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dimanche 5 novembre 2023

Paris Hardcore Fest 2023 - Jour 2

L'ESS'pace - Paris

Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

Après une première journée fluide et riche en grands moments de hardcore, la deuxième journée du Paris Hardcore Fest réserve encore beaucoup de surprises aux festivaliers-es. Comme la veille, l'organisation est au poil avec une jauge très respirable, ce qui n'est pas monnaie courante pour l'ESS'pace, un running order bien composé et tenu à la minute près, une gestion de l'espace admirable et un son d'une netteté rare pour la salle (toujours grâce à ce bon Florian, qu'on salue encore). Au-delà d'un moment de cohésion autour de la scène, c'est une leçon d'organisation pour les musiques extrêmes underground et ça fait vraiment plaisir qu'on puisse se donner les moyens d'un confort et d'une fiabilité professionnels pour une musique d'essence DIY et spontanée.

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15 octobre - Jour 2

Groupes évoqués : Corruption Pact | Calcine | Cold Decay | Glassbone | DIG | Headbussa | Pencey Sloe | Sorcerer 

 

Corruption Pact

Ce dimanche est légèrement moins dense que le samedi avec un groupe de moins sur le line-up. C'est donc à 16h30 que le public commence à se masser dans la salle pour assister au premier show de la journée et d'ailleurs leur premier show tout court, Corruption Pact. Ce tout neuf projet a été fondé sur les cendres de Jaw Crack avec quelques nouveaux membres et une direction musicale toute autre. Exit le hardcore à la Rotting Out, pour faire place à du metalcore vieille école, lourdement influencé par le death metal.

Dès les premières notes, on comprend que la méchanceté sera le maître mot. Du hardcore putride, malveillant, qui conjugue la menace sourde du death metal avec l'efficacité primaire du hardcore. Au chant, Quentin (aussi tenancier de Eiffel Assault Shows), annonce la couleur : « Tout le monde frappe tout le monde ». Et c'est plus ou moins ce qu'il s'est passé. Quentin doit probablement d'ailleurs être le seul type dans le hardcore qui conserve une cred avec une doudoune sans manches (même si on reconnaît le flow de flanquer un t-shirt 200 Stab Wounds en dessous). A la batterie, Will (aussi ex-chroniqueur de l'écurie Horns Up) abuse de la caisse claire et renforce le côté metal extrême avec un constant martelage claquant. Corruption Pact profite également de ses 20 minutes pour reprendre « Burn the Lies » de Hatebreed, ce qui continue d'attiser les braises d'un public déjà en train de faire de la gymnastique rythmique dans le pit. Impossible de ne pas être admiratif devant la consistance et la maîtrise de ce set alors qu'il s'agit de leur tout premier. 

Crédit photo : Clara Griot

 

Calcine

C'était probablement une de mes plus grosses attentes du week-end. Malgré leur parisianisme et leurs déjà quelques années d'existence, je n'avais jamais eu l'occasion de voir Calcine en concert, alors que leur premier EP était un vrai coup de coeur (bien évidemment chroniqué dans nos pages). Le groupe est composé de quasiment tous les membres de Montagne et de Stef (qu'on a déjà vue hier dans Backboned si vous suivez) au chant. Il évolue dans un style metalcore complètement milieu des années 2000 avec un chant syncopé ultra expressif sur une instru 100% edge metal, avec des vrais bouts de metal extrême dedans.

Dès le début du set où Luc, le guitariste, reprend le leitmotiv du générique de Friends, on comprend que Calcine ne ressemble à rien de la scène parisienne actuelle. Tout est bien placé : en premier lieu, évidemment, il y a le chant exceptionnel de Steph, dont la présence scénique et le charisme emportent vite la foule de l'ESS'pace ; la batterie infatigable de Lucas, qui tient des plans soutenus sans sourciller ; les riffs de Luc, formidablement evil avec des licks à la Slayer comme le meilleur du style sait en produire ; et la basse d'Arthur qui contrebalance la guitare et la batterie plus versées dans le metal par un groove bienvenu. Au vue de l'efficacité et de la maturité de leur set, mon seul regret est que Calcine n'ait pas été placé plus haut sur l'affiche, et ce n'est pas la brutalité gourmette du mosh part final qui me donnera tort. 

