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mercredi 29 août 2018

The Pineapple Thief

Bruce Soord (chant, guitares)

Storyteller

Why not ?

Bien en amont de la sortie du nouvel album de The Pineapple Thief, Horns Up a pu rencontrer la tête pensante du groupe, Bruce Soord dans un hôtel parisien en plein marathon promo. Etant dernier dans le planning des entretiens, l'homme était bien rôdé aux questions et plutôt prolixe. Voilà donc le résultat, un entretien à l'opposé de la pièce exiguë dans laquelle nous nous trouvions, totalement ouvert.

[nous avons commencé par discuter de sa journée promo et des buts de sa visite à Paris]

Votre album sera lancé en août, et nous sommes en juillet, qu'allez-vous faire pendant ce laps de temps ?

Bruce Soord : Et bien, on est en plein dedans, ce genre de choses, la promo, rencontrer la presse, des clips. C'est d'ailleurs amusant de voir que le concept de clips a changé depuis quelque temps, depuis l'époque de MTV. En fait YouTube est devenu malheureusement si important. C'est malheureux pour les groupes parce que tu ne gagnes rien du tout. Les gens se plaignent de Spotify mais YouTube est dix fois pire. Les gens peuvent trouver absolument tout ce qu'ils veulent écouter sur YouTube et c'est gratuit.

Donc on prépare un clip, puis on part en Allemagne et puis viendront les répétitions pour la tournée.


Et comment vivez-vous cette attente ?

C'est vraiment dur ! En fait, il arrive un moment où l'on discute avec des gens qui ont déjà entendu l'album et ça c'est bien. Surtout quand on voit que les gens aiment. C'est un soulagement. Même quand on est convaincu que l'album est bon, on n'est pas orgueilleux au point de penser que les fans vont l'adorer autant que nous. Et puis on commence à sentir l'appel de la route et de la tournée !


Parlons de la sortie d'un album. Pensez-vous qu'on pourrait le comparer à un accouchement ?

C'est vrai que c'est lâcher son enfant, le donner aux autres. On le couve pendant un moment après tout. Cela nous a pris six mois. Et on peut penser que ce n'est pas très long. Mais en fait c'est du 24h/24. On se lève, on pense album, et c'est tout ce que l'on fait. Et au bout d'un moment, il faut le donner au label. Et il faut s'arrêter, mais moi je n'ai jamais envie de m'arrêter ! Il y a toujours quelque chose à changer à améliorer mais il y a un moment où on ne fait que gâcher son travail.
 


Tous les membres du groupe font partie de différents projets...

Euh oui, enfin personnellement je suis plus à plein temps dans The Pineapple Thief que les autres. Je continue de temps en temps à faire le mixage d'autres groupes, histoire de payer les factures. Le claviériste est ingénieur (du son), notre bassiste est le seul à avoir un job normal, il travaille dans l'industrie spatiale, il est ingénieur. Il a un métier super sexy, mais il préférerait passer musicien à plein temps. Et Gavin, le batteur, lui il joue pour King Crimson.


Alors du coup, comment décidez-vous que c'est le moment pour un album de The Pineapple Thief ?

En fait, ça se fait assez naturellement. On était tous les quatre une des dernières fois où on a fait un concert, l'an dernier en décembre, et puis à ce moment, on s'est dit : « et pourquoi pas refaire un nouvel album ? ». On n'a pas vraiment tergiversé, on s'est lancé. J'ai commencé à envoyer quelques idées. Puis le batteur les a enregistrées dans son studio et puis les a renvoyées. Ça ressemblait à un jam en fait, sauf qu'on était pas dans la même pièce.


Est-ce que ça a rendu les choses plus compliquées ?

Non en fait ça les a rendues plus simples, parce que personne ne regarde par dessus ton épaule pour te mettre la pression. Et là je serais obligé de sortir une idée mais ça risquerait de ne pas être super. Tandis que là, Gavin m'envoyait une idée et j'avais le temps de prendre du recul et de l'analyser sans pression. Je lui renvoyais mes idées quand je savais qu'il me dirait qu'elles étaient bien et qu'il pouvait rajouter des choses. Je pense que c'était même mieux, même si on perd le côté fun. C'est un peu un travail en solitaire.


Vous parliez de la difficulté de lâcher prise. Comment décidez-vous du bon moment pour dire qu'il faut arrêter de travailler une chanson ?

