
Ozzy, Tony, Geezer & Bill forever : les adieux des Éternels
dimanche 6 juillet 2025
L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Nous étions donc plusieurs millions, ce samedi, à avoir décidé de dépenser environ 35 balles (TTC) pour le streaming même pas en direct d'un événement que nous avons tous, à un moment ou à un autre depuis son annonce, moqué. Voire conspué ou même dégueulé pour les plus épidermiques d'entre nous : foire à la saucisse m'as-tu-vu, mercantile et obscène sur base d'adieux pas nécessaires à Black Sabbath (Ozzy, lui, n'a pas eu la dernière séance espérée en 2023) ? Dernier cash-grab d'une Sharon Osbourne caricaturée jusqu'à plus soif ? Ou bien, comme on pouvait l'espérer, vraie cérémonie d'hommage aux créateurs d'un style, point final d'une carrière inégalable ?
Le Normand répondra que « la vérité était entre les deux », mais pour une fois, on lui rétorquera qu'il casse les couilles : la vérité était clairement plutôt du bon côté. Car les 35 balles que j'ai dépensés presque sur un coup de tête pour assister à ce « Live Aid » du metal ont peut-être été les mieux investis de mon année.
Les enfants du Sabbath
Tout d'abord, ayons une pensée pour ceux qui étaient sur place : à un tel prix, il est évident qu'en-dehors d'une poignée de privilégiés pour le coup vraiment m'as-tu-vu, être présent au Villa Park ce samedi était le pèlerinage d'une vie. Dans un moment devenu trop rare, le terme de « famille », de « communauté » du metal était adapté : tous ceux présents à Birmingham étaient des personnes dont la vie a, de près plutôt que de loin, été changée à jamais par Ozzy, Tony, Geezer et Bill. Une communion comme on n'en vit plus, ou presque.
L'émotion était souvent palpable à travers l'écran quand le public, où les larmes coulaient parfois – surtout, bien sûr, lors des deux derniers concerts du jour – était filmé. Elle était également présente sur scène, accompagnée d'une bonne dose d'humilité chez tous les participants. Oui, même chez Axl Rose. Tous sont des « enfants du Sabbath », pour reprendre l'expression de nos amis du podcast homonyme, et n'étaient là que pour ça, ce qui se ressentait au travers des performances certes inégales mais authentiques proposées d'environ 13h à 23h, heure locale.
Des moments légendaires...
Quand le running-order de la journée a circulé en ligne, il a également été moqué : même pas un quart d'heure pour certains artistes et non des moindres, comme Anthrax qui ne jouera que 2 titres (de trop, mais je m'égare). C'était attendu au vu du line-up interminable, et cela empêchera surtout l'ennui de s'installer, même si les « publicités » pour l'oeuvre de charité au profit de laquelle vont les revenus du concert auront vite pompé l'air de tout le monde – de même que les messages parfois touchants, souvent gênants de fans de Black Sab' et Ozzy du monde entier, mais quand même souvent du Brésil.
On ne savait pas trop à quelle sauce on serait mangé, mais il y aura eu des grands moments. Dès « Supernaut » balancé par Mastodon lors d'un set archi-rapide avec Danny Carey (Tool), Elloy Casagrande (Slipknot) et Mario Duplantier (Gojira) à la batterie. Puis lorsque le Supergroup A débarque : Lzzy Hale a beau jouer une musique que je trouve particulièrement insipide, sa performance sur « The Ultimate Sin » était quatre étoiles – et accompagnée de Jake E. Lee et Adam Wakeman, rien que ça. David Draiman respecte un peu plus « Shot in the Dark » et « Sweet Leaf » que « Sound of Silence » et les enfants palestiniens, sans que ça sauve le tout, mais c'est surtout... Yungblud qui offrira le premier moment de grâce du jour en reprenant un « Changes » plein d'émotion (avec Nuno Bettencourt et le batteur de Sleep Token, pour le détail). Fantastique.
Fantastique, aussi, ce set de Gojira qui gonflera de fierté tout l'Hexagone : déjà parce que les Landais sont trop forts, on le savait, et s'accompagnent même de Marina Viotti comme aux JO pour ce « Mea culpa » qu'on commence déjà à avoir un peu trop entendu. Mais aussi parce qu'ils déterrent le fort rare « Under the Sun » (Vol.4), preuve de leur bon goût. Pantera, de son côté, fait dans le plus classique : après d'énormes « Cowboys from Hell » et « Walk » qui envoient le maître de cérémonie Jason Momoa (tout à fait à la hauteur de l'événement) dans le pit, Anselmo & cie rendent très bien honneur à « Planet Caravan » et « Electric Funeral ». Aussi sobrement que possible quand on a Zakk Wylde au line-up.
Et puis, après un set très réussi de Tool qui me laisse globalement indifférent, il y a peut-être LE grand moment hors-Sabbath du soir : le retour de Slayer en Europe. On le savait pour avoir regardé les vidéos traînant sur le net : les maîtres du thrash sont en forme pour leur retour. Ils vont ravager Birmingham presque avec insolence, ne jouant une demi-cover de « Wicked World » que parce qu'il le faut bien avant de reprendre en cours de morceau par « South of Heaven » into « Raining Blood » into « Angel of Death ». Araya se marre, comme conscient qu'il met la pâtée aux autres groupes du soir. C'est presque pas du jeu : Slayer est le seul groupe à n'être pas venu pour rendre hommage mais pour tout détruire.
