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vendredi 23 février 2018

Amenra + Boris @ Lille

L'Aéronef - Lille

Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Cinq mois après leur annulation surprise au Tyrant Fest qui en avait déçu plus d’un, le retour de Amenra dans le Nord n’allait surement pas tomber aux oubliettes. D’autant plus que les Courtraisiens sont accompagnés par le déroutant trio japonais Boris. Une affiche assez prestigieuse et même si la salle de l'Aéronef à Lille n’affiche pas complet ce mercredi soir, le public est nombreux pour cette unique date de tournée sur le sol français.
 

BORIS

Nostalmaniac : Voilà plus de vingt-cinq ans que le trio japonais expérimente, explore et se joue des étiquettes en touchant à une flopée de styles différents : rock psychédélique, punk, sludge, doom metal, drone, noise, shoegaze, ambient et même de la pop. De véritables chimistes de la musique ; à travers leur longue discographie, Boris s’est incontestablement forgé une identité forte et a j'en suis sûr contribué à faire sortir de leur zone de confort musical beaucoup d'entre nous. Ce n'est pas mon cas mais je peux m'amuser à imaginer l'effet qu'aurait eu sur moi plus jeune des  albums comme « Amplifier Worship » ou « Flood ». Sans doute de l'ambivalence ; du rejet et de la fascination. D'autres groupes ébranleront mes dogmes musicaux...

En tout cas, et étant de plus en plus amateur de musiques expérimentales, je ne pouvais pas manquer le rendez-vous sans trop savoir à quoi m'attendre non plus. 

Sur scène, Boris est un monstre de curiosité à trois têtes qui va défendre son dernier long format,  « Dear », et une facette plus Doom/Drone pendant plus d'une heure. Coté scéno, en plus des amplis tous estampillés Orange, les jeux de lumières et la fumée nous plongent un peu plus dans la lenteur des riffs tandis que la folie du batteur/chanteur Atsuo Mizuno contraste et m'embarque dans un set bouillonnant. Il faut dire que le trio arrive parfaitement à installer une ambiance lourde et monolithique dans laquelle des passages aériens et éthérés viennent se greffer ; mais c'est surtout la voix claire de Takeshi Ohtani (qui se distingue avec sa basse-guitare) qui me file des frissons, donnant à chaque fois qu'elle surgit l'impression d'un bout de lumière dans une mer de nuages gris. 

Le trio va aussi montrer une facette plus stoner (et sans doute plus accessible) avec "Absolutego" finement exécuté, mais ce sont vraiment  les morceaux les plus drone et aériens qui me captivent et l'intensité qui s'en dégage. La guitariste Mizuno "Wata" Yoko n'est pas en reste, elle qu'on verra aussi jouer sur une sorte d'accordéon. L'utilisation de divers instruments donnent des sonorités intéressantes, comme le gros gong ou les cymbales entrechoquées par Atsuo, toujours aussi dément derrière ses fûts. Une certain démence qui se traduit par son chant clair un peu faux mais qui apporte encore plus de théâtralité et une vraie touche de folie mais aussi d'émotion à l'ensemble. On a vraiment l'impression d'avoir un orchestre en face plutôt qu'un simple trio.

Lourd, monolithique parfois déroutant, doux ou déprimant mais surtout captivant,  cette version live de « Dear » m'a vraiment impressionné. Il y a quelques années, un concert comme celui-ci m’aurait sûrement laissé froid mais la musique de Boris a vraiment un lourd impact si on se laisse embarquer et leur capacité à installer une ambiance aussi pesante pour exploser ou surprendre au bon moment est bluffante. 

AMENRA

Florent : Comme vous l'avez sûrement déjà remarqué si vous êtes des lecteurs assidus, il y a au sein de la rédaction de Horns Up un culte voué à la Chuch Of Ra, et plus particulièrement à son groupe phare Amenra, qui égale presque celui voué à PNL. Blague à part, après avoir été longtemps hermétique (et un concert à Dour dans une ambiance en total décalage avec la musique du groupe n'a pas aidé), j'y suis moi-même venu via le magnifique Mass VI sorti l'an passé : impossible de rester insensible à l'univers des Courtraisiens et à la voix écorchée de Colin Van Eeckhout. 
Restait à corriger le tir en live pour ma part, ce qui me pousse à accompagner le grand gourou de la cellule Horns Up of Ra, ce cher Nostalmaniac, direction Lille. Quitte à me taper un concert de Boris aux allures de purge interminable. 

