
L'Hérésie d'Horns Up #1 : Judas Priest - Nostradamus
jeudi 25 septembre 2025
L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Les discographies parfaites existent-elles ? Il y aura autant de réponses qu'il y a de chroniqueurs ou de lecteurs, mais une chose est certaine : le sans-faute est rare. Presque chaque groupe, fut-il légendaire, a ses faux pas, ses écarts, ses erreurs de jeunesse – ou ses signes que le temps a passé. Et pourtant, même ces accidents de parcours ont parfois leur charme, leurs défenseurs, voire leurs admirateurs.
Avec cette nouvelle rubrique, dont la temporalité est indéfinie, Horns Up ne se veut pas « original » : sur le modèle du « Justify your shitty taste » de Decibel Magazine (rendons à César...), l'idée sera de défendre ces tâches de fumier sur le tapis de fleurs, ces fautes de goût dans la déco, ces sandales-chaussettes musicales. Parce que chaque rédacteur a au moins un album de merde qui lui tient à cœur.
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Judas Priest – Nostradamus (2008)
Le début des années 2000 aura permis de sacrément réparer la timeline sacrée du heavy metal : après presque une décennie d'errance et dans un mouvement parallèle assez cocasse, Bruce Dickinson et Rob Halford réintégraient respectivement Iron Maiden et Judas Priest avec, à la clef, deux très bons albums (Brave New World, 2000 et Angel of Retribution, 2005). D'un côté comme de l'autre, le but est de rassurer l'auditoire, et on peut dire que depuis le retour de Halford, le Priest a encore moins assumé l'ère Tim « Ripper » Owens et les titres de Jugulator et Demolition (jamais joués en live par après) que Maiden et les albums avec Blaze Bailey. Angel of Retribution « reprenait là où le groupe s'était arrêté avec Painkiller », estimait Rob Halford, assurant que le processus de composition en commun était revenu comme si de rien n'était.
Mais après cet album en forme de « comfort food » pour fans en manque, Judas Priest va choquer son monde. Pour la première fois de leur longue carrière, les « Metal Gods » vont se lancer dans un album-concept ambitieux, sur le thème de Michel de Nostredame – plus connu sous le nom de Nostradamus. Une idée soufflée par leur manager de l'époque, Bill Curbishley, et qui va mettre un certain temps à se lancer puisque les premières ébauches du projet datent de... 2005, pour une sortie postposée de 2006 à 2007, puis 2008. Il faut dire que Nostradamus est un mastodonte : un double album d'1 h 42, avec pas moins de 14 « vrais » morceaux et neuf interludes plus ou moins longs. Et là où Iron Maiden, deux ans plus tôt, s'en était tiré avec des critiques positives pour son album à peu près conceptuel A Matter Of Life & Death (c'est plutôt la décision du groupe de le jouer en entier lors de la tournée suivante qui a fait polémique), Judas Priest va louper la cible.
Car Nostradamus laisse à peu près totalement de côté ce qui a fait la marque de fabrique du groupe depuis les années 80, et que Painkiller avait poussé à son paroxysme : du mordant, de l'énergie, dans une volonté claire de prouver que le Priest pouvait toujours être « moderne » et à la page. Les albums avec « Ripper » Owens, avec leurs guitares sous-accordées et leur approche groovy, avaient peut-être trop dénaturé le son de Judas Priest, mais s'inscrivaient également dans cette lignée. Nostradamus, de son côté, est un album symphonique, lyrique, théâtral, et terriblement prétentieux. Les griffes du duo K.K. Downing – Glenn Tipton y sont clairement limées, et c'est en partie suite aux désaccords nés de la gestation de Nostradamus que K.K. Downing finira par quitter le groupe en 2011. Quant à Rob Halford, il est presque méconnaissable. De ses hurlements caractéristiques, il ne reste à peu près que ces montées sinistres sur l'excellente ouverture « Prophecy » (seul titre qui ressurgira sur les setlists à l'avenir, sans surprise) et un cri en introduction du non moins excellent morceau-titre « Nostradamus » en toute fin d'album, seul moment où le groupe lâche les chevaux. Ça fait peu et, surtout, il y a 1 h 30 de musique entre les deux durant lesquelles le rythme s'accélère très rarement.
Pourtant, durant cette heure et demie, il y a bel et bien des moments de grâce, souvent mal mis en valeur. Si l'enchaînement « Revelations - War » (avec cet interlude peu utile entre les deux) coupe le rythme de l'album d'emblée, « Death », l'un des rares titres purement doom de la carrière de Judas Priest sur lequel Rob Halford est saisissant, sort du lot. Dans un registre inhabituel, Halford est d'ailleurs l'un des grands gagnants de Nostradamus, s'offrant des passages très lyriques correspondant parfaitement à ses capacités vocales actuelles. Bien sûr, c'est parfois maladroit : on ne peut pas s'empêcher de pouffer en l'entendant chanter dans un italien approximatif sur le néanmoins catchy « Pestilence & Plague » (et franchement, j'ai toujours du mal à comprendre l'utilisation de l'italien).
La façon dont les guitares sont étouffées empêche le final de la première face, « Persecution », de frapper aussi fort qu'il le devrait, d'autant plus que la seconde galette commence sur... une ballade et un mid-tempo. Mal branlé, on vous dit. Et pourtant, rarement Rob Halford a sonné aussi fort émotionnellement que sur le refrain du très beau « Exiled », quasi-opératique. Le refrain de « Visions » aurait pu en faire un tube, mais là encore, le tout sonne comme ramolli par une production plastique, des riffs en retrait – et pourtant, des riffs, il y en a, « Nostradamus » et surtout le majestueux « Future of Mankind » en sont truffés. Nostradamus est en permanence le cul entre deux chaises : Halford n'est de toute évidence pas dans sa meilleure forme (les concerts suivant la sortie de l'album seront les plus faiblards depuis son retour dans le groupe, ce qui n'a certainement pas aidé la promotion), K.K Downing et Glenn Tipton n'ont pas le mordant habituel. Mais qu'aurait bien pu donner un album aussi ambitieux, des pièces aussi majestueuses, avec Ritchie Faulkner à la gâchette et un Rob aussi en voix que sur Invincible Shield ? On ne peut qu'en fantasmer. Réécoutez Nostradamus : extrayez-en sa substantifique moëlle, en réduisant l'écoute à 13 ou 14 titres, et vous comprendrez pourquoi j'y reviens plus souvent qu'au convenu Redeemer Of Souls... et même, en définitive, qu'à Point Of Entry, voire qu'à Turbo, un peu trop réhabilité à mon goût. Si c'était probablement l'album d'un groupe un peu malade, et que Judas Priest ne réalisera sûrement jamais son rêve de le jouer un jour en entier avec un orchestre symphonique, Nostradamus était aussi une œuvre qui mérite bien mieux que la ligne du bas d'une de ces tier-lists à la mode...