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mardi 19 mars 2024

Enslaved + Svalbard + Wayfarer @ Paris

La Machine du Moulin Rouge - Paris

Circé

Nordiste du sud

Enslaved : 16 albums, 33 ans de carrière, et on ne compte plus les nombreux passages en France des Norvégiens. Étrange de se dire, donc, qu'ils ne sont au final plus venu à Paris depuis 2019. Covid oblige, l'album Utgard n'a pas eu sa tournée, et c'est donc pour promouvoir son successeur, Heimdal, que le groupe foulera une fois de plus la scène de la Machine. Mais plus qu'un concert d'Enslaved, c'est toute une affiche de haute qualité qui l'accompagne, avec le black/folk du Midwest de Wayfarer, et Svalbard, groupe qui n'a cessé de faire parler de lui dans les scènes aux noms en “post” et en “core”. S'il y a peu de concerts qui m'attirent vraiment en ce début d'année, celui-ci faisait définitivement partie des dates à ne pas manquer.

 

Wayfarer

 

American Gothic fut clairement une des sorties les plus marquantes fin 2023, peinture macabre d'un Colorado aride aux plaines désolées. Le groupe y appuie toujours plus ses sonorités folk/country au milieu de plans black metal mélodiques – le résultat en est un album plein de spleen, mais surtout extrêmement évocateur. J'avais donc bien hâte de voir ce que le groupe allait en faire sur scène – et je n'étais pas la seule, au vu du monde déjà bien présent dès l'ouverture des portes.

Une guitare acoustique braille l'intro de "Thousand Tombs of Western Promise". Directement, l'atmosphère s'alourdit, s'emplit de poussière et de rouille. Mais là, alors que le plan black metal du morceau débarque, c'est le drame : on n'entend pas les leads. Et pour un groupe qui repose autant sur ses mélodies, c'est tout de même un problème pour se laisser entraîner dans la musique. Le son deviendra un peu moins brouillon passé la moitié du set, mais les passages saturés continueront tout de même à souffrir d'un mauvais mix pour les guitares. Heureusement, cela n'impacte en rien les passages acoustiques, véritables cœur et âme de Wayfarer, et moyen par lequel les musiciens nous transportent au milieu de la rocaille étouffante de leur Midwest et son folklore macabre. Le set se finit en beauté sur une ambiance tamisée avec “False Constellation” son tempo écrasant, ses mélodies éraillées, son chant clair grave et enivrant. On ressent dans la musique, comme dans l'attitude et la communication du groupe, toute la signification personnelle que porte Wayfarer. Raconter leur terre, sa rudesse naturelle et son histoire sanglante. Si les problèmes de son gâcheront pas mal l'immersion, on a envie de continuer de se plonger dans leur discographie, et de les revoir dans de meilleures conditions.

 

Svalbard

 

Originaire de Bristol, Svalbard fait honneur à l'image bouillonnante et innovante des milieux artistiques de cette ville : thèmes engagés, mélanges de styles entre punk, hardcore mélodique ou même post-rock... Les britanniques se démarquent aussi avec une excellente présence scénique et un duo au chant, tout de même dominé par la charismatique Serena. J'avais vu le groupe une fois à l'Inferno en Norvège, sans vraiment les connaître, et dans des conditions pas vraiment au top. Pourtant, le concert m'avait laissé une belle impression que j'avais hâte de confirmer ce soir. Les Britanniques ont également sorti un nouvel album l'an dernier, The Way of the Mask, avec des thématiques plus personnelles et intimes que les sujets sociétaux très engagés sur lesquels ils se basaient précédemment.

Le groupe bénéficie réellement de jouer sur une grande scène, il investit complètement l'espace avec une énergie communicative. Serena en particulier est assez communicative avec le public et essaye de pratiquer son français. Celui-ci, en revanche, bougera peu pour ce genre de musique : il faudra attendre la toute fin du set pour qu'un petit pit se forme brièvement. Dommage, car le groupe montre clairement qu'il a beaucoup à donner. Musicalement, tout est carré : très bon son permettant d'apprécier la complexité des patterns rythmiques sans en perdre de vue les mélodies ni la dualité du chant, les growls de Serena étant souvent un peu plus graves que ceux de son collègue, dans un registre hardcore plus classique. Bref, Svalbard peut sûrement sonner comme un groupe déjà entendu au milieu de scènes clairement à la mode et saturées ; mais il arrive tout de même à évoluer, et surtout à proposer quelque chose d'à la fois personnel artistiquement parlant et carré au niveau des compos. Le tout étant servi par une vraie passion sur scène, il n'y a pas de doute que la formation de Bristol continuera à conquérir des fans.

