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vendredi 7 août 2020

Haken

Charlie Griffiths (guitares)

Storyteller

Why not ?

Un jeudi pluvieux en plein milieu du confinement. A l’autre bout du fil, Charlie, guitariste de Haken, groupe de prog Metal britannique, qui s’apprête à sortir un album au nom plus que de rigueur, Virus, le 5 juin. Alors entre circonstances étranges, nom prédestiné, easter eggs, et projets pour un avenir incertain, une petite discussion avec Horns Up semblait de rigueur.

Note du Rédacteur : la publication de l'interview a été décalée suite aux annonces du groupe de repousser la date de sortie de l'album. Du coup, cela donne un peu de perspective à ce que vous allez lire et que, dans ces circonstances, rien n'est jamais certain !

Salut, La première question va sembler évidente : Sortir un album intitulé Virus en pleine pandémie, ça fait étrange, non ?

On avait cette idée dans nos tiroirs depuis quelques années, cette idée que les album Vector et Virus seraient liés comme un double album, composé et enregistré en deux ans. Donc, ça fait un moment qu’on s’était plongé dans ce projet. Et puis voilà que cette vraie pandémie est arrivée. On ne voudrait pas que les gens s’imaginent que l’on utilise les circonstances pour promouvoir notre album. On souhaite que ce soit clair dans l’esprit des gens que l’on ne fait pas de lien un peu cheap pour utiliser ce désastre global à des fins de promotion. Mais quand on se penche sur la question, on voit que les gens ont un intérêt pour la question et le sujet, j’ai vu que le film Contagion était un des plus regardés ces derniers temps, par exemple.

Le confinement a-t-il joué sur votre planning de sortie de l’album ? Considérez-vous que ce soit une malédiction ou une bénédiction en tant que musicien ?

Tout était déjà planifié et calé avant le confinement en ce qui concerne la promotion de l’album, nos clips… Et pour la date de sortie, rien n’a vraiment évolué. Par contre, pour les tournées, tout a changé, tout est mis sur pause. On allait jouer dans des festivals cet été, notamment le Download pour la première fois. Et puis, il y avait notre tournée en tant que tête d’affiche, tout ça est reporté. C’est vraiment une malédiction car en tant que musicien, on gagne notre vie surtout grâce aux concerts. Ce ne sont pas vraiment les ventes d’albums qui rapportent mais plutôt le live donc on se sent vraiment coincé de ce côté. De plus, les concerts ne seront certainement pas sûrs avant qu’il y ait un vaccin. Je ne m’imagine pas allant à un concert, je ne m’y sentirais ni à l’aise ni en sécurité. Donc quand reprendra-t-on ? je n’en ai aucune idée, comme tout le monde, je suppose.

C’est en effet un peu compliqué de prévoir ce qu’il va se passer…

Oui, on est en contact permanent avec nos tour managers et l’agence qui gère la réservation de nos tournées. On essaye de faire des plans, certainement pas avant l’année prochaine, mais on attend le bon moment pour concrétiser tout ça. C’est la grande inconnue.

Parlons musique : vous avez sorti en premier le clip de "Prosthetic", la chanson qui débute l’album. Qu’est ce qui a motivé votre choix ?

C’est en fait une des premières chansons composées pour cet album. Déjà au stade des démos, on s’est dit qu’elle devait ouvrir l’album et que ce serait le premier single. Après s’être entretenu avec notre maison de disque, qui avait aussi accès aux démos, Nous sommes tous arrivés à la même conclusion sur le fait que Prosthetic devait être le premier single. En ce qui concerne le clip, on voulait aussi faire une vidéo type live. Et je pense que c’est le meilleur clip que l’on ait fait jusqu’à présent. Le tournage de la vidéo est une histoire en soi : on avait un jour de break pendant la tournée avec Devin Townsend. On était aux USA, à Boston plus précisément. Le réalisateur nous a fait venir dans son studio, qui était une pièce assez simple avec tout le matos nécessaire. Et franchement, au vu des conditions et du peu de temps que l’on avait pour filmer tout cela, les images rendent super bien. Ensuite à Los Angeles, il a fait toute la partie narrative. Ensuite, il est revenu nous voir pour nous faire une proposition après avoir monté le tout et on était bluffé. Franchement, on avait devant nous quelque chose de vraiment pro et qui rendait bien. 

