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Raton et la bagarre #32

mercredi 14 mai 2025
Raton

Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.

Le hardcore est le strict inverse de la cigale de La Fontaine, en étant oisif dans les premiers mois, froids, de l'année, et en revenant avec grand bruit et moult propositions à partir du printemps. Avril et mai ont apporté une excellente récolte avec plusieurs sorties majeures et tout un tas de découvertes. Ça a aussi été l'occasion de nombreux débats polarisants et de disques ne faisant pas l'unanimité. On parle d'un bon nombre d'entre eux dans ce numéro : ScowlSunami et Pain of TruthSpiritworldSaetia, ou encore Jivebomb. Et merci au camarade S.A.D.E de m'avoir donné un coup de main avec deux entrées dans cet épisode !

Et aussi car on en a besoin : continuez à parler de la Bagarre autour de vous, à partager les articles et plus généralement à entretenir la flamme dont la scène a besoin pour prospérer. Bonne lecture à tous-tes et à très vite !

 

SpeedwayCrossed | Scowl | Teen Mortgage | Ostraca | Saetia | Spiritworld | Balmora | Jivebomb | XweaponX | Pain of Truth x Sunami | Ashen HandsIndustrial Puke | Clan dos Mortos CicatrizMentions bonus

 

Speedway – A Life's Refrain
Hardcore mélodique – Suède (Revelation)

En matière de hardcore classique, héritier du youth crew, il y avait peu de promesses plus fortes que celles faites par les Suédois de Speedway avec leurs deux EPs. J’étais tombé sous le charme du groupe lors de leur passage à Paris en 2022, un sentiment confirmé par leurs deux EPs et même pas atténué par un live diminué à l’Outbreak 2023. Un attrait que je ne suis pas le seul à ressentir, car Speedway a réussi l’exploit d’être signé sur le légendaire label Revelation avec un seul EP ne dépassant même pas les 10 minutes.

Après trois ans d’attente, les Suédois révèlent un premier long format intitulé A Life’s Refrain et qui vient toucher en plein dans le mille pour celles et ceux qui aiment leur hardcore quand il est instantané, emprunt d’une énergie adolescente débordante, et d’autant de références youth crew que hardcore mélodique des années 2000 (Verse, Life Long Tragedy, Champion). Speedway joue dans la même cour que Wreckage, Mil-Spec ou même d’un One Step Closer qui se serait concentré sur le hardcore sans influences émotives. Mais avec cet album, le groupe se hisse tout en haut de la mêlée, avec une facilité déconcertante.

Pendant un peu plus de 20 minutes, Speedway enchaîne les frappes gorgées de saturation ensoleillée, de riffs impeccables et de segments fédérateurs (la ligne de basse sur « Solitaire »). C’est évidemment ultra codifié dans son style mais il est impossible de nier la composition imparable de 90% des morceaux. Le chant de Anton Larsson est plus expressif que jamais, notamment sur des titres irréprochables comme « Walls of Ire » et Speedway montre un amour pour le punk franc et rebelle avec des titres énergiques et généreux comme « Passion Play » ou des « Ascension ». Et si à la première écoute, on pourrait douter du caractère mémorable de certains morceaux, les passages suivants révèlent un disque puissant, marquant et extrêmement ludique et lumineux.

 

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Crossed – Realismo ausente
Metalcore bruitiste – Espagne (Zegema Beach / Through Love)

Crossed a une qualité extraordinaire que très peu de groupes parviennent à atteindre ; celle de mélanger les styles de manière homogène et de se retrouver à un carrefour stylistique tout en étant lisible, identifiable et marquant. Le groupe espagnol avait déjà commencé à promettre de belles choses avec le LP Morir en 2022, puis l’EP Vida quieta en 2024, en expérimentant les frontières des musiques métalliques et dissonantes.

