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Album

11 septembre 2018 - ZSK

P.H.O.B.O.S.

Phlogiston Catharsis

LabelTranscending Obscurity Records
styleMetal tellurique
formatAlbum
paysFrance
sortieseptembre 2018
La note de
ZSK
7/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Phobos, fils d’Arès et d’Aphrodite dans la mythologie grecque, a donné son nom à un satellite difforme de la planète Mars (nom d’Arès dans la mythologie romaine). Et si l’activité géologique de cet astéroïde capté dans l’orbite martienne semble nulle, le Phobos qui nous intéresse, celui qui s’écrit P.H.O.B.O.S. avec les points entre les lettres, a lui imaginé quelque chose de plus bouillonnant, mais demeurant ancré dans la noirceur spatiale. Le projet P.H.O.B.O.S. nait donc en 2000 sous l’impulsion de Fred Sacri, musicien parisien qui semble avoir une influence toute trouvée, celle de Godflesh et son Metal industriel très rêche et mécanique, surtout lors de ses débuts avec Streetcleaner en 1989. Mais P.H.O.B.O.S. n’est pas qu’un simple clone de Godflesh même si le qualificatif de Godflesh français lui irait à ravir. Fred Sacri et les compères qui l’ont accompagné au fil des ans ont plutôt pris comme base Godflesh et certaines de ses caractéristiques (comme la batterie programmée très machiniste et offensive) pour en livrer une version personnelle, plus extrême et lorgnant ainsi vers le Doom et le Black. Cela a fini par donner naissance à un Metal très tellurique, qui a évolué au fil des années. Ainsi, après un début sur le massif et écrasant et bien-nommé Tectonics (2005), P.H.O.B.O.S. avait affirmé sa personnalité et déjà livré son manifeste avec Anœdipal (2008), album monumental où l’Indus/Doom tellurique du groupe se trouvait pile entre les profondeurs de la Terre et la noirceur de l’Espace, avec en point d’orgue le fantastique et inoubliable "Destrud Mortid / To Comply With the Cruel Contract". Il y avait déjà de quoi faire, mais ensuite, de l’eau a coulé sous les ponts, ou plutôt sur les coulées de lave encore incandescentes. Atonal Hypermnesia, sorti en 2012 sur Candlelight Records, voyait alors P.H.O.B.O.S. prendre une direction plus expérimentale, plus ambiante, plus dissonante. Se rapprochant en cela des facéties de certaines formations de Black-Metal, en particulier Blut Aus Nord, maître incontesté de la dissonance dans le BM. Un Blut Aus Nord qui, d’ailleurs, un an plus tôt, avait affirmé avec 777 - Sect(s) une de ses influences plus ou moins évidentes, celle de… Godflesh. Ainsi, P.H.O.B.O.S. a donc bouclé une boucle, qui va l’emmener encore plus loin.

A commencer par, histoire d’enfoncer le clou, un split avec Blut Aus Nord sorti en 2014, Triunity, où P.H.O.B.O.S. présentait 3 nouvelles compositions encore plus cosmiques et expérimentales, prouvant que le projet est parti bien loin des séismes musicaux de Tectonics et Anœdipal. Le successeur à Atonal Hypermnesia, album convaincant mais qui demandait peut-être à être confirmé à cause de sa nouveauté et de son manque logiquement d’aboutissement, était donc très attendu, surtout vu la qualité prometteuse de certains moments de Triunity. Un EP, श्मशान काली, est d’abord sorti en 2015 dans une certaine discrétion, avec un inédit et deux reprises assez originales ("I Won’t Dance (The Elders Orient)" du Into The Pandemonium de Celtic Frost, et "Enter the Eternal Fire" de Bathory), et ce n’est donc que 6 ans après Atonal Hypermesia que P.H.O.B.O.S. signe son retour au format long avec Phlogiston Catharsis, sorti par le label indien Transcending Obscurity. Voilà donc ce qui n’est que le 4ème album de P.H.O.B.O.S. en 18 ans, le projet de Fred Sacri - ici accompagné de Mani Ann-Sitar et Magnus Larssen pour différents bruitages - étant du genre à se faire désirer. Il se pose donc la question de savoir si nous allons avoir affaire à quelque chose dans la lignée de Atonal Hypermnesia et Triunity, un éventuel retour aux sources à Tectonics et Anœdipal, ou encore autre chose. La réponse pourrait bien se situer entre tout ça. Mais la base demeure la même, Metal industriel très pesant aux grattes acérées et aux machines martelant inlassablement la croûte terrestre, avec toujours cette atmosphère très froide, l’impression de se trouver près de geysers de glace d’un quelconque satellite de Jupiter ou de Saturne. Les vocaux grognés sont assez différents de ceux plus déclamés d’un Anœdipal en son temps, ils sont d’ailleurs un peu plus présents que pour Atonal Hypermnesia qui lui laissant souvent la musique s’exprimer. On retrouve donc cette vibe Godflesh, dans une ambiance donc moins urbaine et plus stellaire, mais tout aussi lourde et cradingue, résolument Doom mais à la manière si particulière de P.H.O.B.O.S..

