
Linkin Park @ Paris
Stade de France - Paris

La caution grunge du webzine.
Pour son 3ᵉ concert en France depuis la réactivation du groupe en 2023, Linkin Park jette son dévolu sur le Stade de France, en signant une belle performance comptable : 80 000 billets ont été vendus – soit la capacité d'accueil totale du lieu en configuration foot et rugby. Dix jours environ après leur passage au festival des enfers – Le Point titre « La revanche éclatante de Linkin Park au Hellfest » en référence au fiasco de 2017, à imputer à quelques brutes ayant ruiné « Heavy » –, ce concert sonne le renouveau du groupe. Et les Américain·es de continuer de sonder leur public sur l'album From Zero, sorti en novembre dernier sur Warner et Machine Shop Records.
― Why is everything so heavy?
― This is what you asked for. Heavy is the crown.
JPEGMafia / One Ok Rock
Si d’autres dates européennes ont été soutenues par des premières parties très en vogue comme Architects ou Spiritbox, régulièrement associées au rappeur « alternatif » JPEGMafia, ce soir-là, l’invité de marque était One Ok Rock ; les Japonais semblent moins plébiscités sur la scène internationale qu’il y a dix ans, mais leur performance est saluée avec chaleur et enthousiasme, allant jusqu’à réveiller le public, circonspect devant le set de JPEGMafia. Une réaction en demi-teinte, à attribuer à l’absence de communication de son interprète et à un style migraineux fusionnant des éléments musicaux disparates, enveloppés dans un chant autotuné. Et ce, malgré quelques bons passages, dès qu’il s’agissait de morceaux, on ne peut plus dépouillés.
À l’inverse, les Tokyoïtes installent une forme d’attente, d’excitation chez les fans, dont le climax survient à l’annonce du dernier titre, « We Are », lorsque Taka invite sur scène Colin Brittain, le batteur de Linkin Park, à les accompagner à la guitare. Une chanson qu’il a lui-même coproduite, et qui révèle une admiration sincère et mutuelle, en considérant, de plus, que le frontman de One Ok Rock arbore un tee-shirt de Meteora.
Linkin Park
Après un « break », à 21 h 00 passées, les deux écrans géants s'allument pour afficher un compte à rebours de dix minutes annonçant l'arrivée de Linkin Park. De manière tout à fait improbable résonne dans le stade le générique du dessin animé Caillou – par ailleurs canadien-québécois, et non français. L'impatience est telle que les spectateurs et spectatrices situé·es dans la fosse crient les dix secondes restantes de chaque minute écoulée.
Et, les Californien·nes entament l'acte I de leur show sur un « Somewhere I Belong » exécuté de façon clinique et vocalement linéaire, sans l'intention émotionnelle qui traversait Chester Bennington sur la version d'origine. C'est d'ailleurs l'une des limites qu'atteint régulièrement Emily : malgré la puissance de son chant crié, à la réception, les titres des deux premiers albums semblent poussifs, voire moyennement justes, comme les rapides « Papercut » manquant de souffle ou « A Place for My Head » – où elle reprend confiance sur le pont screamé. À l'inverse, il est assez clair que la période post-Minutes to Midnight, concentrée sur l'acte II du concert à l'orientation électro-rock, convient mieux à son registre vocal, en particulier les morceaux issus de A Thousand Suns et Living Things, brillamment interprétés (l'enchaînement de « Waiting for the End » et « Castle of Glass »). Enfin, n'en déplaise aux récalcitrant·es, les chansons de From Zero reçoivent les ovations de la foule. Même le très générique « Up from the Bottom » publié sur la version deluxe, conquiert les fans.
Globalement, l'on peut noter qu'à l'applaudimètre, les nouveaux singles font plus que l'effet escompté, des violents « Two Faced » (où l'on aurait aimé entendre davantage les scratchs) et « Heavy Is the Crown », au tubesque « The Emptiness Machine » qui, à sa sortie en radio, côtoya le Linkin Park de Chester avec « Lost » – un moment envoûtant, baigné ce soir-là dans la lumière de milliers de flashs de téléphone s'allumant au son d'un extraordinaire piano / voix. Comme à Francfort, les Américain·es produisent également un featuring sur « One Step Closer ». Sous une lumière rouge, le leader de One Ok Rock – quoique très mal introduit – foule la scène du Stade de France dès le deuxième couplet pour une prestation majuscule.