Le meilleur moyen pour vous donner un aperçu de leur musique avant de dégainer les qualificatifs est de tirer une comparaison avec Portrayal of Guilt. Les deux groupes se chevauchent dans leur mélange entre le hardcore cinglant et sensible et le black metal cru et vorace (type Theophonos / Serpent Column). Sauf que là où PoG a un pied fermement ancré dans le screamo, Crossed y ajoute une culture metalcore, dans sa dissonance comme dans ses riffs, mais aussi toute une appétence noise rock, voire un peu de crust ici et là (« Vaciar un corazón »).

Sur Realismo ausente, cette hybridation n’a jamais été aussi pertinente. Prenez un morceau comme « Espinas clavadas en la piel », le chant y est black metal, le riff hardcore y est convergien, anguleux, menaçant et teinté de reverb', les changements de rythme sont clairement empruntés au hardcore émotif, et le tout est enveloppé dans une pesanteur dissonante moite. Sur « Realismo dolor », Crossed va même rendre hommage au pur screamo espagnol, celui de leurs amis de Vibora ou de Boneflower.

Ce jeu de la référence pourrait être joué longtemps car chaque écoute de ce grand disque révèle son lot de nouvelles subtilités, de finesses et de signes de bon goût. Realismo ausente fait le pont entre différentes chapelles pour mieux réunir les fans de musiques radicales, exigeantes, mais extrêmement généreuses. Donnez leur l’attention qu’ils méritent et soutenez les, qu’ils passent près de chez vous ou non.

 

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Scowl – Are We All Angels
Rock alternatif – USA (Dead Oceans)

Ce n'est pas la première fois que je vous en parle, le cas Scowl est un cas complexe. Le groupe a été attaqué de toute part dès son premier album en raison d'une posture soi-disant opportuniste, voulant surfer sur le retour en grâce du hardcore sans pour autant en embrasser pleinement les valeurs. Derrière cette analyse dont on capte aisément la misogynie, il y a également cette peur, que le hardcore partage avec le metal extrême, de sa propre irruption dans le mainstream. Et Scowl a justement poursuivi ce qui était amorcé avec son premier album, c'est à dire s'éloigner du hardcore pur pour un rock alternatif 90s avec seulement quelques touches punk dur dans le chant ou les riffs.

Alors pourquoi complexe me diriez-vous ? Parce qu'autant je refuse d'adhérer aux théories comme quoi Scowl serait une industry plant (comprenez un plan marketing pour capter l'attention d'une niche), autant j'ai toujours trouvé (et même dès le premier LP) la musique du groupe assez pauvre et indigne de toute cette attention.

Sur ce deuxième long format, Scowl va encore plus loin que sur le correct EP Psychic Dance Routine et saute à pieds joints dans l'alternatif aux couplets catchy et aux riffs domestiqués. Le chant de Kat est même la plupart du temps légèrement autotuné, de façon plutôt désagréable. Sauf que ça ne marche pas vraiment et que le disque manque la plupart du temps de cette énergie communicative dont le genre a besoin. « Not Hell, Not Heaven » s'y essaye avec un refrain efficace qui fait surnager le morceau alors que les autres ont déjà coulé, à l'exception de l'autre single « Tonight (I'm Afraid) », probablement le morceau le plus cohérent et efficace du disque.

J'ai du mal à me départir de l'impression que Are We All Angels ne fait que feindre l'authenticité tant ses compositions sont cousues de fil blanc. J'en tiens pour preuve des morceaux comme « Fantasy » qui paraissent écrits en pilote automatique sans véritable fibre jusqu'à la toute fin où une voix hardcore essaye de remuer ce qui n'a jusque là pas bougé. Ou encore l'agaçant « Let You Down » qu'on jurerait avoir déjà entendu, joué par un groupe adolescent à la fête de la musique d'une ville de taille moyenne. Ce n'est pas le seul titre à proposer des riffs basiques et fainéants : « B.A.B.E. », « Haunted » ou « Cellophane » et ses arrangements pseudo-Turnstile. Bref, beaucoup de bruit pour pas grand chose.

