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Let Mortal Writers Draft Your Fame - Part 1

mercredi 13 juillet 2016
Panzerbrume

Du War Black Atmosphérique ? C'est possible

« Ash nazg durbatulûk,
ash nazg gimbatul,
ash nazg thrakatulûk,
agh burzum-ishi krimpatul. »
 

Si ces quelques lignes ne vous disent rien, vous avez probablement passé les dix ou quinze dernières années à hiberner, ou peut-être habitez-vous tout simplement au fin fond de la Corrèze ? Si c'est le cas, vous connaissez sûrement votre voisin Varg Vikernes, dont le nom du groupe apparaît dans ces mystérieuses inscriptions, Burzum signifiant « Ténèbres » dans la langue noire du Mordor.

Vous l'aurez deviné, les œuvres de J.R.R. Tolkien auront une place importante au sein de cet article, car constituant le cœur même du groupe à l'honneur dans ces quelques pages.

Je ne vous cache pas que Summoning est l'un des groupes (le groupe ?) que j'adule le plus. Il se peut donc que de temps à autre transparaisse un peu de cette admiration, mais promis j'essaierai de rester objectif (enfin, je crois). Si j'écris cet article, donc, c'est d'une part pour vous présenter les pères et maîtres de l'Epic Black Metal, mais aussi pour vous laisser entrevoir l'ampleur de l'influence qu'ont eue les deux têtes pensantes de Summoning sur la scène depuis leurs débuts en 1993.

Bon, Summoning est grand, Summoning est beau, mais Summoning est aussi très vaste ! Il va falloir organiser un peu cet article pour ne pas se perdre. Je vous propose donc de couper tout ça en sept parties qui sortiront chaque mercredi à partir d'aujourd'hui, histoire d'avoir de la lecture pour toute la période estivale ! Voici donc le planning de ce « summeroning » (désolé) :

  1. Les débuts (j'inclus Lugburz dans cette partie).

  2. Les albums de Summoning (sauf Lugburz du coup), partie 1.

  3. Les albums de Summoning, partie 2.

  4. Les autres projets de Silenius et Protector.

  5. Le reste du monde, partie 1.

  6. Le reste du monde, partie 2.

  7. Une surprise ;)

Si le menu vous convient, attachez votre bavoir préféré, ça démarre maintenant !

 

L'avant-Summoning
(1991-1993)

 

Comme on peut s'y attendre, Silenius et Protector ne se sont pas dit du jour au lendemain qu'ils allaient monter le groupe grâce auquel on les connaît principalement aujourd'hui. Ainsi, avant de fonder Summoning, chacun évoluait dans un univers musical qui lui était propre.

Protector était alors batteur pour le groupe de Thrash Metal Malignom, avec qui il a probablement enregistré une démo en 1991 : Infecting Virulency. La tape, alors sortie de manière indépendante par les musiciens, est absolument introuvable, et il en va de même pour le 12'' HCOP im Arena Beisl, compilation de 1992 sur laquelle on retrouve l'un des morceaux de cette tape, TV Brainwash.

De son côté, Silenius s'adonnait à un tout autre style, en tant que bassiste d'un groupe de Doom Metal du nom de Shadow Vale, dont toute trace semble hélas avoir disparu.

On peut toutefois faire quelques suppositions sur l'origine du nom du groupe : sachant qu'il avait 16 ans à l'époque où il jouait dans Shadow Vale, et qu'il a toujours été fan de littérature fantastique [1], on peut facilement imaginer qu'il lisait quelques bandes dessinées fantastiques vers la fin des années 80. Il a donc sûrement connu Kull, the Vale of Shadows, comic de Alan Zelenetz sorti en 1989. De plus, le dessinateur, Tony DeZuniga, avait alors profité de Kull pour expérimenter un dessin plus psychédélique que sur Savage Sword of Conan [2], comic sur lequel il travaillait alors. Pas mal comme imagerie pour un groupe de Doom, non ?

Comble de hasard, la même année sortait The Lord of the Rings, adaptation BD du célèbre roman. Peut-être est-ce celle-la même qui donna envie à Silenius de s'intéresser à l'univers de J.R.R. Tolkien ?

