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Raton et la bagarre #14

mardi 22 février 2022
Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

La Bagarre n'aura jamais été aussi en retard. Je n'apprends à personne les turpitudes des mois de décembre et janvier et en plus de m'avoir tenu bien occupé, ils eurent la drôle d'idée d'être blindés de sorties intéressantes et de découvertes prometteuses.

Pour me faire pardonner, j'ai donc renforcé plus que jamais la dose de groupes français. C'est même la première fois que je vous présente plus de groupes nationaux que de projets étatsuniens. Il faut dire qu'il aurait été malhonnête de passer à côté du torrent d'excellentes sorties, du crust sauvage à l'emo scintillant. Le constat se renforce de Bagarre en Bagarre, la scène française est prodigieuse et connaît un retour en grâce aussi stimulant que bienveillant.

Continuez à écouter du hardcore, continuez à soutenir les nouveaux groupes, à les voir en concert et à leur transmettre votre entousiasme, ce n'est que comme ça qu'on encouragera la créativité et forgera une scène positive basée sur des idéaux de partage et de solidarité. Bonne lecture !

 

Foxtails – Fawn
Screamo / Post-hardcore – USA (Skeletal Lightning)

Projet américain du Connecticut, Foxtails avait réussi à esquiver mes radars jusqu'ici. Le groupe commence dans le midwest emo, nourri aux tintements math rock, avant de laisser le chant saturé prendre de plus en plus de place dans ses compositions. "Fawn" incarne une étape dans l'évolution sonore du groupe car l'album purge la grande majorité des arpèges scintillants du midwest emo et apporte pour la première fois des cordes frottées avec un violon omniprésent.

La musique dite de chambre ou les influences classiques dans le screamo ne sont pas une première : les Canadiens de Respire, la proposition hybride de Lorem Ipsum ou la carrière de So Hideous (dont le dernier est chroniqué ici). Alors qu'on pourrait le craindre, Foxtails n'utilise pas cet apport comme un gimmick ou un argument racoleur. Le violon apporte autant une solennité qu'une sensibilité pastorale étonnante. Le screamo est une musique introspective et le plus souvent sombre. Mais les cordes frottées le rendent public, toujours aussi intime, mais paradoxalement mis à disposition du monde.

L'autre immense atout du groupe, c'est la voix brisée de Megan Cadena-Fernandez, l'impressionnante chanteuse. Le single "space orphan" fait état de son talent et le reste de l'album ne démérite pas, même dans les passages en voix claire comme sur "life is a death scene, princess". On pourra reprocher au disque d'être souvent trop dense (43 minutes) ou d'une exigence inconstante, mais on ne pourra pas lui retirer sa profonde sensibilité artistique et sa netteté émotionnelle.

 

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Cavalerie – Hate Remains
Hardcore / Crust – France (Delivrance)

Après une première puissante démo en juin 2020 (dont la chronique est toujours ici), Cavalerie revient avec un EP, énorme pas en avant qui multiplie la puissance et l'intérêt du projet. Plus hargneux, plus mémorable, plus cohérent et plus unique : c'est un putsch, une prise d'otages en bonne et due forme.

L'ajout de riffs gonflés à la HM-2 (j'ai souvent pensé à Black Breath) sur "Paris by Knife" ou "No Way Out" renvoient autant au death suédois qu'au crust insultant et fourbe. Mais le gros coup de cœur se trouve sur "Inquisitorial Procedure" avec l'irruption de la voix déchirante et toujours aussi radicale de Mathilde d'Iron Deficiency. Morceau buffle, il fait partie des titres les plus crust avec les deux qui lui font suite, comme sur "No Way Out" et son premier riff très motörheadien.

En revanche, le grand absent c'est le black metal. A part quelques influences sur l'intro de "Paris by Knife", ce qui était un élément constitutif de la démo est ici relégué au dernier plan, comme inspiration lointaine. Cette évolution n'est pas forcément pour me déplaire et n'est pas non plus des plus surprenantes quand on sait que Cavalerie a signé sur le label de hardcore parisien Delivrance (Sorcerer) et que ses membres se retrouvent dans toutes les bonnes occases à mosh pit (vous pouvez même les voir sur les photos de notre reportage du A World to Win 2021).

Avec cet EP, Cavalerie ne se contente pas de taper sur la table mais fracasse cette dernière, arrache les rideaux et pisse dans un coin de la pièce. Cette seconde proposition est aussi une preuve de maturation sonore et de perfectionnement de la recette. Bravo les lascars !

