Articles Retour

Série Noire #6 - Sigh, Vermilia, Blackbraid, Soul Dissolution, Voak...

lundi 10 octobre 2022
Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Les mauvais jours commencent à revenir, et avec eux certainement, votre envie de black metal. Vous tombez bien, car les bonnes sorties n'ont pas manqué, des gros groupes attendus aux sorties plus confidentielles voire aux surprises. Voici donc de quoi vous accompagner dans vos balades sous la grisaille et les longues nuits à venir. Cette fois aussi, nous vous proposons un joli cru outre-atlantique, mais aussi des passages par la Grèce, la Pologne ou même le Japon. Et du pagan black au black/thrash, des sonorités léchées du post-black à des productions plus « raw », nous avons une fois de plus trouvé de quoi satisfaire toutes les oreilles.

 

BlackbraidBlackbraid I
Black metal mélodique – Etats-Unis (Indépendant)

Circé : En voilà une sortie qui a fait son petit effet dans l'underground. Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble bien qu'avant cette année, personne n'avait entendu le nom de Blackbraid – ni de la personne se cachant derrière le projet qui ne semble pas en avoir d'autre à son actif. Voilà que des tréfonds de Bandcamp sort donc fin août ce Blackbraid I qui avait déjà fait du bruit avec le single sorti un peu plus tôt ; album accompagné d'une esthétique tribale amérindienne poussée, et sûrement plus axée nature que les quelques autres groupes de black metal mettant en avant leurs racines indigènes amérindiennes. Et Blackbraid fait cela de manière très subtile, sans tomber dans des clichés outranciers, que ce soit visuellement ou musicalement. Quelques intros et outros folk, une flûte qui se mêle parfois aux riffs – Blackbraid tisse un fil rouge qu'on ne perd jamais mais sans jamais prendre le pas sur le reste de la musique. Les deux, au contraire, se tissent et se mêlent parfaitement dans un black metal très inspiré Mgla, que ce soit pour les rythmiques, les mélodies et même le chant... mais pas que. Nous ne sommes pas là en présence d'un énième clone. On retrouve tout autant des passages plus véhéments rappelant un black mélodique plutôt suédois que des envolées atmosphériques mêlées aux instrumentations acoustiques sombres, le tout créant un album aussi varié que personnel.

En un temps record de moins de quarante minutes, Blackbraid nous offre de l'épique, de la mélancolie, de la violence dans un style fort moderne tout comme un désir de retour à la nature. Toujours tout en mélodies, belles et porteuses, chargées de passion. Si vous êtes passé.e.s à côté de cette petite merveille, faites-vous donc un cadeau et allez vous y plonger. Si le projet est encore apparemment naissant et indépendant, il est clair qu'il a de beaux jours devant lui – et on s'en réjouit.

 

Hegemone Voyance
Post black metal – Pologne (Brucia Records)

S.A.D.E : Après être passé chez Debemur Morti le temps d'un LP, Hegemone a choisi le jeune label italien Brucia Records pour la sortie de son troisième album, Voyance. Et si les précédents efforts du quartet polonais sont passés sous mes radars, cette nouvelle offrande m'a donné bien envie de plonger dans les archives. Voyance est un hybride très intelligement composé, alliant post black metal et sludge avec un savant équilibre et un dosage précis. Des lignes de guitares tranchantes et froides se posent sur une rythmique lente et pesante, réhaussée d'une basse ronflante mais pas dégueulante, permettant ainsi à Voyance de conserver l'ambiance glacée du black metal. Et pour enrichir ce mélange déjà dense (mais pas étouffant, j'y reviens), des synthés, discrets mais structurants, viennent régulièrement ponctuer les titres, soit en nappes, soit en petites touches mélodiques bien senties. Si des groupes de post black metal jouent la carte de la compacité, Hegemone propose une musique qui respire : la batterie n'abuse pas de la double pédale, les blastbeats ne sont pas systématiques et les compositions laissent souvent des espaces pour reprendre son souffle. Le chant emprunte parfois même le chemin de la clarté, plus façon spoken words que mélodies, ce qui donne à nouveau cette sensation de ne pas être submergé par un trop plein.

