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Album

05 septembre 2016 - ZSK

Harakiri For The Sky

III: Trauma

LabelArt of Propaganda
styleBlack Metal atmosphérique
formatAlbum
paysAutriche
sortiejuillet 2016
La note de
ZSK
9/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

On partait de loin. Un nom un peu repoussant digne d’un groupe émo voire de crabcore. Un Black à la mode avec un chanteur qu’on imagine bien avec des cheveux courts blonds et une chemise à carreaux, à cracher ses poumons dans le pur style screamo de mue d’ado plutôt que des vocalises bien grim des grands anciens. Le « Blackgaze » à la Deafheaven et consorts, toussa toussa, bref le « Black » haï des Vrais. Pourtant, Harakiri For The Sky, c’est un peu plus que les habituels clichés. Duo autrichien aux cheveux longs (eh oui) qui distille son « Post-Black » depuis 2011, en alternance avec leurs autres formations Bifröst, Karg, ainsi que Anomalie et Schattenlicht sur scène, Harakiri For The Sky a fait son chemin. Si son premier album éponyme sorti en 2012 restait dans les standards Post-BM à chant d’obédience screamo, Aokigahara (2014) a dévoilé le vrai potentiel du combo autrichien, qui a opté pour des compos plus enjouées que la moyenne. Mais ce n’était qu’un début et voilà qu’en cet été 2016, Harakiri For The Sky vient mettre sa petite baffe à tout le monde, discrètement, mais avec du grand panache. III: Trauma sonne déjà comme une grosse révélation et un album imparable pour tous ceux qui aiment que leur Black soit plus frais et raffiné qu’expéditif et blasphématoire. Ou même, un album qui serait capable de mettre tout le monde d’accord, témoignant d’un groupe qui a réussi à faire le pont entre Blackgaze rose bonbon et pur Black atmosphérique et mélodique. S’il reste certain que Harakiri For The Sky n’est pas et ne sera jamais destiné à ceux qui sont restés bloqués sur le Black norvégien de 1994, les autres peuvent se poser et apprécier ce bijou que viennent de nous pondre les autrichiens.

Pour mettre tout le monde d’accord et faire évoluer son art, Harakiri For The Sky a du procéder à quelques changements. Celui qui demeure le plus notable reste le chant, et pour cause : exit les hurlements arrachés façon screamo, place à un chant plus rocailleux, plus proche du Black atmo germanique en un sens. Ce qui va d’ailleurs faire pencher la musique d’un autre côté, Harakiri For The Sky s’éloignant du pur Post-Black/Blackgaze pour s’approcher nettement d’un BM autrement plus atmosphérique et épique. L’appellation « Post-Black » que l’on retrouve un peu partout me semble même désormais légèrement erronée. Avec III: Trauma, Harakiri For The Sky pratique plutôt un hybride entre le Black atmo allemand façon Agrypnie et le Black américain très forestier d’Agalloch et consorts, avec cet aspect enjoué dans les compos qui évoquera aussi de nombreuses autres formations de la scène USBM. Rien de bien trve, mais de toute façon nous ne sommes pas sur ce terrain. Nous sommes plutôt sur le terrain d’un Black-Metal à la fois entraînant et enivrant, à la fois porté sur les atmosphères et les émotions mais aussi sur de pures accroches musicales. Un dialogue entre guitare rythmique et lead, une batterie à l’unisson, un chant qui accompagne le tout avec des paroles qui toutefois ne respirent pas la joie de vivre, il n’en faut pas plus à Harakiri For The Sky pour proposer un BM mélodique et atmosphérique hyper rafraîchissant. La maîtrise et l’inspiration sont totales et les 75 minutes de III: Trauma s’apprécient dès le début, sans lassitude ensuite. La marque des grands, pour un album magnifique et monumental.

8 morceaux qui tournent chacun autour des 9 minutes, Harakiri For The Sky est du genre à prendre son temps mais ne perd pas de temps pour nous distiller ses superbes compos. Pourtant c’est "Calling the Rain" qui du haut de ses 11 minutes a la charge d’ouvrir le bal, tout en douceur, avec une splendide intro d’ailleurs, déjà gorgée d’émotions pour un album qui en déborderait presque. Le duo autrichien est capable de nous emporter avec peu de choses, des riffs appuyés immédiatement efficaces et des mélodies/trémolos prenants, le tout formant un ensemble facilement assimilable. L’Appel de la Pluie nous introduit déjà dans le Ciel qui se fait Hara-kiri en se posant comme une somptueuse pièce de Black atmosphérique, peut-être plus du « Grey Metal » comme on appelait autrefois le style, mais tout ce qu’on attend de ce genre cotonneux est présent. Harakiri For The Sky aurait d’ailleurs pu se contenter de ce cahier des charges bien appliqué mais le reste de III: Trauma va montrer qu’il a plus d’un tour dans son sac. Avec sa science des compos directes et dynamiques doublée d’une inspiration de tous les instants, le combo autrichien est parti pour aligner des pépites très entraînantes de Black mélodico-atmosphérique. "Funeral Dreams" est donc terriblement accrocheur avec ses riffs mordants souvent doublés de blasts, on se laisse prendre au jeu dès les premiers instants, surtout quand il apparaît bien vite une dualité maîtrisée entre grattes mélodiques et riffs durs, offrant une alchimie parfaite, avec à la clé des riffs percutants (dès 1’20) et des leads particulièrement gracieux (à 4’23, c’est la jouissance mélodique). Ajoutez à cela le chant à fleur de peau très viscéral et libérateur, et autant dire que c’est la grande classe.