 

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Abrasion – Born to Be Betrayed
Metalcore – USA (Indecision)

Je suis excité rien qu'à l'idée de vous parler d'Abrasion car le projet concentre beaucoup de mes choses préférées dans le metalcore. Rien que le line-up est d'une efficacité ridicule : aux manettes on retrouve Jesse Price, ex-guitariste de SeeYouSpaceCowboy (jusqu'à "The Correlation...") et guitariste/chanteur de l'exceptionnel projet Letters to Catalonia. Pour être soutenu, il a recruté Angel Garcia, chanteur de DARE, et Adam Galindo batteur de Berthold City et One Choice. Comble du finaud, Angel invite Jordan Jenkins, chanteur de Momentum, au micro sur "Face to Face".

A la cime de la nervosité et de la hargne, Abrasion fait honneur au metalcore des années 90s dont il s'inspiressif, le premier véritable EP d'Abrasion est une réussite sur tous les points. Et si vous n'êtes toujours pas convaincu.e, chaque titre a son break et je peux vous dire que pas un seul n'est à jeter.

 

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Karaba F.C. – Empty Rooms
Emo / Rock alternatif – France (A la dérive / Atypeek)

Si vous entendez encore quelqu'un dire que la scène française est à la traîne, changez d'interlocuteur ou mettez lui une chiquenaude dans le nez. Il semblerait que notre scène nationale n'ait jamais été aussi stimulante et créative et l'émergence de Karaba F.C. ne vient qu'illustrer encore davantage mon propos.
Nouveau quatuor parisien, le Karaba F.C. ré-invoque le rock alternatif des années 90s (que les fans de Hum, Failure ou Deftones soient attentif.ve.s) en lui insufflant une sensibilité résolument indé avec des tintements math rock et tout plein de mélodies et de touches emo.
Quelque part dans les mêmes sphères que Paerish, le groupe impressionne par sa maîtrise, donnant le sentiment d'en être à son troisième album ou d'être un remaster d'un groupe oublié de l'époque. J'ai honnêtement été soufflé la première fois que j'ai écouté "After Party", tant le titre utilise à merveille toutes ses influences pour en faire quelque chose de neuf et de proprement addictif.

Certains verront du Thursday ou du Quicksand dans cet EP, mais il faut surtout y voir du talent et beaucoup de passion, de fraîcheur et de spontanéité.

 

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Static Dress – Prologue...
Metalcore / Post-hardcore – Royaume-Uni (auto-prod)

Ca commence à devenir un secret de polichinelle dans la scène. Static Dress est la prochaine sensation du 2000s metalcore-revival, après Code Orange et SeeYouSpaceCowboy. Leurs concerts en première partie de Higher Power ou Knocked Loose pointent dans la même direction avec un mélange savamment dosé entre metalcore accrocheur, post-hardcore et lignes emo en chant clair.
Sauf que les Britanniques se font désirer depuis 2019 en sortant single sur single et faisant miroiter au lointain un EP ou un album. Fin 2021 l'espoir renaît avec l'annonce de ce disque, mais le soufflé retombe vite car "Prologue" est conçu comme la bande-son d'un comic book écrit par le chanteur. Composé de neuf titres, c'est en réalité un projet plus conceptuel avec seulement quatre véritables morceaux et cinq interludes plus ou moins immersifs.

Static Dress est un véritable pot-pourri de tout ce qui faisait le style "scene" avec un mélange de segments agressifs et dissonants et de hooks ultra-mélodiques. D'un côté, le très métallique "disposable care" puis de l'autre le post-hardcore et fédérateur "vague.". Malgré tout, au milieu de tout ça, une grande sensation d'hétérogénéité et d'évidence. Celle d'un groupe évidemment talentueux qui a tout compris à ce qu'il reprend, mais dont la recette est péniblement prévisible et dont tous les efforts sont passés dans une direction artistique edgy et volontairement prétentieuse (les morceaux du groupe tissent une narration égotique mettant en scène l'alter ego du chanteur).

 

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Yearning – MMXXII
Emoviolence – Canada (No Funeral)

Nouveau groupe québécois, Yearning ne dit ni bonjour ni merci avant de vous foutre leurs sneakers émotives dans le museau. Emoviolence faite dans les règles et dans la plus pure tradition, ce premier album ne dépasse pas les 10 minutes et propose une déflagration radiale boursouflée d'intensité et de détresse.
Proche de ce que font les Espagnol.e.s de Drei Affen, Yearning parvient à produire une pièce d'une maturité assourdissante. Avec autant de violence que de talent, le groupe livre une prestation déchirante, un maelstrom anxiogène qui se hisse tout en haut des meilleures œuvres du style depuis bien des années.