Voyance est un album aux multiples qualités, tant dans la production que dans l'écriture. Hegemone nous embarque avec une (apparente) facilité vers des paysages qui demeurent torturés mais pas hostiles.

 

Voak Verdrängung
Black metal moderne et rock'n'roll  – Grèce (I Voidhanger Records)

Circé : Il faut bien à cette rubrique sa caution I Voidhanger Records, label que, vous le savez sûrement, votre humble serviteur chérit particulièrement pour ses sorties toujours diverses et audacieuses. Les dernières sorties du label n'ont pas manqué d'avant-gardisme, mais c'est peut être l'une des moins déroutantes d'entre elles qui a retenu mon oreille ; car si Voak déborde de créativité, ce Verdrängung est largement accessible pour tout type d'oreilles sans pour autant manquer de subtilités.

Le projet consiste d'un duo grec (apparemment bilingue germanique, vu la tracklist), et leur premier album est présenté comme la suite logique, voire nécessaire selon les artistes, de leur EP sorti en 2020. Mixé par les talents d'experts du maître de Spectral Lore, ne vous attendez pour autant pas à un son similaire : Voak bénéficie d'un mix propre et puissant, moderne, sans pour autant tomber dans la froideur mais qui colle parfaitement à leur black metal lui aussi profondémment ancré dans notre temps. Le chant lui, oscille entre cris black metal classiques, rares voix claires théâtrales accompagnées de beuglements plus graves plutôt typés black/death.

Pas besoin de comprendre les paroles pour saisir tout le propos politique du groupe ; samples de conversations plus ou moins abstraites convoient les réflexions du duo sur des questions de discrimination et d'oppression, sans pour autant transformer l'album uniquement en manifeste politique. L'esprit reste présent grâce à une nervosité punk (ça clappe même des mains sur le premier titre), un black metal frontal vacillant entre des blasts et du mid-tempo au milieu d'influences très variées. Sur des titres comme « Sprechende Köpfe », l'instrumentale « Röte Vogel » et son surprenant mix électro/guitares ou « Affektintoleranz », les Grecs nous montrent bien à quel point ils ont saigné Sisters of Mercy, tandis que « Die Verwandlung » part sur un mid-tempo rock'n'roll ou que « Sabbat » mixe des choeurs et une outro folk. Un petit cocktail explosif résolument moderne et engagé, qui fait définitivement parti des albums de black metal les plus accrocheurs que vous avez pu entendre cette année.


Soul Dissolution – 
Atmospheric post-black metal – Belgique (Viridian Flame Records)

Matthias : Quand on associe Belgique et scènes extrêmes on pense en général spontanément à des groupes qui gravitent autour de la Church of Ra, mais le fait est que le Plat Pays ne manque pas de formations certes discrètes mais qui méritent bien qu'on leur tende une oreille. C'est le cas, parmi d'autres, de Soul Dissolution, qui nous livre ici son troisième album.

Du temps de StardustSoul Dissolution officiait dans un registre black atmosphérique particulièrement aérien. Deux EP plus tard, 空 (SORA en graphie latine) marque un virage bien plus post black, voire post tout court, où seule la voix d'Acharan reste ancrée dans un registre véritablement extrême le long des trois pistes éponymes qui représentent plus de la moitié de l'album. Une évolution fort logique au final, mais qui surprend quelque peu celui ou celle qui classait encore par habitude Soul Dissolution sous l'étiquette black metal. Là quand même, cela nécessite quelques agrafes et une certaine souplesse. L'instrumentation, qui jusqu'ici était légère comme une plume, retrouve un peu de lourdeur avec « The Absolving Tide » et sa batterie qui se fait plus présente tandis que le chant prend des accents plus tortueux. L'album se clôt sur un long « With Open Heart » comme il est venu : tout en douceur, presque sur la pointe des pieds. Après quelques années plus discrètes – encore que ses EP n'étaient pas beaucoup plus courts que ses albums – Soul Dissolution prend une trajectoire intéressante, quoique peut-être un brin trop en altitude pour celles et ceux qui avaient encore Stardust en tête. Je serais en tout cas très curieux de redécouvrir ce groupe en live.