Crédit : Linkin Park
Vu de l'extérieur, les musiciens sont les grands oubliés de la soirée, à cause d'une part de leur sous-représentation sur les écrans, et d'autre part du son et du mixage, qui flattent assez peu leurs performances. Sur certains titres, les guitares et les éléments de DJing sont peu audibles, ce qui complique l'identification des morceaux dans les premières secondes. Au même titre que « le patron » Joe Hahn, le guitariste live Alex Feder a toutefois l'espace pour briller l'espace d'un instant. Celui-ci rate pourtant le coche sur l'un des rares solos de la soirée, à savoir « What I've Done », loin de la fluidité d'exécution que l'on connaissait à Brad Delson. Au regard de l'histoire du groupe, le recentrage autour de la personne de Mike Shinoda après la mort de Chester s'est en effet imposé naturellement, se matérialisant entre autres via le répertoire de Fort Minor – un bonheur d'entendre Emily poser sa voix sur l'élégante « Where'd You Go », en lieu et place d'Holly Brook.
À la sortie du stade, des spectateurs et spectatrices notent très justement la sobriété visuelle du concert, qui, en dehors des confettis envoyés sur « The Catalyst » et des lasers projetés durant l'acte IV, est réduite à l'essentiel. Ce qui n'empêche pas Linkin Park de mettre le feu durant deux heures. Et de nous surprendre avec des choix intéressants, comme l'expérimentale « Overflow », autre perle rare de From Zero, précédée par une introduction au synthétiseur de « The Next Episode » de Dr. Dre. Ou de ravir son public à coups de medleys, de jams – « Immigrant Song » de Led Zeppelin joué de manière hasardeuse à la suite d'un fan défiant Mike de lui dessiner un tatouage – et de longues séquences de travelling autour de la fosse durant laquelle Sasha, une fan, se fait couvrir par Mike d'une casquette dédicacée.
En fin de compte, abstraction faite du manque de rodage, de « prises » sur les albums Hybrid Theory et Meteora, ce concert-événement s’avère réussi et achève d’installer Emily Armstrong comme un élément central de Linkin Park, radieuse avec son look grunge et son béret français, à jouer les Lily Collins. Sur une note personnelle, éminemment symbolique, sa rage musicale est un camouflet artistique aux critiques – et surtout à l’Église de scientologie du Grand Paris¹, dont le bâtiment éclairé est observable depuis les gradins supérieurs, à la nuit tombée, et auquel elle fait face sur la scène.
1 : La secte ne manqua pourtant pas l'occasion d'utiliser la venue de Linkin Park à des fins promotionnelles puisque, selon des fans présent·es aux abords du centre à Saint-Denis en partance pour le Stade de France, des adeptes diffusèrent la musique du groupe via des haut-parleurs depuis des espaces verts, et distribuèrent des flyers aux passant·es.
Crédit : Linkin Park
Le Tour de Zéro
Rue de Montmorency
Quelques jours auparavant, Linkin Park avait annoncé l'ouverture d'une boutique éphémère de merchandising inédit brandée « pop-up experience », placée sous le signe d'une collaboration avec le mythique Tour de France. Située en marge du Stade de France, rue de Montmorency, cette dernière ouvre du 10 au 12 juillet. Beaucoup de fans espèrent y entrer avant de faire volte-face, en raison de l'affluence – jusqu'à deux heures d'attente à l'extérieur, en longeant laverie, appartements et boulangerie locales. Heureusement, un employé distribue de l'eau aux client·es, souffrant des près de 30 degrés dans l'atmosphère.
Aménagée sur un étage, la boutique est charmante, décorée avec goût, entre vieux téléviseurs diffusant des images de course cycliste et de lives, et nounours géant à l'effigie du goldbär, mascotte des bonbons Haribo, à cette occasion pourvu d'une guitare. Ne nions pas qu'à la découverte des penderies de tee-shirts floqués « Le Tour de Zéro », l'idée que les Américain·es aient utilisé les services de Google Traduction m'a traversé l'esprit. Toutefois, malgré des prix prohibitifs et un opportunisme commercial évident, les produits séduisent par leur direction artistique originale, travaillée (tasses, stickers, polar bottles, bonbons, casquettes, etc.). Autant que l'on sache, aucun de ceux-ci n'est vendu dans les stands à l'intérieur du Stade de France – expérience oblige. Pour l'anecdote, il se raconte que Joe Hahn, le DJ de Linkin Park, s'est rendu plusieurs fois à la boutique... sans être reconnu. Un phénomène similaire s'est même produit avant le début de leur concert, aux abords de la fosse. Le stade était plein, mais qui regardait vraiment la scène ?

Setlist :
- Somewhere I Belong
- Crawling
- Up from the Bottom
- Lying from You
- The Emptiness Machine
- The Catalyst
- Burn It Down
- Stained
- Where'd You Go (Fort Minor Cover)
- Waiting for the End
- Castle of Glass
- Two Faced
- When They Come for Me / Remember the Name
- Casualty
- One Step Closer (ft. Taka from One Ok Rock)
- Lost
- Over Each Over
- What I've Done
- Overflow
- Immigrant Song (Led Zeppelin Cover)
- Numb
- In the End
- Faint
- Papercut
- A Place for My Head
- Heavy Is the Crown
- Bleed It Out