
Free Dolby, ou la magie du metal en 3D
lundi 29 septembre 2025
La caution grunge du webzine.
« Dobby entend des choses, monsieur. »
Il est de notoriété que les metalleuses et metalleux aiment analyser les albums « au scalpel » de leur expertise musicale. Mais sans confort d’écoute, il ne peut y avoir dissection. Le sacre ultime étant de relever ce détail caché « aux oreilles les moins instruites » dans sa quête de l’egotrip. Aussi, à l’image de Simon Hench, cet éditeur londonien accompli, qui cherche à découvrir le nouvel opéra de Wagner dans la pièce Otherwise Engaged, toutes les conditions doivent être réunies. À moins de souhaiter le réveil de l’auditeurice irascible – car passionné·e –, dès lors que l’écoute est abîmée, fragmentée, par des événements extérieurs. Lors d’une analyse en direct du livre de théâtre à l’occasion du Digital Methods Winter School¹, le Professeur Richard Rogers prêchait que « la distraction mène à l'inattention – à l'insensibilité ». Un propos liminaire éclairant, valable pour une multitude d'activités créatives ou réflexives. Lorsque l’on joue un album mixé en Dolby Atmos, cette exigence de calme, de concentration, prend alors tout son sens ; la technologie exalte les sensations – l’expérience sonore.
1 : Le Digital Methods Winter School est un data sprint annuel d'une semaine organisé à Amsterdam pour les étudiant·es de Master, les doctorant·es et les chercheurs et chercheuses sur une thématique actuelle donnée, ayant trait aux nouveaux médias et aux « méthodes numériques ».
- Le metal à prix d'or
- Une immersion sous conditions
- Une fracture culturelle
- (Dolby As Leader)
- Le pari Atmos de Changeling
- Interview avec Tom Geldschläger
- (Le son classique réinventé)
En France, l’entreprise Dolby équipe une dizaine de cinémas Pathé de sa technologie « propriétaire » Atmos, en service depuis 2012. La société promet d'offrir une expérience sensorielle, affirmant « réinventer la création ». Ce format audio se déploie également dans l’industrie musicale, à travers un mixage et un mastering surround spécifiques. D’après l’annuaire de Dolby Professional, moins d’un millier de studios validerait les recommandations matérielles et techniques définies par l’entreprise, afin de proposer ledit service, dont 46 en France. Au vu de l’investissement nécessaire à la conception d’une salle de mixage Dolby Atmos, peu d’ingénieur·es du son s’y consacrent. Bien que les prix convergent vers les tarifs « classiques », ce positionnement haut de gamme se répercute sur le coût des titres mixés en Atmos – ensuite ajusté en fonction du matériel source utilisé et du nombre de pistes mono à travailler. Ces freins-là, associés aux arcanes de ses différentes exploitations, confinent la technologie à une sphère élitiste, Dream Theater-compatible. Un bijou que peu d’artistes en voie de professionnalisation ont les moyens d’acquérir, devant généralement composer avec des home studios. À moins d’accepter les compromis artistiques comme solliciter une coproduction et/ou « passer des mois plutôt que des jours à l'enregistrement et au mixage », quitte à repousser la sortie de son œuvre, sous réserve de l’accord de ses partenaires. « S’il n’y avait pas eu la deadline du label [NDA : Season Of Mist], Tom [Geldschläger] serait encore en train de mixer l’album », s’amuse Florian Magnus Maier « Morean », le chanteur de Changeling, pour Horns Up.
« De nombreux albums souffrent de contraintes budgétaires ou d'un manque d'expertise qui se ressent dans le mixage », constate Martin Rieger, spécialiste allemand du son 3D via le studio VRTonung, pour Horns Up. Il illustre ainsi son analyse, en évoquant la sensation metalcore de ces douze dernières années : « Un jour, j’ai écouté Bring Me The Horizon dans une voiture de démonstration Dolby Atmos. Le volume des voix était soudain bien plus fort qu'en stéréo, la puissance avait disparu, et malgré une certaine activité à l'avant du véhicule, le mixage semblait décousu. Les voitures sont un environnement de lecture particulièrement hostile à l'Atmos : le placement étrange des enceintes et les réverbérations incontrôlées rendent presque impossible l'obtention de résultats cohérents », explique-t-il. Ces lacunes visent également des œuvres affichant de grandes ambitions, comme ce fut le cas de 72 Seasons de Metallica, diffusé au cinéma la veille de sa sortie. Une événementialisation sans précédent du Dolby Atmos, inaugurée en live par une scénographie circulaire en mode 360°. Loin de la prouesse technique, « cet album donnait l'impression d'une première tentative de ce format par un habitué de la stéréo », regrette l’expert.