Mais voilà que Boden commence et que dire, que dire ? Que j'ai tout compris. Dire que j'ai vu la lumière serait sans doute inexact : au contraire, elle s'est éteinte cette fois, ce qui n'avait pas été le cas à Dour. Les riffs me mettent à genoux, la voix de Colin arrive accompagnée de frissons ; Plus Près de Toi, désespéré, désespérant, est un des moments live les plus intenses que j'ai pu connaître.
Contrairement à beaucoup, les projections vidéos en arrière-plan me laissent indifférent, c'est à peine si je les remarque. Une constante chez moi : totalement insensible aux univers visuels et vidéographiques des groupes, seule m'importe l'émotion dégagée par la musique. Et elle est bien là : la sensation de couler, de sombrer en voyant la surface de l'eau s'éloigner - et d'aimer ça - m'étreint par moments. J'en viens à penser que les applaudissement et les vivats qui surgissent entre chaque chanson n'ont pas lieu d'être, qu'ils sont inappropriés.

Difficile, pourtant, de ne pas être admiratif devant cet enchaînement Children of the Eye / Nowena 9.10 absolument ultime, ce dernier titre étant le point d'orgue du set même si la voix de Levy n'amène pas la même intensité que celle de Scott Kelly sur album. Am Kreuz est le seul "tube" rescapé en l'absence de titres que j'aurais aimé entendre, comme The Pain. It is Shapeless ou Aorte, sans parler de A Solitary Reign dont la disparition des radars me chagrine un peu. 
Mais l'expérience reste incroyable. Amenra m'est longtemps passé à côté, ou moi à côté d'Amenra, et je ne serai probablement jamais le fidèle le plus acharné de la Church Of Ra. Mais ce mercredi, dans une Aeronef au son d'aussi bonne qualité que dans mes souvenirs (2013 et un concert de Volbeat à l'ambiance toute autre...), Amenra m'a converti.

Nostalmaniac : Croyez-le ou non mais je ne me lasse pas de revoir Amenra ! C'est même devenu un besoin tant le groupe arrive si bien à retranscrire musicalement les émotions et les sentiments humains. C'est ce que j'expliquais déjà dans mon précédent report parisien.

Comme je pouvais m'y attendre, la setlist sera quasi-identique à celle de Paris un mois auparavant avec juste "Thurifer" qui remplace "Aorte", mais toujours pas de "A Solitary Reign". En réfléchissant, et c'est mon hypothèse, le groupe n'a pas envie d'être prisonnier de ce qui apparait comme le "tube" du dernier album et aller voir Amenra pour un morceau phare c'est oublier ce que sont les forces du groupe en live : l'immersion et l'intensité. Pas de collectionner les tubes. Difficile donc de reprocher à Amenra de ne pas capitaliser sur un "tube", surtout avec une discographie aussi riche. Si ce morceau est une porte d'entrée pour beaucoup, c'est tant mieux mais il ne faudrait pas qu'il éclipse leur univers propre qu'ils construisent depuis 1999. Le combo belge est soucieux des petits détails et gère chaque aspect voulant de la meilleure manière possible offrir un mur de son et d'images à son public.

Par contre, je suis plus sceptique sur une longue tournée et l'enchaînement des dates. Ca s'entend dans la voix déjà écorchée de Colin qui est plus grave que d'habitude et qui perd de ses subtilités. Pas de quoi entacher non plus leur performance qui me fera plus d'effet qu'à Paris grâce à un son encore meilleur. Disons simplement que je suis plus perplexe face à un public de plus en plus élargi, et pas forcément connaisseur, qui ne peut s'empêcher de parler comme ce sera le cas ce soir pendant les transitions - on atteindra même un niveau de gêne absolu au démarrage de "Diaken" où quelques personnes s'insultent dans le public. Pas de quoi raviver ce douloureux souvenir du pogo à Dour l'an dernier non plus mais un public random peut gâcher un live...

Amenra reste l'un des meilleurs groupes tous genres confondus que j'ai pu voir en live. Il y a une telle intensité et une telle puissance qui se dégagent, sans que ce ne soit jamais la même chose à chaque fois et c'est bien ce qui me fait revenir. C'est comme pendant 1h30 ne plus toucher terre et se retrouver dans les paysages  de désolation et de nature projetés. La facette live d'Amenra est vraiment importante, et même primordiale je crois. Elle donne une dimension supplémentaire à des morceaux qui peuvent toucher profondément chacun de nous (surtout "Am Kreuz" pour ma part). On peut y rattacher des événements douloureux et en quelque sorte les exorciser. La dualité n'est donc pas qu'au coeur du dernier album mais de l'univers d'Amenra qui est à nu en concert.

Et puis il y a cette authenticité qui malgré le succès demeure toujours. J'en veux pour preuve Colin qui se montrera très disponible au stand merch, n'hésitant pas à parler avec chaque personne et se remémorant avec certains des souvenirs comme un concert du groupe à Lille, au Select (devenu le Midland) en 2009 où il s'est griffé à sang... et qui finira en discothèque pour le groupe. L'authenticité, c'est aussi ce qui fait Amenra

Setlist:

Boden
Plus Près De Toi (Closer To You)
Razoreater
Children Of The Eye
Nowena | 9.10
Thurifer
Terziele
Am Kreuz
Diaken

 

Merci à L'Aéronef et Kongfuzi Booking