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samedi 4 mai 2024

Cronos Spring Fest : Grima, Ultar, RüYYn, Helleruin

L'Entrepôt - Arlon

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

L'offre en termes de festival de black metal, en Wallonie, s'est encore un peu restreinte avec la disparition du Metal Méan, en 2022. L'initiative de l'ASBL Cronos d'organiser un second festival, au printemps, en plus du Night Fest auquel Horns Up assiste régulièrement aussi (le live report de l'année passée est à relire ici), est donc bienvenue.

Surtout quand elle offre une affiche aussi pointue : le duo russe Grima-Ultar est déjà rare dans des conditions normales, et l'est bien sûr devenu encore un peu plus depuis février 2022. On soulignera cependant que Cronos aime jouer à se faire peur, car après avoir invité Arkona en octobre dernier, le suspens a plané jusqu'au bout concernant les visas de Grima et Ultar. Finalement, la tournée sera amputée de quelques dates, mais aura bien lieu. Direction Arlon, donc, pour une dose de black atmosphérique venu du froid !

Nigrvm Sangvinem

Bien sûr, on n'échappe pas au régional de l'étape. Le temps de retrouvailles avec Arlon, cette espèce de Babylone lorraine où tout semble fermé un samedi à 13h, et avec l'Entrepôt qui n'a pas perdu sa superbe habitude de servir de la Lupulus Hopera et de l'Orval à 4 balles 50, et c'est déjà l'heure du concert de Nigrvm Sangvinem. 

En ce qui concerne les petits groupes locaux, j'ai une politique assez claire : si je n'ai rien de gentil à dire, je m'abstiens, car la critique est rarement constructive pour un groupe n'ayant à peu près aucun matériel disponible sur les plateformes. Nigrvm Sangvinem n'existe même pas sur Encyclopedia Metallum, et ça, c'est rare. Globalement, on est devant du black/death joué par des musiciens talentueux, mais qui ne donnent pas toujours l'impression de jouer le même morceau. Le duo de voix ne marche pas fort, contrairement à quelques plans isolés qui gagneraient (vraiment) à compter deux guitares plutôt qu'une. Ça manque de puissance pour un groupe donnant l'impression que Belphegor fait partie de ses influences principales...

RüYYn

On passe un sacré palier en termes de qualité avec l'un des derniers groupes estampillés LADLO : RüYYn, dont la typographie est un vrai plaisir pour tout rédacteur, bien entendu. Le projet de Romain Paulet, qui reste seul compositeur, a sorti son premier album Chapter II : The Flames, The Fallen, The Fury l'année passée, et offre un black metal un peu post, un peu dissonant, mais surtout très bien ficelé.

Difficile, cependant, de tirer son épingle de la botte de foin qu'est devenue la scène (post) black française sans une sacrée dose de personnalité, et RüYYn en manque encore un peu. Sur scène, on peut laisser une chose à Romain : il a une sacrée présence, avec juste ce qu'il faut de décorum sur scène pour faire entrer le public dans l'univers du groupe. Sa voix ne souffre aucune faiblesse, durant un set peut-être bien un peu plus long que prévu dû à un souci dont je parlerai plus tard. En guise de grand moment du concert, clairement, « Part III » se démarque dans un ensemble un peu trop monolithique à mon goût. Mais il faut dire que ça fait un petit temps maintenant que cette frange du black ne me parle plus, et j'en suis conscient.

***

Malheureusement, alors que l'organisation serrait probablement les fesses concernant le duo Grima-Ultar et ses visas, l'annulation viendra... de Non Est Deus. Le projet allemand emmené par Noise (Kanonenfieber, Leiþa) a été forcé de déclarer forfait pour soucis de santé, ce qui chamboule un peu l'organisation de la soirée. Le Mgla-like sans grande originalité de Non Est Deus me laisse plus que froid, mais mon binôme Matthias prend un coup sur la tête (et reprend donc une Lupulus).

Ultar

Moi, je m'en fiche un peu : j'ai fait la route pour Ultar et Grima, et ça n'étonnera pas ceux qui me lisent régulièrement sur ce site. Pour l'anecdote : mon tout premier concert de 2024 était... Ultar, à Moscou, le 4 janvier dernier. Il faisait -35°C dehors, et à moins de l'avoir vécu, vous n'avez aucune idée de ce que c'est que faire la file en extérieur par -35°C, vraiment. Heureusement, ça en valait la peine : j'avais pris une claque indescriptible.

Et encore une fois, les jumeaux Sysoev (Gleb au chant, Max à la guitare) vont me retourner la tête. Dès « Midnight Walk & Reminiscences of Necromancy », chaque ligne de guitare est une plongée en abîme. La voix de Gleb est malheureusement un poil trop en retrait, ce qui rend ses montées dans les aigus « à la Dani Filth » moins puissantes qu'à Moscou, mais la présence hallucinante du vocaliste compense tout ça. Sans en faire trop, Gleb porte le concert en maître de cérémonie. « Evening Star » n'est que le second morceau de la soirée, et déjà, son final laisse les gens pantois (le bref silence avant les vivats en témoigne). « Through the Golden Gates of Dawn » est encore plus énorme et varie les ambiances, l'une des grandes forces du post-black d'Ultar. Ironiquement, le concert des Russes me rappellera une autre leçon prise dans cette même salle des œuvres... d'Ultha, groupe allemand avec qui ils partagent plus que des sonorités au niveau du nom.