Pour d’autres raisons – artistiques ou morales –, les courants alternatif¹ et extrême du metal sont traditionnellement les moins représentés parmi ceux qui plébiscitent le Dolby Atmos. Cette recherche du son parfait, cristallin, échappe donc à ces mouvements à l’esthétique DIY, représentant d’un point de vue historique des contre-cultures. Malgré tout, des albums cultes bénéficient de rééditions anniversaire qui s’accompagnent de remasters en DA. C’est le cas de Death Cult Armageddondes Norvégiens de Dimmu Borgir, enregistré avec le Prague Philharmonic Orchestra en 2003. Mais globalement, cette démarche s’assimile davantage à du marketing musical qu’à une volonté délibérée de réinventer une œuvre d’art. La faute à une réflexion inversée qui consiste bien souvent à penser à l’occasion (célébrer les vingt ans d’un album), puis l’outil, sans interroger la pertinence de recourir à cette technologie, ou l’expérience d’utilisation. Ce n’est donc pas tant l’innovation qui est en cause, que son appropriation par les artistes metal.
1 : Le courant alternatif évoqué dans le texte correspond à la notion de genre périphérique au metal (punk, hardcore, grunge). Pour sa part, le Seattle Sound compte peu d'exemples probants d'albums mixés en Dolby Atmos ; dans un autre monde, l'on pourrait rêver qu'Andy Wallace et Craig Doubet associeraient leur expertise à un·e spécialiste du son 3D pour réimaginer Nevermind de Nirvana.
Si l’on dépasse ce phénomène de « gadgétisation » du Dolby Atmos, certain·es artistes l’exploitent intelligemment, au-delà de la dimension studio. En vue de la tournée promotionnelle de Fear Inoculum, Liam Halpin, le technicien de Tool, avait développé un nouveau son en live « en s’inspirant du système Dolby Atmos installé chez lui », écrit Steve Harvey de Mix Magazine. Cela se traduisit entre autres par des superpositions d’enceintes traditionnelles et V-Series de d&b Audiotechnik, dont la position sur la scène et l’inclinaison ont été étudiées. Le sentiment « d’immersion » est omniprésent au sein de la littérature musicale DA, au point d’être évoqué dans le cadre d’enregistrements – « l’impression d’assister à un concert », plaide un studio sur son site internet.
Crédit : Eleanor Jane
Du point de vue des auditeurices, le prix de ce « concert » reste toutefois dissuasif puisque seules certaines plateformes (Apple Music, Tidal, Amazon, Qobuz – et bientôt Netflix ?), proposent du streaming musical compatible avec cette technologie, auxquels s'ajoutent les Blu-ray audios qui permettent eux aussi la lecture de contenus en DA. « J'espère que les récentes critiques visant Spotify [NDA : sa politique concernant l’IA, les investissements de son fondateur dans le militaire et la fast medicine, ainsi que le système de vérification d'âge par reconnaissance faciale] ouvriront la voie à la prise en charge du Dolby Atmos par d’autres services en ligne », commente Shawn Dealey, ingénieur du son en chef et producteur à Sweetwater Studios à Fort Wayne dans l’Indiana, pour Horns Up. Outre le coût de l’abonnement, l’Atmos encourage également l’achat de matériel, afin d’offrir (de vivre ?) une expérience globale, que ce soit des haut-parleurs ou des casques audio. Pour sa part, Martin Rieger retient les enceintes sur lesquelles « le metal peut briller, parfois même davantage que son équivalent stéréo », ajoutant que le filtrage HRTF actuel de Dolby (head-related transfer function) rend les guitares « dures et lointaines ».
Au regard des barrières citées, ce format draine un public diplômé, très urbain, attentif à la qualité de production, et donc alerte sur les questions d’innovation musicale. Une audience critique, sans doute matérialiste, agrégeant des fans et des professionnel·les pour qui la musique est tout sauf une activité « passive ». Cette cible-là suscite évidemment l’attention d’une frange de la scène metal, ayant en commun une approche de l’art plus ostentatoire. C’est ce qui explique l’usage du Dolby Atmos dans le metal progressif et technique toutes tendances confondues, et les enregistrements alternatifs modernes, à l’instar de Deftones ou Code Orange chez qui une musique « ouverte », non compressée, présente un réel intérêt. L’on remarque d’ailleurs que les artistes recourant à l’Atmos, sont souvent celles et ceux critiqué·es pour le culte dont iels font l’objet, souligné à travers une proposition de merchandising coûteuse, variée, voire extra-musicale.
