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mercredi 21 février 2024

Knocked Loose + Deafheaven + Headbussa @Paris

Elysée Montmartre - Paris

Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

Cette date, on était beaucoup à l’attendre et j’en tiens pour preuve un Elysée Montmartre fort d’un petit millier de personnes où tout le monde se saluait à grands renforts de « ah toi aussi t’es là ? ». Cette sensation de réunion d’anciens-nes camarades est facilement explicable par le double facteur date rare + convergence de publics issus de différentes niches. Aux fans de metalcore bien installés se sont ajoutés-es les amateurs-trices curieux-ses de musiques extrêmes mais bien insérés-es (que nous qualifierons affectueusement de « lectorat de New Noise ») ; les hardcore kids qui ont découvert Knocked Loose avec leur médiatisation fulgurante, notamment en faisant la première partie de Motionless in White et en devenant une sorte de meme sur les réseaux sociaux ; les incorrigibles du Paris hardcore ; ainsi que quelques fans de black metal un peu décontenancés-es.

Niveau tarif, le passage à l’échelle se fait sentir avec un billet qui passe de 30€ lors de leur dernier passage à Paris, au Trabendo en novembre 2022, à 37€. Une augmentation substantielle certes, mais pas non plus complètement étonnante quand on prend en compte le changement de salle et le passage de Knocked Loose en tête d’affiche.

 

Headbussa

À 19h30, le public est déjà assez compact pour entendre résonner un sample menaçant issu du Dracula de Francis Ford Coppola. Les enfants terribles de Paname ont le vent en poupe, après un excellent EP et une signature sur DAZE, le label incontournable du metalcore agressif, les cinq Headbussa ont annoncé une tournée au Royaume-Uni, une autre en Asie du Sud-Est et au Japon, et ont été choisis par Knocked Loose themselves pour faire la première partie de toute la tournée européenne.

Il faut dire qu’avec ce sample et sur cette scène, chaque musicien placé à équidistance pour occuper tout l’espace, ils en imposent et portent haut le drapeau parisien. Gaultier, le compositeur et guitariste, nous disait en novembre « faut qu'à nos concerts ça fasse peur » et force est de constater que c’est le cas.

Leur set est compact, et heurte l’Elysée Montmartre avec la puissance d’un 38 tonnes. Composée de la majeure partie, si ce n’est l’intégralité, de leur discographie, leur prestation est saisissante d’efficacité. Fidèles aux traditions beatdown, chaque break anime le pit d’une énergie vengeresse et les moulinets émaillent un pit où tout le monde connaît les règles du jeu (ce qui n’était pas gagné, notamment pendant Knocked Loose où plusieurs personnes se sont scandalisées d'être trop secouées... tout en restant dans le pit). Sur « Mass Effect », Tonio de Take It in Blood vient prendre le micro comme il a régulièrement l’habitude de le faire. Le set est méchant et frontal, mais construit avec talent et le simple fait de voir un groupe local occuper la scène avec autant de force est une grande source de fierté. D'autant plus que ce soir, Headbussa avait l'air de bien plus qu'un simple groupe local. Et si finalement c'était eux qui allaient porter notre fierté à l'international ?

 

Crédit : Amélie Jouchoux

 

Deafheaven

Mess : Si l’on peut doucement remettre en question la pertinence de programmer Deafheaven au milieu de ce plateau tenant plus de la fiesta de bourre-pifs que de la chialade pour emos vieillissants, il n’en reste pas moins indéniable que les natifs de San Francisco tiennent toujours autant la baraque en live. Surtout lorsque ces derniers ne nous infligent pas la pénibilité du dernier album et se lancent dans un set, certes sécurisé par ses éternels classiques comme « Dream House » ou « Sunbather », mais avec la gentillesse de nous offrir une interprétation de « Gifts for the Earth » maîtrisée et fidèle à la pièce d’origine issue de New Bermuda, que Deafheaven n’a que trop peu mis en avant ces dernières années (excepté pour le titre « Brought to the Water », joué lui aussi ce soir-là).

On regrettera peut-être un peu en tendant l'oreille de constater un George Clarke à la voix quelque peu hasardeuse (pas super encourageant alors que la tournée vient tout juste de commencer pour lui) mais toujours communicatif avec ceux qui s’époumonent en sa compagnie dans le jeu de la soupe à la grimace. On notera, à nouveau, un Shiv Mehra aux abonnés absents, un son de guitare cra-cra pour Kerry et son subtil t-shirt Aphex Twin, beaucoup de sweats nostalgiques de Sunbather, quelques lancements de pits anachroniques et un Daniel Tracy toujours aussi tout feu tout flamme de l’enfer et toujours un des meilleurs batteurs de sa génération.

