
"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
« Accidentelle ». C’est ainsi que l’on peut qualifier l’arrivée de Sierra Veins dans notre petit monde du metal, de l’aveu même de l’artiste d’ailleurs. Pourquoi ? Parce que musicalement, peu de choses rapprochent l’univers musical de la musicienne parisienne du monde des guitares saturées, de la batterie offensive et des paroles parlant de mort, de Satan et de la bière. Que s’est-il passé alors ? Primo, le classement de Sierra Veins (Sierra tout court à l’origine) dans le sobriquet « synthwave » ou « darksynth » a forcément attiré les yeux et les oreilles des amateurs de Perturbator et Carpenter Brut qui y voyaient là l’occasion de former un trident franco-français. Deuzio, les liens se sont faits de fil en aiguille. De programmations en festivals metal jusqu’au collaborations avec des groupes ayant leur lien sur des sous-scènes – Carpenter Brut (donc), Health, The Ocean et Pelagic Records… – et l’ouverture d’esprit de certaines têtes metalleuses, parfois aussi geeks à leurs heures perdues (Sierra Veins ayant aussi fait circuler son nom dans le monde du gaming) a fait le reste. Résultat, Sierra Veins a été accueillie par le metal et elle a accueilli des vestes à patches et des t-shirts aux motifs peu ragoûtants dans son public. Et ceci alors que Sierra Veins n’a pas grand-chose de base pour amener les metalleux à sa cause, jusque dans la musique qui n’avait rien fait pour draguer le public metal comme Perturbator et Carpenter Brut ont pu le faire, eux qui avaient par avance de vrais liens avec la scène metal. C’est que les EPs Gone (2019) et See Me Now (2022) s’adonnaient plutôt de base à de l’electro-techno midtempo aux influences très « french touch », avec certes des touches forcément synthwave mais seulement parcellaires. Si A Story of Anger, premier full-length de Sierra « avant les veines » sorti en 2023, se distinguait par des feats plus remarquables avec Carpenter Brut et Health, la musique restait dans l’esprit plus rigide des EPs. Tout au plus pouvait-on trouver des touches d’EBM ou d’electro-indus qui sont des styles généralement appréciés d’une partie du public metal/goth, mais ce ne sont pas des influences revendiquées par Sierra elle-même non plus… ! Alors, l’« accident » se transformerait-il en carambolage ?
Les choses vont évoluer avec In the Name of Blood, deuxième album et premier à sortir sur le « nouveau » nom de Sierra Veins, moyen de se distinguer et aussi d’affirmer concept et identité. Premier album à aussi être offert dans le public metal (avec un artwork signé Førtifem au passage), ce qui ne veut pas dire que cela va influencer la composition, bien au contraire – même si des guitares électriques ont été utilisées mais c’est davantage pour la création de sons que pour des « riffs ». Bien au contraire car les influences originelles de Sierra Veins vont même encore plus ressortir à certains moments, dont on peut citer pêle-mêle Justice, Kavinsky, Gesaffelstein… ou encore The Prodigy et les travaux de Trent Reznor & Atticus Ross. Ceci pour un album bien plus varié et travaillé, et surtout plus efficace… moyen encore une fois assez involontaire de draguer le public metalleux. Si je dois faire un aveu, je n’avais pas forcément apprécié le travail de Sierra jusqu’ici, surtout que les réelles influences au-delà des accointances (fortuites ?) à l’EBM et l’electro-indus ne me parlent pas forcément. Toutefois, à y revenir, les EPs Gone et See Me Now puis A Story of Anger comportaient quand même des morceaux assez cossus, entre beats particulièrement lourds (« Unbroken », « Trust », « Never Right »…) ou même de vrais hymnes (« Gone », « Control », « Stronger »…) ; et d’ailleurs tout ce petit manège prend son sens en Live. Malgré tout, d’autres morceaux (les instrumentaux surtout) pouvaient paraître plus faibles ou un peu lassants. Tout va alors changer pour In the Name of Blood qui se raccourcit déjà (34 minutes, contre 42 pour A Story of Anger) pour gagner en force de frappe et même ne pas avoir le temps de lasser l’auditeur ayant peur du « midtempo ». Mais Sierra Veins reprend pourtant ici les mêmes bases, jusque dans ce côté froid, forcément futuriste mais urbain, très cyberpunk et « tech-noir », qui aura toujours le mérite d’avoir une ambiance saisissante dès les premiers instants, pour tout amateur d’atmosphères de science-fiction… ou pas car Sierra s’inspire plutôt d’ambiances de thriller. L’accident et les paradoxes, encore et toujours, pour un projet qui n’est définitivement pas comme les autres…
