
L'un des albums heavy metal de l'année : entretien avec Ambush !
Oskar Jacobsson

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Les choses vont tellement vite qu'on en est déjà, vingt ans après leur formation, à parler des « successeurs » d'Enforcer sur la scène heavy metal. Et s'il ne devait en rester qu'un, Ambush se battrait très probablement pour le trône. C'est en tout cas l'objectif du groupe qui a signé chez Napalm Records et sorti un excellent Evil in All Dimensions il y a quelques semaines.
Après avoir couvert leur concert belge plus tôt cette année, nous avons donc saisi l'opportunité de discuter avec Oskar Jacobsson, talentueux frontman d'Ambush, qui ne cache pas l'envie de passer un palier avec ce nouvel album. C'est tout le mal qu'on lui souhaite !
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Bonjour Oskar. Evil in All Dimensions est sorti ce 05 septembre. C'est un album important pour le groupe, le premier sur Napalm Records... comment te sens-tu ?
Oskar Jacobsson (chant) :Cet album a représenté un tel travail. À une semaine de la sortie, je n'en pouvais plus, la tension montait et le jour de la sortie, nous avons fêté ça tous ensemble. C'est fantastique de sortir ça après tant de travail, pas seulement en ce qui concerne la musique mais ce qu'il y a autour : le nouveau label, la paperasse, les trucs ennuyeux, essayer d'installer une nouvelle routine en tant que groupe... ça a payé.
Quand tu parles de « nouvelle routine », est-ce que tu veux dire plus de professionnalisme ?
Oui, en gros. Quand nous avons signé avec Napalm, nous savions que nous avions une responsabilité et que nous allions devoir l'honorer, passer un palier. Je pense que nous avons bel et bien passé un palier. Nous avons signé chez Napalm aux alentours d'octobre 2024 et étions alors en phase d'évolution, pour trouver une nouvelle direction et rester motivés en tant que groupe. Quand tu te fais plus professionnel et que les côtés plus ennuyeux du job apparaissent, ça peut aspirer ton énergie et affecter tes capacités créatives, voire ta capacité à être une personne agréable pour les gens qui t'entourent (sourire). Mais je pense que nous nous en sommes bien sortis. Désormais, pour moi, c'est clair : c'est ma mission dans la vie, ce que je veux faire, être un musicien. Nous y sommes entièrement dédiés.
Est-ce que c'est ce qui explique l'écart assez conséquent entre les derniers albums ? Les deux premiers sont sortis à un an d'écart, mais il y a eu cinq ans entre Desecrator et Infidel, puis encore cinq ans entre Infidel et Evil in All Dimensions.
Concernant les deux premiers albums, j'étais aux études, j'avais donc énormément de temps libre (rires). Mais quand tu commences à travailler après avoir obtenu ton diplôme, c'est la vraie vie, tu as des responsabilités, des factures à payer... Jouer dans un groupe de heavy metal de la taille d'Ambush à l'époque, ça ne payait pas les factures. Les gens doivent comprendre que nous faisions ça sur notre temps libre. C'est notre passion. Se mettre une pression de sortir un album tous les deux ans n'aurait eu aucun sens car nous tenons à sortir de la qualité, à respecter notre bien-être aussi.
L'autre raison est qu'il y a eu des changements de line-up entre Desecrator et Infidel. Notre bassiste est tombé malade, très malade. Il va mieux maintenant, heureusement, mais nous espérions qu'il puisse se remettre et enregistrer. Malheureusement, il a dû quitter le groupe car il ne pouvait pas voyager. Puis, les cinq ans entre Infidel et Evil in All Dimensions sont aussi liés à la COVID. Nous avons sorti Infidel en 2020 juste avant le lockdown, ce qui a retardé la tournée liée cet album... Quoi qu'il en soit, les choses prennent du temps, nous ne sommes pas des machines.
Il y a deux façons de le voir : dans un monde qui va si vite, avec tant d'albums qui sortent chaque année, tu peux vite être oublié... mais c'est aussi une façon d'être à 100 % satisfait de chaque sortie et de rester synonyme de qualité. Comment le vois-tu ?
Les choses vont très vite, mais peu de choses restent. Nous voulons que les gens aient hâte de la sortie d'un nouvel Ambush car ils savent que nous ne publierons aucun album de merde. Je ne dis pas que d'autres groupes sortent de la merde, mais nous sommes vraiment fiers de chaque titre sur l'album, nous ne voulons pas de « fillers ». Pour être honnête, il y a beaucoup de « fillers » sur les albums qui sortent ces derniers temps. Je ne crois pas qu'il y en a sur les nôtres. La contrepartie, c'est que ça prend un peu de temps, et j'espère que les gens le comprendront. Mais je peux déjà promettre que ça ne prendra plus cinq ans avant notre prochain album, car nous avons déjà du matériel prêt pour l'avenir. La flamme brûle plus que jamais !