Je pense que c'est là où travailler avec un bon groupe de personnes est important. En termes de production, je sais qu'on a bien fonctionné, les gens disaient quand ça n'allait pas, quand les morceaux n'étaient pas comme il fallait et quand ça allait. Il y a pas de mal de soli de guitares sur cet album, et quand je proposais un truc, il me disait, non Bruce ça va pas, c'est pas le truc qu'il faut. Ce qui me mettait les nerfs en pelote. Puis je revenais avec un angle d'attaque complètement différent et ils approuvaient et du coup on pouvait avancer. Ce genre de soutien dans un groupe est vraiment important.


Même s'ils sont physiquement loin de vous ?

Oui, ils ont toute ma confiance. J'ai confiance dans leur jugement.
 


 

J'ai lu que vous aviez composé le single à partir d'un jam. Avez-vous fait la même chose pour le reste de l'album ?

Oui c'est le cas. En général, j'apporte le début de la chanson, je l'envoie aux autres en leur demandant leur avis et s'ils sentent le potentiel, on poursuit. Et c'est là une des difficultés d'être compositeur, tu peux passer ta semaine à travailler d'arrache-pied sur une idée et te rendre compte que cela ne mène à rien. Il faut être assez fort pour mettre cette idée à la poubelle et repartir de zéro. Un autre truc de l'expérience est que tu reconnais quand les morceaux ne seront pas assez bons afin de s'en débarrasser plus rapidement.


Et quel titre vous a demandé le plus de travail ?

Shed a Light, qui est la dernière chanson de l'album. Je savais que ça rendrait bien au final parce que j'avais les couplets et j'aimais bien comment ça sonnait, le refrain était pas mal mais quand la chanson se développait ça sonnait faux. On le sentait au fond de nous, ça n'allait pas. On est arrivé au moment où l'on ne pouvait pas la mettre à la poubelle parce qu'on avait senti le potentiel et en même temps on voyait que ça ne marchait pas sans comprendre pourquoi. Et c'est à ce moment qu'on se pose et qu'on utilise tout ce que l'on a appris depuis qu'on écrit des chansons pour The Pineapple Thief. On pourrait croire que c'est un geste d'une certaine froideur que de couper des morceaux de titres mais au final c'est bien mieux que de se convaincre de jeter une chanson à la poubelle ou de la sortir chanson avec des imperfections ou un goût d'inachevé. Les gens ne sont pas débiles, ils s'en rendent compte très rapidement. Ils ont des attentes.


Et justement que pensez-vous que les gens attendent de votre groupe ?

Je pense que les gens ont plein d'attentes différentes donc je ne me concentre pas trop là-dessus mais j'imagine qu'ils veulent se plonger, s'immerger dans la musique et l'album. Ils veulent partager les émotions avec nous. Et c'est ce qui rend les choses dures, atteindre cet objectif. Je me dis qu'on y est arrivé mais il va falloir patienter pour le savoir, n'est-ce-pas ?


Les paroles sont composées de phrases très courtes. Recherchez-vous cet effet de style ?

Et bien, regardez les paroles des premiers albums, c'était encore plus court ! Quand on compose un album, les paroles sont le plus gros challenge. Trouver le mot juste qui trouve la bonne place et qui transmet l'émotion que je veux transmettre. Parfois, ça se joue à un mot, il est là mais tu te dis que c'est pas sa place. En ce qui concerne la longueur des phrases, c'est en effet partie de mon style. J'aime bien me ménager des pauses, de l'espace. Je ne suis pas du genre à raconter de longues histoires dans les détails. Je me situe plus dans une branche abstraite du storytelling. Dans une certaine mesure, je veux que les gens aient leur interprétation. Après je ne veux pas avoir l'air paresseux en balançant des mots et à toi de jouer. Il y a pas mal de métaphores, notamment sur la guerre et les combats, de gens qui se tirent dessus ou de batailles. On comprend rapidement que ce ne sont pas de vraies guerres mais une référence aux réseaux sociaux, aux trolls qui t'attaquent, et à la méchanceté des gens en général et comment ils s'en sortent grâce au côté anonyme d'internet. Ça ne devrait pas être trop difficile de mettre du sens dans toutes ces paroles.


J'ai aussi vu que vous n'étiez pas fan de la vie ultra connectée...