 

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20 Seconds Falling Man – VOID
Post-metal / Post-hardcore – France (auto-prod)

Peut-être qu'au goût de certain.e.s, les Bagarres n'abordent pas assez de disques atmosphériques et que toute la scène post-hardcore à progressions flamboyantes est trop souvent absente. Laissez-moi alors redresser ce tort et vous présenter un fascinant projet nantais, 20 Seconds Falling Man.

Si on sent clairement la houlette Cult of Luna / Amenra / Year of No Light que ce soit dans l'approche sonore ou dans le chant qui rappelle souvent celui Colin H. Van Eeckhout, 20SFM est un groupe qui peut se vanter d'avoir une identité propre et des idées à lui. En effet, il développe plus d'immédiateté et de frontalité que ses influences et apporte un bagage hardcore plus clairement formulé (n'oublions pas que la grande majorité de la scène post-metal vient du hardcore et que les trois groupes précédemment cités n'y font pas exception).

Crescendo-core par excellence, les Nantais composent une musique sourde, compacte et volcanique. Une basse frénétique et bavarde soutient à merveille les va-et-vient saturés des guitares explosives, particulièrement sur le très fort "Dear Lord". Entre deux éruptions, le groupe laisse place à des phases post-hardcore clairement marquées par l'influence de Birds in Row, avec un chant de tête saturant sur les fins de phrase. Tous les apports sont parfaitement digérés pour une musique cohérente, poignante et impeccablement envoyée.
On ne peut donc que vous inviter à suivre assidûment la Valley au Hellfest 2022 car 20SFM s'y produira le dernier dimanche.

 

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Invocation – Clarion Call
Metalcore – USA (auto-prod)

Vous l'ignoriez peut-être car c'est une tendance qui a été perdue avec les années, mais au tout début des années 90, l'histoire du straight edge était profondément liée à l’hindouisme. Dans la mesure où le mouvement "Hare Krishna" (Association internationale pour la conscience de Krishna) a été fondé à New York dans les années 60, c'est le New York hardcore qui a connu la plus grosse marque de cette spiritualité. Le premier à avoir embrassé ce mode de vie fut John Joseph, chanteur de Cro-Mags dont l'album "Age of Quarrel" est la traduction littérale du concept hindou de Kali Yuga.
Mais le krishnacore prit vraiment son envol quand Ray Cappo, le chanteur de Youth of Today, forma Shelter. Le style fut particulièrement défini par Shelter et 108 avant de s'étioler progressivement.

Le krishnacore était donc une relique du passé, jusqu'à ce que Invocation vienne le dépoussiérer et proposer un metalcore fiévreux, très inspiré de 108, dont le morceau "Killer of the Soul" est d'ailleurs repris en outro.
Musicalement, à part les chants dévotionnels hindous (appelés bhajans), on est sur du metalcore 90s agressif, nerveux et incisif. La batterie y est nette et éclatante, tandis que les riffs perçants mais groovy évoquent tout le metallic hardcore 90s de la Côte Est. Le chant de Krishna das, autrefois dans Crucial Measures, est extrêmement convaincant, avec une saturation propre et stable. Evidemment avec ces influences, le groupe ne s'interdit aucun mid-tempo et breaks va-t-en-guerre comme sur l'ultra-solide "Mirage".

Sorti de nulle part, Invocation ne peut que mettre tout le monde d'accord. Metalcore référentiel d'excellente facture, "Clarion Call" prouve être davantage qu'un hommage à une scène défunte et apporte de nouvelles voix pertinentes dans la scène hardcore californienne.

 

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Coven – Le blizzard persiste
Screamo – France (Out of Thunes et tant d'autres...)

Je vous parlais du premier EP de Coven il y a seulement deux épisodes donc vous trouverez sûrement que je force, mais je suis prêt à prendre ce risque pour promouvoir les excellentes initiatives locales.
Plus aérien que "La chaleur nous accable", ce nouvel EP en forme de sequel est encore une fois une preuve de finesse, de justesse et d'éclectisme. La polyvalence caractérise à nouveau ces quatre titres qui explorent différents versants du screamo et du post-hardcore, tout en gardant une approche plus lancinante et peut-être plus fataliste comme sur "Alep" et son "Saccager le plus profond de nos êtres / Et s'accuser à en perdre la tête [...] On oubliera peut-être que l'avenir c'était nous..." asséné sur une batterie martiale.

Et sur "Brimades" les frissons reviennent avec une progression hallucinante sur un spoken word hanté qui se conclut par les éructations des guitares saturées. L'EP se finit sur ce titre et avec lui la même impression que sur le précédent : 20 minutes qui semblent en avoir duré bien plus, comme un voyage dont on a encore du mal à saisir les contours. Bravo les camarades, vous m'avez à nouveau cueilli.

