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Album

30 janvier 2015 - Paul

Blazon Stone

Return To Port Royal

LabelStormspell Records
styleHeavy Speed / Power Metal
formatAlbum
paysSuède
sortieseptembre 2013
La note de
Paul
8.5/10


Paul

« Born free we're still sailing the seven stormy seas
No one will force us to our knees »

« Blazon Stone »... Un nom qui fait toujours frémir, 23 ans après la sortie du fameux album des pirates allemands de Running Wild. « Blazon Stone », « Lonewolf », « Little Big Horn », « White Masque »... Autant de pépites musicales qui, en 1991, contribuèrent à donner la définition d'un Heavy/Speed germanique d'une puissance et d'une noblesse singulières.

Unique, du moins ce savoir-faire l'était-il jusqu'en l'année 2013, quand prit la mer le vaisseau Blazon Stone, projet suédois éponyme, armé d'un redoutable album intitulé « Return To Port Royal ».

Ced (de son vrai nom Cederick Forsberg), jeune musicien prodige de 25 ans (qui dirige alors d'une main de fer pas moins de cinq groupes orientés Heavy/Speed/Thrash différents (!)), l'écrit de A à Z et joue guitares, basse et batterie. Il s'adjoint les services d'Erik Nordkvist, chanteur du groupe suédois Assaultery, qui le rejoint en studio afin d'enregistrer les voix. De cette alliance de forces naît l'exceptionnel « Return To Port Royal ».

Le titre et la pochette de l'album annoncent la destination du navire : toutes voiles dehors, le cap est mis sur Port Royal (la jamaïcaine, pas la française !), inénarrable cité des pirates où, en 1988, le capitaine Kasparek perça une fois pour toutes les arcanes de la flibuste métallique. Ced, adepte nostalgique de la musique de Rock 'n' Rolf initié aux secrets de composition du maître, compte ainsi reprendre à bras-le-corps le grand œuvre de ce dernier là où il l'a laissé, un peu malgré lui (en gros, après « The Rivalry » de 1998). Et, le moins que l'on puisse dire (une fois évacué le débat stérile portant sur la pertinence (l'impertinence ?) d'un tel hommage...), c'est qu'il relève ce défi de taille haut la main. À tel point que même les fans les plus exclusifs de Running Wild ne peuvent que s'incliner devant le travail de fond effectué par ce jeune fils du Nord.

« - Hey, where am I ?

...
- You want to know where you are ? Ha ha ha ! In Port Royal ! »

« Return To Port Royal » est donc sorti en septembre 2013 sur le petit label américain orienté revival old-school Stormspell Records (qui a eu le nez fin en signant dès 2011, avec le premier album de Rocka Rollas, « The War of Steel Has Begun », tous les cinq projets de Ced). Il contient 9 titres pour près de 50 minutes de musique, ce qui est plus qu'honorable étant donnée la densité des morceaux.

Comment dire à quel point cet album est jouissif ? Pour ceux qui écoutaient les classiques de Running Wild avec adoration en se désolant du tour que prenaient les événements depuis une quinzaine d'années (ce n'allait pas être l'album « Resilient », sorti dans la foulée en octobre 2013, qui leur redonnerait le sourire...), il n'était pas même envisageable qu'un jeune mousse ait les dons nécessaires pour reprendre le flambeau et se mettre à forger le métal comme seul le capitaine Rock 'n' Rolf sut le faire à la grande époque. L'« affaire » Running Wild semblait donc classée : c'était mieux avant et rien ne serait plus jamais pareil. C'est sur cette trame de fond catastrophique que Blazon Stone a créé la surprise avec « Return To Port Royal ».

Pour faire simple, nul n'avait plus entendu de riffs "running-wildesques" aussi survoltés depuis la décennie 1988-1998, bénie pour Running Wild, véritable âge d'or de la piraterie durant lequel Rock 'n' Rolf sortit sept des plus grands albums du groupe et marqua ainsi de son empreinte l'histoire du Heavy Metal. En 2013, l'élève Blazon Stone s'affirmait donc comme étant plus foncièrement « Running Wild » que le maître Running Wild lui-même. Un comble, historiquement sans précédent.
 