 

Sigh – Shiki
Black metal expérimental – Japon (Peaceville)

Malice : On ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre en lançant un album de Sigh tant le projet de Mirai Kawashima se plaît à perdre en route ses auditeurs. Dès Scorn Defeat (1993), l'identité des Japonais était cependant marquée : un black metal horrifique, expérimental, qui allait devenir de plus en plus barré avec les années. Quel album conseiller à des auditeurs novices souhaitant découvrir Sigh en 2022 ? Récemment, j'aurais pointé vers Scorn Defeat justement, ou vers Imaginary Sonicscape et In Somniphobia pour les décennies suivantes. Le mélange idéal de folie pas toujours douce, de mélodies naviguant entre Japon traditionnel et Japon moderne, de violence et de créativité. 

Aujourd'hui, c'est clair : je conseillerais la doublette Heir To Despair / Shiki, tout simplement. Après avoir tenté le chant en japonais sur le premier, en 2018, Mirai persiste et signe : Shiki est intégralement chanté dans sa langue, et on se dit que la carrière des Japonais en aurait tellement bénéficié, avec du recul. Car couplé à une musique bien plus lourde dès « Kuroi Kage » et son côté Celtic Frost, le chant de Mirai sonne ici mieux que jamais. « Shoujahitsumetsu » enchaîne avec une colère nouvelle pour le Sigh moderne, et les expérimentations qui débordaient de tous côtés sur Heir To Despair n'ont ici plus vraiment lieu d'être. Seules subsistent ces atmosphères sombres, moins bizarres mais pas moins inquiétantes ; Mirai nous l'expliquait à l'interviewShiki évoque la peur de mourir, et ça se sent.

Musicalement, c'est incroyablement carré grâce à l'un des meilleurs line-ups du groupe sur le plan technique (cocorico, Fred Leclercq - Kreator, ex-Dragonforce - est dans la place). On passe de ces morceaux plus black 80s au solennel et bondissant « Satsui - Geshi No Ato » (dont la seconde partie est l'un des rares moments purement expérimentaux de l'album), en passant par l'orgue Hammond typé 70s de « Mayonaka No Kaii » et « Shouku ». Impossible de s'ennuyer : Shiki est génial de bout en bout. Si vous n'aviez pas encore trouvé la porte d'entrée pour Sigh, la voici.

 

Angrrsth / Czort – W Czeluść
Black/death metal – Pologne (Godz Ov War Productions)

ZSK : Un split, c’est monnaie courante dans l’underground et même le semi-underground du black metal, même si finalement peu de monde s’y intéresse de manière générale, à part les fins collectionneurs. Ou alors, il faut qu’il y ait en jeu un groupe vraiment intéressant, et ça sera le cas cette fois-ci avec Angrrsth, le très prometteur groupe polonais qui restait sur un exceptionnel Donikąd sorti l’an dernier.

Je passe d’ailleurs rapidement sur la partie consacrée à Czort (deux morceaux pour neuf minutes), et désolé pour eux car leur black/death mélodique sans aspérités m’a laissé vraiment de marbre. Car ce que propose Angrrsth à côté, est absolument sensationnel. Dans la pure lignée de Donikąd, les deux nouveaux morceaux interprétés ici propulsent la formation de Toruń encore plus en avant, dans le fond comme dans la forme. Le son est encore plus puissant et plein de relief, tandis que le black/death très travaillé, martial et aéré, des Polonais se bonifie encore ici.

