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Album

13 octobre 2020 - Raton

Touché Amoré

Lament

LabelEpitaph
stylePost-hardcore / Screamo
formatAlbum
paysUSA
sortieoctobre 2020
La note de
Raton
7.5/10


Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

Mine de rien, "Stage Four" remonte déjà à 2016 et ce n'est pas le réenregistrement de "…To the Beat of a Dead Horse" pour ses 10 ans sous le nom de "Dead Horse X" qui aura satisfait l'attente des fans de Touché Amoré. Attente fébrile renforcée par le fait que "Stage Four" atteignait un point d'équilibre encore inédit dans la carrière du groupe.
J'avoue volontiers être du genre à préférer la première période du groupe, à l'époque où il était davantage ancré dans la scène screamo. Les deux albums intermédiaires, "Parting the Sea Between Brightness and Me" et "Is Survived By", me parlent bien moins, perdus dans une recette plus accessible avec un post-hardcore mélodique moins incendiaire et urgent que ce qui faisait la sève du premier disque. Mais voilà qu'en 2016, "Stage Four" a débarqué et m'a donné tort en chevillant avec force les deux composantes de la musique des Californiens, avec des lignes vocales mélodiques instantanément cultes et une fureur adolescente débridée.

Et force est de constater que le groupe a poursuivi dans cette exacte démarche avec "Lament". Rien que les premiers morceaux donnent le ton avec une prédominance accordée au chant saturé, viscéral et poignant de Jeremy Bolm, sans jamais oublier une section rythmique galopante et des riffs mélodiques lumineux. Dualité habilement explorée sur le morceau "Feign" ou sur "Savoring" où la batterie s'accorde un blast beat avant de laisser la guitare tricoter des arpèges éclatants.

Il est d'ailleurs assez surprenant, considérant qu'il s'agit du cinquième album de Touché Amoré et que les membres approchent maintenant de la quarantaine, que "Lament" soit probablement le disque le plus adolescent de leur discographie. "Limelight" en est un excellent exemple en revenant directement à l'âge d'or du post-hardcore plaintif à la Pianos Become the Teeth ou (évidemment) La Dispute. En plus d'être probablement le meilleur titre de l'album - avec notamment sa parfaite variation mélodique sur "If we hear a crash / We can only expect the worst" -, c'est également celui qui explore le plus la thématique opposée à ce que je vous expose. Alors que l'énergie est clairement nostalgique et juvénile, le refrain évoque la fatigue et la routine qui s'installe dans un quotidien "I'm tired and I'm sore / I'm not so young anymore / Worn down, but I imagine / This uniform stays in fashion". La musique répète les mêmes accords qui ont fait leur grâce pendant que la voix constate, pleine de lassitude, que malgré l'usure et l'habitude, la recette est toujours d'actualité. Résignation qui s'insuffle encore davantage au second refrain "Worn down, but I've decided / It's open casket you're all invited" où ce qui réunissait autrefois continuera à réunir malgré la mort de l'inédit et que quitte à renoncer, autant le faire dans la liesse. Évidemment, cette chanson n'est pas aussi explicitement méta, mais j'ai du mal à ne pas y voir une parabole sur le succès et les affres de la composition pour un groupe qui est au premier plan de la scène depuis déjà 10 ans.

Quoiqu'il en soit, il y a quelque chose d'éminemment crépusculaire dans "Lament" et qui se perçoit en creux. "A Broadcast", le titre le plus amer, prolonge ces thématiques d'individu sur le départ, qui a fait son temps et qui doit céder la place à une nouvelle parole plus juste et adaptée : "But even with this silence / My voice can be misheard" puis "The sooner my senses leave / The burden I have will go / And the golden boy can be / Paraded down below / … and down, I’ll go". Le thème se fait omniprésent, que ce soit avec "Deflector" et son expression au passé ; ou avec le titre éponyme qui ressasse cette peur de ne plus être à la page et de n'avoir pas appris de ses erreurs "You’d think by now I’d know my place / But I lose it almost every day / You’d think by now I’d have a grip / But again I’ve let it slip".

Pourtant si je peux tirer une seule conclusion hâtive des écoutes de "Lament", c'est que Touché Amoré n'a perdu ni son mordant, ni la touchante rugosité qui l'a confirmé comme la tête d'affiche du revival screamo. La déception, l'addiction et la lassitude ont beau s'enchaîner dans un tourbillon d'urgence et de frustration, le groupe livre encore un album dense et profond, aux multiples lectures et à la passion communicante. Pour tout ça, cette lamentation en onze titres est loin d'être caduque et ses paroles ne sont toujours pas dépassées; elle devient au contraire un cri de douleur utile, une nécessaire élégie.

 

Tracklist :

1. Come Heroine (2:50)
2. Lament (3:20)
3. Feign (2:46)
4. Reminders (3:03) 
5. Limelight (5:02)
6. Exit Row (2:16) 
7. Savoring (2:56)
8. A Broadcast (3:01)
9. I'll Be Your Host (3:27)
10. Deflector (3:31)
11. A Forecast (3:38)

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