Pour accrocher un peu plus son monde, Sierra Veins met aussi plus en avant un élément qui rassemblera davantage : le chant. Un seul morceau sera instrumental (« It Was Written »), et pour le reste les vocaux de Sierra, très souvent trafiqués/pitchés et donc très variés, vont souvent mener la danse, avec en sus des thèmes inspirants et un côté moins déclamé et minimaliste que par le passé (ce qui n’était pas un reproche). L’entrée sur le morceau-titre et à ce titre tout à fait entraînante (ce « I am ready… to shed my blood » est une punchline qui vous hante illico), alors que l’art électronique très fouillé de Sierra Veins, avec déjà des boucles et beats très marquants, se met en place. « Memory Cells », le très sombre morceau écrit en collaboration avec l’artiste de « peak time techno » Ghost Dance, est déjà bien à part mais on se laisse emporter par sa délicieuse ambiance cyber et par ses boucles électro redoutables. Mine de rien, et peu importe les réelles influences sous-jacentes, on se prend vite au jeu pour peu qu’on ait touché à tout ce que la scène « darksynth » a pu produire. Et de toute façon, « Who I Used to Be » va balancer tout le monde qui attendait dehors sur la piste de danse du club vu la folle efficacité de cette piste aux accents breakbeat assumés, qui fonctionne du tonnerre avec des accélérations de folie. C’est d’ores et déjà le morceau le plus dynamique de la carrière de Sierra Veins, qui avec In the Name of Blood prend donc une plus grande dimension. L’assez agressif (à sa manière) « Ain’t No Woman », avec ses beats tranchants et son chant saturé, le plus ebm/electro-indus (en théorie) « My Poison » et le très enjoué et dansant « Desire » ajoutent donc encore pas mal de peps à cet album réjouissant qui pulse bien comparé à A Story of Anger. Mais Sierra Veins ne devient pas pour autant une bête usine à tubes, les ambiances comptent toujours et c’est ainsi que le très beau « The One » comble ceux qui attendaient à la fois un successeur au très feutré « Stronger », ceux qui recherchaient des atmosphères à la Matrix et ceux qui voulaient quand même avoir un peu de « synthwave » à la Perturbator (récent). Et In the Name of Blood se termine d’ailleurs par une sorte de double générique de fin, avec le presque 100% darksynth instrumental « It Was Written » et l’ultra-vaporeux « The End of Time ». Cela clôture un album particulièrement profond où, forcément, il faudra y trouver son compte ; mais au-delà de l’envie de trouver de la synthwave (et il y en a), on a (déjà ?) rarement vu un disque aussi complet autour de diverses influences électro au sens bien large. On en aurait même repris pour une ou deux plages de plus, tant la palette est large et l’inspiration au rendez-vous, même si la cohérence se retrouve davantage dans les ambiances que les types de rythmes et compos employés. Donc puisqu’on est entre metalleux, pour peu que vous ne soyez pas (totalement) allergiques à l’« electro », il ne vous reste plus qu’à découvrir cet album très réussi de Sierra Veins, dont l’aura en est tellement improbable qu’on va aussi devoir inventer une étiquette… la « Sierrawave ».
Tracklist de In the Name of Blood :
1. In the Name of Blood (2:42)
2. Memory Cells (3:59)
3. Who I Used to Be (3:43)
4. The One (3:56)
5. Ain’t No Woman (3:20)
6. My Poison (3:29)
7. Desire (3:52)
8. It Was Written (4:35)
9. The End of Time (4:05)