Je suis assez d'accord avec toi. Nous avons des rubriques dédiées à divers styles, dont le heavy, dans lesquelles nous balayons l'actualité et parlons des sorties du trimestre. Souvent, ces albums sont très bien à la première ou deuxième écoute, mais tu n'y retournes pas forcément un ou deux ans plus tard...
Exactement.
Ca ne risque pas d'arriver avec Evil in All Dimensions. Depuis plusieurs semaines, j'ai des refrains qui me traînent en tête. Aujourd'hui, c'était « The Reaper ». Vous n'avez pas le droit de faire un refrain aussi accrocheur (rires).
(rires) Ça me fait plaisir que tu le dises. Au début, cette chanson avait un autre refrain, mais je n'étais pas satisfait. J'en ai parlé à Oskar Andersson (basse), qui a écrit le riff de « The Reaper », et lui ai dit que nous devions changer de refrain. Nous avons donc réécrit tout le pont menant au refrain ainsi que le refrain, ensemble, bourrés au studio. On était très contents de nous, puis, le jour d'après, on s'est posés la question : « Ok, c'est catchy, mais est-ce que c'est du Ambush ? ». Nous avons ajouté quelques détails pour qu'elle sonne un peu plus comme du Ambush, et c'est devenu une très bonne chanson. Une de mes préférées, à vrai dire.
Pour revenir brièvement sur le sujet de Napalm Records, est-ce que de signer sur un gros label vous aide un peu à gérer cette paperasse et ces trucs ennuyeux ?
Ils nous ajoutent des trucs ennuyeux (rires). C'est une plateforme qui nous offre bien plus de visibilité, nous devons donc gérer tout ça. Les interviews, par exemple (rires). C'est du travail en plus, même si c'est très agréable. Il y a énormément de choses à faire en amont et en aval d'une sortie d'album. Ce n'est pas exactement ennuyeux, car nous adorons parler de l'album, nous en sommes très fiers, et la plupart d'entre vous l'aiment beaucoup, ce qui est très agréable.
J'ai vu Ambush en live cette année en Belgique, et je me demandais comment ton chant sonnerait. Au final, je me suis dit que la production et les compos des premiers albums ne rendaient en fait pas forcément hommage à ce que tu savais faire en live...
(visiblement surpris)Oh, merci beaucoup !
Sur Evil in All Dimensions, j'ai l'impression que c'est bien plus adapté. La production, d'abord, mais aussi parce que tu essaies plus de choses en tant que chanteur ?
Hé bien, tout d'abord, j'ai essayé de prendre soin de moi, et de m'autoriser un peu plus de feedbacks positifs. Tu es toujours ton pire ennemi en studio, surtout quand tu chantes. Peut-être que pour une personne extérieure, c'est parfait, mais pour moi... il y a toujours un « complexe », des choses que tu es peut-être le seul à entendre. J'ai donc essayé de ne pas trop réfléchir, de laisser d'autres écouter et me ranger à leur avis. Cette période en studio a été la meilleure pour moi, de loin. J'ai un studio à la maison, donc je n'ai pas vraiment de pression niveau timing, mais j'ai vraiment essayé de rendre mon chant le plus « live » possible. C'était l'idée sur Evil in All Dimensions, essayer de le faire sonner spontané, ce qui permet quelques côtés plus abrupts par-ci par-là.
Je pense aussi que ce qui fait toute la différence entre cet album et les précédents, c'est le temps que nous avons passé au mixage de ma voix. Nous avons utilisé énormément d'outils pour que mon chant sonne plus chaud, j'ai utilisé un micro différent.
Est-ce que c'est une façon, pour toi, de t'éloigner des inévitables comparaisons avec Accept ou Judas Priest ? Tu tentes des choses différentes, on a parlé de « The Reaper », il y a aussi le refrain de « Maskirovka »...
Les comparaisons seront toujours là, et je l'accepte. Les groupes auxquels nous sommes comparés, je les adore et c'est un honneur d'être comparés à eux. Nous savons que la roue a été inventée, nous essayons juste de faire une roue en forme d'Ambush. Inutile d'essayer d'aller plus vite ou de jouer plus fort que tous les autres.
Et comment faire pour amener ces petites touches et éviter de se noyer dans la masse du heavy metal ?