De l’ouverture musclée instaurée par « Black Brick » en passant par la mignonnerie de ses écarts post-rock de milieu de set pour toujours finir par sa transpercée à vif de nos cœurs sur le légendaire « Dream House », Deafheaven a rappelé aux mille singes que nous étions tous ce soir-là pour Knocked Loose, que sous nos accoutrements de guerriers du dimanche, il y avait un cœur qui battait… pour combien de temps encore ceci-dit ? Car Knocked Loose va bientôt entrer en scène.

  

Crédit : Amélie Jouchoux

Setlist :

Black Brick
Sunbather
Gifts for the Earth
Brought to the Water
Dream House

 

Knocked Loose

Raton : La croissance en popularité de Knocked Loose a quand même été fulgurante. Quand on pensait qu’ils avaient atteint un plafond de verre avec la sortie de A Different Shade of Blue, c’est leur EP suivant, A Tear in the Fabric of Life, qui leur a permis de dépasser la seule scène metalcore et de devenir une référence des musiques alternatives modernes. L’intérêt pour moi était donc de voir comment ça allait transparaître dans leurs performances live, d’autant plus que ça fait la troisième fois que j’ai la chance de les voir après l’Outbreak Fest 2022 et le Trabendo en novembre de la même année. Ils avaient bien fait un UK/Euro Tour en 2023 mais la France avait été snobée au profit de nos comparses suisses, belges et luxembourgeois.

De premier abord, pas de grands changements : le backdrop est toujours le même, rouge avec la figure de la pochette de A Tear in the Fabric of Life et la scéno globalement identique. Les loubards du Kentucky entament leur performance avec « Deep in the Willow », choix évident vu le succès du single et l’efficacité ahurissante de son break. Le public ne s’y trompe pas et entame un pit fiévreux qui ne s’arrêtera jamais vraiment. La setlist poursuit sa course avec les deux premiers titres du dernier EP et notamment un « Where Light Divides the Holler » redoutable, avant de s’assurer de l’adhésion du public avec « Deadringer ».

L’interprétation est méthodique, impeccable et le son compact, net dans son agressivité. Sur ce dernier point, même si un bon son est toujours à saluer, je regrette un tantinet la sauvagerie cradingue qui pour moi définit aussi Knocked Loose. A certains moments et notamment sur les morceaux de A Different Shade of Blue, j’ai trouvé ça presque lisse, à en confondre parfois quelques titres. En revanche tous les titres post-ADSOB sonnent à merveille. C’est notamment le cas quand, après la dernière note de « Oblivion’s Peak », le groupe entame un tout nouveau morceau, joué pour la toute première fois en concert et nommé « Blinding Faith ». Dans la suite logique des deux derniers singles, sombre, menaçant et nerveux, il promet un album d’une qualité époustouflante.

Malgré ce beau cadeau que Knocked Loose nous offre, je reste sur ma faim avec cette setlist de laquelle j’attendais davantage. Dans la mesure où c’est la première date de la tournée et que le dernier single a déjà été défendu sur le continent, on était en droit de s’attendre à des surprises, mais on se retrouve plus ou moins face à la même setlist qu’ils traînent depuis un moment. Si on enlève les deux derniers singles et « Blinding Faith », on se retrouve avec seulement deux nouveaux morceaux par rapport au set du Trabendo de novembre 2022 : « …And Still I Wander South » de ADSOB et « Contorted in the Faille », qui n’a d’ailleurs pas été joué sur les deux dates suivantes, au Pays-Bas et en Pologne. 

Alors certes, on a le droit à un set généreux qui approche l’heure, mais j’aurais aimé plus de variété. Allez j’ose une liste de courses : sur ADSOB, j’aurais adoré retrouver les boudés « Guided by the Moon » et « Forget Your Name » (dont le riff d’intro est joué pour amorcer « Belleville »), la version originale de « All My Friends » et pas la version réenregistrée issue de l’EP qui a dévoilé « Mistakes Like Fractures », et mon rêve ultime serait de pouvoir entendre « Manipulator II », mais qui n’a pas été joué depuis 2016.

En conclusion, un set dantesque, qui prouve - si c’était encore à prouver - la légitimité de Knocked Loose comme tête d’affiche de sa scène. Alors oui, je ronchonne avec des considérations de production et de setlist, mais le constat final c’est qu’aussi rigoureuse qu’implacable, la prestation du groupe force le respect.

  

Crédit : Amélie Jouchoux

Setlist :

Deep in the Willow
Where Light Divides the Holler
God Knows
Deadringer
Trapped in the Grasp of a Memory
Belleville
Denied by Fate
Oblivion's Peak
​Blinding Faith (première mondiale)
All My Friends
Contorted in the Faille
...And Still I Wander South
Mistakes Like Fractures
Billy No Mates
Counting Worms
Everything Is Quiet Now

 

Merci beaucoup à Live Nation (Victoria), à KINDA (Denise), à l’Elysée Montmartre, à Amélie Jouchoux pour les précieuses photos, aux groupes et surtout à Headbussa pour la bataille en terres conquises.