Live reports Retour
jeudi 9 mars 2023

In Theatrum Denonium - Acte VII @ Denain

Théâtre municipal de Denain - Denain

Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Groupes évoqués : Helleruin | Bodyfarm | Deströyer 666 | Déhà | Mysticum

 

Le In Theatrum Denonium s'est taillé une place de choix sur la scène des festivals français, grâce bien sûr à cette salle magique : le théâtre municipal de Denain. Écrin fantastique pour un festival de musique, joyau qui contraste avec la morosité de la petite ville nordiste, le Théâtre a l'une des meilleures acoustiques de France, et l'équipe du ITD réussit généralement le pari de proposer des affiches en phase avec l'ambiance du lieu. Avec le show zinzin de Mysticum prévu pour cette édition, c'est encore le cas. 
Malheureusement, le ITD est également maudit depuis trois éditions désormais : à chaque année son annulation. Après Carpathian Forest pour cause de Covid-19, Bölzer en dernière minute l'année passée, place au split impromptu de Chapel Of Disease. Ca commence à faire beaucoup, et courage à l'organisation - dont l'interview est ici - qui ferait sûrement volontiers sans cette bouffée de stress annuelle. Bodyfarm a remplacé les Allemands au pied levé, dans un style qui colle peu au festival, mais difficile de faire la fine bouche. Place à cette 7e édition ! 

Notre report de l'acte VI

 

Helleruin

Matthias : Groupe plutôt récent et devenu le projet principal de son seul membre officiel Carchost, Helleruin commence à se tailler un certain succès. Et c'est mérité : si son premier album, War upon Man, professe un trve black metal fidèle à l'orthodoxie norvégienne, ses compositions sortent largement de la masse du genre par leur qualité. En outre, et ça mérite d'être souligné pour ce qui est à la base un one-man band, Helleruin déménage en live. Le chanteur aux faux airs d'elfe ivre de décadence et de vin semble incontrôlable, torturant son micro et escaladant les amplis. Il ne peut bien sûr pas se permettre de telles extravagances dans un cadre aussi solennel et précieux que celui de l'ITD, mais Carchost a eu la bonne idée de nous tailler une setlist spéciale pour l'occasion. Celle-ci laisse une bonne place aux singles et autre split qu'il a sortis après l'album – il est visiblement productif ce Batave – et qui touchent à une veine plus mélodique, donc plus adaptée à la sérénité du lieu. Je découvre d'ailleurs la plupart de ces compositions, et je pointerai « Invincible » parmi mes petits rattrapages, de même que le superbe morceau-fleuve qu'est « Hymn of Life and Death » et qui tient aisément l'audience en haleine tout du long de ses 10 minutes. Pour qui aime son black metal à l'ancienne tout en cherchant des shows avec une certaine personnalité, Helleruin est un nom qui mérite d'être suivi.

Setlist:

Faces of War
Invincible
No Light Shines Through
Hymn of Life and Death
None of Us
Mijn ziel aan de duivel

 

Bodyfarm

Matthias : Voici donc d'autres Néerlandais, sur lesquels tombe la lourde tâche de remplacer Chapel of Disease – un groupe dont l'annulation soudaine soulève bien des questions et que nous attendions particulièrement. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls, car quand Bodyfarm lâche ses premières notes, la salle est bien vide : trois rangs complets dans la fosse, quelques âmes errantes dans les gradins, tout au plus. C'en est carrément gênant, et on se retrouve forcément bien assez près de la scène pour lire une certaine déception dans les yeux du chanteur. Les Bataves ne se démontent pourtant pas et se lancent sans tarder dans leur death oldschool et carré, tendance Bolt Thrower modernisé du - vraiment très - Plat Pays. Bodyfarm enchaîne les morceaux les plus efficaces de son dernier album, Ultimate Abomination, avec « Symbolical Warfare », et surtout un « The Wicked Red » dont le mantra dégoulinant Bloodshed attire enfin quelques renforts dans la salle. Il se peut aussi bien sûr qu'une bonne partie du public se soit retrouvée bloquée dans les files d'attentes pour les tickets comme au bar, véritable fléau de cette première partie de soirée. Le groupe est solide et on aura le headbang facile ; c'est juste dommage qu'il s'intègre particulièrement mal dans un contexte théâtral et sur une grande scène qui semble fort vide. Le style s'y prête mal, c'est tout, outre bien sûr l'aspect improvisé de la prestation. Car je l'apprendrai par après, mais si Bodyfarm accompagne bien Helleruin et Deströyer 666 sur le reste de la tournée, ce soir le groupe avait prévu – quitte à laisser la place à Chapel of Disease – de jouer à Deinze, côté belge de la frontière. Une date qu'il a d'ailleurs assurée aussi, photos à l'appui, dans une toute petite salle et en compagnie de Carnal Desecration. Et oui, les gars de Bodyfarm ont enchaîné deux concert sur la même soirée ! Si ça, ça n'est pas de la volonté de rendre service... Ça explique en tout cas la brièveté de ce show – qui n'avait rien de raté, j'insiste. J'espère en tout cas que les Flamands leur auront réservé un meilleur accueil.

