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Album

10 mars 2015 - Balin

Enslaved

In Times

LabelNuclear Blast
styleBlack Metal Progressif
formatAlbum
paysNorvège
sortiemars 2015
La note de
Balin
7.5/10


Balin

Matthieu, 24 ans, basé à Nantes. Ancien membre d'U-Zine et de Spirit of Metal. Vous me retrouverez pour les chroniques et live reports de divers styles musicaux.

Enslaved est de ces groupes qui rassemblent ou divisent à chaque sortie. Le quintet norvégien, n’ayant jamais sorti deux fois le même album, expérimente en effet depuis sa création en 1991 et appelle à lui des hordes de nouveaux fans tout en perdant progressivement d’autres fidèles. Car si la meute d’Ivar Bjornson et de Grutle Kjellson visite sans cesse des contrées nouvelles, la direction progressive entamée dès Monumension avait refroidit certains aficionados de la première heure et le chef d’œuvre qu’était Isa avait officiellement marquée une nette séparation entre eux écoles. Que dire alors d’Axioma Ethica Odini et surtout de Riitiir, signal évocateur d’une entité désireuse de s’engouffrer toujours plus loin dans son virage progressive. Les membres d’Enslaved ne se sont jamais cachés d'être fans de musiques progressives et Pink Floyd s’insérait ainsi dans le style unique du quintet norvégien pour finalement créer une osmose musicale indéfinissable par de simples mots. Si The Sleeping Gods et Thorn, deux EP ayant vu le jour entre la sortie d’Axioma Ethica Odini et Riitiir avaient enfoncés le clou, Riitiir avait définitivement séparé les fans de la première heure des derniers arrivants, tout en ravissant les amateurs des deux périodes dont votre serviteur fait indéniablement partie.

"For bending the passing of days. To the deeper will."

   Nous retrouvons donc Enslaved en ce début d’année 2015 avec la sortie de son treizième album studio, le troisième sous la houlette du géant européen Nuclear Blast. Si la grande majorité des groupes que j'affectionne me déçoit après une signature chez le label allemand, la faute généralement à une production trop propre et des convictions mises de côtés, la recette avait pourtant fonctionné chez moi avec un Riitiir audacieux, difficile à apprivoiser mais tellement gratifiant pour l’auditeur attentionné et patient, à condition d’être un amateur de musique progressive, qu’on se le dise. Mais concentrons-nous désormais sur l’intérêt de ce papier, à savoir le contenu de ce In Times dont l’illustration du fidèle Turls Espeda, responsable des artworks du groupe depuis Monumension (tiens donc!) en 2001, laisse place à de nombreuses interrogations. A la fois belle et mystérieuse, la pochette d’In Times laisse présager de nouvelles expérimentations. Et pourtant, Enslaved nous propose ici un léger retour en arrière même s’il faut modérer ce propos.

"Like a hammer of thoughs. Our mind reborn. What the inner I desire. Building with fire!"

   Inutile de laisser planer le suspense plus longtemps, In Times va encore diviser les fans pour une raison principale. Loin d’être une continuité par rapport à Riitiir, In Times se place plutôt dans la lignée d’Isa et de Ruun, et est en quelque sorte cet album qui aurait pu défricher le terrain pour Axioma Ethica Odini. On assiste ainsi légèrement au retour d’une petite identité Black Metal (le début de Thurisaz Dreaming et de One Thousand Years of Rain ou encore le riff à 2’30 du titre éponyme, très énervé et agressif pour du Enslaved période post Axioma Ethica Odini) même si la grande majorité de l’opus arbore bien évidemment un visage progressif. Armés de riffs tantôt incisifs et agressifs, tantôt planants et apaisants, Enslaved visite (ou revisite) les contrées qui lui sont chères. Arve Isdal s’autorise également plusieurs envolées épiques à l’image des soli réussis sur Burning With Fire, Nauthir Bleeding ou encore Daylight.

"The sun is dying. The mother is crying. No sadness found in the jester's face. The sun is dying. The mother is crying."

   Avec des morceaux allant de huit à près de onze minutes, les changements de rythmes et les alternances entre parties Black et progressives sont légions. Si certains peuvent ressentir une certaine lassitude à l’écoute de quelques titres (il est vrai qu’on y décèle tout de même quelques longueurs, notamment sur Burning With Fire ou sur le titre éponyme), la grande majorité de la recette pourtant bien connue désormais fonctionne toujours chez moi. Je ne me cacherais pourtant pas d’avoir été un poil déçu lors des premières écoutes… Fans des dernières productions, il est possible que certains auditeurs n’y trouvent pas leur compte concernant les « surprises » et les expérimentations qui sont depuis toujours une des facettes les plus importantes du groupe.

