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vendredi 17 octobre 2025

Sabaton est de retour avec Legends : « C'est un privilège d'en être là aujourd'hui »

Thobbe Englund

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Sabaton est un sujet clivant au sein de la communauté metal. De groupe de power metal un peu pataud mais accrocheur dont on se moquait gentiment, les Suédois ont brûlé les étapes et il aura suffi aux haters de cligner des yeux pour que Joakim Broden et sa bande s'offrent un set de tête d'affiche de dernière minute au Hellfest 2019 pour remplacer Manowar. Voilà des années qu'on le sait : Sabaton est un futur headliner de festival, que ça plaise ou non. Leur heavy/power empathique et kitsch, dont le moindre défaut n'est certainement pas d'avoir donné naissance à toute une vague de power 2.0 prête à succéder aux légendes du heavy, revient en 2025 avec un nouvel album intitulé Legends, sorti ce vendredi.

Et vous savez quoi ? Moi, j'aime bien Sabaton. Du moins, j'ai beaucoup aimé, et ce de l'excellent The Art Of War (2008) au pic de leur créativité, Carolus Rex (2012), deux albums que je ne peux que vous conseiller d'écouter sans préjugés. Par la suite, Sabaton a vogué du très correct au catastrophique, le catastrophique étant The War to End All Wars et les innombrables singles et collaborations commerciales dans lesquelles ils se sont perdus depuis. Je pensais le groupe perdu pour la cause, mais Legends relève nettement la barre, et on le doit peut-être au retour de Thobbe Englund, qui avait quitté le groupe en 2016. L'occasion idéale pour s'entretenir avec le bonhomme !

Thobbe, Legends est le premier album sur lequel tu as travaillé depuis ton retour dans le groupe, en 2024. Est-ce que quelque chose a changé dans le processus depuis ton départ en 2016 ?

Non, rien qui me vienne à l'esprit. Pendant mes années hors de Sabaton, Joakim et moi avons de toute façon continué à écrire des morceaux ensemble, je n'étais donc pas totalement à l'écart. Rien n'a vraiment changé... Peut-être qu'à titre personnel, j'avais tellement envie de composer que ça a pu se sentir dans mon approche et dans mon attitude. À part ça, tout est à peu près comme en 2016 !

En ton absence, Sabaton a sorti des albums qui ont eu un énorme succès, ont réalisé des tournées énormes... est-ce que de leur côté, tu as l'impression qu'ils ont changé ?

Absolument pas, et je ne pense pas avoir changé non plus. Cela dit, quand je suis parti à l'époque, aucun d'entre nous n'avait de famille, et désormais nous en avons tous fondé une. Dès lors, tu deviens plus mature, évidemment. Mais dès que nous nous retrouvons dans le tour bus, tout est comme avant, ce qui est une bonne chose. On ne veut pas être une bande de vieux grincheux (rires).

Tu as quitté le groupe à l'époque pour raisons personnelles, pour te concentrer sur ta vie privée, te concentrer sur ta famille (il acquiesce). Tu sentais donc que huit ans plus tard, le timing était idéal pour revenir ?

Oui, c'est exactement ce que je dis à chaque fois : c'était le timing idéal. Avec Sabaton, nous tournons tout le temps, et fonder une famille est impossible dans ces conditions. Je commençais à être fatigué. Je me rappelle, c'était durant une tournée américaine avec Nightwish et j'étais éveillé en pleine nuit dans le tour bus, à me demander : « Pourquoi tu n'es pas heureux ? Alors que tu vis ton rêve d'enfance, à jouer de la guitare dans un groupe de heavy metal ? ». Je me suis rendu compte que la réponse, c'était mon enfant à naître. Maintenant, il a 7 ans, Sabaton est son groupe favori. Nous sommes toujours restés en contact avec le groupe, ce sont des amis, on se voyait souvent pour boire quelques bières, faire un barbecue, composer des morceaux... Je me rappelle qu'en 2022, j'assistais au Sabaton Open Air, et un fan m'a demandé : « Est-ce que ça ne te fait pas bizarre de ne plus faire partie du groupe ? ». Et j'ai eu cette drôle de réponse : « Qu'est-ce que tu veux dire par « ne plus faire partie du groupe » ? Je ne suis juste plus sur scène ! ». C'est comme ça que je le vivais. Quand Tommy a décidé de quitter le groupe et qu'ils m'ont demandé de revenir, c'était, comme je l'ai dit, un timing parfait car j'avais eu le temps de passer du temps en famille et même d'expérimenter un peu avec des albums en solo. J'étais très content de tout ce que j'avais pu réaliser de mon côté. Ma réponse a donc été claire : let's go !