Reste que le Dolby Atmos se heurte à une résistance tenace au sein du metal, qui empêche les projets de se réaliser. « Il existe une idée préconçue selon laquelle la musique “heavy” de manière générale, doit être forte pour être bonne ; beaucoup de grands disques sortis récemment ont des masters stéréo extrêmement puissants. Les spécifications de restitution du Dolby Atmos sont environ neuf décibels plus faibles qu'un master stéréo normal. La question “Pourquoi est-ce si calme ?” revient donc assez fréquemment, lors de l'envoi des masters Atmos pour validation aux artistes », témoigne Shawn Dealey, pour Horns Up. En outre, entre 80 et 100 de ses morceaux tests mixés en DA n’auraient jamais été publiés. C’est ce que relève cet expert qui, loin de considérer la lassitude liée aux heures de travail réalisées, voire au ghosting « fréquent » des artistes, se montre philosophe : « Les opportunités que l’on m'offre sont toujours enrichissantes [...]. La décision de ne pas sortir la version Atmos s’explique souvent par le manque de budget, d’intérêt pour le format, ou encore de communication (sic). »
À force de négociations, Shawn est néanmoins parvenu à convaincre le management d’Animals As Leaders d’opérer une transition vers le Dolby Atmos en 2022. Parrhesia est une œuvre qui, sur le plan technique, fait autorité chez les ingénieur·es du son, à tel point que l’album est spontanément cité par son collègue d’outre-Rhin Martin Rieger : « Il présente déjà un fort potentiel immersif ; il pourrait pousser l'expérimentation spatiale plus loin, mais le résultat est solide et mérite d'être écouté », vante-t-il. Un exercice concluant, d’autant qu’il s’agissait du premier de la sorte pour Shawn Dealey, après des mois d’étude du format. À plus d’un titre, les conditions de travail furent, elles aussi, inédites : alors que 95 % de son travail d’ingénierie se réalise à distance via des validations de références MP4, « c’était la seule fois où j’avais un groupe présent dans le studio pendant toute la durée d’un mixage Atmos ». De surcroît, Javier Reyes et Nick Morzov, à qui l’on doit la version stéréo, ont supervisé Shawn durant une semaine, dans le cadre de ce mixage alternatif. « La présence de Nick et de son équipement Pro Tools m'a été très utile pour obtenir des stems spécifiques, car nous avons essayé différentes méthodes de mixage », poursuit-il. Cet album-référence du « Metal in Dolby » est toutefois à relativiser en raison de sa composition et de son style singulier, peu représentatifs de la scène. En effet, celui-ci comporte neuf morceaux instrumentaux éminemment atmosphériques, dont certains s’assimilent à de la musique contextuelle (« Asahi » ou « The Problem of Other Minds »). L’ingénieur du son le reconnaît à demi-mots : « Dès que l’on introduit des voix et des guitares heavy plus cohérentes tout au long d'une production, l’on perd la capacité de créer une expérience aussi unique en Dolby Atmos. »
Crédit : Animals As Leaders
Mais plus récemment, une production venue de l’Obscura-verse a démenti ce constat : Changeling, le projet de death progressif conduit par le virtuose berlinois, Tom Geldschläger. L’album homonyme réussit le pari de multiplier les sources de son – du chant black, de l’oud, du tuba wagnérien¹ ou des nappes de synthétiseur – « pour rendre les déplacements spatiaux convaincants ». Selon Martin Rieger, Eric Horstmann (Immersive Lab) aurait prié Tom « Fountainhead » d’enregistrer un ensemble de quatre pistes de guitare supplémentaires, afin d’occuper l’espace. « Comme l’a souligné Eric, “le mur de son, c’est de la vieille école. Nous voulions créer une pièce sonore” », rapporte l’ingénieur. Nonobstant sa densité instrumentale, la musique est aérée ; le groupe s’offre même un interlude néo-classique, sans jamais tomber dans les travers du tout-symphonique. « Je sais que les éléments ultra-distordus employés dans le metal extrême sont très proches du bruit blanc, qu’il s’agisse de growls, de cymbales, de blast beats ou de guitares rythmiques à haut gain. Les mélanger avec des instruments et des couches plus subtiles représente un véritable défi. C'est pourquoi toute production de metal orchestral requiert des arrangements, une interprétation et une ingénierie de premier ordre si l'on veut réellement entendre les violons par-dessus le “grincement” du groupe », analyse son chanteur et parolier Florian Magnus Maier « Morean » (Alkaloid, ex-Dark Fortress), pour Horns Up. Une œuvre ambitieuse, ponctuée de climax musicaux, à l’exemple d’« Abdication » et des dernières minutes d'« Anathema » évoquant épisodiquement Devin Townsend, dans ces passages doux-apocalyptiques et ces white solos organiques, brillamment composés. « Alors que les chansons devenaient de plus en plus complexes et opulentes au fil de l’écriture, Tom a imaginé le mixage spatial Dolby Atmos de toutes ces strates, car cela lui permettait de retranscrire chaque élément, malgré sa forte densité sonore », poursuit Morean.
