
Why not ?
Etre un groupe de progressif, quel que soit le sous-genre, c'est un risque permanent. On cherche à surprendre ou désarçonner l'auditeur en expérimentant ; c'est l'ADN du genre. C'est encore plus valable quand on insère dans sa musique des éléments originaux comme du saxophone et que cela devient presque une marque de fabrique. Rivers Of Nihil rentre parfaitement dans cette catégorie, que ce soit visuellement ou musicalement : on ne sait jamais à quoi s'attendre avec eux. Les Américains avaient d'ailleurs marqué les esprits avec Where Owls Know My Name, leur très original troisième album qui les a fait sortir de l'ombre. L'album suivant de 2021, The Work, a amené les fans et les curieux à se poser des questions sur leur style, et il aura fallu du temps et de la patience pour rentrer dans le travail de Rivers Of Nihil et s'en emparer. Alors les revoilà en 2025, avec un album éponyme et de quoi remettre nos cerveaux en ébullition.
Le premier élément reconnaissable, c'est l'artwork. On verse dans un imaginaire qui met au centre, soit des personnages monstrueux, soit des paysages sortis d'un conte fantastique et effrayant. Ici, cette créature pleine d'yeux semble sortie d'une page d'un livre maudit mais sacré, avec ces éléments ésotériques sur le côté. C'est captivant, et chaque album se drape d'une teinte différente ; ici ce sera jaune / or et noir, renforçant l'idée d'une divinité à la Lovecraft qui observe le monde et le juge. Il n'y a pas vraiment de lien explicite avec les paroles de l'album, mais il complète la galerie déjà fort attirante des covers de Rivers Of Nihil.
Si on prend l'album à l'envers, la conclusion de l'album est loin des canons du genre qui terminent souvent par un titre épique (il n'y en a aucun ici) : « Rivers of Nihil » est une courte traversée de leur façon de penser : un début très calme et mélodique, puis un mur de guitares sans violence, comme une éruption de distorsion qui viendrait comme une tempête après le calme. Puis sans break, sans solo, sans fioriture tout retombe. On n'a pas fini de se faire surprendre.
Et en effet, les éléments qui font de Rivers Of Nihil un groupe à part sont légions, surtout dans cet album. Le premier exemple qui vient en tête est la douce intro électro du monument « Water & Time », single de cet album qui est une pépite d'ingéniosité, de mélodies, de pointes techniques. Et que dire du délicieux saxo qui nous ancre dans un crescendo de cinq minutes duquel on ne peut se détacher ? Et si on enchaîne avec « American Death », on atterrit à des kilomètres, avec un son âpre, des riffs qui n'ont plus rien de mélodique jusqu'au refrain, qui vient sucrer un peu le morceau. Mais ça ne dure pas, on repart dans un maelström après le refrain avec des sons de claviers dissonants. Ces deux titres sont représentatifs des univers que les Américains explorent sur cet album, porté notamment par les deux chants. Le chant clair, qui ouvre l'album sur « Sub-Orbital Blues », morceau déroutant par son ambiance presque légère, se mêle aux growls qui sont parfois modifiés, comme sur « The Logical End » pour appuyer l'intention du morceau. Pour finir ce tableau du panorama peint par Rivers Of Nihil, écoutez « House Of Light », où se mêlent des parties de saxo, un refrain écrasant au chant clair, du shred, et une ambiance poussée par des sons électroniques. On est à la fois complètement pris par le morceau et bercé par cette façon de composer qui appartient aux Américains. Déroutant et passionnant.
Alors vous aurez compris que je n'ai aucun problème à tresser des lauriers à Rivers Of Nihil, qui sort un album qui porte la marque personnelle de son créateur. On pourrait en décortiquer chaque minute sans pour autant perdre la plaisir de l'écoute. Le groupe a su proposer une suite qui s'inscrit parfaitement dans la méthodologie du progressif : reprendre des éléments reconnaissables de leur musique et en apporter des variantes et des variations. On se prend au jeu et on se laisse porter par cet univers vaste et parfois tellement surprenant - jusqu'à confiner au hardcore sur la fin de « Evidence » ! Impossible de passer à côté de cette sortie qui embellit une année déjà bien riche.
Tracklist :
1. The Sub-Orbital Blues
2. Dustman
3. Criminals
4. Despair Church
5. Water & Time
6. House of Light
7. Evidence
8. American Death
9. The Logical End
10. Rivers of Nihil