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Album

17 janvier 2016 - Paul

Thor

Only the Strong

LabelViper Records
styleHeavy Metal
formatAlbum
paysCanada
sortiejanvier 1985
La note de
Paul
7/10


Paul

Je ne vais pas m'étendre ici sur la carrière rocambolesque de Jon Mikl Thor, l'un des plus illustres losers magnifiques de l'histoire du Heavy Metal. Le biopic I Am Thor sorti l'année dernière vous apprendra tout ce que vous voudrez savoir sur la vie du showman canadien. Et ce ne sont ni les pages internet dédiées ni les vidéos d'archive qui manquent à son sujet.

Only the Strong, sorti en 1985, est unanimement reconnu par la critique et les fans comme l'album-phare de l'immense discographie (par ailleurs parfaitement inintéressante) de Thor et représente donc la meilleure porte d'entrée dans la musique du groupe mené d'une main de fer par notre bodybuilder-cascadeur favori. Une sorte de pépite underground à la saveur rétro aigre-douce d'un nanar de série B des eighties.

En ce sens, l'introduction narrée cheap à souhait annonce bien la couleur :

« Out of the murky crimson twilight
Far beyond the perimeters of what was called civilization
Lies an ancient city of ruins
Where mutation thrives and demons roam
The city of the deranged, the grotesque and of demigods
In this year 2045
Where only the strong shall survive! »

Difficile d'écrire plus bas de gamme que ce pitch SF post-apocalyptique rudimentaire. En bon nihilisto-cynique enfant de son époque malade on se prépare au pire, tout en étant empli d'une délectation coupable.

Démarre alors en trombe le morceau-titre et... Il y a manifestement quelque chose qui cloche. Il faut dire que Jean-Michel Thor maîtrise comme personne l'art du non-chant.
Mais qu'est-ce donc que ceci (me demanderez-vous en bons fans de Pierre Aucaigne) ? Eh bien, commencez par extirper de votre coffre vocal avec beaucoup de puissance une note aiguë aléatoire en espérant qu'elle rentre dans le cadre harmonique du morceau. Si ce n'est pas le cas (cela arrive hélas la plupart du temps), continuez en superposant les voix et en en empilant ad nauseam les effets en postproduction, puis finissez par intégrer à la truelle des leaks de guitare démoniaques à la trame musicale de fond...
En un mot : tentez en vain de noyer le poisson. Ou de cacher l'éléphant dans la pièce. Une image avec des animaux quoi.
Résultats : malgré les nombreux efforts déployés en studio pour tenter de nous faire oublier que Thor a un niveau de chant tout au plus abyssal, les fausses notes qu'émet son organe gonflé nous arrachent la gueule pendant près de 40 minutes. Et du coup, la production inutilement surchargée se met également à agoniser dans la saturation la plus criarde par moments (à la fin de « Let the Blood Run Red » ou de « Ride of the Chariots »). C'est donc à une authentique fête à la saucisse métallique que nous convie Only the Strong.

En effet, Thor fait n'importe quoi avec sa voix tout au long de l'album et inscrit ainsi sa performance unique dans les annales du répertoire tragi-comique contemporain. Laissez-vous convaincre en écourant les petits glapissements aigus qu'il pousse sur la fin de « Let the Blood Run Red ». Vous pouvez aussi bien vous essayer à un exercice intéressant : chantonnez là tout de suite, de mémoire, les refrains marquants de l'album. Vous constaterez en toute bonne foi à quel point il est difficile de trouver les bonnes hauteurs (un peu comme pour le générique de Questions pour un champion). Pro tip : c'est parce qu'il n'existe rien de tel dans le monde de Thor, où seul Thor est à la hauteur.

« I throw them on the tracks
I rub their faces in cement »

Heureusement qu'il y a Steve Price ! Dès le départ, on comprend que Thor a à ses côtés un grand guitariste qui va lui sauver la mise à de nombreuses reprises. C'est bien simple : tout l'album repose sur les épaules de Price, qui est le seul membre du groupe à insuffler un peu de vie aux compositions, le duo basse/batterie étant dénué de tout éclat jusqu'à l'arrivée d'un « When Gods Collide » qui réchauffe (enfin !) un peu l'atmosphère. On passe d'ailleurs son temps à se demander ce qu'un virtuose de sa trempe fait là. Très doué en improvisation, il lui arrive rarement de jouer deux fois un riff à l'identique sur cet album.

Tous les morceaux se ressemblent au niveau de la structure : trois riffs pauvrets se battent en duel (ha !) lors des introductions, couplets et refrains, puis un bon solo de guitare vient couronner le règne du manque total d'imagination et c'est dans la boîte. Brute de paume. Cependant, je concède volontiers au lecteur le fait que cette frange « bas du front » (pun intended) du Heavy Metal produit lors de l'âge d'or des années 80 possède un charme simplet assez irrésistible.

Et c'est là toute la magie de cet album. Cheesy comme pas deux avec ses bruitages ringards (sur « Thunder on the Tundra » par exemple) et son lot de fillers nuls à chier (« Now Comes the Storm » et surtout « Hot Flames »), on ne peut pourtant s'empêcher d'y revenir régulièrement. « Only the Strong » est un album easy listening aussi divertissant qu'un remake italien petit budget de Conan le Barbare : une fois notre âme d'enfant dépoussiérée, on se laisse prendre au jeu et l'on se demande ce qu'il va bien pouvoir se passer... Le temps passe vite à l'écoute de ce monument de naïveté devenu culte au fil du temps et il va sans dire qu'un fan de Heavy Metal digne de ce nom se doit de l'avoir écouté avec attention au moins une fois dans sa vie. De plus, il est vrai que l'album connaît un climax de grande qualité avec la triplette hymnique « Let the Blood Run Red » / « When Gods Collide » / « Rock The City » qui vaut vraiment le détour.

« I want to be an icon
I gotta have it all »

C'est une belle leçon de vie que nous enseigne Thor, car c'est avant tout l'échec cuisant qu'il a connu par le passé (lui qui ambitionnait de percer dans le milieu du show business) qui a contribué à sa consécration actuelle. Le phénix renaît de ses cendres grâce au soutien indéfectible de ses fans des quatre coins du monde. Que ce soit en studio (son dernier album Metal Avenger vient tout juste de sortir), en live (et notamment sur la scène principale du festival Muskelrock, son fief suédois) ou sur grand écran (le biopic I Am Thor a été très bien accueilli par la critique internationale), le grand Thor est aujourd'hui plus fort que jamais, après près de quarante ans de déboires fantastiques. L'occasion de saluer sa dévotion sans pareille envers la scène Metal. Hail Thor!
 


Tracklist

1. 2045
2. Only the Strong
3. Start Raising Hell
4. Knock 'Em Down
5. Let the Blood Run Red
6. When Gods Collide
7. Rock the City
8. Now Comes the Storm
9. Thunder on the Tundra
10. Hot Flames
11. Ride of the Chariots