Reste à évoquer Cromm (le dieu barbare de la baston). Ce groupe de Black Metal, formé peu de temps avant Summoning, et dissous un peu après, regroupait alors deux des musiciens qui formeront le premier lineup du groupe sus-nommé. « Comment ça deux des musiciens, on ne parle pas d'un duo ? », me direz-vous ? En effet, si j'ai jusque là évoqué uniquement Silenius et Protector, c'est car leur duo constitue le lineup final de Summoning. Or, le groupe a démarré avec quatre membres. « Quatre maintenant ? Mais ça ne s'arrêtera donc jamais d'augmenter ? ». Non, promis, on s'arrêtera à quatre.

On retrouve ainsi dans Cromm quelques personnes que l'on recroisera plus tard dans cet article, quand nous aborderons les collaborations de Summoning. Tout d'abord Pazuzu, qui viendra compléter le chant sur les premières démos de Summoning, et écrira une bonne partie des paroles du premier album. A la même époque, il fondera en compagnie de Silenius le non moins célèbre groupe Pazuzu, qui deviendra son projet solo après le premier album.

Le chanteur de Cromm officiait aussi dans Pervertum, groupe de Black Metal très influencé par la scène Norvégienne (MayhemEmperor…), et duquel était batteur Trifixion. Ce dernier, aussi membre du lineup original de Pazuzu, viendra compléter le quatuor Summoning en tant que batteur et chanteur.

Notez que je ne parle pas ici d'Abigor, bien qu'on entende parfois dire que Summoning est initialement un side-project de Silenius d'Abigor. En réalité, ce dernier groupe a été créé un peu après l'enregistrement de la première démo de Summoning [3].

 

Les premières démos
(1993-1994)

 

Bon, accrochez-vous car on arrive à la partie un peu difficile de la carrière de Summoning : les démos. Tous les groupes ont un début, où ils se cherchent un peu. Après quelques temps, ils se stabilisent vers quelque chose qui leur convient plus. Summoning, bien évidemment, n'échappe pas à la règle, et a produit trois démos entre 93 et 94, ainsi que deux splits que je me permets de placer dans cette section, car pour moi ils font plus office de préparation à Lugburz.

Comme ce sont les artistes qui parlent le mieux de leur musique, je me permets un copier-coller d'un extrait d'une interview de Summoning, réalisée en mars 2000 pour le webzine Negura [3].

How do you look nowadays upon your older materials like your demo-tapes or your first album for instance? […]

Looking back to the beginning I can say that our demos just were unbelievable shit. Our first serious release, our debut CD, Lugburz, was still primitive, rough and chaotic and doesn’t fit at all to our other releases. But it was OK for that time in ‘95. We had not found our own identity, but there already were some elements that became typical for what Summoning would stand in the future. […]

Ce qui dans la langue de Molière donne à peu près ça :

Aujourd'hui, que pensez-vous de vos plus vieux morceaux, comme par exemple vos démos ou votre premier album ? […]

Concernant nos débuts, je peux dire que nos démos étaient incroyablement merdiques. Notre première sortie sérieuse, notre premier album, Lugburz, était encore primitif, brut et chaotique, et il ne correspond pas du tout à nos autres sorties. Mais c'était OK pour l'époque en 95. Nous n'avions pas encore trouvé notre propre identité, mais il y avait déjà quelques éléments typiques de ce que Summoning allait devenir dans le futur. […]

C'est bon, vous êtes assez préparés à l'écoute des démos ? Tant mieux, parce qu'à moi, ça m'a fait un petit choc la première fois ! Je vais donc vous demander de cliquer sur ce lien : And I Softly Kissed My Sword. A noter que le morceau provient de The Demon Tapes, qui est un bootleg non-officiel de 2012 produit par l'ancien label de Varg VikernesBurznazg Productions (à vrai dire, on ne sait pas trop qui gère ça maintenant). On trouve sur ce double CD des versions remasterisées des démos de Summoning. Le morceau original, sur Upon the Viking's Stallion, est donc un peu plus crado.

Ca va ? Bon, analysons un peu tout ça. Clairement, l'intro n'est pas ce à quoi vous vous attendiez si vous avez déjà écouté du Summoning un jour, mais c'est déjà une première utilisation de samples. Le groupe en utilisera de manière omniprésente tout au long de sa discographie, sous de nombreuses formes : discours de personnages du Seigneur des Anneaux, orchestrations, chœurs… Et d'ailleurs, cette première démo regorge d'insertions de sons en tous genres, même si, à en croire le morceau The Lord's Prayer, ils n'avaient qu'un seul sample de hibou.