 

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Teen Mortgage – Devil Ultrasonic Dream
Garege punk – USA (Roadrunner)

L’année dernière, j’étais tombé absolument amoureux du premier EP de Teen Mortgage, sorti en 2019. Découvert par hasard dans les recommandations automatiques après Amyl and the Sniffers ou les Chats, le groupe de DC fait dans le garage punk sauvage et rigolard, avec une belle pointe de surf punk qui me rappelle parfois Agent Orange, un de mes groupes préférés du style.

Après un deuxième EP en 2021, le groupe a donc fait longtemps patienter sa fanbase accumulée (près de 400k auditeurs-trices mensuels-les sur Spotify) pour un premier long format. Celui-ci arrive à point nommé avec l’arrivée des beaux jours, car il poursuit l’énergie joyeuse et furibonde de ce qui l’a précédé. Malgré la thématique horrifique des paroles, il m’a été difficile de penser à autre chose durant l’écoute qu’à la possibilité de blaster des tubes comme « Rip » ou « I Don’t Wanna Know » au volant d’une voiture sur une route ensoleillée. 

Tout n’est pas irréprochable sur ce disque et il contient son lot de morceaux fillers, mais il dégouline de spontanéité et d’amour pour les tubes vitaminés. De ce côté, on sent partout l’influence de Jay Reatard, pape moderne du garage punk qui colle au cerveau (particulièrement évident sur « Party »). La poursuite d’un punk plus entraînant et mélodique emmène nécessairement le groupe vers le skate punk (« Possessed »), mais c’est toujours fait avec constance et goût. Alors ne laissez aucune chance à votre été d’être maussade et révisez d’ores et déjà cette tranche de jovialité punk.

 

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Ostraca – Eventualities
Screamo / Post-metal – USA (Persistent Vision)

Je vous en parlais en juillet 2023, à l’occasion de la sortie de leur troisième album Disaster, j’aime Ostraca d’un amour profond pour être parvenu à renouveler le screamo moderne, en le poussant plus loin, en l’amenant à se questionner et à s’enrichir. Leur premier disque sous le nom d’Ostraca, Last, est pour moi un album fondateur dans la scène actuelle et le groupe étasunien a constamment cherché à explorer les musiques aventureuses, dont le screamo fait partie.

Avec Eventualities, Ostraca propose un nouvel EP qui continue là où Disaster s’est arrêté, dans un screamo tempêtueux, riche et qui se mêle aux stratégies et atours du post-metal, avec des morceaux relativement longs aux progressions intenses. Les trois comparses de Virginie ne sont pas les premiers à vouloir conjuguer l’émotivité furieuse à des instrumentations élégantes et grandioses, mais ils le font avec une radicalité et une production ample et majestueuse qui servent à merveille leurs intentions.

Les quatre morceaux explorent des énergies très différentes : « Song for a Closed Door » conjugue une ascension post-rock à un screamo revêche, « Compromise » va chasser sur des terrains beaucoup plus post-metal, graves et telluriques, tandis que « Esau », le titre le plus intense de l’EP, lorgne vers l’emoviolence et que « So Do I » est plus étincelant et vient clore l’album avec une poésie décharnée. Pour autant, les quatre titres forment un tout cohérent, brillant, intense et touchant.

 

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Saetia – Tendrils
Post-hardcore – USA (indépendant)

Si vous ne connaissez pas le nom de Saetia, je vous envie, car c’est le groupe qui m’a plongé dans le screamo originel. Leur A Retrospective est la compilation que j’ai écoutée en boucle, bouche bée devant la possibilité d’une musique qui concilie éruptions émotives, lignes de guitare et refrains mémorables, et une poésie de chaque instant. Saetia est l’incarnation absolue du groupe de screamo culte, avec seulement deux ans d’existence pendant lesquels le groupe a publié une démo, un album et un EP, avant de disparaître dans une myriade de nouveaux groupes (trois membres ont fondé Hot Cross pendant que deux autres ont créé Off Minor) et de ne rencontrer le succès que de façon posthume.