Et maintenant, ton fils est assez grand pour comprendre que papa est une rockstar (rires).

Oui, j'imagine. Mais le plus drôle, c'est qu'il s'en fiche un peu. Nous répétions pour le Sweden Rock récemment et il ne voulait même pas vraiment nous écouter dans le casque (rires). « Nan, c'est ennuyeux » ! (ndlr : drôle de réaction si Sabaton est son « groupe favori », mais les gosses, hein...)

Après deux albums (en ton absence) focalisés sur la Première Guerre mondiale, Sabaton revient avec Legends à des histoires plus anciennes. Est-ce que tu as la sensation qu'il était temps, que le thème de la Grande Guerre avait été un peu épuisé ?

J'avais tout de même participé à The Great War, j'ai enregistré mon solo pour « Fields of Verdun » ! Mais ça s'arrête là, et je n'ai participé à rien sur The War to End All Wars. Quand je suis revenu dans Sabaton, c'était le moment d'enregistrer un nouvel album, et Joakim venait de composer « Templars ». Mais le feeling du morceau n'avait rien de commun avec la WW1 ou même la Seconde. Le groupe a commencé à se dire qu'il fallait peut-être remonter un peu dans le temps et je crois qu'ils ont même envisagé de faire des Croisades le thème de l'album avant de finalement se décider pour le thème des « légendes ».

Comment avez-vous « sélectionné » ces légendes ? Je sais que certains de ces personnages étaient très réclamés. Vos fans français espéraient depuis longtemps un morceau sur Napoléon, voire un concept-album entier, car il y a de quoi faire...

(rires) Oui, en effet. En fait, d'habitude, nous composons la musique d'abord, puis à partir de là, nous voyons ce que ça nous évoque. Tu peux difficilement imaginer les textes de « Impaler » (morceau dédié à Vlad Tepes, ndlr) sur la musique de « I, Emperor » (le morceau sur Napoléon, ndlr). « Impaler » est un titre très sombre et rampant, qui collait parfaitement à ce personnage.

J'imagine que tous les membres du groupe ne sont pas intéressés par les mêmes périodes et thèmes historiques. Est-ce que c'est aussi comme ça que vous vous partagez le travail ?

Nous ne sommes experts dans aucune période, nous sommes juste un groupe de rock qui parle d'histoire. Et nous faisons nos recherches, nous nous aidons d'historiens. Ce sont surtout Pär (Sundström, basse) et Joakim qui écrivent les textes, et font du fact-checking avec les historiens. Car tu ne veux pas publier une chanson sur un certain conflit ou une certaine période qui soit historiquement fausse. Si je devais désigner les vrais connaisseurs du groupe, je dirais que ce sont Pär et Joakim parce que via le processus d'écriture, ils se renseignent beaucoup plus. Et à titre personnel, si je devais pointer un aspect de l'histoire auquel je m'intéresse beaucoup, c'est plutôt l'histoire de l'économie. Je m'y suis mis il y a une vingtaine d'années, sur la façon dont l'économie s'est construite sur le pétrole, sur les énergies fossiles...

La Révolution industrielle, donc...

Oui, c'est au sujet de ce genre de choses que j'aime me renseigner.

Ca ne colle pas vraiment à un morceau de Sabaton, il faut dire...