La magie opère dès l'introduction de l'album, intitulée « Black Chest Inn » en référence à l'auberge de la main noire bien connue des fans. Chez Running Wild, l'introduction, moment musical très codifié, était conçue comme le lieu privilégié de mise en condition de l'auditeur : une succincte invitation au voyage allant le plus souvent crescendo, introspective et immersive. Ont été retenues de ces introductions certaines mélodies de légende, telles que celles de « Chamber of Lies », « The Curse », ou encore « March of the Final Battle (The End of All Evil) ». Pensez à la majesté avec laquelle l'air de « Chamber of Lies », repris en chœur par des dizaines de milliers d'aspirants boucaniers, a ouvert ce qui était censé être l'ultime concert du groupe lors de l'édition 2009 du Wacken Open Air (voir le DVD « The Final Jolly Roger » sorti en 2011). Ced, qui a parfaitement assimilé ces principes, rend d'emblée au Running Wild d'antan le plus beaux des hommages en livrant ce « Black Chest Inn » imparable, à la mélodie entêtante et au rythme haletant. Et ce n'est que le début.

Sur le morceau-titre, les canons sont de sortie : la double-pédale vient mettre le feu aux poudres et les guitares s'enflamment. Le trépidant riff principal prend l'auditeur aux tripes et l'aventure commence. Riche en péripéties, cette dernière ne connaîtra de dénouement qu'à la toute fin d'un album sans temps mort, avec la submersion du dernier accord de « The Tale of Vasa », long morceau conclusif de près de 9 minutes qui vient clôre cet album avec maestria (autre passage obligé pour le compositeur, lorsque l'on songe aux morceaux-fleuve exemplaires que sont « Calico Jack », « Battle of Waterloo », ou encore (et surtout !) l'immense « Treasure Island » (sans même parler de « Genesis »...)).

Ced semble invincible. Il connaît la réussite dans tout ce qu'il entreprend, si périlleux soient les exercices de style auxquels il s'essaie. De « Stand Your Line » (qui rappellera immanquablement « Bad To the Bone ») à « Wind In The Sails » (qui lui aussi sonne très « Death Or Glory »), le contrat est rempli : tous les éléments caractéristiques du style de Running Wild sont ici revisités avec succès. Il serait difficile de mettre des mots sur ce qui fait la singularité du style en question sans entrer dans une laborieuse description musicologique, aussi je m'en tiendrai à affirmer que c'est avant tout quelque chose qui se vit, à l'écoute des standards de Running Wild (et également, désormais, de ceux de Blazon Stone).

Hélas, il y a une ombre au tableau : la voix d'Erik Nordkvist, dont la performance laisse tristement à désirer. Ce marin d'eau douce ne chante pas toujours juste, que ce soit en termes de hauteur ou de rythme, à tel point que cela finit par devenir douloureux de l'entendre peiner dans un registre qui ne lui sied guère (certains réajustements artificiels peuvent d'ailleurs heurter l'oreille de l'auditeur attentif). Quand en prime ce qu'il doit chanter ne ressemble à rien (je pense aux refrains des morceaux « Amistad Rebellion » et « Wind In The Sails », pour le moins chaotiques), l'embarcation se met à tanguer dangereusement. Ajoutez à cela un traitement de la voix loin de la mettre en valeur, avec son flagrant manque d'équilibre et ses effets grossiers, et Ced se tire une balle dans le pied. Ses choix discutables de vocaliste et de postproduction font tâche dans l'ensemble. L'aisance vocale de Rolf Kasparek (qui n'était certes pas le plus grand chanteur de sa génération), ainsi que son grain de voix (inimitable, pour le coup) sont donc irrémédiablement absents de ce disque et l'empêchent par privation d'accéder aux sommets auxquels il était promis.

Il a été récemment annoncé que ce serait le Bulgarien Georgy Peichev qui remplacerait Nordkvist sur le second album de Blazon Stone, « No Sign of Glory », à paraître cet été. Une bonne nouvelle à nuancer, car il n'est pas certain que son chant, typé Power mélodique, soit ce qu'il faille à Blazon Stone pour confiner enfin à la perfection en matière de tribute band. À voir.

Malgré ce tempétueux problème de voix qu'il va lui falloir régler, Ced le Suédois a courageusement tenu la barre, et le navire Blazon Stone n'a pas fait naufrage, à la différence de son aîné le Vasa. Bien au contraire, son envergure et sa rutilance ont subjugué tout le monde.

Arrivés à bon port, compagnons loups de mer, profitons donc de cette occasion pour célébrer avec Blazon Stone une fois encore l'héritage musical inestimable que nous a légué Running Wild, une bouteille à la main.
Et que le vent frais de la liberté souffle à jamais sur nos visages.

« Sail with the sun, with the face in the wind as we're leaving the shoreline.
Glory and pride, like a fortress on the sea with the Swedish flag held high ! »

1. Black Chest Inn (Intro)
2. Return To Port Royal
3. Stand Your Line
4. Amistad Rebellion
5. High Treason
6. Curse Of The Ghost Ship
7. Blackbeard
8. Wind In The Sails
9. The Tale Of Vasa

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