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jeudi 30 mars 2023

Igorrr + Amenra + Der Weg einer Freiheit + Hangman's Chair @Paris

Salle Pleyel - Paris

Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

À l'annonce de cette tournée, beaucoup se sont étonnés de l'incongruité du line-up, les univers des groupes pouvant ne pas sembler complémentaires. D'une part, il est vrai que sur quatre groupes on dénombre quatre styles distincts : le doom gothique de Hangman's Chair, le black metal cosmique de Der Weg einer Freiheit, le post-metal anxiogène d'Amenra et le metal baroque et avant-gardiste sous perfusion de breakcore d'Igorrr. D'autre part, il n'est pas certain que le public ciblé soit si différent, au moins sur les trois premiers groupes, tous dans le registre metal à atmosphères / pour lecteurs-trices de New Noise. 

Mais il faut admettre que la présence d'Igorrr tranche davantage sur l'affiche. L'ambiance et la direction du projet de Gautier Serre diffèrent de celles de ses comparses en étant plus volontiers ironiques, festives et promptes à la bagarre. Si cette disparité stylistique n'est pas forcément problématique, pas mal de personnes craignaient le conflit entre le public d'Igorrr et celui d'Amenra. Et les premiers retours toulousains, deux jours avant l'arrivée de la tournée à Paris, confirmaient ces inquiétudes avec des loustics éméchés qui hurlaient « apéro » sur « A Solitary Reign ».

Est-ce que le public parisien a été plus sage que son homologue toulousain ? Est-ce que les « à poil » ont rythmé le set de Hangman's Chair ? La réponse dans notre reportage exclusif, illustré par les photos du talentueux Matthis Van der meulen.

 

Hangman's Chair

Avant même le début du set de Hangman's Chair, un premier constat s'impose. Alors qu'on aurait pu croire que la journée de mobilisation historique et les perturbations des transports qu'elle a occasionnées auraient eu raison d'une bonne partie du public, la foule est dense devant et à l'intérieur de la salle Pleyel. Sur les réseaux, on voit passer beaucoup de reventes, mais apparemment autant de repreneurs, car la salle est remplie aux deux tiers pour le premier set.

Pour ma première fois à la salle Pleyel, je suis impressionné par son standing. L'immense salle cossue du 8e arrondissement et ses imposants escaliers en marbre tranchent avec le public vêtu de nuances de noir. Les places disponibles sont divisées en trois parties : une fosse assez restreinte, un parterre composé de deux douzaines de rangées de sièges et un balcon (le deuxième balcon est fermé pour l'occasion).

Hangman's Chair commence pile à l'heure et rentre immédiatement dans le vif du sujet avec « An Ode to Breakdown ». L'acoustique ample et réverbérée de la salle leur rend justice et appuie la majesté du doom urbain des Franciliens. Le light show bleuté et élégant, assez minimaliste, répond aux appels de la batterie, ou se retrouve braqué sur Julien pour l'introduction de « Loner ». Toujours avec goût, il change progressivement de couleur, passant au blanc avant de se teinter de rouge avec « Sleep Juice ».

J'avoue être stupéfait par la grande classe avec laquelle Hangman's Chair étire ses riffs gothiques et son spleen façon néons contre pavés mouillés. Peu de groupes arrivent à mêler aussi bien la poésie et la brutalité et leur set retranscrit finement cette énergie (leur passage dans l'émission HU est d'ailleurs toujours disponible). Cette réalisation arrive notamment sur « Cold and Distant », stupéfiant de puissance avec son refrain ultra marquant. Dans cette configuration, chaque break fonctionne à merveille et la portée lancinante et mélancolique de leur dernier album se retrouve multipliée en live. Le show se conclut sur « Naive » et une voix pré-enregistrée annonce « entracte de 20 minutes ».


Crédit photo : Matthis Van der meulen

Setlist :
1. An Ode to Breakdown
2. Cold & Distant
3. Who Wants to Die Old
4. Loner
5. Sleep Juice
6. Naive

 

Der Weg einer Freiheit

Vingt minutes piles après la fin de Hangman's Chair, les Allemands démarrent en pétarade sur « Morgen », issu de leur dernier disque. Sur le début de set, c'est assez peu lisible, avec une batterie très dominante, le chant bien en avant mais une bouillie sur les deux guitares. Heureusement, ça se corrige en cours de set et on a enfin pu entendre clairement leurs envolées mélodiques.