« Pętla », du haut de ses huit minutes, montre bien toute la force de frappe de Angrrsth avec un départ canon et blastant, toujours accompagné de cette doublette de voix agressive/élancée ; puis son côté épique avec des progressions et des ambiances maîtrisées et bluffantes, amenant à un final monumental. « Przerwana » lui emboîte le pas tout en efficacité, avec des compos plus mélodiques particulièrement entraînantes, c’est déjà un véritable tube digne des meilleurs passages de Donikąd. En seulement 14 minutes, Angrrsth fait très fort, se surpasse déjà et autant dire que si son prochain album est de cette trempe, il aura les moyens de devenir très rapidement un des groupes majeurs de la scène black/death polonaise. Oui, il faut vraiment suivre ça de très près désormais, Angrrsth va devenir une formation énormissime, comme on dit sur les réseaux : « vous pouvez fav ».

 

Vermilia Ruska
Black mélodique et pagan – Suède (Autoproduction)

Dolorès : Quelque part en Finlande, en 2017, une dame s'est dit que ce serait bien chouette de faire de la musique. Ainsi est né Vermilia, one-woman-band (je proposais lors de la Revue d'actu de nommer ça « dame-seule-groupe » en français, mais la formulation n'a pas l'air de convaincre) qui propose déjà son deuxième album cette année avec Ruska, c'est à dire quatre ans (et une pandémie) après Kätkyt. Sur le nouvel opus, « Hautavajo » m'avait déjà bien charmée, un premier single laissant présager huit superbes titres.

Cela dit, à l'origine, le pagan metal (même lorsqu'il lorgne vers le black) n'est pas franchement ma tasse de thé. Je trouve ça vite kitsch, recyclé, tournant en rond, bref, je ne m'y attarde d'habitude pas. L'avantage avec Vermilia c'est qu'elle y insère beaucoup de clins-d'oeil à la musique traditionnelle finlandaise, une influence portée notamment par un chant clair éthéré et obsédant. Il y a un gros côté Bergtatt d'Ulver, mais avec une composition et un son beaucoup plus rentre-dedans. Le côté mélodieux et épique est constamment mis en lumière, dans le chant mais également dans les arpèges et mélodies très présentes à la guitare pour donner un son simple et lisible. C'est cette facette qui l'emporte complètement sur le côté (que je trouve) kitsch plutôt habituel de la musique dite pagan.

Je suppose qu'elle doit souvent être comparée à Myrkur, bien que je trouve son projet bien plus honnête et authentique dans sa démarche de mêler son amour du folklore et de la nature scandinave à une musique metal. Il se dégage de Ruska un sentiment de musique très élégante, bien ciselée, qui manque juste parfois d'énergie. Finalement, les titres ont tous une construction en mid-tempo avec quelques lignes en chant clair qui ressortent dans un élan épique mais tranquille. Ce que je pourrais reprocher à l'album est de proposer une musique très lisse, mais cela en dit finalement plus sur mes goûts (qui n'ont pas l'habitude d'un son comme celui-là) que sur la qualité de l'album. A voir maintenant quelle énergie les titres de l'album peuvent réussir à transmettre en live.

 

Abhor – Sex Sex Sex (Ceremonia Daemonis Antichristi)
Black/doom horrifique – Italie (Iron Bonehead Productions)

Malice : J'ai décidé de vous présenter un album débile par trimestre. Place cette fois à Abhor, vieux de la vieille de la scène italienne au sein de laquelle il s'intègre parfaitement. Comprenez : tout ici déborde de mauvais goût et de kitsch, et il n'y a rien de plus italien que ça. Entre cette pochette mettant en scène Diane Hegarty, compagne d'Anton LaVey et ancienne grande prêtresse de l'Église de Satan, dans une imagerie digne des soirées Halloween cheap qui vont bientôt envahir nos rues, et ce titre d'album risible, Abhor joue le coup à fond. 