Non, je me vois mal écrire un morceau sur l'oeuvre d'Alan Greenspan (économiste américain et ancien président de la Réserve Fédérale durant 20 ans, nda) pour Sabaton, c'est certain (rires).

En effet (rires). J'imagine aussi qu'au vu de la notoriété de Sabaton, vos textes s'accompagnent d'une certaine responsabilité. Est-ce que vous le ressentez ?

Oui, bien sûr. Mais c'est aussi positif, par exemple, un professeur d'histoire aux USA nous a dit qu'il passait des morceaux de Sabaton à ses élèves en classe, en adaptant chaque chapitre du livre à une chanson. C'est plutôt cool.

Il y a aussi matière à faire pour un album-concept sur la Guerre de Sécession, d'ailleurs... quoique, tu es déjà dans un groupe appelé Civil War (rires). Un groupe composé d'anciens de Sabaton... n'est-ce pas bizarre, d'ailleurs, de désormais être dans les deux ?

La boucle est bouclée (rires). Disons que nous sommes de vieux amis, nous tous. Au début, quand l'ancien line-up s'est séparé, en 2012, à ma première arrivée dans Sabaton, il y avait un peu de tension, en raison des circonstances. Ils voulaient faire les choses différemment. Mais au fil des années, les tensions se sont apaisées, nous sommes juste une bande de potes qui sont heureux de se retrouver dès qu'ils le peuvent. Je décris toujours Sabaton comme le « vaisseau-mère », où tout le monde n'a pas besoin d'être à bord en même temps, mais qui peut atterrir et permettre à tout le monde se retrouver... C'est une sorte de famille.

Aucun morceau de Legends ne parle des deux guerres mondiales, un fait rare chez Sabaton (ndlr : en fait, inédit hors-Carolus Rex, album concept sur l'empire suédois). Je me suis dit que cela pouvait être lié à une volonté de se « détacher » du quotidien, où on nous parle d'une troisième guerre mondiale... Parler d'histoires plus anciennes, sans la moindre connexion avec les événements du monde actuel ou presque, est-ce une façon de souffler ?

Je comprends tout à fait ce que tu veux dire, et ça a du sens, en effet. Mais d'un autre côté, nous chantons toujours les anciens titres tous les soirs, donc bon (sourire). Ce n'était pas le but derrière Legends, non. Une chose a mené à la suivante, et en gros, c'est à cause de cette chanson, « Templars », qui sonnait plus « ancienne » et nous a poussés vers ces thèmes.

Tu as co-écrit « A Tiger Among Dragons », l'un de mes titres favoris sur Legends. Elle a vraiment un feeling très différent du reste de l'album. Mais tant que je te tiens, je voulais te demander : est-ce que la référence, selon moi claire, à la mélodie de « The Mercenary » d'Iron Maiden sur le refrain est volontaire ?

De quelle mélodie parles-tu ? Attends... (il fredonne le passage en question pendant que je lui chantonne le texte d'Iron Maiden en question : « Show them no fear, show them no pain »). Ah, maintenant que tu le dis, ça me vient en effet ! C'est une coïncidence, bien sûr, il n'y a que 7 notes, c'est difficile de produire quelque chose de totalement neuf (rires).

J'y ai aussi pensé car Liu Bu, le personnage dont parle la chanson, était vu comme un « mercenaire », puisqu'il était réputé pour rompre souvent sa parole et trahir ses employeurs successifs...

Oula, là, tu vas loin ! Non, nous ne sommes pas assez intelligents pour ça (rires). Mais c'est un très bon morceau, et il y aura une scénographie spéciale sur scène pour ce titre, ce sera vraiment bien.

L'album compte énormément de chœurs et de passages très emphatiques... est-ce que c'est la raison pour laquelle vous tournez avec « The Legendary Orchestra » ?