... et d'autres un peu moins
Bon, on ne va pas faire semblant : des moments médiocres, il y en a eu aussi. Comme ce Supergroupe B emmené par... Billy Corgan, qui fera regretter l'absence malheureuse de Halford en massacrant « Breaking the Law » avec pourtant K.K Downing à la guitare. Tom Morello a beau être le grand architecte de la soirée, ses drôles d'improvisations ont du mal à passer aussi, et n'aident pas Sammy Hagar à paraître plus inspiré sur « Flying High Again ». Fort heureusement, Tobias Forge – pardon, Papa Perpetua V – emmènera magnifiquement « Bark at the Moon » et, surtout, les invités surprises Steven Tyler et... Ron Wood (oui oui, des Rolling Stones) feront exploser le tout avec « Train Kept A-rollin' » et « Walk this way ». Tyler, rappelons-le, est revenu de loin et sa voix aussi, mais est impérial pour ses 77 ans.
Et puis, il y a les Guns N Roses. Pour leur premier concert en quintet depuis 1990, les ex-enfants terribles du rock'n roll ont fait dans l'original, c'est déjà ça, avec 4 reprises d'affilée, et pas des plus attendues : « It's Alright », « Junior's Eyes », « Never Say Die » et « Sabbath Bloody Sabbath ». Les avis divergent : apparemment, du stade, c'était la classe, et Axl sonnait très correctement. En streaming, c'était digne du meme ambulant qu'est devenu Rose : Mickey Mouse plays Black Sabbath. Très difficile à vivre, et une version déplorable de « Welcome to the Jungle » n'y changera rien. Ca c'était prévisible ; ce qui l'était moins, c'est que Metallica, franchement, ne fasse pas beaucoup mieux. Bordel, que James Hetfield est fatigué, faux sur toute la ligne, que ce soit sur ses titres (qui ont le bon goût d'être impeccables, pensez bien : « Creeping Death », « For Whom the Bell Tolls », « Battery » et « Master of Puppets », aucun groupe au monde n'a ça dans son arsenal) ou ceux de Black Sabbath à savoir « Hole in the Sky » et... « Johnny Blade » ! Never Say Die était très souvent à l'honneur ce soir et, de façon générale, même les prestations les plus délicates étaient toujours sauvées par les riffs dantesques pondus, immanquablement, par Tony Iommi.
Les Éternels
La soirée commence donc à se faire longue quand, enfin, l'inévitable « O Fortuna » retentit : il est là, Ozzy Osbourne sur son trône. Non plus prince mais Roi des ténèbres, roi de la soirée et, contrairement à ce que les plaisantins avaient parié, il ne mourra pas sur scène. Il ne sera même pas pathétique. Non, il n'a plus 20, ni même 50 ans, mais pour ses 76 ans, Ozzy sonne très bien, même s'il est parfois soutenu intelligemment par Zakk Wylde dès « I Don't Know ».
Bien sûr, le vieux père ne bouge pas, même s'il se dandine sur sa chaise. Bien sûr, sa voix fléchit par moments. Mais quand il prend la parole, on est aussi ému que lui : « It feels so good to be on this stage, you have no idea, guys », lance-t-il presque en larmes avant de bafouiller un « Mama I'm Coming Home » difficile mais bouleversant. Même les licks incessants de Wylde ne gâchent pas le moment : Ozzy Osbourne s'en va sur un ultime « I love you all » et un ultime « Crazy Train ». Il n'aura pas déraillé.
Et puis, le moment que tout le monde attendait, peut-être plus encore que ces adieux du maître de cérémonie : le Mont Rushmore du heavy metal va, pour une ultime fois, réapparaître. Ozzy Osbourne, Tony Iommi, Geezer Butler et – pour la première fois depuis 20 ans – Bill Ward, ensemble sur scène. Je ne peux peut-être pas moi-même réaliser l'importance de ce que je vis, moins impacté dans ma vie par Black Sabbath que mon ami Di Sab, mais la tension est palpable, le moment est grandiose. L'enjeu prend le pas sur le jeu : Ward est rouillé, « War Pigs » est brouillon. Alors qu'on attendait qu'Ozzy peine, c'est le colosse qu'on pensait inébranlable, Tony Iommi, qui n'est pas très précis, signe que même lui n'est pas éternel. Ils le sont pourtant, ces 4-là : « N.I.B » retrouve son groove – porté par un Geezer Butler fantastique, qu'on devrait classer à l'UNESCO. « Iron Man » est peut-être encore pire que « War Pigs », tout ça est loin du niveau de 2017 et de la tournée The End, mais l'important est ailleurs.
Bill Ward, 77 piges, tombe le haut, et un ultime « Paranoid » retentit. On a presque l'impression que l'instant signifie moins pour eux que pour nous, qu'ils nous ont simplement fait un dernier cadeau, eux, dieux de l'Olympe fatigués, avant leur ultime repos. Ward a bouclé la boucle, Butler a rempli « son » Villa Park, Iommi a l'air soulagé, Ozzy un peu perdu – il a tout donné. Ils nous ont tout donné, et cette fois, je ne parle pas de ce soir. Merci, Black Sabbath...