"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Quand …And Oceans a annoncé que The Regeneration Itinerary serait son « album le plus expérimental depuis son comeback » et une « synthèse de tout son back-catalogue », quand « Inertiae » a servi de premier single aux accents assez électro, certains vieux de la vieille comme moi se sont mis à rêver. Et si …And Oceans reprenait un nouveau cycle, et après avoir livré deux albums de black sympho dans la lignée de ses deux premiers albums The Dynamic Gallery of Thoughts (1998) et The Symmetry of I – The Circle of O (1999), il allait donc oser refaire l’électro-black flamboyant de A.M. G.O.D. (2001) et ses tubes à la « Tears Have No Name » ? Bon, non, il n’ira pas jusque là. Il faut dire qu’un album comme A.M. G.O.D. se situait bien dans l’air du temps du début des années 2000, ses envies d’expérimentation sur base de metal extrême scandinave qui allaient nous donner des étiquettes incongrues dans le catalogue d’Holy Records type « eerie cyber black », dans le sillage de The Kovenant et consorts. Et je ne sais comment un tel album serait accueilli aujourd’hui à vrai dire, on utiliserait probablement des adjectifs très en vogue comme « éclaté » ou « gênant ». Donc non, …And Oceans ne va pas refaire du black électro, mais va plutôt se placer dans la lignée de As in Gardens, So in Tombs (2023) et son black « à synthés » traditionnel mais remis au goût du jour. Si j’avais trouvé que Cosmic World Mother (2020) restait quelques crans au-dessus – et bénéficiait de l’effet de surprise et « grand retour d’un culte des années 90-2000 », …And Oceans avait toujours le mérite de continuer d’exister dans une scène black sympho peu florissante de nos jours. The Regeneration Itinerary, c’est donc un peu « on prend les mêmes et on recommence »… mais de manière un peu différente cette fois ?
L’album le plus expérimental depuis leur retour ? Oui, factuellement et relativement car …And Oceans va travailler un peu plus quelques sonorités pour regagner en singularité, sans réinventer ce qu’il avait fait depuis Cosmic World Mother et, donc, sans aller jusqu’à refaire du A.M. G.O.D. (bon, là, on s’est définitivement fait à l’idée). Le fonds de commerce reste donc un black metal assez frénétique mais pas mal mélodique, constamment relevé par des synthés restant très années 90 dans l’esprit. Mais paradoxalement, et alors qu’on pouvait penser qu’il allait faire un pas vers la modernité, …And Oceans opte ici pour une production encore plus roots que celle de As in Gardens, So in Tombs, ce qu’on constate dès les premiers riffs et blasts de « Inertiae » et encore plus dès la globalité de « Förnyelse i tre akter ». C’est un choix audacieux, et étonnamment on s’y fait très vite, car le groupe semble affirmer et assumer ce côté plus organique, bien loin du touché blockbuster de la moyenne du black sympho. L’expérimentation ? Elle se retrouvera donc dans l’incursion de quelques sonorités plus électroniques, même s’il faut avouer d’emblée que ce qui sera le plus marquant de ce côté se trouvera sur… « Inertiae », premier single dévoilé et premier morceau de l’album, avec ce break très particulier. Du reste, on trouvera donc ici et là quelques courts passages électroniques (« Chromium Lungs, Bronze Optics », « The Fire in Which We Burn »…), mais rien qui ne sera réellement remarquable ou qui sortira des sentiers battus. Si ce n’est ce break 8-bit assez inattendu au sein de « The Form and the Formless »… Pour le reste, et finalement pour la majorité de The Regeneration Itinerary, c’est le black metal salvateur de Cosmic World Mother et As in Gardens, So in Tombs qui prédomine, avec bon nombre de compos classiques et typiques (« Förnyelse i tre akter », « Chromium Lungs, Bronze Optics », « Prophetical Mercury Implement », « I Am Coin, I Am Two », « Towards the Absence of Light »…).
Rien à signaler donc ? …And Oceans se permet toutefois d’un peu dévier de sa ligne, à l’occasion notamment d’un « The Ways of Sulphur » qui est de loin le morceau le plus intéressant et innovant de The Regeneration Itinerary, avec son rythme plus sautillant et ses synthés plus originaux, quand bien même on pensera carrément avoir affaire à… du Finntroll, l’autre groupe du chanteur Mathias Lillmåns donc. A noter que le bonus-track « The Discord Static » retentera l’expérience avec même un touché plus électro. Entre-temps, c’est surtout du …And Oceans qui dévie légèrement de ses deux derniers albums, mais sans grand plus. Cependant, The Regeneration Itinerary m’a immédiatement apparu comme plus efficace et inspiré que son prédécesseur, avec des morceaux bien mordants comme « Förnyelse i tre akter », « The Fire in Which We Burn », « I Am Coin, I Am Two » ou encore « Towards the Absence of Light » et même le sympathique bonus « Copper Blood, Titanium Scars ». …And Oceans remet même un coup d’epicness ici et là (« Förnyelse i tre akter », « Chromium Lungs, Bronze Optics ») et Mathias Lillmåns en profite pour vraiment se lâcher par moments. Certes, il y aura encore un peu de déchet (le confus « The Form and the Formless », le réchauffé « Prophetical Mercury Implement », le final un peu vain qu’est « The Terminal Filter »), mais The Regeneration Itinerary relève pas mal As in Gardens, So in Tombs qui n’avait jamais réussi à me transporter passés les deux excellents premiers morceaux. Suffisant pour se ranger derrière Cosmic World Mother et surtout, pour porter assez haut la parole du black « sympho » genre qui demeurait assez moribond ou kitsch ces dernières années. Comme album « expérimental » - sachant qu'en réalité les Finlandais « expérimentent » depuis leurs débuts... - on pouvait s’attendre à plus, mais …And Oceans s’ouvre de nouvelles voies pour le futur, qui vont peut-être le mener effectivement vers un nouveau cycle à la A.M. G.O.D./Cypher mais probablement d’une manière très différente et plus black-metal terre-à-terre… on verra bien si The Regeneration Itinerary sera un album de transition, en attendant c’est un album plutôt passionnant et efficace de la part d’un groupe qui garde ses propres codes, et porte haut l’envie de personnalité d’une partie de la scène extrême et ce depuis les années 90…
Tracklist de The Regeneration Itinerary :
1. Inertiae (4:30)
2. Förnyelse i tre akter (5:07)
3. Chromium Lungs, Bronze Optics (4:29)
4. The Form and the Formless (3:32)
5. Prophetical Mercury Implement (6:57)
6. The Fire in Which We Burn (3:04)
7. The Ways of Sulphur (4:17)
8. I Am Coin, I Am Two (4:25)
9. Towards the Absence of Light (4:49)
10. The Terminal Filter (5:22)
11. Copper Blood, Titanium Scars (bonus) (4:14)
12. The Discord Static (bonus) (3:35)