Malgré ces corrections, d'autres problèmes subsistent. Surtout, les micros ne sont pas au même niveau, le chant de Nico, le bassiste, se retrouvant bien plus fort que celui de Nikita, le chanteur-guitariste. Pendant ce temps-là, l'immense Tobias Schuler se défoule derrière les fûts, et la grosse caisse et ses blast beats font littéralement vrombir la salle.

« Repulsion » poursuit la marche avec sa longue montée en puissance martiale et menaçante, ainsi que son break qui fait toujours autant plaisir. C'est aussi l'occasion d'entendre le chant clair de Nikita en live, un peu moins assuré et plus nasal que sur disque. Lorsque le groupe prend la parole, Nikita remercie le public et se rappelle humblement de leur première fois à Paris il y a 10 ans au Klub, sans se douter qu'ils rempliraient un jour dans la même ville une salle d'une capacité quasiment dix fois supérieure. Malgré une intensité constante et un lightshow varié et très expressif, ce soir n'a pas marqué leur meilleure prestation à mes yeux, à cause de balances un peu rudes et d'une setlist plus faible que mes expériences précédentes. Néanmoins, les Allemands ont assuré un show solide qui confirme leur croissance au sein de la scène.

Crédit photo : Matthis Van der meulen

Setlist : 
1. Morgen
2. Repulsion
3. Am Rande der Dunkelheit
4. Einkehr
5. Aufbruch

 

Amenra

Qui a récemment vu Amenra en concert ne sera pas surpris par la teneur de ce show ou sa setlist. Les Parisien-ne-s qui étaient déjà à l'Elysée Montmartre en avril dernier constateront vite qu'elle est même quasiment identique : seuls « Boden » et « Het gloren » ont été retirés pour respecter le temps imparti.

Cette modification permet au groupe de commencer directement sur le toujours impeccable « Razoreater ». Côté scénographie, même constat, c'est la même chose que lors de leur dernier passage : clips en noir et blanc projetés en arrière-plan, Colin de dos, machine à fumée et lumières minimalistes. Niveau son, on retrouve une partie des problèmes de balance qu'on avait sur DWEF, bien qu'atténués. La batterie domine clairement et les guitares et basses se distinguent plus difficilement. Étonnamment, « De evenmens » est le seul morceau joué issu du dernier album. Ça n'en reste pas moins un excellent choix car le titre trouve une belle ampleur en live. La voix claire de Colin tressaille un peu au début avant de trouver plus d'assurance, le set avançant.

Avant d'entonner le classique « A Solitary Reign », les Belges s'adonnent à l'enchaînement « Terziele / Am Kreuz » qui ne faiblit jamais. Mais alors qu'en est-il du public sur ces morceaux ? Si ce serait mentir que de dire que la salle Pleyel était silencieuse, les titres ont quand même pu se tenir dans une ambiance respectueuse (je n'avais pas eu cette chance pour Hangman's Chair avec des voisins de siège particulièrement lourdingues). On sentait tout de même une frange du public devenir de plus en plus alcoolisée et manifestement s'impatienter pour la montée d'Igorrr sur scène.

Amenra assure un set sans surprise, mais dont l'éternelle qualité dévaste toujours tout, avec une puissance de frappe sans cesse stupéfiante.

Crédit photo : Matthis Van der meulen

Setlist :
1. Razoreater
2. De evenmens
3. Plus près de toi (Closer to You)
4. Terziele / Am Kreuz
5. A Solitary Reign
6. Diaken

 

Igorrr

Alors que tous les autres sets sont restés en-dessous de l'heure, Igorrr est annoncé pour 1h20 de spectacle. Pour les fans du projet de Gautier Serre qui ont manqué son dernier passage, c'est la première occasion pour jauger la qualité du nouveau line-up live. En effet, après le départ des deux vocalistes Laurent Lunoir et Laure Le Prunenec, ce sont JB Le Bail de Svart Crown et Aphrodite Patoulidou qui ont rejoint le groupe. Puis cette dernière a été remplacée par Marthe Alexandre. Depuis la sortie du dernier album, début 2020, la formation s'est également enrichie d'un guitariste, Martyn Clement.