Musicalement, l'image la plus parlante que je trouve, c'est qu'on a ici affaire à un Abysmal Grief ayant chopé la diarrhée. Mêmes atmosphères dignes de la série Z horrifique et de Death SS, même claviers et refrains honteusement accrocheurs. Mais quand Abhor accélère un peu le rythme (« Evil Mentor ») et se décide à varier les plaisirs, on ne peut que constater que ça marche. Le titre éponyme qui ouvre l'album est tout simplement génialement composé, et lance au mieux une cérémonie macabre kitsch lors de laquelle, franchement, on ne s'ennuie pas, on ne ferme pas les yeux, comme scotché à un spectacle obscène mais fascinant, vulgaire mais excitant. Et quand ça reprend Mystifier et son "Beelzebuth", ça a le bon goût de le faire en sachant jouer de ses instruments, contrairement à l'original. Allez, hail satan, comme ils disent. 


Autonoesis Moon Of Foul Magics
Black/thrash mélodique – Canada (Autoproduction)

ZSK : J’ai toujours une règle : si je ne m’attarde pas forcément sur tous les groupes que je vois passer sur mes sites de « sources » d’écoute, si par contre j’en vois un ressurgir ailleurs, c’est en général bon signe et je me rue dessus pour savoir ce que ça donne. Ce fut le cas avec Autonoesis, repéré dans un premier temps grâce à sa pochette et son logo pour le moins minimalistes, qui est ensuite retombé par hasard dans mes recommandations YouTube. Etonnant pour ce groupe canadien totalement anonyme, dont même le line-up n’est pas connu, et qui est un énième combo totalement noyé dans le bandcamp game. Pourtant, derrière cette formation archi underground se cache un sacré potentiel…

C’est bien simple, ma première réaction à l’écoute de Moon Of Foul Magics a été « mais quel est ce Deströyer 666 killer sorti de nulle part ? ». Déjà auteur d’un premier album éponyme tout à fait convaincant en 2020, Autonoesis remet donc le couvert et semble pouvoir enfin décoller grâce au bouche à oreille. Certes, le groupe de Toronto pratique un style sans véritable originalité mais d’une inspiration sans commune mesure, avec à la clé un deuxième album très généreux de 66 (!) minutes. Qui commence par une longue intro acoustique avant que le morceau-titre ne résume déjà toutes ses dispositions, entre riffs black/thrash(/death) bien ciselés, chant plein de réverb, leads à tout va et jolis breaks acoustiques, le tout est maîtrisé, et bien vite passionnant.

« Raise the Dead » est ensuite un assaut speed/thrash de cinq minutes absolument imparable, mais Autonoesis va surtout se distinguer par son aspect mélodique très prégnant. Qui se manifeste très distinctement au sein du formidable « Nihility, Endless Winter » avec a la clé des passages particulièrement gracieux, complétés de suite par le fantastique instrumental totalement acoustique qu’est « Valhöll ». Si la suite de Moon Of Foul Magics est plus classique et n’est pas exempte de menues longueurs, de même que tout ceci est perfectible dans la forme (notamment sur la batterie), Autonoesis rivalise ici sans grand mal avec un Phoenix Rising tout en lorgnant vers toute la galaxie Dissection avec brio, et c’est déjà un bel exploit pour ce groupe totalement inconnu au bataillon. A voir jusqu’où ira l’ambition de cette formation qui signe ici un très beau et très complet deuxième album, entre un black/thrash rugueux et des mélodies qui font voyager.

 

GudsforladtFriendship, Love and War
Black metal épique – Etats-Unis (Indépendant)

Circé : Je n'avais jamais entendu le nom de Gudsforladt, mais c'est apparemment le deuxième album de ce one man band... Californien, eh oui, malgré le nom complètement scandinave. Pas de panique cependant, nous ne sommes pas ici chez un énième projet cliché qui nous étalerait toute sa connaissance nord-européenne pour avoir l'air plus trve. La pochette est d'ailleurs déjà là pour nous l'indiquer : figure noire brandissant son épée, début de cliché complètement détruit par la nature aussi verdroyante qu'ensoleillée qui s'étend derrière ; un serviteur de Sauron chassant des hobbits dans la Comté (car oui, c'est en terre du milieu que les aventures de Friendship, Love and War se déroulent).