Mais le grand ballet des reformations de groupes légendaires de screamo (Gospel, City of Caterpillar, Jeromes Dream, In Loving Memory, Portraits of Past…) n’a pas dû laisser Saetia insensible, car en 2022, le groupe a annoncé sur son Instagram avoir repris les répétitions, 24 ans après la dernière et avec un line-up quasi identique à celui au moment de la séparation. Mais comme vous vous en doutez, sortir un EP trois titres 26 ans après sa séparation est un exercice risqué, surtout quand la beauté des compositions originelles se trouvait aussi dans leur éphémérité.

Quel bilan en tirer ? Soyons honnêtes en disant qu’il est mitigé. Tendrils n’est pas un mauvais EP, mais il ne se hisse jamais à la cheville de la grande époque de Saetia. Déjà, la voix de Billy Werner n’est plus hurlée, et là où City of Caterpillar avait su en tirer une force, cet EP, malgré une maîtrise vocale certaine, ne parvient pas pleinement à renouer avec l’intensité lancinante voulue. Ensuite, les compositions ne contiennent pas vraiment cette urgence prodigieuse qui définit Saetia, exception faite de « Corkscrew Spine », morceau intelligent et puissant qui aurait pu gagner avec une instrumentation plus saturée, mais dont les paroles scandées rappellent le génie des débuts. « Three Faces Past » sonne malheureusement comme un filler, pas désagréable, mais pas nécessaire pour autant. Reste le premier single, « Tendrils », plaisant mais duquel je n’arrive à me départir d’une impression de Saetia-light.

Mais après tout, le premier album du comeback de Jeromes Dream avait été catastrophique, avant de livrer une grande réussite avec le second, donc espérons que Saetia retrouve la flamme de l’inspiration, car les braises sont encore là.

 

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Spiritworld – Helldorado
Thrash crossover / Country – USA (Century Media)

Fin 2022, on avait été cueilli par surprise par Deathwestern, l’explosif deuxième album de Spiritworld, très bon cru de thrash metalcore avec une thématique western rétro délicieuse. Son successeur était donc très attendu au tournant et force est de constater que Spiritworld s’est pris les pieds dans le tapis, car on est loin du triomphe promis.

La particularité de ce nouvel album est le changement stylistique, d’un metalcore acéré aux rythmiques thrash on passe à du crossover gonflé au metal sudiste. On se retrouve également avec des morceaux country comme le très médiocre « Bird Song of Death », perdu entre une volonté de faire un tube énergique à base de « wohoooo » et une sensation de mauvaise chanson à boire, B-side d’un groupe de country alternative. « Prayer Lips » dénote aussi, en choisissant de se diriger vers la ballade country crépusculaire. Si ce n’est pas exactement une pleine réussite (le saxophone est d’assez mauvais goût), la proposition est plus intéressante et moins outrancière. Le troisième morceau country, « ANNIHILISM », vient conclure maladroitement le disque, sans grand panache, mais sans être choquant non plus.

Du côté des morceaux metal, le bilan est contrasté. D’un côté, « Abilene Grime » ouvre l’album avec un cosplay d’un Slayer des mauvais jours qui fait du crossover après une intro de mauvais country rock. Et de l’autre, on garde des morceaux efficaces comme le vigoureux « No Vacancy in Heaven » ou quelques riffs sur « Stigmata Scars » et « Oblivion » (avec des feats du cerveau de Blackbraid et du guitariste de Rise Against). En effaçant le metalcore pour ce thrash pataud qui lorgne sur le groove metal redneck, Spiritworld semble à côté de ses pompes et le chant grinçant de Stu Folsom et l’incohérence de la tracklist ne viennent rien sauver.

Si vous voulez un bon album de thrash crossover sorti au même moment, ne réfléchissez pas et foncez sur le Doomsdayqui est impeccable de fun, d’efficacité et de mordant.