"Echoes from the future frozen in the past."

   Si Grutle chante bien plus dans In Times que dans Riitiir (les growls sont en effet majoritaires dans quasiment tous les titres), les parties vocales claires de Herbrand Larsen (synthés, voix claires, mellotron) sont plus poignantes que jamais. Une petite déception réside tout de même dans l’absence de parties acoustiques (qui étaient si réussies sur l’album précédent) hormis une très brève apparition à 6’45 sur One Thousand Years of Rain. Moins aventureux que Riitiir, les déçus de cet avant dernier opus vont certainement être agréablement surpris par In Times. Légèrement plus conventionnel (ça reste Enslaved attention), moins progressif et plus Black Metal que les quatre dernières productions (The Sleeping Gods et Thorn compris), In Times donne ainsi l’impression d’un léger retour en arrière.

"Gnawing and scratching at the roots of the self."

   Cela fait bien longtemps qu’Enslaved a trouvé son son reconnaissable entre tous et on ne peut pas leur en vouloir de l’utiliser sans prendre trop de risques, eux qui en prennent depuis bientôt vingt-cinq ans. Nous retrouvons ainsi avec Burning With Fire une structure assez classique du Enslaved récent, le tout appuyé par des nappes de claviers très en avant qui feront le bonheur des amateurs de rock progressif. Dans le même ordre d’idée, les parties vocales à 5’25 du titre éponyme rapprochent bien plus le groupe d’un King Crimson que de la période Frost. Si les parties vocales pourraient faire penser à du Muse un peu plus burné (Building With Fire), il faut simplement replacer In Times dans la carrière du quintet.

"In the flickering of the present. Travel across the ocean of times."

   Amis du nord, rassurez-vous, le folklore viking reste fortement ancré dans la musique des norvégiens, en témoigne l’excellent premier titre qui porte décidemment très bien son nom, Turisaz Dreaming, avec son final totalement envoûtant ou encore ces chœurs sur One Thousand Years of Rain (6’). On retrouve également cette sensation de sagesse et de sérénité qui se dégage des dernières productions du groupe (ce riff nostalgique à 3’03 sur Daylight que le Anathema des années 2000 n’aurait pas renié). Qu’il avance ou « recule », le quintet norvégien donne en effet la sensation de toujours aller où il le souhaite, que l’entité à cinq têtes prospère et navigue en accord avec tous ses membres à travers les eaux nordiques.

"Become the other as yourself."

   A ceux qui auraient lus entre les lignes, je le répète : In Times aurait très bien plus voir le jour entre Ruun et Axioma Ethica Odini pour les nombreuses raisons que je viens de décrire mais l’aspect progressif reste grandement majoritaire dans la musiques des norvégiens, en témoigne ce break presque post-hardcore au début de Daylight. A l’image de l’éthéré Nauthir Bleeding, le voyage d’Enslaved n’est pas prêt de se terminer.   

"In between night and day. Lies the shrine of secrets."

   Ainsi, In Times n’a pas la majesté d’un Isa, la beauté d’un Axioma Ethica Odini ni l’audace d’un Riitiir, mais doit-on le considérer comme une déception ? Pas le moins du monde ! Comme tous les albums de la formation, In Times va abandonner certains fans pour en conquérir de nouveaux. Même si Enslaved se fait ici plus frileux par rapport aux expérimentations, In Times est loin de donner l’impression d’une entité tournant en rond. Ce treizième album studio était attendu et s’il ne fera sans doute pas partie des grands piliers de l’année (ni de la discographie du groupe), a pourtant le mérite de révéler à la face du monde le visage d’un cœur artistique soudé et intègre. Au-delà de l’aspect proprement musical, une telle longévité mise en lumière par un talent certain force le respect. Enslaved n’a plus rien à prouver depuis longtemps, mais poursuit tout de même son voyage vers des sphères qui lui sont déjà bien connues. Et c’est encore une fois avec plaisir qu’on les rejoint. 

"Brother killing brother  
 Tales of honor becoming myth  
 History written with axes and blood 
 The wolf is howling at the gate."

Tracklist :

1. Thurisaz Dreaming  
2. Burning With Fire 
3. One Thousand Years of Rain  
4. Nauthir Bleeding 
5. In Times 
6. Daylight

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