 Presque aucun rapport : selon toi, quel serait le membre artificiel le plus cool à avoir ? (en anglais membre artificiel se dit « prosthetic limb »)

En tant que guitariste, je pense qu’un bras robotique que l’on peut programmer pour jouer tout seul. Du coup, pas besoin de répéter autant ! Ce serait super cool !

Comment s’est déroulé l’écriture de cet album ? en sachant qu’il fallait lier les deux albums Vector et Virus.

CG : en fait, c’est vraiment super de composer cet album. On a débuté comme à peu près tous les autres albums : on fait des démos chacun dans son studio avec des riffs, des morceaux de chansons, des idées puis on présente tout ça au groupe. Ensuite on fait des arbitrages sur les parties qui peuvent se développer pour finir par devenir une chanson en entier. La différence avec cet album, c’est que vers la fin du processus de composition, nous étions en tournée européenne avec Devin Townsend. Ce qui signifie que nous étions ensemble. Nous n’habitons pas au même endroit (certains au USA, d’autres en Europe). Mais là, nous avions du temps dans le bus pour travailler ensemble. C’est un peu devenu notre studio. On a pu passer les titres un à un, dans les moindres détails. On pouvait discuter de tout et avoir une réaction immédiate de chacun d’entre nous. C’était plus rapide et sympa que de s’écrire un mail, puis attendre la réponse… d’habitude le processus est plus lent.

En ce qui concerne le lien entre les deux albums, on a repris des éléments de Vector et il y a le leitmotiv du cafard (le cockroach du titre "Cockroach King"). Ce titre nous a donné un genre de thème que l’on s’est amusé à faire et à défaire avec différentes mesures, tempo…

Vous diriez que le résultat est différent puisque la méthode est différente ?

Oui c’est assez différent et satisfaisant. On a déjà travaillé tous ensemble sur les albums jusqu’à The Mountain. On faisait des jams ensemble. Mais cette fois, nous avions plus de temps et surtout plus d’expérience, donc cela donne un album plus abouti.

Quand l’auditeur se penche sur votre album, que voulez-vous qu’il ressente ?

On espère qu’il aura une grande variété de sensations : de l’excitation jusqu’au « frisson » avec les titres plus épiques ou encore quelque chose plus basé sur l’émotion.  On essaye d’être le plus large possible en termes de sensations. Et l’histoire narrée par l’album nous y aide. On espère aussi que les auditeurs pourront apporter leurs émotions, et ressentir des choses que l’on n’avait pas anticipées.

En ce qui concerne l’histoire, était-elle écrite avant, ou après Vector ?

On s’était fait une grande feuille avec l’histoire des deux albums dans les grandes lignes : titres de chansons, ce qui se passe en gros. Virus n’était pas complétement planifié à ce moment, mais quand on s’est attaqué à la musique, on a peaufiné l’histoire. Il y a eu un super travail sur les paroles.

Avez-vous l’intention de jouer les deux albums en concert ?

Oui, on se dit qu’on aimerait bien faire un concert un peu spécial avec les deux albums, mais ce n’est pas prévu pour le moment. On discute avec nos techniciens pour savoir ce qu’il est possible de faire. On imagine des écrans vidéo… mais cela dépendra du budget investi dans ce genre de tournées. Mais on n’est pas en manque d’idées. On pourrait imaginer aussi des acteurs comme dans nos clips. Mais ce serait un coup unique, et on pourrait le filmer. Ça fait un peu comme King Diamond.

 

Parlons des « easter eggs », les œufs de Pâques. Vous semblez être passés maitres dans l’art de distiller ces petites références cachées. Pourquoi est-ce aussi important ?