 

Setlist :

Disparity
Open Wound
Faking It
To Wilt Beneath the Weight
Click Bait
Lights Out
Eternal Spirits

 

Enslaved

 

Soyons honnêtes, voir Enslaved n'est pas vraiment un événement, tant le groupe passe sa vie en tournée, et aime passer par chez nous. Mais soyons aussi honnêtes, on est toujours bien heureux de les voir. Le groupe peut certes être redondant tant il est prolifique, mais il représente toujours l'image d'un groupe stable, authentique et créatif. Enslaved sait de temps à autre nous surprendre avec de la nouveauté, tandis qu'on ne se lasse pas des classiques. De leur discographie sans fin à leur bonne humeur inépuisable sur scène, c'est toujours un plaisir de voir les Norvégiens. Et ils nous le rendent bien, ce soir comme à chacun de leur passage par chez nous. Il est véritablement rafraîchissant de voir un groupe de black/prog - soit deux styles où on aime bien se prendre au sérieux sur scène - faire des vannes entre chaque morceau et communiquer de manière très spontanée avec le public. Certes, cela ne correspondrait pas à tous les groupes, mais Enslaved a su ainsi trouver son image scénique et établir une vraie relation avec son audience.

Le groupe joue donc sans surprise devant une salle déjà conquise pour nous présenter Heimdal, sorti il y a déjà un an. Heimdal que j'ai boudé à sa sortie, et que j'apprends de plus en plus à apprécier. Difficile de prédire l'avenir avec Enslaved, mais il se peut bien que cet album marque un tournant de carrière. À la fois semblable et différent de tout ce que le groupe a pu faire, Heimdal délaisse le prog très planant d'albums comme E, mais ne revient pas pour autant aux sources. On y trouve des morceaux très mélodiques, mais aussi de longues boucles répétitives très prog, plus de metal extrême que tout ce qu'ils ont pu faire depuis au moins dix ans - mais dans une tournure expérimentale, blindée de bidouillages électroniques et de synthés. Le chant de Grutle n'a certes jamais guère évolué, mais le nouveau duo entre le chant clair, doux et aérien d'Håkon aux claviers et celui beaucoup plus puissant d'Iver à la batterie permet d'explorer de nouvelles dynamiques. Bref, si Heimdal a quelques morceaux très directs, il prend dans son ensemble du temps à être digéré. Le live aide, et les avoir vus deux fois depuis la sortie de l'album m'a clairement poussée à m'y replonger.

Bref, passons au concret. Si vous étiez là aux 25 ans de Garmonbozia, toute la première moitié du concert était exactement identique. Je regrette un peu de n'avoir que deux morceaux d'Utgard, à savoir "Homebound" et "Sequence". Deux bons morceaux, mais qui restent très classiques – j'adorerai voir le quasi post-punk "Urjotun". Chipotage d'une fan, on me pardonnera. Non, la seule surprise de la soirée, niveau setlist, sera non pas un, ni deux, mais bien trois morceaux de Below the Lights. L'album avait eu droit à son set anniversaire à plusieurs reprises, et c'est un vrai bonheur de voir d'autres morceaux que "Havenless" intégrés à la setlist sur cette tournée. Seul bémol sur cette setlist, “Congelia” et ses huit longues minutes opaques et chaotiques, qui coupent un peu la dynamique du concert pour moi. Alors que les autres morceaux du dernier album passent mieux en live, celui-ci s'apprécie mieux au casque.

Enslaved continue en tout cas à réaménager de vieux morceaux avec plus d'électro et de synthés, et il n'y a pas à dire, c'est fait à la perfection. On a toujours de petites surprises lorsque les Norvégiens entament des morceaux qu'on pense connaître par cœur, et la démarche a le mérite de renforcer les longs passages tripant de “As fire swept clean the earth” et “The Dead Stare”. C'est le cas aussi d'ailleurs sur les morceaux d'Heimdal, réenregistrés il y a peu pour une édition deluxe avec Jo Quail. Pas de contrebasse bien sûr pour ce concert, mais il est intéressant de voir un groupe retravailler constamment ses morceaux, pour l'album ou pour le live au lieu de les considérer comme des produits finis.

Après un traditionnel encore, Iver vient nous divertir avec un petit solo interactif de batterie avant que ses congénères ne le rejoignent pour une fin de concert tubesque sur "Isa" et "Alfodr Odin", qui offre comme toujours à Isdal son moment guitar hero. Que dire de plus, sinon qu'Enslaved a une fois de plus conquis Paris. Je reviens toujours vers ce groupe en me disant que je l'ai déjà trop vu, et j'en ressors en espérant le revoir au plus vite.

 

Setlist :

(Intro : Orange Mécanique)
Kingdom
Homebound
Forest Dweller
Sequence
Congelia
As fire swept clean the earth
The dead stare
Havenless
Heimdal
(drum solo)
Isa
Alfodr Odin

 

Un grand merci à Garmonbozia pour l'invitation et l'organisation toujours impeccable.
C'est d'ailleurs mon dernier concert avant probablement un bon moment – merci donc pour toutes ces belles années dans la fournaise parisienne, qui n'auraient pas été si supportables sans concerts.