1 : Le tuba wagnérien est un instrument de musique à vent de la famille des cuivres inventé en 1876 par Adolphe Sax (à l'origine des saxophones), à la demande du compositeur Richard Wagner. Il fut créé à l'occasion de la Tétralogie de Wagner, L'Anneau du Nibelung.
Interview avec Tom Geldschläger (Changeling)
— Quel est l'album qui vous a initié au Dolby Atmos ?
Au début de l'écriture de Changeling, j'ai été invité à accompagner un ami à la soirée d'écoute de Zeit de Rammstein dans un cinéma IMAX¹. J'y suis principalement allé pour l'occasion, mais découvrir le potentiel créatif et sonore de ce format dans une salle aussi grande a été une révélation. J'ai toujours eu du mal à retranscrire correctement ma musique en stéréo, étant donné que j'associe souvent au metal des éléments orchestraux, du sound design², de l'électro et des timbres et instruments plutôt exotiques. Et ce qui allait devenir Changeling s'annonçait déjà comme mon projet le plus ambitieux à ce jour. Ce soir-là, je suis donc reparti avec la certitude, au plus profond de moi, que je devais coûte que coûte écrire et produire cette musique en audio spatial.
— Comment le label a-t-il réagi à votre volonté de privilégier un mixage en Dolby Atmos plutôt qu’un mixage traditionnel dont le processus aurait sans doute été moins onéreux et chronophage ?
Ils n’ont pas vraiment eu leur mot à dire, car l'album était déjà terminé lorsque j'ai signé chez Season Of Mist. Je le leur ai donc simplement présenté comme le premier album de metal extrême jamais écrit pour ce format, dès mon arrivée dans leur roster. Mais je tiens également à préciser que, bien que l'album ait été spécifiquement écrit pour exploiter pleinement ce format, je n'ai eu accès à une bonne configuration de mixage Atmos qu'une fois le mixage stéréo terminé et transmis au label. En résumé, la façon dont cette musique fonctionnait et sonnait en Atmos était dans ma tête jusqu'à l'arrivée d'Eric Horstmann, dont l'expérience et le matériel ont finalement permis de concrétiser ce rêve. Nous avons finalement mixé la version Atmos dans son studio Immersive Lab à Berlin, abandonnant complètement mon travail sur la stéréo et en repartant quasiment de zéro, en veillant à ce que ma vision artistique initiale soit parfaitement respectée avant la sortie officielle de l'album.
— Pensez-vous que le choix de recourir au Dolby Atmos a eu une influence sur la manière d’enregistrer les pistes de chant de Morean ?
Il faut savoir que Changeling n'est pas un groupe, mais mon troisième album solo après Fear Is the Enemy et Reverse Engineering, même si chaque morceau est accompagné d'un line-up incroyable de musicien·nes. Ce n'est que lorsque Season Of Mist a signé l'album qu’un nom de groupe dédié a été suggéré pour des raisons marketing – ce qui me convenait parfaitement, car j'adorerais poursuivre dans cette voie avec cette équipe. À ma connaissance, aucun·e artiste crédité·e sur le projet n'avait auparavant écouté de musique en Dolby Atmos ; j'ai donc dû leur décrire très précisément mes intentions et mes idées. Heureusement, Morean est un véritable génie de l'imagination humaine, et j'ai deux décennies d'expérience dans la production d'artistes à mon actif ; nous avons donc veillé à ce que tout fonctionne comme prévu, en abordant une multitude de détails et de considérations conceptuelles. Par exemple, il y a une section de chants rituels que nous n'avons pas pu enregistrer ensemble pour diverses raisons, qui est au centre du morceau-titre. Morean a donc dû l'enregistrer seul chez lui. Et il a parfaitement réussi, traduisant les idées que nous avions évoquées en une performance probablement meilleure que quiconque aurait pu faire. C'est pourquoi il est non seulement un ami cher et un formidable partenaire créatif, mais aussi une source d'inspiration constante pour moi.
