jusqu’à cette piste, qui prend enfin son sens avec cette sensation apaisante de rentrer dans un trou noir mélancolique, baigné par la reverb allègrement tartinée par Kerry tout du long.
Le scream quelque peu évaporé de l’album pour n’être finalement présent que par très légères (et molles) secousses tente un ultime retour en fanfare sur le final Mombasa. Un titre « au coin du feu » avec sa guitare acoustique qui chatouille nos oreilles avec douceur pour finalement s’écraser sans aucune logique vers une séquence blast-beatée sabordée par ce fameux scream qui n’a jamais sonné aussi mal maîtrisé qu’auparavant, comme si ce bon vieux Georges avait enregistré avec la toux sèche qui gratte au fond de la gorge. Je n’aurais jamais cru dire ça de George Clarke un jour. Les derniers instants du titre sont grandiloquents, avec toujours plus de reverb et d'effets pour grossir le final crescendo. Mais, à l’image de cet album, tout semble un peu trop forcé, poussif et Mombasa termine cette sensation que quelque chose de mieux pouvait être réalisé si Deafheaven tenait tant à se réinventer.
Je crois que mes espoirs de voir Infinite Granite comme un excellent album ont déjà quitté l’orbite de ma logique. La prise de risque était bien présente mais l’ensemble est inégal, du rarement vu chez les Américains et c’est peut-être ce qui m’agace un peu. Loin de moi l’idée de faire l’intégriste et d'affirmer que l’album est forcément mauvais puisqu’il s’est séparé de tous ses aspects black metal pour se concentrer uniquement sur sa face la plus douce et la contextualiser dans un geste d’originalité vers l’espace et les étoiles, mais le vaisseau Deafheaven peine à voir les constellations s’illuminer malgré ses bons efforts. Sachez-le, quelques voyages supplémentaires seront peut-être nécessaires pour en apprécier la saveur.
1. Shellstar
2. In Blur
3. Great Mass Of Color
4. Neptune Raining Diamonds
5. Lament For Wasps
6. Villain
7. The Gnashing
8. Other Language
9. Mombasa