Avant que le show ne commence, j'apprends des bruissements de coulisses que Jean-Michel Jarre est venu voir Igorrr, consécration de la part d'un des grands parrains de la musique électronique française. Lorsque Gautier arrive sur scène, on sent qu'une grande partie du public est venue pour lui. Il entame les hostilités avec une introduction 8-bit qui mute en « Paranoid Bulldozer Italiano ». Les membres entrent un par un, en commençant par l'infatigable batteur. Le début de la setlist fait la part belle au dernier album et la sauce prend à merveille ; les nouveaux membres ne souffrent pas de la comparaison avec les précédents. Le chanteur prend beaucoup de plaisir à chauffer la salle et la présence d'un guitariste à part entière apporte un souffle supplémentaire.

Sur « Downgrade Desert », Marthe Alexandre prouve son talent et sa grande carrure vocale. Elle n'a peut être pas encore tout à fait l'aisance qu'avait Laure pour passer d'un registre à l'autre, avec quelques transitions plus marquées. Le duo de voix qu'elle forme avec JB Le Bail marche impeccablement bien et Gautier en profite pour dégainer une seconde guitare afin d'ajouter à la texture sourde du morceau. On sent clairement que sous cette nouvelle mouture, le groupe se fait davantage plaisir sur les arrangements. Elle leur permet de prendre la pleine mesure de l'ambition loufoque de leur musique. C'est ce que Igorrr mérite et c'est ce que Igorrr se donne.

Puis en milieu de set, vient le baptême du feu de « Tout petit moineau ». L'exercice est rempli haut la main : Marthe met plus de vibrato que Laure et elle va moins chercher la saturation, mais semble pouvoir aller plus haut. De manière plus générale, les nouveaux membres ne cherchent pas à reproduire une copie carbone des version originelles : « ieuD » par exemple est réaménagé pour tirer le meilleur de la nouvelle configuration.

La setlist, exclusivement composée des deux derniers opus (à l'exception de « Tout petit moineau »), ne va pas en faiblissant. En deuxième moitié de set, on retrouve les grosses bagarres de « Parpaing » et « Viande », parfaitement servies par une scénographie expressive où Gautier et ses machines règnent depuis la hauteur d'une estrade. Sur « Opus Brain », le groupe fait même faire un wall of death à la salle Pleyel. Epuisé par la densité de l'affiche, je file à l'anglaise avant le rappel qui aura vu Igorrr jouer certains classiques comme « Cheval » ou « Very Noise ».

Après un show de cette ampleur, difficile de ne pas être convaincu par le talent scénique d'Igorrr. Je n'aurai qu'un seul reproche : pour « Polyphonic Rust », la chanteuse revient avec une nouvelle tenue, évoquant la culture orientaliste déjà explorée par le disque. Il est dommage que ce soit à la seule femme sur scène de devoir en rappeler les thèmes lorsque tous les autres membres conservent des tenues plus classiques.

Crédit photo : Matthis Van der meulen

Setlist :
1. Intro 8-bit
2. Paranoid Bulldozer Italiano
3. Spaghetti Forever
4. Hollow Tree
5. Nervous Waltz
6. Downgrade Desert
7. Camel Dancefloor
8. Tout petit moineau
9. ieuD
10. Parpaing
11. Polyphonic Rust
12. Overweight Poesy
13. Viande
14. Opus Brain
15. Himalaya Massive Ritual
RAPPEL :
16. Cheval
17. Apopathodiaphulatophobie
18. Robert
19. Very Noise

Merci à tous les groupes, merci à The Link Productions pour cette soirée sans faux pas, un grand merci à Matthis Van der meulen pour les superbes photos (allez suivre son impeccable travail) et merci à la salle Pleyel pour le cadre privilégié.