Crédit photo : Clara Griot

 

Cold Decay

Cold Decay est un des groupes les plus au centre de l'attention car c'est le nouveau né de tauliers de la scène : en plus d'être le projet principal actuel de Benoît, l'organisateur des festivités, c'est le bébé de Baptiste, qui reçoit la palme du plus grand nombre de set joués au cours du week-end avec 4 prestations différentes (Backboned, Headbussa, Worst Doubt et Cold Decay). Il nous raconte : « Pour moi ça veut dire quelque chose. En plus j'ai fait que des sets bien différents, deux sets à la guitare, deux sets à la basse. Sur ces deux derniers, y en a un c'est du filling pour un groupe qui est en pleine ascension, Headbussa, et un autre pour lequel c'était le dernier concert 8 ans après le précédent, Backboned. Moi qui suis légèrement plus jeune que ces gars là, c'est des groupes avec lesquels j'ai grandi dans la scène, donc jouer avec eux, pour soit dire au revoir, soit profiter un peu de ce qui se passe en ce moment, c'est super cool. »

Quand Benoît prend le micro, les instructions sont limpides : « Cassez-vous la gueule ». Résonne ensuite un metalcore urbain et strident qui revendique le patronage de King Nine et Everybody Gets Hurt. Leurs shows précédents étaient déjà solides, mais Cold Decay gagne nettement en assurance à chaque nouvelle performance, que ce soit dans l'intensité ou dans la maîtrise vocale de Ben. Ce dernier en profite pour prendre la parole et remercier le public :  « il n'y aucune ville en Europe qui peut faire ça : 17 groupes différents en deux jours ». Et pour ne pas laisser retomber le soufflé, il enchaîne avec une reprise (que je n'ai pas reconnue, jetez-moi des tomates // edit : c'était une reprise de « Loyal ta the Grave » de 25 ta Life, merci à @F4Y4FEL sur Twitter) avec Tonio de Take It in Blood. Un show bourré ras-la-gueule de riffs agressifs façon cran d'arrêt et de breaks métalliques violents et précis.

Après le concert, Baptiste nous partage ce qu'il souhaite pour le futur, d'abord personnellement : « Pas de faire 4 sets (rires). La suite c'est que je vais profiter, le hardcore c'est ma passion n°1, c'est ce que je veux faire pour me faire kiffer. C'est autant un truc qui m'a sauvé la vie, même si c'est un peu cliché de dire ça, mais faut aussi que ce soit fun. » Et à propos de la scène parisienne : « J'ai l'impression qu'il y a de nouveau les yeux qui se posent sur la scène parisienne, alors que c'était plus le cas depuis... depuis Kickback. C'est le groupe qui revient à chaque fois, tous les groupes de Paris sont comparés à Kickback, à tort je pense, on dit que ça ressemble à Kickback alors que pas du tout. Dans Worst Doubt, y a des influences, mais j'ai l'impression que dès qu'un groupe français apparaît on dit "wah les influences Kickback". Ça va être bien quand un jour on pourra se défaire de ça et qu'on pourra parler des groupes qui existent maintenant et de parler de ce qu'ils sont vraiment. [...] Y a pas de scène sans groupes, pas de scène sans public, c'est les deux éléments qui doivent se faire. En ce moment on a les deux à un niveau qu'on a jamais eu donc c'est top. »  

Crédit photo : Clara Griot

 

Glassbone

Ce dimanche, bien qu'avec un groupe de moins, semble plus dense, avec des sets qui s'enchaînent dans autant d'explorations de la brutalité, sans les pauses musicales (même relatives) de la veille. Ça n'empêche pas quelques valeureux soldats du pit de redoubler de side to side de concert en concert. À ce sujet, on sait que la violence dans les concerts de hardcore est un sujet qu'on ne résoudra pas aujourd'hui et que chacun.e en aura une appréciation différente. Mais il est quand même nécessaire de constater que sur ces deux jours et aussi animé que le pit ait pu être, tout s'est fait dans le respect des codes tacites de la scène : seules étaient ciblées les rangées donnant sur le pit et aucune animosité n'a semblé traverser les acrobates de devant scène. Preuve qu'il est possible de concilier une pratique extrême avec le respect du public qui choisit de ne pas y participer ; ce que certains débats, ressassés à l'extrême, refusent encore parfois de constater.