***

Comme tout festival, le ITD aura droit à son encart catering & organisation, et on peut dire que cela reste un point d'amélioration potentielle bien réel... mais probablement très délicat à gérer pour l'orga, et pour cause : le Théâtre Municipal de Denain n'est pas une salle des fêtes, n'a pas vocation à accueillir des centaines de métalleux assoiffés ni à servir de bar. Comme nous l'expliquait l'organisation durant l'interview, le In Theatrum Denonium est le seul événement de l'année lors duquel un bar est mis en place dans le théâtre. Résultat : c'est franchement peu pratique, surtout quand il faut faire la file pour les tickets, puis une (longue) file pour la bière. Une bière qui a le mérite d'être brassée pour l'occasion, mais c'est hit or miss dans ce cas et niveau goût, c'était plutôt du miss cette fois. 

Côté bouffe, j'imagine que c'est là encore l'organisation du lieu et un accord avec la Ville de Denain qui forcent le festival à fonctionner par sortie définitive, et donc à priver la ville des revenus d'une bande de métalleux beuglants et affamés débarquant dans ses snacks locaux - ou mieux, chez des food-trucks qui pourraient être débauchés pour l'occasion. Les sandwichs et hot-dogs du festival ont l'avantage d'être bon marché et cette fois, pas de pénurie à l'horizon. On s'en contentera. Reste que cette année, les couloirs du Théâtre Municipal semblaient particulièrement bondés. « Tant mieux », j'imagine...

Deströyer 666

Malice : Si le Théâtre de Denain gagne beaucoup à proposer des prestations... eh bien, théâtrales, on ne peut pas dire que les Australiens de Deströyer 666 cochent beaucoup de cases dans cette optique, surtout depuis les deux derniers opus bien plus orientés vers le thrash que vers le black/thrash épique des débuts. Mais on me l'assurait : en live, D666, c'est une tuerie absolue. On ne m'avait pas menti. 

Je fais partie de ceux qui ont vraiment apprécié Never Surrender, le dernier opus un peu bas du front de K.K. Warslut et sa bande. Le titre éponyme ouvre les hostilités et si c'est directement efficace, je dois me décaler vers la gauche pour entendre quoi que ce soit des (excellents) soli de guitare de Bez. Mais une fois en place, quelle claque. La setlist se sépare un peu en deux parties : la première moitié permet aux guignols de la fosse d'évacuer leurs pulsions (au plus grand plaisir, j'imagine, de K.K. lui-même qui n'est pas le dernier des guignols), avec un enchaînement de brûlots black-thrash régressifs (« Wildfire », « Hounds at ya Back », l'hymne « Guillotine »). Pour la seconde partie, lancée par le toujours extraordinaire « I am the Wargod (Ode to the Battle Slain) », le niveau monte et pas qu'un peu. Deströyer 666 va enchaîner les titres épiques issus de ses meilleurs opus (« Rise of the Predator » !) mais aussi, selon moi, le meilleur titre de Never Surrender : « Pitch Black Night » et son côté black mélo' accompagné d'un refrain entêtant. 

Techniquement, c'est un vrai déluge : le quasi-Bathoryesque « Trialed by Fire » est dédié au regretté Selim Lemouchi (The Devil's Blood), « Lone Wolf Winter » détruit tout sur son passage. D666 a réussi le pari de montrer ses deux visages en une seule setlist très intelligemment pensée, qui se termine par un « Satanic Speed Metal » jouissif au possible. Il y a tant à redire sur K.K. Warslut, les polémiques qui l'entourent et son attitude parfois imbuvable en concert comme en interview. Mais il n'y a strictement rien à redire sur ce que peut envoyer son groupe en concert. 