En fait j'adorais avant, mais je pense que ça va trop loin maintenant, que les inconvénients ont pris le pas sur le positif. En plus, la politique s'en empare. Quand on voit par exemple en Grande-Bretagne, avec cette histoire de Brexit par exemple, et comment les réseaux ont réussi à couper le pays en deux. Un certain nombre de titres parlent de relations humaines et de leur déliquescence jouée devant tout le monde sur internet. Tout le monde peut y prendre part parce que les gens postent des photos qui ne devraient jamais voir le jour, comme des enfants tristes par exemple. Et là ils se font des alliés ou des ennemis et la guerre peut commencer avec ces deux petites armées.

Attention, je ne dis pas qu'on devrait s'en passer. Il y a une vraie utilité. Et les groupes doivent absolument s'en servir. On a annoncé notre tournée sur Facebook et c'est le meilleur moyen de propager la nouvelle. C'est compliqué. Ces derniers temps, ça m'a inquiété.


Vous êtes-vous imposé certaines règles en termes de réseaux sociaux ?

Oui, je n'ai pas de Facebook personnel, seulement pour le groupe. Et j'adore Twitter, c'est pour moi le meilleur moyen de rester à jour et j'aime l'utiliser. Mais c'est vraiment pénible, parfois on s'embrouille avec ma femme, parce qu'on aimerait avoir des moments pour nous mais elle passe du temps sur son téléphone. Je lui demande ce qu'elle fait, elle me dit qu'elle parle à quelqu'un et je lui demande ce que cette personne fait là, tout de suite, au milieu de nous deux ! Et après c'est moi qui fais la même chose ! Et boum ! C'est parti pour une dispute. Bon en fait je suis un peu un hypocrite.


Votre nouvel album s'appelle « Dissolution », on imagine le lien avec vos propos sur la dégradations des relations humaines... y-a-t-il une solution à cette dissolution ?

C'est un bon résumé en effet. Dissolution est un mot difficile à définir. Si on regarde la racine, on voir le mot « solution », ici on est à l'opposé. On voit aussi « dissoudre »...

Je pense que la solution se trouve dans la façon dont on aborde nos relations. On devrait retourner aux fondamentaux et passer plus de temps avec les gens qui comptent pour nous. Même si on est plus connecté, je pense que les gens se sentent plus seuls que jamais.


[petite digression sur l'interdiction du portable dans les écoles françaises à partir de la rentrée, les enfants se demandent ce qu'ils vont bien pouvoir faire aux récrés...]

Ah oui, c'est comme mes enfants, ils se demandent et cinq minutes après, ils s'éclatent comme jamais et sans console, parce que le truc chez moi c'est la Playstation ! Une fois ces cinq minutes de doute passées, ils s'en vont dehors et se trouvent un truc super à faire et jouent ensemble. Ils doivent juste se servir de leur imagination.


J'ai lu la promo du label, et j'aurais aimé avoir votre impression sur le fait qu'on vous classe comme « un des phares de la musique prog rock expérimentale en Europe » ?

[rires] C'est n'importe quoi ! Il faut bien que les gens de la promo écrivent quelque chose. Rock expérimental ?? bon c'est vrai qu'on peut pas nous appeler simplement « groupe de rock », on n'est pas les Foo Fighters, attention je ne juge pas les Foo Fighters ! En fait la conception de l'album a visité plein d'endroits différents en termes d'émotions et de technique. On ne pousse pas jusqu'au math rock mais les chansons vont dans des directions, des feelings, des mesures différents.

Mais si on dit que nous sommes des phares, c'est que c'est vrai point à la ligne !

En ce qui concerne le côté expérimental, c'est comme ça que je définis le prog : on ne voit pas une chanson comme l'alternance couplet / refrain et parfois un pont. On essaye différentes atmosphères, différentes vibes, des grooves... et en ça je dirais que nous décrire comme « expérimental » est plutôt une bonne idée.

 

 

Dissolution sortira dans une version deluxe avec des illustrations. Avez-vous pris part au choix de ces dernières ?

En ce qui concerne le design, oui, le label m'a impliqué. Je leur ai expliqué le concept et je les ai laissé faire leur travail, après tout je suis compositeur, pas designer ! On est à une époque où c'est compliqué de vendre des disques physiques donc ils trouvent de beaux objets avec des livrets, que les gens vont avoir plaisir à tenir et lire. On a de la chance d'avoir un label qui nous propose des produits de qualité. Ils nous ont aussi fait des vinyls : un cristal, un rouge, un normal... Les gens aiment ça !