Quoiqu'il en soit, c'est au tour de Glassbone de prendre possession de la scène. Il s'agit du groupe qui a pris la suite de Wolfpack, en conservant plusieurs de ses membres et notamment l'impressionnant Hadrien au chant. Par rapport à son prédécesseur, Glassbone sait se faire plus moderne, tout en conservant le groove et le goût pour les breaks voyous de Wolfpack. Hadrien, avec qui j'aimerais éviter d'avoir maille à partir, prend le micro et se fend d'un lapidaire « Paris, détruis tout ». Leur beatdown sournois et nerveux donnera la motivation nécessaire au public pour respecter cette consigne. Sur le deuxième morceau, Dom de Sorcerer prend le micro mais semble avoir de la peine à tenir debout. Un début de malaise vagal qui ne l'empêche pas d'assurer son feat. Il sera rapidement pris en charge et remis sur pieds en un rien de temps.

En milieu de set, le chanteur annonce, « Celle-là, on aurait aimé ne pas la jouer, mais au vu des circonstances... ». On comprend qu'il s'agit d'une reprise de Desolated, groupe de metalcore britannique, dont le bassiste, proche du groupe, est décédé dans les attaques du Hamas à la free party où il officiait à la sécurité. Un moment fort où les considérations géopolitiques ont été mises de côté pour célébrer un membre actif de la scène hardcore anglaise.

Enfin, pour clore le set et après que Hadrien ait hurlé un iconique « PARIS QU'EST CE QU'IL SE PASSE » pour appeler à la bagarre générale, Glassbone reprend « Davidian » de Machine Head. Une référence plaisante tant Burn My Eyes est un album qu'on oublie souvent dans les influences principales du metalcore actuel. 

Crédit photo : Clara Griot

 

DIG

La saison des reformations prend fin avec le concert de DIG, autrefois connu sous le nom de xDIGx. Le groupe de hardcore straight edge parisien a été actif de 2010 à 2014 et a fait son dernier concert en 2018 en ouverture de No Warning et Higher Power. Plus tough et avec des riffs plus touffus que la majorité de la scène hardcore sXe, les Parisiens se situent quelque part entre le youth crew et le hardcore tough de Suburban Scum, dans un registre qui me fait beaucoup penser à l'excellent mais éphémère groupe new-yorkais Mind Piece.

Constitué de visages connus, dont celui de Ben à la batterie, leur concert ravive des souvenirs chez une bonne partie de l'assemblée. J'ai l'impression qu'en live, le côté mid tempo des compositions est accentué, appuyé par un mix où la batterie est très présente et la voix est plus en retrait. Malgré des appels au mosh amusants (« La prochaine elle est pour tous les gogols »), le set s'avère un peu bancal avec pas mal de pains, ce qui reste compréhensible après cinq ans sans concerts. La performance reste bien entendu honorable, mais il s'agit pour moi de la reformation la moins solide du fest.

Pendant le show, je remarque aussi que le public est plus varié qu'avant. Je n'ai pas une expérience immense dans la scène hardcore parisienne, tant s'en faut, mais je constate une véritable différence entre 2018 et maintenant, avec une plus grande diversité d'origines, de styles et de générations. C'est aussi un signe de la vitalité et du renouvellement du milieu, ce qui est à célébrer. 

Crédit photo : Clara Griot

 

Headbussa

Le concert de Headbussa faisait partie de mes grosses attentes. D'une part parce que je ne les avais encore jamais vus, et d'autre part parce qu'ils sont un des meilleurs représentants du beatdown métallique en Europe (je vous en parlais d'ailleurs juste ici). Je n'apprends à personne qu'il s'agit d'une scène très cliché et réussir à faire une musique véritablement menaçante et négative, avec les sourcils bien froncés, n'est pas chose aisée. Gaultier, le guitariste et compositeur principal du groupe, nous confie son intention avec le groupe : « On est le groupe de hardcore le plus violent de Paris en 2023. [...] Juste, on aime la violence et on veut que ça impose, faut qu'à nos concerts ça fasse peur. Moi j'aime bien qu'il y ait une peur qui reste présente quand tu arrives à un concert, c'est un truc qui s'était un peu perdu et qui revient. » Le ton est donné.

Dès les premières notes, la volonté de Gaultier est faite. C'est la foire au crowdkill de la première à la dernière note, grosses soldes sur les patates, avec un apogée particulier pendant le feat de Tonio de TIIB sur « Mass Effect ». On n'est d'ailleurs pas surpris de revoir Emile, Hugo et Baptiste de Worst Doubt dans le line-up. Au chant, Loïc en impose, avec un t-shirt Laid 2 Rest qui vaut mille mots (groupe de beatdown américain ultra-violent affilié au FSU, LE gang du hardcore et pas extrêmement apprécié par les autorités). En fin de set, il vient même se foutre sur la tronche dans le pit pendant qu'un autre gonze prend le micro.