— « Anathema » est selon moi l’un des morceaux les plus immersifs de l’album : il démarre par deux minutes évoquant des scènes de l’Antiquité romaine du fait de la narration, de l’aspect caverneux et d’une ambiance très « jeux du cirque » avec des arrangements qui tendent à renforcer cette impression et réapparaissent à certains moments du titre. À d'autres, l'on retrouve des passages tour à tour orientalisants ou digitaux, ou bien proches de Devin Townsend. Quel est le fil conducteur de ce titre ?
Ce sont des termes très intéressants pour le décrire (rires) ! J'apprécie toutes ces références ! « Anathema » a une longue histoire. Son titre provisoire était « Weltseele 2 », car c'est la suite musicale d'une de mes anciennes compositions, « Weltseele », extraite de l'album Akróasis d’Obscura dont je faisais partie en 2015. Ce morceau de quinze minutes est devenu l'une de mes créations les plus connues, même si la plupart des fans ne savaient probablement pas qui l'avait écrite ni qui avait joué toutes les parties de guitare. Mon passage dans ce groupe a malheureusement été une expérience très amère et négative, ce qui m'a empêché d'écrire dans ce style pendant longtemps. Et quand j'ai finalement décidé de reprendre là où je m'étais arrêté avec Akróasis, j'ai aussi pris la décision consciente d'écrire une suite à « Weltseele » qui devrait être « plus grande, meilleure et complète », si vous voyez ce que je veux dire.
Il y a donc beaucoup de choses qui se passent dans cette œuvre ; je m'assure de pouvoir offrir une expérience inoubliable. Et de faire mon possible pour la rendre amusante, inspirante, palpitante, et offrir un arc narratif, une structure, un point culminant et une conclusion satisfaisants, comme l'auraient fait mes musicien·nes préféré·es. C'est le son d'un enfant du metal, bercé au son de Genesis, Mike Oldfield et Devin Townsend, mais aussi passionné de Stravinsky, Schubert et Mahler, qui embrasse l'idée d'être un compositeur « authentique » et s'efforce de créer la musique qu'il aimerait entendre. Pour le meilleur ou pour le pire, je voulais que les auditeurices ressentent le même émerveillement et la même profonde satisfaction émotionnelle que moi face à un film épique, un grand livre ou un tableau inspirant. Je voulais que ce morceau soit plus qu'une simple chanson : une œuvre d'art qui sollicite votre attention, et vous récompense en élargissant votre conscience, et en vous emmenant dans un voyage émotionnel – si vous en avez envie, bien sûr.
— Vous avez organisé deux sessions d’écoute de Changeling en avant-première le 21 et le 23 mai 2025 au Showroom Genelec de Berlin. De quelle manière l’album a-t-il été accueilli par les fans ?
Les réactions ont été absolument fantastiques. J'avais tellement peur que les gens ne soient pas assez attentifs, au regard d’un album de soixante minutes aussi complexe et conceptuel. Y compris pour rester assis dans une pièce faiblement éclairée à écouter de la musique sans aucun support visuel – cela semble totalement anachronique en 2025. Mais à ma grande surprise, personne n'a regardé son téléphone une seule fois. Non seulement chaque auditeurice s'est pleinement investi·e dans l'expérience, mais certain·es sont même revenu·es pour demander à ce que des chansons ou moments leur soient répété·es pendant que je faisais des séances de questions-réponses à l'extérieur. J'ai entendu beaucoup d'invité·es dire qu'ils avaient vécu une expérience bouleversante lors de ces séances d'écoute et je ne peux même pas décrire le soulagement, mais aussi la gratitude et la fierté ressenties. Car ces sessions marquaient pour moi la fin d'un incroyable acte de détermination et de patience.
1 : À l'instar du système ICE dans les CGR Cinémas, IMAX est un concurrent direct de Dolby Cinemas, qui combine pour sa part les technologies Vision (image) et Atmos (son).