Mais comment qualifier ce singulier petit opus ? On a le droit, tout d'abord, à une prod lo-fi qui grésille et craquouille délicieusement à l'oreille tout en gardant les nombreux éléments qui composent ces presque 1 heure de musique complètement audibles et appréhendables. Et le voyage démarre sur les chapeaux de roue avec « Ride Forever in the Shadow of the Mountain » : une brutalité tout droit venue de Finlande avec ses blasts, une mélodie glaciale tourbillonant comme une bourrasque sur fond de riffs aggressifs et cris inaudibles. Gudsforladt fait cependant rapidement évoluer la donne ; et ce sera le cas sur la plupart des morceaux de cinq minutes. Au programme également, un black parfois épique teinté de heavy à la Havukruunu, blindé d'harmonies, de soli et de choeurs ; des hommages aux 90s norvégiens comme sur « The Three Sights », ou encore des petites incursions dans des arrangements symphoniques cheap tout droit sorties, elles aussi, d'une cave dans les 90s.

Oui, c'est un album long, se plaindront sûrement certains de mes collègues ; mais la musique évolue tant qu'on y trouve au final peu de longueurs – elles se ressentent sur la deuxième moitié de l'album et sur de rares passages fourre-tout qui en deviennent cacophoniques pendant quelques instants. Autre petit point négatif : les interludes instrumentaux ne sont simplement pas assez marquants pour réellement apporter quelque chose au tout. Mais dans son ensemble, Friendship, Love and War est tellement plein de bons riffs, de rythmiques marquantes (en témoigne le début du morceau éponyme), d'idées dans tous les sens, que se dégage de cette montagne un vrai sentiment épique et tout simplement fun, au final. Un fun qui ne s'estompe pas malgré mes nombreuses écoutes.


Givre Destin Messianique
Metal noir désuet – Québec (Eisenwald)

Malice : La scène québécoise m'a longtemps soufflé, mais a pris un coup dans l'aile ces dernières années, il faut le reconnaître. Les cadors comme Forteresse et Monarque ont ralenti le rythme, voire arrêté, et la relève ne me paraît pas forcément à niveau, à l'exception notable d'un groupe comme Délétère... ou d'un Spectral Wound aux sonorités bien peu « métal noir ». Je garde cependant une affection toute particulière pour ces cousins d'outre-Atlantique, et reste donc attentif aux sorties, même si le label phare Sepulchral Productions s'est également fait discret ces derniers temps.

C'est d'ailleurs via Eisenwald que sort le second album de Givre, Destin Messianique. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on est très loin d'un sosie de Forteresse ici. Si les ambiances médiévales de Pressoir Mystique, le premier opus du groupe, ont un peu disparu, on navigue toujours dans ces atmosphères désespérées et désuètes qui rappellent la scène française (« Le laboureur » a des allures du Sale Freux si cher à notre ancien chroniqueur S.). Bizarrement, le côté « faussement » vieillot et le chant hurlé pas toujours totalement black m'a également évoqué... Tromblon, mais je délire peut-être.

Pour le reste, Givre et ses atmosphères lancinantes (« La Voix »), toujours ou presque mid-tempo, rappellent bien plus la scène québécoise de Sombres Forêts que celle de Monarque et ses sujets. Les textes sont entièrement tirés de littérature d'époque, décrivant un Québec profondément catholique. La voix de Maurice Duplessis, ancien Premier Ministre conservateur et catholique intégriste du Québec, sert ainsi d'outro à un album particulièrement ancré dans l'identité locale. Quoique pas un classique de la scène en devenir, Destin Messianique a l'avantage de confirmer l'identité plutôt affirmée et originale de Givre au sein d'un métal noir un peu en perdition.