L'animalité de Headbussa est impressionnante de maîtrise. Leurs morceaux ne sont pas que des escalades aveugles de violence, ils sont bien cogités, avec des gros passages groovy et interprétés au millimètre. Loin de moi l'idée de les faire passer pour du Dream Theater, mais Headbussa est vraiment plusieurs têtes au-dessus de la mêlée et au-delà du déluge d'agressivité, je passe vraiment un excellent moment musical. Moment sublimé par le final homérique, où le groupe nous fait la surprise de reprendre l'hymne du hardcore parisien : « This Is Filthy Paris » de Providence. Pendant l'interview, Gaultier m'a partagé « pour moi si tu fais de la musique, faut savoir pourquoi tu en fais ». Aucun doute, eux, savent ce qu'ils font. 

Crédit photo : Clara Griot

 

Pencey Sloe

Pencey Sloe est l'anomalie stylistique de l'affiche. Groupe de shoegaze parisien, j'avais été séduit par leur excellente performance en première partie de Koyo et Fleshwater au Supersonic en juillet. Néanmoins, il serait injuste de leur refuser toute proximité avec le milieu hardcore : Clément était aussi à la batterie dans Lodges, et Pencey Sloe vient de sortir en septembre un split collaboratif avec Sorcerer.

J'avais très peur que leur set ne prenne pas, en tant que seul groupe non hardcore et placé comme ça dans le line-up, entre Headbussa et Sorcerer. Mais mes inquiétudes ont été très rapidement balayées. Le public était extrêmement investi et respectueux de la proposition musicale du groupe, qui atteignait des moments de grâce rares, comme sur l'enchanteur « Neglect », tiré du dernier album. Une occasion aussi de prouver la grande qualité du nouveau line-up, quasiment intégralement changé en 2022, à l'exception de Diane la chanteuse. Créative et onirique, Pencey Sloe a été la parenthèse enchantée du festival. 

Crédit photo : Clara Griot

 

Sorcerer

Le privilège de fermer le festival a été donné à Sorcerer, les enfants chéris de la scène qui ont bénéficié d'une ascension fulgurante depuis la sortie de leur premier EP en 2021. Un choix qui aurait pu être surprenant, compte tenu du fait que Sorcerer n'a que trois ans d'existence. Mais les membres du groupe sont des bosseurs et j'avais déjà évoqué leurs progrès impressionnants, quelques mois seulement après le premier EP. Ce soir, le constat est encore plus fort, Sorcerer gagne chaque fois en assurance et en maturité. Même si c'est une observation que j'ai faite pour plusieurs autres groupes, c'est aussi une preuve de l'émulation que propose la scène parisienne. Il semble clair que les groupes se portent entre eux et que l'ambition de l'un est transféré à l'autre.

Au micro, Dom est en grande forme : « C'est la dernière ce soir, bougez votre cul ». Il faut avouer qu'il a une excellente présence et qu'il est vraiment très bon pour les appels au mosh et les refrains scandés (gimmick beaucoup plus typique du hardcore straight edge à la Magnitude). C'est d'ailleurs un constat que j'ai fait sur plusieurs des nouveaux morceaux, Sorcerer semble accomplir sa mue davantage vers un hardcore avec des vrais refrains et c'est quelque chose qui manquait encore fortement à la scène parisienne. Sur plusieurs segments, je pense même au talent d'Indecision, ce qui me donne l'occasion de saluer les talents de composition de Guillaume et Tim.

Après plusieurs segments fédérateurs, des invectives efficaces (« Ceux qui mangent de la barbaque, je sais qu'il y en a dans la salle, allez vous faire enculer ») et quelques featurings (dont un, particulièrement fort, de Souf de feu Mind Awake, qui reste à mes yeux parmi les meilleurs frontman de la scène parisienne), Sorcerer tire sa révérence avec la meilleure des conclusions. Celle qui montre que Paris est alive and strong et que la scène a un appétit dévorant que la capitale ne pourra pas contenir.

Crédit photos : Clara Griot

 

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Mêmes remerciements que pour le jour 1 : merci à Benoît pour l'organisation, aux groupes et à toute la scène hardcore parisienne pour sa générosité et son infatigable motivation. Merci aussi à l'ESS'pace pour la salle, à Florian pour le son et surtout à Clara Griot pour m'avoir laissé utiliser les images de son reportage et pour l'énorme énergie qu'elle dévoue à la scène. Merci aussi à Baptiste et Gaultier pour leur confiance et le temps qu'ils m'ont accordé.