Matthias : Est-ce que ce concert fut bon ? Oui, ça serait de la mauvaise foi de prétendre le contraire. Est-ce que j'ai pu l'apprécier ? Non, pas vraiment. Il s'agit bien sûr de ma sensibilité toute personnelle, mais je ne peux pas partir en mode full déconne devant un groupe dont tous les textes oscillent entre appel au génocide et glorification des violences sexuelles – d'autant plus quand il vient d'un pays où c'est globalement ce qu'a subi la population indigène. La fosse vire très vite à la bagarre générale, et la folie ambiante est plutôt communicative, mais je ne peux pas me sortir de la tête que le type sur scène pense manifestement ce qu'il chante et qu'il a par le passé lancé des campagnes de harcèlement en ligne contre des journalistes dont il n'avait pas apprécié les critiques – des femmes, en particulier. Si j'étais bourré je pourrais peut-être passer outre, mais vu ce qu'on nous sert au bar, c'est hélas impossible.

Après je ne critiquerai pas le festival ; c'était une opportunité de programmer Deströyer 666, même si ce n'est pas vraiment le genre de groupe qui gagne à jouer dans un théâtre, et la performance est parfaitement carrée. Les anciens morceaux sont ultra prenants, et même ceux du dernier album prennent une dimension intéressante en live. Ce n'est jamais subtil, mais ça marche. Et le chanteur évite de se lancer dans l'une ou l'autre tirade gênante – qu'on n'aurait de toute façon pas comprise, encore que je ne suis pas certain qu'il faille mettre cela sur le compte de son accent, ou sur ce qu'il a dans les veines. Curieusement, c'est plutôt le bassiste qui harangue le public et qui retient l'attention par son soutien vocal et son jeu de scène.

 

Déhà

Matthias : Autre particularité devenue classique de l'ITD : entre les concerts dans la salle proprement dite, un artiste s'installe dans le hall pour une série de shows en configuration réduite. Cette année c'est l'artiste belge multi-facettes et multi-projets Déhà qui s'y colle, avec trois sets d'une vingtaine de minutes chacun. La foule étant particulièrement compacte dans cette salle qui accueille, en plus de l'artiste et de son matériel, un bar, le catering, et les stands de merchandising, on assistera vraiment aux deux dernières performances. Elles sont d'ailleurs toutes très différentes ; Déhà alterne sans sourciller compositions post-punk et passages rap, qu'il maîtrise d'ailleurs très bien. La dernière prestation de la soirée fut peut-être la plus « classique » avec quelques compositions issues de l'album A Fleur de Peau que Déhà a sorti récemment, sur lesquelles il est d'ailleurs rejoint par un second vocaliste. On notera que l'artiste travaille plus le contact avec son public que l'ensemble des autres groupes présents, ce qui vu l'aspect particulier de la disposition – et les conversations qui se tiennent à quelques mètres de lui – tient aussi de la performance.

Mysticum

Malice : Quelle excellente idée de la part du In Theatrum Denonium d'avoir été nous dégoter Mysticum en tête d'affiche de cette édition. C'est exactement ce qu'on recherche pour ce type d'événement : un concert sans concessions, visuel, surpuissant et qui profite au maximum de l'endroit. Au vu des visages sidérés autour de moi alors que retentissait le dernier morceau, un épique « All Must End », je pense que Mysticum a peut-être divisé, mais n'a certainement pas laissé indifférent. Qu'il me soit permis d'aller loin : je n'ai probablement pas vécu de concert plus intense que celui-ci.

Dès « Far », je suis sur le cul. Le Musclor qui se charge de vociférer une bonne partie de la première moitié de set me terrifie, mais ce sont bien sûr ces stroboscopes et cette imagerie militaire, violente, parfois presque dérangeante défilant derrière qui me marquent. Après un « LSD » complètement fou, je me décide à aller suivre le reste du set en hauteur pour échapper à la paire de fachos qui se tape dessus dans la fosse. Et des balcons, l'expérience est encore plus hallucinante. « Crypt of Fear », avec sa longue intro et son rythme dansant, me fait me trémousser sur mon siège ; « Cosmic Gun » pousse les potards, très, trop loin. La boîte à rythmes a été pointée du doigt par certains  comme trop forte, surmixée, mais comprenez bien une chose : Mysticum n'a pas envie que vous passiez un moment confortable. On sort du concert annihilé, les jambes qui flageollent, les yeux éclatés. Avec toujours cette envie de danser jusqu'au bout de la nuit, mais de danser triste devant la fin du monde. Une expérience absolument ultime, que je ne souhaite pas revivre tout de suite. 

 

© photos : Matthias