 

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Balmora – Prologue
Metalcore mélodique – USA (DAZE)

Balmora serait-il le messie qui viendra sauver le metalcore à l’ancienne ? Il semble y avoir deux camps pour répondre à cette question : celles et ceux qui répondent oui les mains jointes et le regard plein de dévotion, et les autres qui se demandent si on n’en ferait pas un peu trop. Mais jusqu’ici, je n’ai encore vu personne nier le talent du groupe du Connecticut.

Il faut dire que l’habileté et l’aisance avec lesquelles Balmora est venu réhabiliter le metalcore mélodique de Prayer for Cleansing et autres Undying force le respect. Avec des membres experts de la culture hardcore, ainsi qu’extrêmement actifs dans la scène (la quasi totalité des membres officie aussi avec XclocktowerX, Andrew "Lumpy" Wojcik, bassiste, est l’homme derrière le label DAZE et aussi dans All Due Respect, Sanction ou Out for Justice, et Collin Flynn joue également avec Azshara et Deal With God), Balmora a en effet rehaussé le niveau d’exigence général de la scène vis à vis du metalcore épique et bagarreur.

Prologue est leur troisième EP et prolonge cette sensibilité aussi emphatique que féroce. Le metalcore mélodique a cette particularité d’emprunter des riffs au mélodeath, et particulièrement à celui suédois type At the Gates, pour les inclure dans un contexte metalcore avec ses breaks, sa caisse claire très tendue et sa direction mosh-compatible, tout en y ajoutant une sensibilité romantique prononcée (souvent lorgnant vers les thématiques religieuses). Avec cet EP, Balmora n’a jamais été aussi proche de ses influences mélodeath (The Black Dahlia Murder en tête) et également de ses références deathcore, surtout dans les blast beats et les techniques vocales (dernier segment de « The Day I Died, I Heard No Singing »).

Difficile de ne pas être une nouvelle fois soufflé par le talent de Balmora. Rarement un groupe n’a réussi à synthétiser aussi élégamment ses influences, à être aussi précis et subtil dans ses compositions, tout en restant varié, parfois galopant, parfois brutal (les breaks de « Bloodlord », Jésus…), mais toujours net et étincelant.

 

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Jivebomb – Ethereal
Hardcore sombre – USA (Flatspot)

Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce qui est passé par la tête de Jivebomb pour s’auto-dynamiter de la sorte ?

En amont du Bourlon 2024, je vous avais présenté Jivebomb en ces termes : « Potion survitaminée qui conjugue la rugosité joviale du punk avec la menace nerveuse du hardcore, la musique de Jivebomb va sans aucun doute faire l’effet d’un cocktail molotov sur la plaine de Bourlon ». Avec ses deux EPs, le groupe de Baltimore promettait beaucoup pour son premier long format.

Et pourtant, alors qu’on les attendait dans la continuité, Jivebomb troque son chant punk énergique et entraînant pour un grognement death/grind incompréhensible qui lui fait perdre tout son particularisme. Le single, et le morceau le plus évident sur ce point, « Survival Ain’t Taught » sonne comme une version hardcore d’Obituary, garni de gimmicks beatdown embarrassants et très très loin du punk groovy et sautillant de Primitive Desires.

En résulte surtout un album impersonnel, assez peu inspiré, avec quelques rares riffs entraînants (« Charm ») et breaks sauvables (celui de « Mistaken », porté par la basse), vite noyés dans des morceaux génériques et toujours avec ce chant en décalage avec l’identité et la signature de Jivebomb. Ethereal n’est pas foncièrement désagréable (en même temps, il ne dure que 13 minutes), mais vient questionner l’authenticité de la démarche du groupe à une période où le beatdown et le hardcore influencé par le death metal ont le vent en poupe.

 

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XweaponX – Weapon X Demo 2
Metalcore – USA (DAZE)

Alors que je ne suis pas particulièrement fan du groupe, les deux précédentes productions ayant été en-deçà des attentes, j’ai été très agréablement surpris par l’efficacité redoutable du nouvel EP de XweaponX, le supergroupe straight edge avec Isaac et Bryan de Knocked Loose, le petit frère de ce dernier, Bo de Harm’s Way et Dave Baugher au chant, le seul sans gros CV. 

