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Album

20 février 2018 - Malice

Arkona

Khram

LabelNapalm Records
stylePagan/Folk Metal
formatAlbum
paysRussie
sortiejanvier 2018
La note de
Malice
8/10


Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Arkona fait partie de ces groupes rentrés depuis quelques années dans le cercle des darons de la scène folk metal. Malheureusement, serait-on tenté d'ajouter : les Russes, menés par la charismatique Masha, sont aujourd'hui allègrement mis dans le même sac que des groupes à la sensibilité pourtant plutôt différente ... et cultivent de manière assez paradoxale cette association en participant régulièrement (et en ce moment même!) à des tournées type Trollfest (Heidevolk, Korpiklaani, Trollfest et autres joyeusetés pouet-pouet). Paradoxale pourquoi ? Parce que sur album, la courbe est à peu près exactement inverse.

Depuis Yav (2014), Arkona, qui avait toujours baigné dans l'imagerie des mythes nationaux slaves mais restait plus guerrier que véritablement sombre (et généralement assez direct), a en effet mis de plus en plus de pagan dans son folk. Ambiances à couper au couteau, titres de plus en plus longs et sombres – l'identité d'Arkona s'affirme en même temps que s'affiche sur les réseaux (pouloulou) l'amitié entre les membres du groupe et ceux de Nokturnal Mortum. Et au-delà du léger parfum de soufre qui flotte toujours autour de ces légendes de la scène ukrainienne, cette proximité paraît logique tant Khram,ce nouvel album, semble inspiré par l'approche chamanique et folklorique présente sur Verity, le tant attendu successeur de Voice of Steel publié l'année passée par Nokturnal Mortum.

Dès son titre (« Khram » signifie « temple »), le thème est en effet posé : tout ici sent bon le rituel occulte, la conjuration des esprits des mythes slaves – les deux Mantras posés en intro et outro, et étonnamment réussis, le confirment. Au centre de l'album, le titre éponyme, orageux, sur lequel Masha susurre avant l'arrivée d'un refrain solennel, représente peut-être le mieux cette évolution. L'incroyable chanteuse y étale toute sa palette, véritable prêtresse habitée par ses textes. Délivrant probablement sur Khram la meilleure performance de sa carrière, elle couche en termes d'intensité un bon paquet de frontmen de la scène. Rebionok bez imeni, avec son refrain aérien, évoque et égale l'immense Zov pustyh dereven (Yav), notamment dans les émotions qu'il suscite, bien amenées par une flûte subtile. Subtil, c'est d'ailleurs un terme qui vient à l'esprit en écoutant ce Khram à tiroirs, c'est le moins qu'on puisse dire : sept titres pour plus d'une heure de musique et peu de morceaux sous les neuf minutes (!) en font un sacré bestiau, vraie perle de composition qui réussit avec brio à multiplier à la fois les émotions et les ambiances au sein même des titres.

Le summum de l'ambition est atteint dès le second morceau, Tseluya zhizn  : dix-sept minutes (!!!) au compteur et peut-être le titre le plus réussi de l'album. Des cuivres accompagnent la progression de ce morceau solennel et dont le point culminant tient en un pont absolument génial : jaillies de nulle part, des voix d'enfants viennent poser une ambiance glauque que renforcent encore des nappes électroniques et des notes de biniou tout sauf joyeuses. Des frissons nous parcourent et on se dit qu'Arkona touche là le sommet de son art. Même le surprenant tapping qui suit, avec sa basse claquante et qui pourrait paraître totalement hors de propos, ne nous sort pas de la transe instaurée par le groupe sur ce titre pourtant ô combien casse-gueule. Le génie de Nokturnal Mortum, encore, est presque approché, accompagné de cette mélancolie indescriptible qui fait de la Russie ce qu'elle est.

Le côté frontal d'Arkona est presque entièrement délaissé sur Khram, seul Shtorm, titre d'ouverture, présentant des mensurations un peu moins colossales que le reste de l'album (5 minutes). Sa flûte (dont l'utilisation évoque, ô surprise, le Verity de Vous-savez-qui...) et son break au biniou ne parviennent toutefois pas à rendre ce titre particulièrement plus guilleret que les autres. Ni particulièrement mémorable d'ailleurs tant le reste de l'opus se distingue par son foisonnement d'idées. Ainsi, alors qu'on se dit que V Pogonie za belojten'yu, porté par un riff et une mélodie centrale énormes, pourrait être le « tube » de Khram, Arkona parvient encore à nous dérouter via un pont ambiant, bardé de percussions lointaines et de claviers planants.
C'est tellement culotté qu'on ne peut que tirer son chapeau : tant de groupes auraient, à la place des Russes, amorcé depuis longtemps un virage dénué de toute authenticité (qu'on se rappelle des premiers albums de Korpiklaani, bourrés de bonnes idées tirées de la musique traditionnelle finlandaise, et de ce qu'il en est advenu après), qu'il y a un côté jouissif à ce Khram qui dégueule de partout, qui perd son auditeur dans les méandres d'une séance de chamanisme imprévisible et pose là son hermétisme apparent ... tout en s'avérant au final diablement bien fichu.

Il n'y a plus qu'à espérer qu'Arkona trouve avec cet album son vrai public : celui du pagan/folk le plus fin et sombre et non pas celui du Trollfest. Cela passera peut-être par une tournée un peu plus ciblée ...

Tracklist : 

1. Mantra (Intro) 3:51 
2. Shtorm 5:11
3. Tseluya zhizn' 17:11 
4. Rebionok bez imeni 11:58 
5. Khram 9:50 
6. V Pogonie za beloj ten'yu 7:49 
7. V ladonyah bogov 9:16 
8. Volchitsa 8:02 
9. Mantra (Outro) 0:55

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