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lundi 2 juin 2025

Grima + Ultar + Houle + Suldusk + Aquilus @ Anvers

Kavka Oudaan - Anvers

Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

Dernière venue parmi les organisations dédiées aux musiques extrêmes dans le Plat Pays, Tumult Concerts place d'emblée la barre assez haut. Et pas seulement dans la capitale ; derrière le récent passage de Castle Rat à Anvers – on vous parle de la date parisienne ici – c'était Tumult. L'organisation remet le couvert, encore une fois au Kavka Oudaan, à un bon quart d'heure du centre historique d'un côté et de la gare principale de l'autre, avec son premier « gros » événement. Cinq groupes à l'affiche quand même, à savoir la tournée conjointe des Australiens d'Aquilus et de Suldusk, auxquels s'ajoutent les projets russes (chers à une partie de la rédac') Ultar et Grima. Si certaines dates ont vu s'ajouter Non Est Deus – vous savez, l'un des side-projects du Teuton derrière Kanonenfieber – ici, c'est la tournée du projet de black métal maritime français Houle qui débarque en renfort. Dans la seconde plus grande cité portuaire d'Europe, il y a une certaine pertinence.

 

Aquilus

Cinq groupes, même un samedi, c'est beaucoup quand même, et la soirée commence tôt avec les performances des deux formations australiennes. Aquilus bénéficiera toutefois d'une audience très correcte – même si la salle n'est pas très grande. Le son, toutefois, pêche un peu au début, le temps d'harmoniser les guitares avec le violon électrique d'Hayley Anderson, un instrument qui ajoute toujours une dimension intéressante aux musiques extrêmes, mais souvent difficile à bien équilibrer sur scène. À titre personnel, je trouve le néo-classique teinté de black metal d'Aquilus fort joli, mais il ne me suscite pas vraiment de réponse émotionnelle. Cela s'apprécie comme la bande-son d'un film, dirais-je, même si tiens à souligner l'abnégation d'un groupe prêt à traverser la moitié de la planète pour venir jouer en Europe. C'est d'ailleurs la dernière date de la tournée : « better buy all our fucking merch' » ajoute d'ailleurs le maître de cérémonie Horace « Waldorf » Rosenqvist avec un clin d'œil. Ça serait dommage de ramener tout cela down under, en effet.

 

 

Suldusk

Les premiers sets sont assez courts, et s'enchaînent rapidement. C'est maintenant Suldusk qui monte sur la petite scène – c'est-à-dire que 60% des musiciens d'Aquilus y retournent, dont la violoniste. Cela dit, les deux groupes australiens ne professent pas tout à fait le même répertoire ; Suldusk se centre surtout autour de la voix d'Emily Highfield, qui alterne néofolk et passages en growl. Les ballades de la dame nous offrent un moment de sérénité bienvenu avant ce qui va suivre, sublimé encore une fois par le violon d'Hayley Anderson. Le set sera toutefois entrecoupé d'un petit couac technique, mais dans l'ensemble, la musique de Suldusk fonctionne très bien en live ; c'est un moment d'immersion dans une musique folk et planante, entrecoupée de passages black metal plutôt bien répartis. Les deux groupes australiens me font penser aux deux facettes d'une même pièce, et leurs tournées communes offrent quelque chose de cohérent, tout en offrant des expériences assez distinctes rien que par la divergence entre les deux voix.

 

 

Houle

On ne va pas se mentir, c'est à partir de maintenant que vont se succéder les groupes qui ont motivé la venue d'une bonne partie du public. La salle se remplit tout d'un coup, et on entend pas mal de français de France, alors qu'Anvers n'est pas vraiment à proximité de cette frontière-là. J'ai pu voir Houle à l'autre bout du pays au Night Fest Metal de 2023, et le groupe de marins, qui jouait pourtant assez tôt, avait su faire plonger l'audience dans son univers fait de bouffées d'iode et d'embruns. Depuis, les Franciliens ont sorti leur premier album, Ciel cendre et misère noire. Pour moi, celui-ci sublimait certains points forts de Houle – les textes, poétiques et viscéraux – mais au prix de compositions moins percutantes que celles de l'EP sorti deux ans plus tôt. J'étais donc très curieux de découvrir ce que ces morceaux offraient sur scène. Eh bien j'ai pris une nouvelle claque.

Dans un décorum fait de filets de pêche et de varech, Houle débarque avec « La Danse du Rocher », morceau à texte qui n'est pas dénué de passages atmosphériques, et en fait une sarabande infernale. Le groupe a acquis, en quelques années, une maîtrise de la scène qui reste rare dans le black metal. Les guitaristes, d'une justesse imparable, font virevolter les sonorités tantôt furieuses et tantôt apaisées. Encore une fois, c'est la performance de la chanteuse Adsagsona qui capte tous les regards. Elle se cabre, éructe, déclame ses passages en spoken-word sur un « Sur Les Braises Du Foyer » absolument terrifiant. Elle ponctue ses bourrasques d'un *SCHRIIIIIK* strident aux accents de catastrophe, tant il me rappelle avec précision le son de la tôle qui se déchire. PTSD maritime. Et puis soudain la chanteuse disparaît, pour mieux réapparaître au plein milieu de la fosse, lampe-tempête en main, pour provoquer l'empoignade sur « Le continent ». On n'en sort pas indemne, et j'estime que Houle figure aisément parmi les groupes de la scène black metal française les plus marquants en live.

