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Album

31 mars 2020 - Varulven

My Dying Bride

The Ghost of Orion

LabelNuclear Blast
styleDoom Gothique
formatAlbum
paysAngleterre
sortiemars 2020
La note de
Varulven
9/10


Varulven

"The sound of falling, when the pictures are moving"

Beaucoup d’artistes disent utiliser leur art à des fins cathartiques. Que cela soit à travers un prisme littéraire, pictural ou bien musical, ces créateurs voient en leur œuvre un véritable exutoire dans lequel déverser tout sentiment de colère, de haine ou de tristesse susceptible de consumer, à terme, leur plus grande part d’humanité. Pour la plupart d’entre eux, en tout cas. Car si l’on se penche sur les dires de Aaron Stainthorpe, chanteur des doomsters anglais de My Dying Bride, écrire à propos de ses démons intérieurs lui fait parfois autant de mal que de bien, évacuant à la fois de sombres pensées tout en revivant certains événements tragiques de son vécu. Si bien que notre homme fait désormais beaucoup plus attention à ce qu’il raconte dans sa musique.

Car l’année 2017 à bien failli sonner le glas de l’un des trois pionniers du Doom/Death britannique. D’abord la découverte d’un cancer contracté par la fille de Stainthorpe, obligeant ce dernier à se couper totalement du reste du groupe pour être à son chevet. Puis les départs successifs de Calvin Robertshaw (guitare) et de Shaun Taylor Steels (batterie), freinant davantage la préparation du prochain opus, laissant une fois encore le guitariste et membre fondateur Andrew Craghan se charger de la totalité de la composition et de l’enregistrement des guitares. Une entreprise harassante, surtout l’enregistrement des pistes de chants par Aaron, qui fut des plus laborieux et difficile, ce dernier n’arrivant pas à se reconnecter au cadre de travail du groupe, encore trop marqué par la maladie de sa fille et par les conséquences de cette épreuve sur sa vie et sur celle du groupe.

C’est dans ce contexte douloureux que fut conçu The Ghost of Orion, treizième chapitre d’une carrière prolifique, et premier pas vers une nouvelle ère, en témoigne la signature chez Nuclear Blast après 30 ans de fidélité chez Peaceville, et l’envie de poursuivre sur le même chemin que Feel The Misery (2015), en proposant une musique plus accessible et mélodique, avec des titres plus mémorisables que d’ordinaire (« And My Father Left Forever », « Feel The Misery »), bien que les compositions gardaient en elles cette marque lugubre et pesante dont le combo originaire d’Halifax s’est fait le porte parole depuis trois décennies. Difficile de s’émanciper totalement d’un tel apparat quand il vous colle si bien à la peau, et ce nouveau manifeste des Anglais le prouve une fois encore : le parti pris dominant reste celui d’un Doom Gothique plombé et très mélancolique, illustré par des motifs de guitare accablants et des nappes de violon très plaintives, pour un propos toujours très marqué par l’atonie, et la résignation, des morceaux tels que « To Outlive The Gods » ou bien « Tired of Tears » en sont le plus bel exemple.

Mais contre toute attente, le pari de l’accroche et du « easy listening », sans tomber dans le mièvre mielleux et pleurnichard, est relevé haut la main par le contenu de The Ghost of Orion. Car là où certains albums récents comme For Lies I Sire et A Map of All Our Failurespouvaient présenter quelques longueurs ennuyeuses, à force de noyer l’auditeur dans une noirceur et un malaise permanent, ce sont bien les mélodies qui se retrouvent au premier plan ici, presque tous les morceaux possédant cette même approche plus aérée. On pense une fois encore à « Tired of Tears » et « To Outlive The Gods » et leur leads lancinants, mais surtout au morceau d’ouverture « Your Broken Shore », dont la mélodie imparable et poignante renvoie directement à Paradise Lost et au jeu de guitare de Greg Mckintosh, imposant l’identité de l’album avec brio pour ce qui est certainement le titre le plus efficace jamais écrit par My Dying Bride.

Une approche plus lisible donc, également caractérisée par la présence de trois interludes, censés apporter un peu de repos et d’accalmie dans la tourmente, la très apaisante « The Solace » et le timbre maternel de Lindy Fay-Hella (Wardruna) le montrant parfaitement, bien que le manque d’envolée de la Norvégienne et l’aspect trop lisse de ce type de morceaux casse quelque peu la trame auditive pour ce genre d’album. Car The Ghost of Orion continue, avec plus de parcimonie certes, à se draper de ces oripeaux lugubres qui ont fait la réputation de My Dying Bride, les deux pavés monolithiques « The Long Black Land » et « The Old Earth » nous rappelant au bon souvenir des albums plus anciens comme le culte Turn Loose The Swans, grâce à des riffs aux ambiances mortifères et menacantes, portés par un chant death toujours aussi arraché. Là encore, un grand soin a été apporté au travail vocal, et peut-être même plus que d’ordinaire, quand on sait à quel point l’enregistrement fut pénible pour Aaron. Ayant enregistré ses parties quelques mois seulement après la rémission de sa fille, on ressent une certaine retenue et un détachement des lignes de chant par rapport au reste de la musique. Afin de ne pas sombrer dans le larmoyant outrancier, son timbre assez nonchalant confirme ce souhait de s’émanciper de la souffrance engendrée par ce malheureux événement, le titre « Tired of Tears » (encore) faisant directement référence à cette lassitude d’être sans cesse heurté par tant d' épreuves, à tel point qu'elles semblent être les seules à pouvoir stimuler un élan de créativité chez les Britanniques. 

Que cela soit un fardeau ou une necessité, The Ghost of Orion fait office de véritable synthèse de tout le savoir-faire acquis par My Dying Bride au cours de sa longue carrière : celui de proposer une musique plus abordable et mélodique, mais reposant malgré tout sur la même base funèbre que celle de leurs débuts. La différence réside dans la perception qu'a le groupe de son art. Auparavant condamné à ressentir la misère et à s'y perdre, My Dying Bride l'a désormais apprivoisée, et s'en nourrit, afin de continuer son chemin, toujours plus marqué que jamais par les aléas du temps. Tant qu'il le peut encore.

 

Tracklist : 

01. Your Broken Shore

02. To Outlive The Gods

03. Tired of Tears

04. The Solace

05. The Long Black Land

06. The Ghost of Orion

07. The Old Earth

08. Your Woven Shore

 

 

 

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