On peut comparer ça au jazz ou à la musique classique : c'est éternel. Tu vas toujours trouver des points communs mais en même temps, quelqu'un qui est vraiment à fond dans le genre sait à quel point Iron Maiden et Judas Priest sont différents, à quel point Accept et Judas Priest sont différents. Pour quelqu'un d'extérieur, ça peut sonner très similaire. Au plus tu connais un genre, au plus tu distingues les nuances. À mes yeux, Ambush a sa personnalité, qui a grandi au fil des albums. Je peux comprendre les comparaisons, mais elles dépendent aussi de ton histoire et ta relation personnelle à la musique. Quelqu'un d'autre fera d'autres comparaisons. J'ai lu des gens dire que je sonnais comme Kai Hansen (Helloween, Gamma Ray). Mais je n'ai jamais vraiment écouté Kai Hansen ! J'adore le vieux Helloween, mais je suis plutôt fan de l'ère Michael Kiske. C'est très intéressant de lire ça, car les gens pensent entendre des influences de ci, de ça... et nous savons que c'est faux. Mais ça nous donne des idées de groupes à écouter !
Parlons de l'album un peu plus en détail. La chanson « Iron Sign » est une référence à la guerre en Ukraine, tu y chantes notamment « slava ukraïna »... as-tu une relation personnelle à tout ça ?
Cette chanson prend le point de vue d'un jeune ukrainien qui grandit durant la guerre et est envoyé sur le front. On voit la guerre par ses yeux. Ce que je peux dire, c'est que j'ai énormément d'amis ukrainiens. Mais aussi d'amis russes. C'est important à mes yeux de se dresser contre l'autoritarisme, car si le peuple ne le fait pas, qui le fera ? Le metal est selon moi une façon unique de communier au-delà des frontières et de la politique. C'est une atmosphère unique. Je pense que les groupes modernes sont parfois un peu effrayés à l'idée de parler politique, alors qu'à l'époque, tout le monde le faisait. Non, il faut dire les choses, débattre. Beaucoup de gens vont penser que je déteste les Russes parce que je chante « slava ukraïna »... Non, j'aime la Russie, la culture russe. Je suis un joueur d'échecs avide, et tu ne peux pas aimer les échecs si tu méprises la culture russe. J'aime leur littérature aussi. Le problème, ce sont les leaders de manière générale. Si tu leur donnes trop de liberté, ils voleront la tienne, voilà ce que je pense.
Ce n'est pas la première fois qu'Ambush a des thèmes sérieux sur ses albums, je pense à « Yperite » sur Infidel, où le message était très anti-guerre. Est-ce important pour toi de garder cet équilibre entre titres heavy metal assez légers et titres sérieux ?
J'écris énormément de textes, j'écris ce qui me passe par la tête. J'ai des embryons de texte sur divers thèmes, qui dépendent de mon humeur du moment... Ce qui est important pour moi est que les textes signifient quelque chose. Car s'ils signifient quelque chose pour moi, je peux amener de l'énergie ou de l'émotion dans ma voix.
En parlant de ça, il y a votre première « ballade » sur Evil in All Dimensions, « I Fear the Blood ». Le premier couplet m'a vraiment fait penser à « Before the Dawn », l'une de mes ballades préférées de Judas Priest...
Je n'avais jamais vu la similarité. Beaucoup de gens ont parlé de « Don't Cry » des Guns N' Roses, car c'est la même suite d'accords. Mais là non plus, je n'ai pas été influencé par ce titre... J'ai en réalité écrit cette chanson quand j'étais un gamin sur ma guitare acoustique. C'est techniquement le plus vieux titre d'Ambush(rires). Je jouais ces accords à chaque fois que j'essayais une guitare dans un magasin. Puis, durant la COVID, j'ai suggéré d'y ajouter des guitares électriques pour essayer d'en faire quelque chose pour Ambush. Au début, le reste du groupe n'était pas fan de l'idée, mais en la répétant, c'était une évidence.
C'est un exercice piégeux, car les « metal ballads » peuvent vite être... maladroites, c'est le bon terme, je pense. Ça peut aussi casser le rythme d'un album.
Oui, nous y avons accordé beaucoup d'importance et l'avons placée en fin de side A, avant de reprendre sur « Come Angel of Night » pour la side B.
Pour conclure, aurais-tu un « jeune » groupe de heavy metal à nous conseiller ? Je pense qu'Ambush est l'un des leaders de la scène « post-Enforcer », mais as-tu quelques autres jeunes loups en tête ?
Je suis très fan de Century, avec qui nous avons tourné récemment et qui sont des amis. Mais je conseille également aux gens d'aller écouter un jeune groupe qui s'appelle Spasms et vient de notre région. Ils ont une démo et vont sortir de sacrés morceaux dans un style très Mercyful Fate.
Merci à Napalm Records pour l'opportunité et à Oskar pour sa disponibilité et sa sympathie !