CG : d’un point de vue personnel, quand je regarde une série, une émission, un film, c’est le genre de choses que j’apprécie. Ça accroche ton attention. Je pense à des réalisateurs comme JJ Abrams et des séries comme Lost. C’est ce qui a fait le sel de cette série. C’est comme une énigme assez amusante à décrypter. C’est aussi ce qui fait qu’on peut écouter pendant des années une chanson et découvrir petit à petit de nouveaux détails. On les apprécie différemment à chaque fois. C’est aussi un procédé de cinéma. On essaye que les albums contiennent des références qui sont reprises : on met un thème dans le premier titre puis il y a une reprise dans le dernier morceau. On peut aussi utiliser ce procédé sur plusieurs albums. Ça donne un côté multidimensionnel à nos chansons, elles existent dans plusieurs réalités.

La dernière chanson de l’album est-elle une conclusion ou un cliffhanger ?

En fait il faut la mettre en perspective avec le premier titre de Vector : "Clear". C’était un titre tout en synthétique. Et là on l’a réarrangé avec une ambiance légèrement différente, piano et voix. Donc clairement on verra plus une conclusion dans ce morceau. On ne pense pas continuer le concept.

Le titre épique, "The Messiah Complex", est divisé en 5 parties. Pourquoi ce choix, et non un gros titre ?

En réfléchissant sur le concept de « titre épique » on s’est retrouvé face à un morceau où les structures se répètent et on tombe sur l’alternance refrain – couplet. Là ce que l’on a cherché à faire c’est plutôt développer des thèmes légèrement différents et faire une suite de sections qui se lient entre elles plutôt qu’un titre épique super long. De plus, cela laisse la liberté à l’auditeur de passer certaines parties et d’aller directement vers ses moments préférés.

Question sur l’artwork, assez différent de Vector, pourquoi avez-vous fait ce choix ? le choix du virus est-il aussi délibéré ?

Oui on a fait ce choix de manière éclairée. On trouvait que le contraste était plutôt plaisant à voir et on s’est mis à plaisanter sur le fait que ça faisait ketchup et moutarde quand on les mettait côté à côté. Ça accentue le fait qu’ils fonctionnent en paire. C’est aussi une sorte de référence aux albums de King Crimson : Discipline et Three of a Perfect Pair qui sont aussi rouge et jaune. C'est un de nos groupes préférés. Quant au virus, c’est un bactériophage. Mon frère, qui fait des études de médecine, m’a proposé ce visuel quand je lui ai parlé de l’album et de son propos. J’ai trouvé ça vraiment cool. Il y a une idée de miroir entre les deux albums dans leur composition.

mise en perspective des albums de King Crimson et de Haken

 

Les sujets de la psychologie et de la psychiatrie semblent essentiels dans votre concept. Allez-vous continuer à travailler sur ces concepts sur les albums à venir ?

En fait le concept porte plutôt sur les tourments psychologiques du personnage mais aussi les expériences conduites dans les années 50 dans ce domaine comme l’expérience de Milgram ou le test de Rorschach. Le tout se passe dans un hôpital imaginaire. On pointe le fait que les médecins n’aidaient pas forcément les patients mais les torturaient avec ces expériences en fait. Je pense que sur Virus, on a utilisé par mal de termes médicaux. Bien sûr, la plupart du temps, on reste dans la métaphore. C’est une image de notre monde et de ce qui nous entoure : nos opinions, nos hommes politiques, notre environnement, le fait qu’on ait un impact sur notre monde et que nous en soyons le virus en quelque sorte.

Voilà, on arrive au bout de l’interview, je laisse la conclusion !

Je sais qu’en France, on a une bonne base de fans, qui est vraiment passionnée, et on attend avec impatience ce retour sur scène pour enfin vous jouer nos nouveaux morceaux, et profiter de la nourriture que l’on adore ! merci encore pour l’interview et à très bientôt !