Là où XweaponX me perdait, c’était dans des compositions très convenues, perdues tièdement entre un jusqu’au-boutisme quasi-satirique (surtout sur le premier) et une volonté évidente de faire des tubes straight edge (plus sur le deuxième). Sur ce troisième EP, la bande de Louisville a fait son choix en ne composant que des missiles sol-air calibrés pour le mosh et la fanbase aux croix tatouées sur les mains. Tout est pensé pour marquer les esprits, avec une touche beatdown évidente, et force est de constater que ça fonctionne : l’EP commence directement avec le break de « Hates You », le massif « Everybody Breaks » débarque avec des basses boostées, ou encore l’hilarante outro qui répète quatre fois le nom du groupe, deux fois « straight edge », une fois « fuck you » et une fois la ville d’origine du groupe, Louisville. 

Mais le temps fort du disque est indéniablement « B.N.E ».  Même avec toute la mauvaise foi du monde, je ne pourrais pas affirmer que ce n’est pas un hymne instantané et qu’il n’a pas la carrure pour devenir un morceau culte du mouvement straight edge. En plus de sa structure impeccable de nervosité, le morceau a la particularité d’être en feat avec Karl Buechner d’Earth Crisis. Hommage à la figure tutélaire du metalcore straight edge, le titre se permet même une citation directe à « Firestorm », l’hymne absolu du genre, en reprenant ses paroles introductives : « Street by street, block by block ».

Peut-être est-ce leur split avec World of Pleasure, qui reste le maître en la demeure pour faire des titres de ralliement incontestables, peut-être est-ce l’explosion commerciale de Knocked Loose ; quoiqu’il en soit, on ne s’est jamais autant amusé avec XweaponX et vous auriez tort de vous priver de cette belle avoinée.

 

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Pain of Truth / Sunami – Coast to Coast Split
Beatdown metalcore – USA (DAZE / Triple B)

L’annonce de ce split a suscité beaucoup d’entrain, à raison, Pain of Truth et Sunami étant probablement les deux plus gros noms du beatdown actuel et se retrouvant complètement dans la ligne édito voyou, barres en fer et « on va te faire si tu nous trahis ». Ce qui éloigne les deux groupes en revanche, c’est leur intention et leur qualité : d’une part, Pain of Truth est tout à fait sérieux et se pense comme un projet en hommage à tout le hardcore urbain, surtout new-yorkais qui l’a précédé, de l’autre, Sunami est une blague qui a trop duré et qui singe le pire du beatdown en scandant ad nauseam la gloire de la région de la Baie de San Francisco, en Californie.

De fait, même si le projet est amusant dans son intention, on sait pertinemment avant de le lancer comment il va sonner. Et ça ne loupe pas, la partie de Pain of Truth est nerveuse, nourrie par une réelle haine sourde et assénée avec un delivery impeccable de la part de Michael Smith. Si les deux morceaux ne feront probablement pas partie des meilleurs du groupe, ils sont exécutés avec justesse et contiennent leurs temps forts comme ce break criminel sur « The Enemy ».

Et sur l’autre moitié du split, Sunami fait ce qu’ils font depuis 2022 et leur tape promo (si ça ne tenait qu’à moi, je dirais même que c’est ce qu’ils servent depuis la première démo) ; c’est-à-dire un beatdown métallique téléphoné et sans une once d’inventivité. Durant mes deux premières écoutes, j’ai même oublié ce que j’écoutais, et vous pouvez imaginer à quel point c’est un problème quand le disque ne dure que 10 minutes. Le split ne fera donc pas date, mais si vous aimez vraiment la scène, contentez vous des deux titres de Pain of Truth.