 

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Mind Piece – Demo 2007
New York hardcore – USA (Triple B)

Mind Piece est un groupe extrêmement éphémère formé en juillet 2006 à New York et séparé officieusement quelque part entre 2007 et 2008 suite à des conflits entre les membres fondateurs et le chanteur qui voulait continuer le projet sans ces derniers. Le groupe n'a eu le temps de sortir qu'une démo, dans la plus pure tradition new-yorkaise, et ces sacrés loustics de Triple B ont décidé de la rééditer pour la première fois en vinyle afin d'en faire profiter tous les aficionados. Réédition maline vu le succès du revival NYHC récent (surtout orchestré par le même label).
Mind Piece n'est pas plus original qu'un autre, mais bon sang quelle efficacité et netteté dans les riffs. On sent la bande de gamins qui ont bossé leurs compositions pendant des mois avec une détermination inébranlable. Groovy et incisif comme on aime, 12 minutes de précision succulente où tout est en place, de la basse gourmande au chant vindicatif typique.

 

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Sous les radars de la bagarre

Rosa – I
Screamo / Post-rock – France (Remorse Records)

Ce premier EP du groupe de screamo français, formé par des membres de Jarod, est passé complètement inaperçu à sa sortie. Manque de visibilité absolument pas mérité car la proposition des Tourangeaux est diablement convaincante.
Screamo cinématographique avec des longues plages contemplatives post-rock, Rosa propose des extraits d'Alain Damasio, Sergio Leone et Rosa Luxembourg (excusez la dream team) et une fureur émotive toute française (on sent inévitablement le patronage de Daïtro et Sed Non Satiata). Un seul morceau de 24 minutes constitue le brillant EP, qui a d'ailleurs eu le grand luxe d'être masterisé par Magnus Lindberg de Cult of Luna (quand je vous dis que ça ne rigole pas). La production ample et aéré donne autant de force aux passages hurlés qu'aux segments atmosphériques, vibrants et évocateurs.
La cassette a été publiée par les très prometteurs Remorse Records et je ne peux que vous inviter à vous en procurer une tant le screamo flamboyant de Rosa fait pâlir une bonne partie de la scène européenne.

 

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Celeste – Assassine(s)
Post-metal / Black – France (Nuclear Blast)

Pour ce disque, je vous renvoie vers le gros travail collectif de la Série noire #2, notre nouvelle rubrique black metal sur le même modèle que celle que vous lisez actuellement. Pour Celeste, plot twist : le hardcore est de moins en moins présent dans la recette, mais le groupe est toujours aussi imposant et menaçant.

 

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So Hideous – None but a Pure Heart Can Sing
Screamo / Post-metal – USA (Silent Pendulum)

Après 6 ans, décembre 2021 a vu le retour de So Hideous, étonnant projet new-yorkais mélangeant screamo, post-metal/post-black et musique de chambre. Une proposition singulière mais à la cohérence impressionnante. Mais comme je n'ai pas encore eu le temps de digérer l'album, je vous renvoie à la chronique de ce bon vieux SADE, parue dans nos colonnes à la sortie du disque.

 

Et comme si ce copieux repas ne suffisait pas, voici quelques autres disques pêle-mêle, que je n'ai soit pas eu le temps d'écouter, soit qui n'ont pas suffisamment retenu mon attention.

  • Le nouveau Fit for an Autopsy est sorti et assume complètement le virage Gojira-core du groupe. Clairement pas inintéressant, mais on savait ce qu'on allait entendre avant d'appuyer sur lecture.
  • Evidemment, pour tous les emo-kids, Anxious a sorti son tout premier album. Je vous cache pas que ça me fait chier comme un rat mort, mais c'est très printanier et joliment amené.
  • Pas tout à fait hardcore, mais dans la vague shoegaze alternative / tumblrcore / Nothing-worship, Money vient de sortir un excellent EP.
  • Les gros.ses zozos qui ne jurent que par Earth Crisis seront ravi.e.s de se jeter sur le premier EP de Broken Vow, mais faut vraiment pas chercher plus loin.
  • Pour les petites ampoules du hardcore, vous avez un album concept de screamo aux accents math rock avec le nouveau New Grass.
  • Comeback Kid a sorti un nouvel album et vu la stature du groupe je me sens obligé de vous en parler, mais ne comptez pas sur moi pour l'écouter.
  • La même chose avec Underøath, mais je fais confiance aux scene-zouzs qui me suivent de l'écouter en boucle à ma place.
  • Enfin, pour tous les génies qui ont envie de se décoller les tympans en grignotant des cailloux, Moment of Truth vient de sortir un EP deathcore/beatdown et c'est pas joli-joli.