 

 

Ultar

Autre double set de la soirée, les jumeaux Max et Gleb Sysoev derrière Ultar étant également les têtes pensantes derrières Grima. Deux groupes que j'ai aussi pu voir lors d'un festival à Arlon – mais un autre. Le Kavka Oudaan est maintenant proche de faire salle comble, ce qui démontre que les projets des Sibériens commencent à bénéficier d'une certaine notoriété en Occident, en dépit de leurs difficultés à tourner. Sur scène en tout cas, l'expérience commence à porter ses fruits ; si Ultar avait offert une belle performance à Arlon, elle est ici superbe, hiératique même, tant Gleb semble à l'aise en grand prêtre d'un culte maudit. Le Sibérien, tout en corpsepaint et veste d'uniforme noire, hypnotise par sa seule présence alors qu'il déclame ses vers lovecraftiens impies.

Quant à la setlist, elle alterne entre le premier album du culte et le troisième, ce qui nous prive – encore d'un « Shub-Niggurath », mais fichtre. Le très post-black « Azathoth » nous fait tout aussi bien plonger en apnée dans l'univers onirique et horrifique du prophète de Providence. L'exécution est superbe, le public aisément converti s'il subsistait des doutes ; parmi les groupes qui se vouent à la mythologie de Cthulhu, Ultar fait partie des chapelles les plus prometteuses au sein des abysses. Le groupe termine en beauté sur un enchaînement « Midnight Walk and Reminiscences of Necromancy » / « Innsmouth » issu de son dernier album, At the Gates of Dusk, et nous laisse plus pantois que je ne l'aurais imaginé.

 

 

Grima

Le temps de charger la scène en décorum macabre et forestier, et les jumeaux sibériens remontent sur scène sous les traits de Grima. J'insiste : rien que pour enchaîner ainsi deux concerts intenses sous des noms différents et sous des identités si distinctes, la paire de groupes russes mérite un grand respect. D'autant que les musiciens jouent affublés de masques d'esprits des bois qui ne doivent guère leur faciliter la tâche. Plus folklorique, plus forestier, Grima est aussi, des deux projets des jumeaux Sysoev, le plus représentatif d'une scène russe actuelle, volontiers portée sur un black metal atmosphérique proche de la nature. Le groupe défend ce soir son nouvel album, Nightside, forcément mis à l'honneur avec le très russe dans ses sonorités « Beyond the Dark Horizon » et « Impending Death Premonition ».

Je soulignais qu'Ultar avait pris de l'assurance sur scène, et c'est également le cas pour Grima. Si les musiciens restent assez statiques, il y a une vraie volonté d'occuper la scène et de « s'imposer » à un public plutôt que de simplement enchaîner les morceaux – ce qui est encore trop courant dans le black metal, surtout atmosphérique. C'est encore plus vrai pour le chanteur, qui semble invoquer les esprits des rameaux dans d'étranges contorsions de doigts. Celui-ci dépose sa guitare pour se parer de bras faits de branchages et, c'est nouveau, d'un sceptre composé d'un cep et d'ossements, dont un crâne humain. Pour « Skull Gatherers » et ses passages au bayan, l'accordéon traditionnel russe, évidemment – mais l'instrument emblématique n'est hélas pas présent sur scène.

Si l'exécution reste parfaite, Grima souffre peut-être de la lenteur de ses longues mélodies, d'autant qu'après une telle journée, la fatigue se fait sentir pour nous aussi. Le set finit par me paraître un peu long, d'autant qu'on a, c'est rare, pris de l'avance sur le programme et que le dernier groupe en profite pour se faire plaisir. Grima nous offrira quelques morceaux de son album de 2017, Will of the Primordial, accompagnés du désormais classique mais toujours efficace canon à neige, qui recouvre les êtres des bois d'un saupoudrage de flocons qui, il faut bien l'admettre, apporte quelque chose, visuellement parlant. Avec « Siberian Sorrow »  et son superbe solo et « The Shrouded in Darkness », Grima nous emmène encore plus profond dans les bois dans ce qui reste un très beau final, et qui bénéficie d'une authenticité, d'une franchise dans la démarche, qui a parfois fait défaut au black metal atmosphérique.

 

***

Pour un premier événement d'une certaine ampleur, Tumult nous a offert un très beau plateau, à la fois généreux et cohérent. On ne peut que souhaiter à l'organisation de continuer sur cette lancée. Celle-ci a d'ailleurs récemment révélé l'affiche complète du véritable festival sur deux jours qu'elle organise en octobre au Botanique, à Bruxelles, avec entre autres Myrkur et Witch Club Satan.

Merci à Tumult Concerts pour une si belle soirée. 

Merci à AndyBxHell pour les photos.