Dans cette lignée très couillue, on retrouvera plus tard "Viaticum", l’autre tuerie de ce III: Trauma, certainement le morceau le plus intense du disque où les riffs et mélodies ne nous lâchent pas pendant presque 9 minutes, les cavalcades rythmiques et les passages épiques (ce lead ultime à 2’23…) s’enchaînent avant de laisser place à un final tout simplement génial, qui fait taper du pied encore plus que pour les meilleurs moments de "Funeral Dreams". Sur une base Black atmo avec des désormais lointaines influs Post-BM, Harakiri For The Sky pose avec brio son style très enjoué et accrocheur. La plupart des schémas rythmiques de III: Trauma sont donc très remarquables et on le remarquera encore sur le final forcément lumineux et triste de l’album, "Bury Me". Entre temps, le groupe autrichien continue à dévoiler ses facettes et distiller ses subtiles compos. L’équilibre penche aussi vers les mélodies, en témoigne "Thanatos" où l’inarrêtable forme du groupe se matérialise par un enchaînement constant et dynamique de divers trémolos et leads, ce souffle étant seulement coupé par un beau break à 3’30, seul moment de III: Trauma où nous entendrons du chant clair d’ailleurs. "The Traces We Leave" choisit aussi de se concentrer sur les mélodies, cette fois-ci de manière plus posée et à nouveau riche en émotions, les riffs appuyés prennent aux tripes mais les douces grattes mélodiques font le sel de ce morceau très prenant, encore une fois épicé par un solo inoubliable (à 6’28). Et si toujours dans les émotions et les mélodies, "Dry the River" est de loin le morceau le plus atmosphérique et le plus enlevé de III: Trauma, sa pièce la plus forte se nomme "This Life As A Dagger" : plus de 9 minutes d’explosions épiques à couper le souffle, la meilleure performance du musicien et du vocaliste haut la main, digne du meilleur d’Agrypnie et même encore mieux, un morceau incroyablement prenant qui fera date au moins pour cette année, pour ce qui est le point d’orgue de ce qui sera un des albums de l’année.

Un morceau exceptionnel qui encore une fois témoigne bien de toute l’inspiration de Harakiri For The Sky au niveau des rythmiques et des leads (avec encore un passage fantastique à 7’26), et au niveau de tout en fait, chant et batterie (et production) également, le duo M.S. - J.J. a abattu un énorme boulot pour faire de III: Trauma un quasi-chef-d’œuvre. On y trouvera peut-être un manque d’originalité, des petites longueurs (c’est le jeu sachant qu’aucun morceau ne passe en dessous des 8 minutes), des morceaux moins marquants que d’autres sachant qu'il est difficile de passer après des brûlots comme "Calling the Rain", "Funeral Dreams", "This Life As A Dagger", "Viaticum"… mais la perfection n’existe pas et malgré tout III: Trauma frôle quasiment le sans-faute. D’une pureté absolue et d’une fraîcheur de tous les instants, ce troisième album de Harakiri For The Sky a su s’extirper des clichés du Post-Black pour livrer une véritable sensation de Black mélodique et atmosphérique, un disque à la fois efficace et accrocheur, raffiné et enivrant, mordant et prenant. Un modèle du genre qui a su capitaliser sur de glorieuses influences, tout en livrant des compositions de grande classe, dans une simplicité bienvenue qui rend III: Trauma particulièrement authentique. Des rythmiques et des mélodies cossues à foison au sein de longs morceaux passionnants, il n’en faut pas plus pour créer des atmosphères et les transformer en un tourbillon d’émotions. Harakiri For The Sky nous fait une leçon de Black atmosphérique « moderne » grâce à sa forme exceptionnelle, et livre un album totalement maîtrisé et réussi de A à Z, gorgé de moments inoubliables qui resteront gravés dans nos esprits pendant un moment, avant que quelqu’un (eux-mêmes ?) ne fasse mieux mais ça sera un véritable défi que de dépasser un album de cette qualité. En attendant, inutile de dire que III: Trauma sera mon album de l’année, une épopée de 75 minutes tout simplement magique.

 

Tracklist de III: Trauma :

1. Calling the Rain (11:28)
2. Funeral Dreams (8:58)
3. Thanatos (9:21)
4. This Life As A Dagger (9:26)
5. The Traces We Leave (8:33)
6. Viaticum (8:38)
7. Dry the River (9:50)
8. Bury Me (8:56)

 

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