Mon seul bémol, quand « Azathoth », extrait du premier album Kadath (2016) conclura cette leçon, c'est de ne pas avoir eu droit aux meilleurs titres de ce qui reste le magnum opus d'Ultar, Pantheon : pas de « Swarm », pas de « Shub-Niggurath »... Assez incompréhensible, mais j'ai au moins eu la chance d'y avoir droit à Moscou. À tous nos lecteurs parisiens : ce 22 mai, Ultar joue au Glazart, et c'est immanquable.

Grima

J'ai toujours trouvé fascinant ces groupes partageant plusieurs membres, mais réussissant à sonner différemment. Ce n'est pas si rare dans le metal, bien sûr ; mais là où, par exemple, Blood Incantation/Stormkeep partagent plusieurs membres dans des projets de styles foncièrement différents, c'est assez saisissant de voir Ultar et Grima jouer tous les deux du black metal assez aérien et mélodique, mais pourtant très propre à chaque projet.

Grima est donc l'émanation plus folklorique et forestière de l'âme des jumeaux Sysoev, au contraire d'un Ultar plus moderne. Un « black atmosphérique » comme la Russie en produit tant, inspiré par leur Sibérie natale. Le décorum, déjà, est très différent : Grima a un attirail de vraie tête d'affiche. Crânes, machine à neige (!) et surtout ces déguisements saisissants à mi-chemin entre la crone et le lechi. On peut juger que c'est un poil trop, mais dès les premiers croassements de Gleb et le fantastique « The Moon & its Shadows », impossible de ne pas être fasciné. L'accordéon, samplé, achève de planter le décor. Il baigne également le plus doom « Siberian Sorrow », déjà un classique du groupe. La setlist, d'ailleurs, est absolument ultime : « Moonspell & Grief », le tube du dernier album en date (Frostbitten) « Giant's Eternal Sleep »... Tout au plus peut-on regretter que l'accordéon, si important chez Grima (comme chez Путь, autre groupe russe qu'on aimerait voir chez nous) soit samplé, alors qu'il pourrait amener un vrai plus aux performances live, mais est-ce faisable sur une tournée entière ? Probablement pas.

Quoi qu'il en soit, et même si j'ai une légère préférence pour Ultar, Grima a donné un concert digne de son statut : celui d'un nouveau patron du black atmosphérique et folklorique (au sens premier du terme), qui prend presque une dimension plus doom-death en live. À découvrir, donc, en compagnie d'Ultar au Glazart – avec, cette fois, Non Est Deus qui a repris la tournée.

 

Setlist :

The Moon & its Shadows
Siberian Sorrow
Devotion to Lord
Moonspell & Grief
Cedar & Owls
Enisey
Giant's Eternal Sleep
Rotting Garden

Helleruin

Je crois qu'on verra les Néerlandais de Helleruin pendant un bon bout de temps à l'affiche de nombreux festivals de black metal. Depuis le In Theatrum Denonium 2023, où nous les avions vus et fort appréciés, Carchost, la tête pensante du groupe, a sorti un excellentissime Devils, Death & Dark Arts, plus mélodique et personnel et qui compose la majeure partie de la setlist. Choix osé : commencer sur le lancinant et très long titre final de cet album, « Hymn of Life & Death », qui fait bien monter la sauce pour quelques morceaux bien plus dansants et direct. Carchost, au micro, cabotine comme un Kvarforth ou un Hoest des bons soirs et a une présence indéniable.

Difficile, bien sûr, quand on sort de deux concerts bien plus introspectifs et atmosphériques, de se jeter à corps perdu dans le black plus classique, plus rock'n roll aussi, de Helleruin. Mais des titres comme « Riddles in Devil's Tongue » ou le quasi-punk « Faces of War » ont tout pour retourner de nombreuses salles dans les années à venir. Et Helleruin a tout pour devenir une valeur sûre !

Setlist :

Hymn of Life and Death
Devils, Death and Dark Arts
Invincible
None of Us
All Shades Of Ferocity (Intro)
Riddles in Devil’s Tongue
No Light Shines Through
The Flame Still Burns Within Me
Faces of War

***

Avant de nous quitter, notons que le son de l'Entrepôt aura encore été impeccable durant la majeure partie de la soirée (à l'exception d'une voix un peu trop en retrait sur Ultar malgré de longs soundchecks, étrange). L'affiche du Night Fest 2024, en octobre, proposera Céleste et Wolvennest en tête d'affiche et devrait encore faire le plein. Bravo à Cronos pour l'organisation contre vents et marées !