 

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Ashen Hands – Ashen Hands
Emoviolence – Italie (Tomb Tree)

Il existe encore dans l’emoviolence cette pratique, perdue ailleurs, de devoir creuser, écouter, rechercher pour déterrer les trésors qui donneront au genre ses plus beaux moments. Scène de niche, toujours animée par des personnes passionnées et animées par la ferveur du DIY et de la radicalité musicale, c’est probablement le genre dont je me sens encore aujourd’hui le plus proche.

Ashen Hands en est un nouvel exemple, pas le premier que je vous présente dans ces lignes et loin d’être le dernier. Quatuor italien qui ne paie pas de mine, en provenance de Bologne et sa région, Ashen Hands compose une emoviolence qui peut faire penser à Drei Affen en Espagne ou Crowning aux Etats-Unis, moderne mais avec une révérence évidente pour la première vague de la fin des années 90.

La difficulté du style réside souvent dans le maintien de l’intensité, en évitant de tomber dans la déflagration monotone. Ashen Hands y parvient avec une constance phénoménale, tout en s’assurant que les morceaux ont des identités distinctes. A ce titre, le dernier morceau, « If I Am Going to Die, I Want to Die Here in Manhattan » est le point d’orgue de l’EP, avec une atmosphère texturée et dissonante folle, ainsi qu’un feat des chanteurs de Put Pùrana et dagerman.

 

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Industrial Puke – Alive to No Avail
Crust – Suède (Suicide Records)

S.A.D.E : Vous êtes le genre de personne jamais rassasiée ? Est-ce qu'un pavé de crust sur lit de death metal vous paraît assez roboratif ? Parce que c'est ce que proposent les Suédois d'Industrial Puke et le résultat est franchement délicieux (mais pas délicat, vous vous en douterez). Je découvre le quintet avec ce deuxième album et ses douze titres sont douze mandales directement assennées dans le plexus. Tempo à fond, agression à fond, violence à fond, Industrial Puke ne baisse jamais en intensité. On pense parfois à la scène new-yorkaise entre All Pigs Must Die et Trap Them, mais avec un son davantage porté sur le côté tronçonneuse de la force, Suède oblige. Incisif, direct, intense et décompensatoire (si vous m'autorisez ce néologisme), ce deuxième album donne des envies de casser des incisives à grand coup de front. Et puis les gonzes sont assez fendards pour proposer des titres de morceaux comme « Rational Asshole » ou « Average Dicks », alors on ne peut que les apprécier dans cette rubrique bineuronale.

 

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Clan dos Mortos Cicatriz – Técnicas de Morte
Hardcore / Death-punk – Brésil (Sentient Ruin Laboratories)

S.A.D.E Une fois sur deux, lorsque je tombe sur le premier album d'un groupe underground sud-américain, ledit groupe a déjà un background incroyable à base de multiples sorties en format court et de dizaines de concerts dans d'obscures salles de leur coin d'origine. Et le projet brésilien Clan dos Mortos Cicatriz fait partie de cette moitié de groupe à l'historique improbable. D'abord one-man-band de noise expérimentale inspirée de Merzbow fondé en 2005, le projet se transforme en duo en 2017 pour virer vers le hardcore, puis en quatuor par la suite pour sortir une poignée d'EP entre 2018 et 2022, qui seront compilés en 2024 pour une sortie intitulée Débil (j'invente rien). Et donc, finalement, après vingt ans, sort le premier album Técnicas de Morte, chez les immanquables creuseurs de l'underground de Sentient Ruin Records.

Dès la première seconde de « Ainda vivo (Técnica de Morte) », on sent l'intention du groupe : punk à 1000%, ça pue la hargne bien colère. Avec son chant haineux plein de reverb', le groupe propose un côté proto-black metal à la Hellhammer, avec là encore une rage tout à fait délectable. Globalement, sur ce premier album, rien n'est tout à fait lisible, mais rien n'est complètement illisible non plus, le son est crasseux sans être brouillon, punitif sans être désagréable. On se retrouve avec un riffing très punk hardcore mâtiné d'un son de metal extrême primitif, tantôt un peu death, tantôt un peu black, mais avec une efficacité à toute épreuve. Pour vous convaincre de la chose, écoutez « Mascara da Morte » et vous comprendrez plus au moins ce que ce Clan dos Mortos Cicatriz vous réserve. Avec des titres tournant en moyenne sous les deux minutes, Técnicas de Morte ne vous donne ni l'occasion de vous ennuyer, ni l'occasion de souffler, alors lancez le bazar et rejoignez le clan.