Un autre aspect qui ressort de cette démo est la volonté du groupe de varier les compos. L'exemple principal est le chant : à travers leur discographie, les musiciens ont souvent cherché le style de voix qui correspondrait le mieux aux compos. Cette démo n'échappe pas à la règle, et on ressent bien ces expérimentations, notamment en l'écoutant d'un bloc.


Upon the Viking's Stallion (1993)

La dimension épique du groupe, jusque là limitée à quelques samples d'introduction, comme sur Your Wish Is My Command, se développe plus dans la démo suivante, Anno Mortui Domini. Cette dernière s'éloigne un peu du Black Metal crasseux et commence à incorporer des riffs assez sympatiques. Un bon exemple est le début du morceau In the Name of the Holy Penis (God), qui me fait un peu penser à du Windir, bien que je ne pense pas qu'il y ait de relation directe entre les groupes, en tous cas en 1994.

On commence aussi à voir apparaître des morceaux qui seront repris pour le premier album, Lugburz. Par exemple, Tales From the Northern Forest est une version un peu brouillon du morceau qui deviendra Where Winters Forever Cry. De même, en assemblant des parties de Upon the Viking Stallion et de Dark Age, on obtient à peu près Flight of the Nazgul.


Anno Mortui Domini (1994)

La troisième démo, sobrement intitulée Promo Tape (ou parfois Promo 1994 ou Demo '94), confirme cette orientation plus épique du groupe. C'est aussi la première production de Summoning sur laquelle on retrouve les quatre musiciens précédemment présentés, Pazuzu venant de rejoindre le groupe pour accentuer la variété de chant. La plupart des morceaux de cette démo seront d'ailleurs repris dans le split Creation of a Dark Age, dans lequel on retrouvera Pazuzu, mais aussi Abigor et Cromm.

Comme pour Anno Mortui Domini, les morceaux de cette troisième démo serviront de brouillons pour Lugburz. Ainsi, l'intro deviendra Grey HeavensThe Valley of the Fallen Kingdom sera retravaillé pour obtenir Beyond Bloodred Horizons, et The Lord from the Shadowrealm deviendra The Eternal Lands of Fire.

Là où ça devient compliqué, c'est que le morceau Where Winters Forever Cry sur Lugburz n'est pas celui du même nom sur la Promo Tape, mais une version retravaillée de Tales From the Northern Forest sur Anno Mortui Domini. Toutefois, le morceau Where Winters Forever Cry de la démo apparaît aussi sur Lugburz, mais sous le nom Dragons of Time. Ce dernier sera d'ailleurs repris pour le split The Urilia Text avec Pazuzu, de même que Beyond Bloodred Horizons.

Si on veut être à peu près exhaustif, il reste à évoquer deux démos : la très rare Lugburz – Demo 94, et Minas Morgul. Ces deux démos sont sorties respectivement en 1994 et 1995, après la sortie du premier album, et afin de faire la promo du suivant : Minas Morgul. En combinant les deux, on obtient la quasi-totalité des morceaux qui composeront l'album, seul Marching Homewards manquant à l'appel.

Pour l'anecdote, ces deux démos furent tirée à extrêmement peu d'exemplaires pour quelques tapetraders et pour le jeune label Napalm Records (qui était à l'origine un fan club de Pungent Stench [4]), chez qui Summoning est encore signé aujourd'hui. Les autres, en revanche, étaient vendues chez un disquaire de Vienne, le Why Not [5], où travaillaient entre autres les musiciens de Pungent Stench. Quelques années plus tard, Silenius et Martin Shirenc créeront ensemble Kreuzweg Ost, projet Darkwave / Martial Industrial, dont nous reparlerons un peu plus tard dans ce dossier.

 

Lugburz
(1995)

 

Le 20 mars, c'est le premier jour du printemps, saison du renouveau où le paysage jusque là morne commence à se parer de couleurs. C'est aussi la fête de l'indépendance en Tunisie, ou encore l'anniversaire de Yukito Kishiro, auteur du manga Gunnm. Bref, le 20 mars semble être une date synonyme de renouveau, de changement. Pour Summoning, ce renouveau prend la forme d'un album le 20 mars 1995 : Lugburz.

Si Summoning était une chenille (oui, c'est probablement la métaphore la plus nulle que vous lirez dans votre vie), alors Lugburz serait en quelques sortes sa chrysalide : plus complètement rampant, mais pas encore un joli petit papillon non plus.