Non, ce n'est pas lié... en réalité, nous ne serons pas en même temps qu'eux sur scène, du moins pas tout le temps. Il y aura deux sets : le premier, qui fera office de première partie, sera le Legendary Orchestra jouant des titres de Sabaton en version symphonique. Puis, peut-être que nous partagerons la scène avec eux par moments... mais je ne vais pas trop en dire.

Legends est aussi assez mid-tempo, avec de gros refrains, des riffs assez lents... en tant que guitariste, tu ne regrettes pas trop l'époque plus speed de Sabaton ?

C'est marrant que tu me dises ça, car que je ne voyais pas vraiment les choses comme ça. J'imagine que c'est toujours sympa d'accélérer un peu le rythme de temps à autre, mais il y aura des titres rapides dans la setlist de toute façon. Je n'y pense pas vraiment, en réalité.

Sabaton, encore plus entre ton départ et ton retour, est devenu l'un de ces groupes que l'on verra occuper les têtes d'affiche des festivals quand les légendes actuelles arrêteront. Est-ce que ça vous met une forme de pression ?

Bien sûr que ça nous met la pression. Mais c'est une « bonne » pression, car nous adorons faire ça. Garder le metal en vie s'accompagne d'une grande responsabilité, mais nous sommes ravis d'y contribuer, car nous avons grandi durant cette ère magique, quand tous ces groupes étaient au sommet. C'est dans notre sang, c'est ce que nous voulons faire. Alors, évidemment, tu dois parfois te pincer pour voir si tu rêves, car c'est un privilège de voir où Sabaton est aujourd'hui. Mais c'est aussi énormément de travail.

C'est aussi ce qui vous pousse à toujours voir plus grand en termes de shows, de scénographie, de concepts ?

Ca nous pousse vers l'avant, mais de toute façon, tu ne veux jamais aller dans l'autre sens. Tu ne veux pas faire plus petit que la fois précédente, tu veux faire plus grand et mieux, c'est la nature humaine ! Prendre de l'ampleur est une bonne chose. Si tu as la possibilité de proposer un grand spectacle au public, sur le plan visuel également, autant le faire. C'est une façon de rendre aux fans leur investissement.

Legends se termine sur une chanson en suédois, « Til Seger », pour la première fois depuis Carolus Rex. Est-ce que c'est un morceau qui datait de l'époque ? Était-ce important pour vous de placer Gustave-Adolphe de Suède parmi les légendes ?

C'est un tout nouveau morceau. Quand nous avons composé ce morceau, qui avait un aspect très suédois dans sa mélodie, et qui aurait presque pu être tiré de Carolus Rex, c'était évident pour nous de l'écrire en suédois et de parler de ce personnage une nouvelle fois.

J'imagine que les fans suédois peuvent s'attendre à entendre ce titre en live.

(sourire) Hé bien, nous verrons. Ce ne serait pas nouveau que nous adaptions les chansons au public. Nous plaçons généralement dans la setlist du soir les morceaux basés sur les thèmes ou personnages du pays où nous jouons.

Qui dit nouvel album dit nouvelle setlist de toute façon. Est-ce que vous avez déjà une petite idée des titres qui fonctionneront le mieux ?

Il y a toujours un morceau qui nous surprend, dont tu ne t'attends pas qu'il devienne aussi demandé. On verra bien, même si j'ai ma petite idée en ce qui concerne les titres qui plairont au public en live. C'est difficile, car... bon, je sonne comme un vendeur de camelote, mais... tous les morceaux sur Legends sont si bons que c'est difficile de dire pourquoi tel ou tel morceau devrait marcher mieux. Et construire la setlist est compliqué aussi (sourire). C'est un problème, ou un privilège, c'est selon.

Y a-t-il un concept-album que tu aimerais voir Sabaton développer dans le futur ? Partant du principe que donc, la Révolution industrielle, ce sera compliqué (rires).

Personnellement... Star Wars, ça me plairait beaucoup. Ce sont des guerres, non ? C'est tout à fait pertinent (rires). Je ne sais pas si le reste du groupe apprécierait. On aura une réunion à ce sujet ! (rires).