 

 

Oh bah tiens, c’est vrai qu’après tout le hardcore ça s’écoute rapidement, donc si on rajoutait dix disques à vos devoirs ?

  • Alerte intellos, DAZE vient de ressortir le premier album de NYC Shootout, paru en indépendant l’année dernière. Le groupe se livre au rap metal / beatdown metal le plus bas et bourrin. Si toute la DA s’oriente vers une musique bête à manger du foin (on le rappelle, c’est un compliment) à la E-Town Concrete, Bayway ou Gridiron, le groupe surprend par ses soli réussis et ses influences death metal très bien incorporées. Bravo New York, bravo la bêtise.

  • J’insiste mais dans le thrash crossover, le Doomsdaymet une vitesse à toute la concurrence. C’est incisif, véloce et clinique (« Pain Dweller », quel morceau !). Leur EP précédent était déjà prometteur, mais là c’est arrivé à maturation et les 31 minutes passent avec facilité et gourmandise.

  • XclocktowerX, le side-project parodique de Balmora, après s’être adonné à une parodie très réussie de mathgrind avec leur premier EP, se moque désormais du youth crew straight edge qui répète à qui veut bien l’entendre que la sobriété rend meilleur que les traîtres qui boivent et fument. C’est amusant, mais musicalement beaucoup plus pauvre que le premier EP.

  • Le légendaire groupe de mathcore du New Jersey The Number Twelve Looks Like You est sorti de sa torpeur avec un deuxième single intitulé « Indeciso ». Dans la continuité du très décevant premier single, ce morceau vient proposer un pastiche sans grande saveur de The Mars Volta, loin des fulgurances de leur passé.

  • Thornhill avait pourtant un début de carrière très prometteur dans le metalcore alternatif avec le solide The Dark Pool en 2019. Manque de pot, les Australiens se sont transformés en un pastiche caricatural de Deftones. Correctement exécuté certes, mais surtout absolument flagrant et, de fait, peu intéressant.

  • Nouveau venu dans la scène parisienne, Gehen propose un metalcore moderne malin, nourri par les rythmiques et sonorités de Gojira, les sensibilités alternatives de la scène moderne et le post-hardcore accrocheur. Leur premier EPTears to Dance to est disponible depuis quelques jours.

  • Côté emoviolence, j’ai été agréablement surpris par le premier LP d’Emma Goldman. C’est métallique, forcené et ça se laisse aller à des interludes breakcore pas désagréables. Ça m’a surtout fait penser à un Nuvolascura en plus effronté, ou à un La Luna en plus abrasif. En tout cas c’est super.

  • Si, comme moi, vous regrettez le One Step Closer des débuts, il y a aussi le premier EP de Turn of Phrase, groupe britannique signé chez Sunday Drive Records. C’est très très référencé (pensez à un Bane light), mais c’est toujours plaisant d’écouter ce son qui a façonné le hardcore des années 2000.

  • Toute fin février, le label londonien expert du revival metalcore mélodique The Coming Strife a sorti un EP très amusant, le tout premier du groupe floridien And I Dreamt of You. Ce disque promo mélange du metalcore mélodique avec le son de Göteborg (At the Gates, Dark Tranquility) et des thématiques chrétiennes. Attendez vous à trois titres assez pompiers mais redoutables d’efficacité nostalgique (« A Shattered Vow »).

  • Théoriquement, il y a aussi un nouvel album d’Underoath, mais en parler implique de l’écouter…