2 : Par opposition au bruitage, le sound design (ou design sonore) renvoie « aux effets sonores conçus numériquement ». D'après Juliette Volcler, chercheuse indépendante et autrice de L'orchestration au quotidien (ed. La Découverte), il relèverait « de la modernité, de la précision, de la composition, des nouveaux médias et de l'émotion ».
Crédit : The Lens of Akasha
Dans le metal, les approches de composition et d’exécution plus conceptuelles, progressives (djent ?), peuvent justifier l’emploi de la spatialisation du son Dolby Atmos, comme l’ont expliqué les artistes et professionnels sus-cités. Cependant, par souci d’honnêteté, il faut reconnaître à certains genres tels que le classique leur caractère éthéré et leur propension à penser les silences en termes musicaux. Ces caractéristiques facilitent la traduction de l’œuvre en DA. À l’inverse, le metal est « souvent synonyme “d’impact” brut ». « Le seul scénario où je trouve cela pertinent est lorsque la musique intègre “l'espace” au storytelling, un peu comme un concert live. Mais le simple repositionnement des stems stéréo en 3D fonctionne rarement – et malheureusement, c'est ce avec quoi les ingénieur·es doivent travailler », explique Martin Rieger, pour Horns Up. Selon lui, l’audio spatial menacerait de diluer l’énergie inhérente au metal. Changeling serait-il la seule exception connue à ce jour ?
— Question à Florian Magnus Maier « Morean » (Changeling, Alkaloid, ex-Dark Fortress) : Il y a quelques années, vous avez composé un concerto pour double guitare intitulé « Schattenspiel ». Il est de notoriété que la musique classique et symphonique sont des styles favorables à la technologie Dolby Atmos. Cette expérience de la DA avec Changeling vous a-t-elle donné envie de revisiter votre morceau ?
Ce serait un rêve absolu. Mais pour mes œuvres classiques, une salle de concert de qualité reste le meilleur moyen de profiter pleinement de la musique, car nos oreilles sont capables d'écouter en 3D ; une oreille entraînée peut distinguer un violon parmi une imposante section orchestrale. Le problème majeur survient lorsqu'il faut intégrer cette configuration live 3D à une piste stéréo. L’on perd énormément [NDA : d'informations et de qualité] sur un CD, si l’on compare à une performance en live. Parfois, nous essayons de compenser cela en utilisant des techniques de production contemporaines avec des égaliseurs complexes, une compression multibande ou des réverbérations subtilement différentes par piste. Je trouve le résultat souvent plat et sans puissance : la dynamique est altérée, le panorama stéréo ne suffit pas à distinguer les différentes sections de vents ou de cordes lorsque les musicien·nes jouent, et enfin, tout se superpose dans le mixage. Alors oui, le Dolby Atmos sera également la solution pour ces enregistrements.
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« Dobby a voulu faire pour le mieux… »
En raison de sa jeunesse et de sa vitalité, le Dolby Atmos, qui plus est appliqué au metal, produit d’une part un certain nombre de déchets qui sont le lot des nouvelles technologies que l’on approche. D’autre part, les artistes développent des biais cognitifs, pouvant expliquer ces tentatives infructueuses. Et, le premier d’entre eux : un album universellement reconnu pour sa qualité ne certifie en rien sa pertinence ou son succès potentiel dans un environnement DA. « Nous sommes dans une phase transitoire, comme aux débuts de la stéréo, où les mixages plaçaient à fond les voix à gauche et les instruments à droite », décrypte Martin Rieger, pour Horns Up. Selon lui, le courage est la vertu qu’il faudra aux ingénieur·es afin d’exploiter au mieux les forces de l’audio spatial, et de contenir le retard de l’écosystème matériel, lui aussi en pleine évolution. « J'espère cette révolution du plus profond de mon cœur de compositeur. Mais tant de choses doivent changer pour qu'elle se produise que je crains que ce ne soit la joie des générations futures, et pas nécessairement la nôtre », mélancolise Florian Magnus Maier « Morean », pour Horns Up.
Merci à Martin Rieger, Shawn Dealey, Tom Geldschläger « Fountainhead », Eric Horstmann, Florian Magnus Maier « Morean » et Jonathan Kopp, pour leur contribution à l'article et leur soutien !
Sélection Metal in Dolby :
- Changeling Changeling (2025)
- Animals As Leaders Parrhesia (2022)
- Blood Incantation Absolute Elsewhere (2024)
- Gojira Fortitude (2021)
- Ghost Meliora (2015)