J'ai déjà un peu parlé de certaines des compos de cet album dans la section précédente, car Lugburz regroupe de nombreux morceaux déjà esquissés sur les démos, retravaillés pour l'occasion, et renommés pour coller à la nouvelle thématique du groupe. En effet, Summoning abandonne définitivement l'aspect occulte des démos pour embrasser tout un monde de Fantasy directement inspiré des œuvres de Tolkien. Le titre de l'album, signifiant « Tour Sombre » dans la langue noire du Mordor, fait référence à Barad-dûr, immense forteresse au sein de laquelle règne Sauron.

Revenons-en à l'album, musicalement parlant. Un point le distingue tout particulièrement des albums suivants : Trifixion. En effet, à l'époque, Summoning comptait dans ses rangs un vrai batteur, ce qui ne sera pas le cas par la suite, celui-ci se faisant expulser du line-up après l'enregistrement de Lugburz, car considéré par les autres membres comme un « commercial thinking asshole » [4].

Les rangs de Summoning n'étant pas à l'époque ceux qu'ils sont devenus par la suite, Lugburz n'a pas été composé de la même manière que ses successeurs. La majorité des riffs ont tout d'abord été esquissés à la basse, et Protector a ensuite ajouté les mélodies à la guitare (la seule exception notable étant le morceau Where Winters Forever Cry, dont le riff principal fut composé par Trifixion). Le clavier, instrument central des compositions actuelles de Summoning, est alors utilisé de manière très marginale, principalement pour l'intro de l'album, Grey Heavens, ainsi que pour des transitions au sein de certains morceaux, comme par exemple dans Flight of the Nazgul.

On obtient donc avec Lugburz un bon album de Black Metal pour l'époque, sorte d'Abigor en plus épique à la sauce Tolkien, avec un son saturé assez typique des années 90, et un jeu de batterie tout en acoustique alternant des plans tout aussi typiques. En gros, je le recommanderais volontiers à des amateurs de BurzumAbigor ou Windir, plus qu'à des fans de la version actuelle de Summoning, bien que je pense que l'album est à écouter au moins une fois pour bien comprendre ce que le groupe est devenu par la suite.

Lugburz a donc un côté très personnel. Si je reviens à ma métaphore lépidoptérique du début, il semble que certains voient encore en cet album le côté chenille, sorte de forme non aboutie de Summoning, alors que d'autres y trouvent déjà le papillon du Black Metal de l'époque. Il n'y a qu'à voir les reviews sur The Metal Archives, où les notes oscillent entre 30% et 97%. Pour ma part, je pense que cette énorme variance est directement reliée au moment de la découverte de Lugburz au sein de la discographie du groupe. Une chose est sûre, c'est qu'il ne laisse pas grand monde indifférent.

Je termine par une petite anecdote rigolote. Si les paroles de l'album, en grande partie écrites par Pazuzu, n'apparaissent ni sur l'album, ni sur le net, ce n'est pas comme on pourrait le penser pour cause de problèmes de copyright avec les ayants-droit des œuvres de Tolkien. Elles ont en fait été perdues juste après l'enregistrement de Lugburz [6]. Le groupe a alors décidé d'en faire une tradition, et n'a jamais fourni les paroles avec les albums suivants non plus (les seules exceptions étant le coffret Sounds of Middle-Earth regroupant les trois premiers albums, et la version collector de Old Mornings Dawn, mais bon, est-ce que ça compte vraiment ?). Elles sont toutefois disponibles sur le site officiel de Summoning [4] (sauf pour Lugburz du coup).

 

Conclusion

 

C'est tout pour aujourd'hui ! J'espère que cette longue introduction vous aura mis l'eau à la bouche pour la suite. Dans la seconde partie, je vous parlerai des autres albums du groupe, de Minas Morgul (considéré par presque tous comme le premier véritable album de Summoning) à Old Mornings Dawn (dernier album sorti au moment où j'écris ces lignes). A la semaine prochaine !

 

Références

[1]  Chad Bowar. Interview de Silenius et Protector. 2006.

[2]  RAGE machine Books.

[3]  Alexandru Abalaru. Interview de Summoning. Mars 2000.

[4]  Site officiel de Summoning.

[5]  Psicoterror. Autobiographie de Silenius et interview du groupe.

[6]  Сергей – Fawkes – Хитряков. Interview de Summoning. Mai 2006.