
La caution grunge du webzine.
Une renaissance. C’est ce que l’on était en droit d’espérer de Bush en 2023, au sortir d’Art of Survival – un album hautement politique, flattant les sentiments contrariés de l’ère post-COVID. Ce regain d’indignation justifiait l’orientation musclée du groupe, assumée pour de bon, après le versatile The Kingdom. Les critiques, dithyrambiques, voyaient là le chef-d'œuvre de Gavin Rossdale, tout au moins la meilleure inspiration des Anglais depuis leur reformation en 2010. Et l’on pouvait difficilement les contredire, tant ce « manifeste » présentait des titres dangereux (« Shark Bite », « Identity »), à mille lieues du mélodisme rond, attribué au quatuor. Ainsi donc, I Beat Loneliness devait symboliser la confirmation de leur santé musicale. Malheureusement, pour citer les paroles de leur second single, « [it] feels like the land of milk and honey. »
Depuis cinq ans, Bush révise ses classiques du metal, ce qui a, entre autres, donné naissance à l’hymne johnwickien « Bullet Holes », première incarnation « heavy » du groupe. Une intensité sonore heureuse, néanmoins résiduelle sur I Beat Loneliness, en dépit d’un « 60 Ways to Forget People » d’excellente composition, dont la fureur aurait légitimé sa présence dans l’édition deluxe d’Art of Survival. Cet album, visiblement circonstanciel, laisse aujourd’hui sa place à un contenu électro-aquatique, « doom », où les guitares ont cédé du terrain, au profit de la basse. Quand bien même « I Am Here to Save Your Life » abrite le refrain le plus marquant de ce 10ᵉ effort (« Shame on you and the negative dancers »), Chris Traynor y exécute un solo-éclair sous lequel pointe une certaine fainéantise de confort. Loin, bien loin, de ses réelles capacités, lui qui a fait les beaux jours d’Helmet, sur Size Matters. En outre, les morceaux, notamment leur introduction, répètent un schéma unique : un synthé ou un élément électro et une basse par-dessus, ou l’inverse. Lors d’une interview à Metal Talk, Gavin Rossdale confirme cette approche plus expérimentale, voire conceptuelle, en assumant développer un titre à partir d’un « beat cool ». « Ça peut être une source d’inspiration », justifie-t-il. Des influences, qui, intégrées dans cet environnement lent, parfois constitué de silences, condamnent Bush à jouer une musique grisâtre, démoralisante.
Mais le talon d’Achille de cet album réside, de manière plus saillante encore, dans les performances de Rossdale, qui tendent à l’auto-parodie. La faute à ce côté chanté-bâillé, peu articulé, confinant à l’aphasie légère, à l’instar de « Rebel with a Cause », « Everyone Is Broken » – dont le naufrage est accompagné par une chorale –, ou même l’enivrant et touchant « Don’t Be Afraid ». Ce défaut apparaît lorsqu’il cherche à atteindre des notes élevées ; ce qui était moins problématique sur Art of Survival. Force est de constater que son chant riche, contrôlé, faisait mouche ; quant à l’instrumentation – lourde –, elle gommait ces travers. Or, dans cet album, les musiciens se satisfont d’une demi-énergie, et leur retenue met, de fait, l’emphase sur les vocaux – fragiles. En effet, les morceaux riffent peu et échouent à créer l’onirisme recherché. Excepté, sur la forme, ce « I Beat Loneliness » augmenté d’arrangements orchestraux, et embelli par des lignes de chant évoquant la poésie pop de The Sea of Memories (« And we all fall down/Like some requiem/I beat loneliness »). Trop peu, malheureusement, pour changer la face d’un disque, nous privant de jolies ballades comme le furent « Creatures of the Fire » et « 1 000 Years » il y a trois ans.
Avec I Beat Loneliness, les Anglais touchent les fonds marins. Musicalement, le groupe semble vieilli, fatigué. Par endroits, il s’efforce de reconstituer le puzzle électro de sa carrière (The Science of Things, The Kingdom), en parvenant à un maigre résultat. Où est passé « le grunge de combat » ?
Tracklist :
- Scars
- I Beat Loneliness
- The Land of Milk and Honey
- We're All the Same on the Inside
- I Am Here to Save Your Life
- 60 Ways to Forget People
- Love Me Till the Pain Fades
- We Are of This Earth
- Everyone Is Broken
- Don't Be Afraid
- Footsteps in the Sand
- Rebel with a Cause