A l'intérieur du livret, on a des illustrations qui suivent la pochette : l'histoire de ce couple dont la relation se dégrade et disparaît.


Si l'on compare l'artwork avec le précédent album, il est bien plus sombre.

Oui, on nous a souvent dit ça. Déjà il est en monochrome. Quand j'écrivais l'album, je me disais que le thème était un peu sombre, lugubre, donc cela ressort sur les illustrations. On ne peut pas nier le fait que cet album soit plus sombre que le précédent.


Êtes-vous optimiste ?

Tout à fait !!


Vous partez en tournée en septembre. Comment vous préparez-vous aux concerts ? À quoi ressemble un concert de The Pineapple Thief ?

Pour nous, se préparer veut dire qu'on se retrouve dans la même pièce. Heureusement, notre batteur a une grande maison avec un studio de répétition. Avec les technologies modernes, c'est super simple d'avoir un son de qualité, même en répétition avec des ordinateurs, de bons casques et du matériel adéquat. Du coup, quand on part sur la route, nos réglages sont quasiment terminés.

Pour ce qui est du live, quand je vais à un concert, je veux voir un groupe, des lumières mais je ne veux pas être distrait par des tonnes de vidéo, d'effets, de gimmicks. Donc, on essaye de retranscrire cette idée dans nos concerts, sans pour autant négliger les lumières, par exemple.

Bien sûr, je suis le frontman du groupe, alors il faut que j'anime le concert. Quand je vais voir un concert, je me rends compte de l'importance de ce poste, je regarde deux personnes : le batteur et le chanteur. Le batteur, parce que je trouve que c'est un instrument avec lequel on a du mal à innover, alors je pêche des idées quand je vois des choses qui me plaisent.


Combien de temps va durer la tournée ?

Pas longtemps. Elle va durer autour de deux semaines. On a 15 ou 16 concerts. Avec les métiers des uns et des autres, plus Gavin qui est dans King Crimson, c'est compliqué. Mais autant de préparation pour une durée aussi courte, il va falloir que l'on revoie ça certainement, ça fait beaucoup de travail. Donc on tourne 15 jours en automne et 15 jours au printemps prochain et puis direction les USA.


Quels endroits aimeriez-vous mettre sur vos tournées ?

Il y en a pas mal. Mais je pense à l'Amérique Latine. Quand on voit d'où viennent les gens qui visitent notre site et interagissent avec nous, on retrouve beaucoup de gens du Mexique, d'Argentine, du Brésil, du Canada et des USA. L'Australie pourrait être bien aussi, je vois pas mal de groupes qui vont jouer là-bas et s'en sortent carrément bien.


Avez-vous ressenti des différences dans les publics que vous rencontrez ?

Oh oui! En Angleterre, en général, on fait face à des gens qui ont les bras croisés et qui nous regardent en pensant : allez-y, impressionnez moi, tant que c'est pas fait, vous êtes des nazes. A Paris c'est très différent, c'est plus sympa. On s'est toujours dit que c'était un super endroit pour jouer. Le public est positif et fun, on s'y sent bien. Les Néerlandais sont plus observateurs, tandis que les Polonais et les Allemands sont aussi plus accueillants et ouverts.


Y-a-t-il un musicien ou un groupe avec lequel vous aimeriez secrètement tourner ?

Et bien, je n'ai pas tant de héros que ça... je dirais Beck, j'ai toujours été un grand fan de Beck, de son côté mélancolique. Je pense pas que je puisse, vu que je suis pas assez bon techniquement.

Mais sinon, côté secret, je ne sais pas, quand j'étais gamin, j'aimais Supertramp, et même s'ils n'existent plus, je pense que je choisirais ce groupe.


Pour terminer, pouvez-vous nous dire quelque chose d'inattendu qui fera acheter l'album ou un billet pour venir vous voir ?

[intense réflexion] Ah bon Dieu !! Ah oui je me souviens, une fois quand on est venus jouer en France, j'ai essayé de mémoriser un bout de chanson en français et j'ai demandé au public de chanter avec moi, mais ça n'a pas été un grand succès ! Mais je vais devoir répéter un peu plus ma prononciation des mots français ! Donc si vous venez au concert, on va pouvoir retenter de chanter une chanson en français tous ensemble !

 

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