En apparence, Phlogiston Catharsis se place au départ dans la lignée de Atonal Hypermnesia, mais dans une version plus condensée et plus immédiate, avec deux fois plus de morceaux, forcément plus courts (jusqu’à près de 7 minutes, grand maximum). Les riffs bien râpeux prendront néanmoins plus de place que les diverses expérimentations, mais on ne retrouvera pas la puissance d’un Anœdipal pour autant. Phlogiston Catharsis va surtout se poser comme l’album le plus équilibré de P.H.O.B.O.S. depuis sa création, comme un pont entre Tectonics et Atonal Hypermnesia, résumant bien tout ce qu’il a fait jusque là, entre classicisme de son « Doom industriel » et des quelques petites aspérités qui penchent vers le Black-Metal torturé de Blut Aus Nord. "Biomorphorror" démarre ainsi l’album avec des riffs bien sentis, mais bien entendu très rampants et boueux, P.H.O.B.O.S. faisant bien évidemment et toujours l’éloge de la lourdeur tellurique. Mais déjà, le groupe expérimente, sort des sentiers battus du Godflesh de l’espace lointain, avec une partie centrale du morceau plus psychédélique, plus enfumée, avec même quelques leads « épiques ». P.H.O.B.O.S. étonne déjà, dans l’esprit de Triunity, qui revient tout de même légèrement aux fondamentaux. Phlogiston Catharsis est déterminé à explorer tout l’univers de P.H.O.B.O.S. et c’est ainsi que "Igneous Tephrapotheosis" lorgne bien vite du côté Blut Aus Nord de la Force, avec l’apparition en force des diverses dissonances, avec en sus un chant très prenant. Phlogiston Catharsis est lancé et sa particularité, c’est qu’il va être de plus en plus lourd au fil des morceaux, s’enfonçant dans les abysses des cratères. "Zam Alien Canyons" est un monument de lourdeur, avec des riffs industriels hyper sombres et rampants ; "Aurora Sulphura" nous enfonce encore plus dans les profondeurs avec une pression résolument écrasante, à l’aide de riffs graisseux et telluriques écrasants comme jamais. Quelques leads s’échappent néanmoins de ces roches et posent une ambiance aliénante, qui atteint son paroxysme sur "Neurasthen Logorrh", morceau particulièrement noir et enfumé où les mélodies dissonantes à la Blut Aus Nord se font entendre de manière pertinente, le tout formant l’identité de P.H.O.B.O.S., avec son Metal tellurique pesant et malsain d’un autre monde.

Phlogiston Catharsis semble donc se diriger tout droit vers une descente sans fin dans l’abstraction des enfers. Mais hélas, cette fois-ci, P.H.O.B.O.S. va se louper sur la fin en tentant de s’extirper des abysses. Si la lourdeur de l’ensemble est toujours plutôt colossale, les 3 derniers morceaux de cet album sont un peu décevants. "Taqiyah Rhyzom" propose de bons moments mais est assez lourdaud, plutôt que lourd dans le bon sens du terme. "Aljannashid" est assez plat et vain, malgré des vocaux prenants. "Smothered in Scoria" tente de rattraper le coup en allant loin dans le glauque et le dissonant, en proposant même des compos flirtant avec le Stoner/Doom et des leads déglingués, mais s’avère assez vain également, P.H.O.B.O.S. termine tranquillou et ne surprend plus. D’ailleurs dans l’ensemble Phlogiston Catharsis ne surprend pas, les éléments musicaux étaient presque tous déjà présents dans la discographie du projet parisien, et on aurait peut-être aimé que P.H.O.B.O.S. continue à vraiment expérimenter après Atonal Hypermnesia et Triunity. Ou fasse un vrai retour aux sources mais comme il s’avère plutôt équilibré, Phlogiston Catharsis se retrouve le cul entre deux chaises, avec des plans à la Blut Aus Nord qui tombent parfois comme un cheveu sur la soupe ou une feuille sur la coulée de lave. Avec sa fin d’album moyenne, Phlogiston Catharsis est malgré tout un album plus inégal qu’autre chose. Car quand il joue à fond la carte de la lourdeur tellurique bien grave et abrasive, P.H.O.B.O.S. ne le fait pas à moitié et des morceaux comme "Zam Alien Canyons" ou "Aurora Sulphura" sont assez impresionnants dans leur registre. P.H.O.B.O.S. reste à part dans le monde du Metal industriel, même des disciples de Godflesh tant il a dilué dans sa mélasse volcanique d’autres influences, et tant son aspect très doomesque et très malsain lui confère une personnalité vibrante et bouillonnante, malgré la lourdeur extrême constante. Seulement, Phlogiston Catharsis n’est pas la meilleure œuvre du projet, et il faudra encore attendre une autre performance de la part de Fred Sacri, pour égaler un album comme Anœdipal ou explorer d’autres contrées sombres et inconnues comme Triunity le laissait entrevoir. En attendant, P.H.O.B.O.S. reste malgré tout, avec C R O W N (dont le nouveau méfait devrait bientôt débarquer), une des sensations françaises en matière de Metal T.E.L.L.U.R.I.Q.U.E.

 

Tracklist de Phlogiston Catharsis :

1. Biomorphorror (6:41)
2. Igneous Tephrapotheosis (6:35)
3. Zam Alien Canyons (4:54)
4. Aurora Sulphura (4:31)
5. Neurasthen Logorrh (5:57)
6. Taqiyah Rhyzom (5:51)
7. Aljannashid (6:57)
8. Smothered in Scoria (5:13)

 

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